Qatargate: tu quoque, amice ?


Depuis vendredi dernier, le député européen et bourgmestre d’Anthisnes, Marc Tarabella, est incarcéré à la prison de Saint-Gilles. Il doit répondre de faits de corruption publique, blanchiment, et appartenance à une organisation criminelle, dans l’affaire connue sous le nom de Qatargate, qui ébranle le Parlement européen.

Comme tout inculpé, Marc Tarabella bénéficie de la présomption d’innocence. Et tant à la fédération de Huy-Waremme du Parti socialiste, dont il est suspendu, qu’à Anthisnes même, ses amis, nombreux, affichent toujours leur conviction qu’il est effectivement innocent des faits mis à sa charge.

Son avocat, Me Toller, partage cette conviction, et a dénoncé le fait qu’il n’avait pas encore eu accès au dossier. Ce jeudi, cette lacune a été comblée quand il a plaidé la remise en liberté du bourgmestre anthisnois devant la chambre du conseil, et a, par surcroît, déposé une requête en suspicion légitime contre le juge d’instruction Michel Claise. En vain, puisque Marc Tarabella a été maintenu en détention.

A priori, on a des difficultés à imaginer que le juge d’instruction bruxellois, vétéran de la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale, s’abaisse à incarcérer une personne pour faire pression sur elle, afin d’obtenir des aveux…

Nous aussi, nous l’avons dit, nous serions à la fois stupéfait et cruellement déçu si, au bout du compte, il apparaissait que Marc Tarabella, un député européen très engagé qui a toujours communiqué beaucoup sur son activité, se serait laissé acheter par l’émirat. Ce serait en contradiction totale avec toute son action politique, mais aussi avec sa personnalité. Car l’élu est resté l’homme qu’il était, il y a bien longtemps, quand il travaillait à Liège pour la Caisse Générale d’Épargne et de Retraite, l’antique CGER, disparue depuis longtemps dans la double vague de rationalisation et de privatisation du secteur bancaire.

Mais, en nous rappelant ce passé professionnel, nous avons été assez interloqué d’apprendre que les enquêteurs, vendredi dernier, n’ont pas seulement perquisitionné (en vain) les locaux de l’Administration communale d’Anthisnes, mais se sont aussi intéressés à un compte bancaire ouvert de manière anonyme, sous ses initiales, par le mayeur antisnois dans une banque liégeoise.

La pratique, il faut l’avouer, ne manque pas d’interpeller, car à quoi sert un compte anonyme, si ce n’est à des transactions discrètes ?

L’autre élément interpellant est une archive des débats au Parlement européen, où un ministre qatari plaidait la cause de son émirat, ava t le dernier championnat du monde de football. Alerté par un de ses anciens collègues députés, plongé jusqu’au cou dans le Qatargate, Marc Tarabella avait demandé et obtenu la parole, alors qu’il n’était pas inscrit au rôle. Et il s’était lancé dans un plaidoyer anti-boycott basé sur le fait que de telles objections n’avaient pas précédé le Mondial russe de 2018. Cela nous a laissé la pénible impression d’une intervention « aux ordres »…

La présomption d’innocence de Marc Tarabella reste entière, répétons-le. Mais on attend que sa situation se clarifie surtout au plus vite, dans un sens comme dans l’autre. Mais pour l’instant, nous serions tenté de paraphraser Jules César, le jour de son assassinat, et de lancer « Tu quoque, amice? ». « Toi aussi, ami?»

L’exclusion de Marc Tarabella démontre l’inconséquence du PS


Le député européen et bourgmestre socialiste d’Anthisnes, Marc Tarabella, est désormais écarté de l’Alliance Progressiste des Socialiste et Démocrates au Parlement européen, où il siège depuis 2004, et il est, par surcroît, exclu du Parti Socialiste. Une exclusion temporaire, a-t-on expliqué au Boulevard de l’Empereur, jusqu’au moment où l’enquête sur la corruption au Parlement européen aura conduit soit à son inculpation, soit à son innocence.

Les «révélations», ou pseudo-révélations du «repenti» italien, Pier Antonio Panzeri, l’ont, il est vrai, gravement mis en cause ces derniers jours: à en croire certaines fuites, son ancien collègue au Parlement européen l’accuserait d’avoir perçu 120000 euros en provenance du Qatar. Et Panzeri, dans le même temps, a complètement innocenté Marie Arena, compromise elle aussi par un voyage dans l’émirat qu’elle avait opportunément omis de déclarer.

Marc Tarabella s’est-il laissé acheter? L’enquête devra le démontrer. La perquisition menée tambour battant à son domicile n’a en tout cas pas laissé apparaître le moindre pactole. Et ses concitoyens d’Anthisnes ont peine à croire que leur bourgmestre, resté très proche d’eux, ait ainsi cédé à une offre sonnante et trébuchante.

Pour l’heure, Marc Tarabella, mis en cause par des «fuites», n’est pas inculpé…

Pour ma part, pour bien connaître Marc Tarabella depuis de très nombreuses années, j’avoue que je serais à la fois très surpris et très cruellement déçu si l’enquête, au bout du compte, démontrait que s’il a changé d’opinion sur l’organisation du dernier championnat du Monde de football au Qatar, c’est après s’être laissé convaincre par une valise de billet. Jusqu’à preuve du contraire, je m’accroche à la présomption d’innocence dont bénéficie chaque inculpé. Et je rappelle qu’à l’heure présente, le bourgmestre d’Anthisnes, qui a déjà réclamé à plusieurs reprises d’être entendu par Michel Claisse, le juge d’instruction en charge du dossier, n’est toujours pas inculpé.

La précipitation avec laquelle le Parti Socialiste l’a exclu, fût-ce de manière temporaire, n’en est dès lors que plus choquante. Et pose question sur la manière dont le PS exclut ou non ses membres. Une manière en apparence très arbitraire, qui semble essentiellement relever du bon vouloir du prince, entendez, du président du parti, Paul Magnette.

Comme le rappelait avec beaucoup de pertinence Bertrand Henne, ce matin, sur La Première, le Parti Socialiste ne respecte en rien les règles qu’il avait édictées, il y a plusieurs années, quand avaient éclaté les affaires dites de Charleroi. Celles qui avaient conduit le président du parti de l’époque, Elio Di Rupo, à jeter qu’il en avait «marre des parvenus» (sic)!

En principe, selon ces règles, tout mandataire inculpé devait être exclu du PS. Mais rapidement, il est apparu qu’une inculpation pouvait déboucher sur un non-lieu, voire un acquittement. Dès lors, la règle a été illico vidée de sens.

Il arrive néanmoins que des inculpés finissent par être condamnés. Ce fut le cas, récemment, de M. Jean-Charles Luperto, définitivement condamné dans une affaire de mœurs. Oui, mais hum, Jean-Charles Luperto est un gros faiseur de voix à Sambreville, et l’exclure risquait de le voir conduire, en 2024, une liste du bourgmestre qui aurait privé le PS du mayorat dans une ville importante de la province de Namur. On a donc inventé une excuse selon laquelle cette condamnation n’est en rien liée à l’exercice d’un mandat politique (!), et on a oublié la «blague» qu’il avait faite auparavant à son collègue de Jemeppe-sur Sambre, qu’il avait menacé de mort, en estimant que cette plaisanterie lui avait coûté un mandat ministériel. Le camarade reste donc un camarade. «Je suis le champion de l’éthique» a expliqué le président du PS, ce jeudi soir, au JT de La Une, juste avant la séance des vœux de son parti. On doit donc en conclure que, pour lui, se poster dans les toilettes d’une station d’autoroute, en quête d’une relation homosexuelle furtive est un acte parfaitement éhique…

Stéphane Moreau, ancien bourgmestre d’Ans et ex-patron de Nethys, a, lui, été exclu du PS en avril 2017, en pleine révélation des manœuvres financières et d’une fraude à l’assurance qui lui avaient bénéficié. L’ancien député provincial sérésien André Gilles, ex-président du conseil d’administration de l’intercommunale Publifin, aujourd’hui Tecteo, dont dépendait Nethys, a été lui aussi exclu en même temps du parti: la règle vide de sens a été appliquée à leur endroit, sans que personne la remette en cause. Pour rappel, à nouveau, à l’heure présente, Marc Tarabella n’est pas inculpé dans le «Qatargate».

Il y a un an Alain Mathot, l’ancien député-bourgmestre de Seraing, condamné pour corruption, a préféré, lui, se retirer du PS, avant de subir une exclusion qui lui semblait devenue inévitable.

Et puis il y a eu les exclusions pour cause de divergence politique avec certains mandataires. Emir Kir, le populaire député-bourgmestre de Saint-Josse a été «dégommé» pour son refus de reconnaître le génocide arménien et pour sa proximité avec des «Loups gris», la milice d’extrême-droite turque. Son exclusion temporaire, largement approuvée, va bientôt prendre fin… sans qu’on sache si, sur le génocide arménien, sa position ait évolué. Lui aussi est une «machine à voix»…

La bourgmestre de Verviers, Muriel Targnion, et son échevin des Finances, Alexandre Loffet, ont, eux été exclus, en violation des règles internes du PS soit dit au passage, parce qu’ils n’étaient pas revenus sur leur signature au bas d’une motion reniée, sous pression, par certain(e)s de leurs ancien(ne)s colistier(e)s, demandant le retrait du mandat d’un président du CPAS, lui aussi PS, dont le comportement politique posait problème à la gestion de l’ancienne cité lainière. La tentative de mettre un autre bourgmestre de consensus, feu Jean-François Istasse, à la place de Muriel Targnion, ayant échoué, le-dit président du CPAS a tout de même été écarté. Et dernier épisode en date, Alexandre Loffet, ancien président de la fédération verviétoise du PS, qui devait démissionner en ce début d’année pour faire place à un(e) socialiste «orthodoxe»…. a été réintégré au parti. Manière de lui éviter de nouveaux déchirements.

La jurisprudence du Parti Socialiste, on le voit, est à géométrie (très) variable, et le tort principal de Marc Tarabella est sans doute d’être le bourgmestre d’une… petite commune condruzienne, et de ne pas peser suffisamment lourd. Comme l’écrivait déjà Jean de la Fontaine, selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir…

L’Europe s’est-elle résignée à l’extrême-droite?


Les sondages l’avaient annoncé: Fratelli d’Italia, la formation d’extrême-droite présidée par Giorgia Meloni, est sortie en tête des suffrages en Italie, ce dernier week-end. Forte de sa coalition avec la Lega, de Matteo Salvini qu’on sent impatient de rejeter à nouveau à la mer, et à une mort probable, les migrants qui abordent dans les ports italiens; et avec Forza Italia, le parti créé par un Silvio Berlusconi qui, à 85 ans, prend de plus en plus des airs de momie de cire, elle va donc devenir la première femme à présider un gouvernement en Italie. Pour le meilleur… et pour le pire?

Pour la première fois depuis l’éviction du Duce en 1943, et malgré sa Constitution qui proscrit le fascisme, l’Italie va ainsi être dirigée par une authentique facho!

Certes, Giorgia Meloni a lissé son discours au cours de la récente campagne électorale. Mais France 3 a opportunément ressorti l’interview d’une jeune militante d’extrême-droite de 19 ans, qui avait été réalisée à Rome, en 1996. La jeune Giorgia Meloni, parce c’était bien d’elle qu’il s’agissait, pas encore teinte en blonde peroxydée, y professait son admiration pour Benito Mussolini, «un bon politicien, parce que tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour l’Italie», clamait la militante de l’Alianza Nazionale.

La jeune militante d’Alianza Nazionale Giorgia Meloni ne cachait pas son admiration pour Benito Mussolini

On ne sait à quoi elle faisait allusion. À l’assassinat de Giacomo Matteoti? Bon pour l’Italie? Aux crimes de guerre commis par l’Italie fasciste en Éthiopie, avec l’utilisation massive de gaz de combat? Profitables à l’Italie? Aux lois anti-juives? Positives pour l’Italie? Au soutien au coup d’État militaire du général Franco en Espagne? Bénéfique pour l’Italie? Ou à l’alliance avec l’Allemagne hitlérienne? La ruine de l’Italie, en 1944, oppose le démenti le plus formel à cette opinion.

Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, m’objectera-t-on. Sur ce plan, Giorgia Meloni doit être une dirigeante géniale, car, entre ses récents discours, et ses prises de position lors de la campagne électorale, hors son hostilité à l’invasion de la Russie par l’Ukraine, elle a singulièrement changé de caps!

Reste à savoir dans quelle mesure, ses dernières prises de position sont sincères. Au Parlement européen, les élu(e)s de son parti se sont surtout distingué(e)s par leur opposition aux textes pénalisant les discriminations basées sur le sexe, l’orientation sexuelle ou le genre, mais aussi à un texte prônant… l’égalité salariale entre hommes et femmes. Et en matière d’immigration, elle ne le cède en rien à Matteo Salvini, dont le recul a été proportionnel à la progression de Fratelli d’Italia: c’est peut-être la seule bonne nouvelle (relative) de ce scrutin.

Sa récente profession de foi européenne procède, elle, sans doute surtout de la crainte de voir l’Italie perdre les larges subsides européens qui lui sont promis, pour renflouer une économie lourdement frappée par la pandémie de Covid-19.

Stigmatiser l’Italie n’aurait toutefois guère de sens dans une Europe où le Rassemblement National, en France, a été présent au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2017 comme en 2019, et surtout, à l’occasion des récentes élections législatives, a envoyé un nombre record de députés au Palais Bourbon.

L’alliance nouée par les démocrates-chrétiens avec le parti du défunt Jörg Haider en Autriche avait scandalisé l’Europe en 1999

L’Europe ne stigmatisera pas l’Italie comme elle l’avait fait de l’Autriche, en 1999, quand pour la première fois, l’extrême-droite avait été associée au pouvoir lorsque le chancelier Wolfgang Schüssel (ÖVP) avait fait alliance avec le défunt leader du FPÖ, Jörg Haider, poussant notamment le commissaire européen belge, Louis Michel, à proposer le boycott de l’Autriche comme lieu de vacances. Le pays, alors, avait été placé «sous surveillance» européenne. Et lorsque, en 2002, Jean-Marie Le Pen, leader du Front National, s’était qualifié à la surprise générale pour affronter Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle française, les foules étaient descendues dans la rue, et la gauche avait sans équivoque donné un mot d’ordre pour lui barrer la route.

Mais depuis lors, le Fidesz de Viktor Orban s’est imposé à Budapest, et y a systématiquement rogné les libertés publiques. La Pologne s’est ingéniée à museler l’indépendance de son pouvoir judiciaire. Les Pays-Bas ont connu la percée de Pim Fortuyn et aujourd’hui de Thierry Baudet. Au Danemark, le Parti populaire a soutenu des gouvernements de 1997 à 2011 et de 2015 à 2019, et a surtout réussi à faire partager ses idées nauséabondes en matière d’immigration. Et dernièrement, en Suède, les mal-nommés Démocrates de Suède ont fait un triomphe électoral et se préparent à gouverner avec la droite classique.

Comment comprendre cette banalisation de l’extrême-droite en Europe? C’est sans doute en partie parce que les repères politiques se sont largement estompés, spécialement dans des démocraties comme la nôtre où les gouvernements doivent se reposer sur des coalitions.

La conception «utilitaire» de la politique de nombre d’électrices et d’électeurs qui ne votent plus en fonction d’une vision de la société, mais pour que les élu(e)s solutionnent «leurs» problèmes, et les sanctionnent donc d’office d’un scrutin à l’autre, parce que cette tâche est hors de leur portée, peut également intervenir.

Mais ce qui était vrai en Autriche en 1999, et l’est toujours dans l’Italie de 2022, ce qui banalise aussi l’extrême-droite, c’est la complaisance d’une droite classique (Wolfgang Schüssel à l’époque, Silvio Berlusconi aujourd’hui; ou des élus LR en France, qui courent derrière le Rassemblement National dans l’espoir de lui ravir ses électeurs), qui réchauffe elle-même «le ventre fécond d’où est sorti la bête immonde», comme l’écrivait Bertolt Brecht.

À l’inverse, depuis le «dimanche noir» de 1991, en Flandre, le «cordon sanitaire» tendu au tour du Vlaams Blok puis du Vlaams Belang par les formations démocratiques, a réussi jusqu’ici à empêcher l’extrême-droite flamande de venir polluer à l’excès le paysage politique belge. Mais il y a lieu de rester vigilant. Après les dernières élections, Bart De Wever, le président à vie (?) de la N-VA, a courtisé son rival d’extrême-droite avant de se raviser. Et les sondages donnent la première place au Vlaams Belang en Flandre, si les élections étaient pour demain. Même s’il sort en tête des urnes, en 2026, le cordon sanitaire s’imposera pourtant plus que jamais!





On ne peut jamais prédire la fin d’une guerre…


Le président russe, Vladimir Poutine, a donc choisi la fuite en avant. D’abord en piégeant les pays occidentaux, qui en condamnant sa reconnaissance des districts sécessionnistes d’Ukraine, comme il l’avait fait de ceux de Géorgie, a placé les pays occidentaux devant leurs contradictions, eux qui avaient reconnu, à l’époque, l’indépendance autoproclamée du Kosovo. Même si l’hôte du Kremlin oubliait de son côté que, à l’époque, la Russie s’était opposée à l’indépendance du Kosovo, preuve qu’en politique, la constance n’est pas toujours de mise.

Mais sa décision, aujourd’hui, de mener des opérations militaires en Ukraine (pour s’adjuger tout le Donbass?), et les frappes aériennes menées prétendument exclusivement contre des objectifs militaires est nettement plus aléatoire.

Vladimir Poutine «tord» l’Histoire pour les besoins de sa propagande en évoquant un «génocide» des russophones d’Ukraine par le pouvoir de Kiyv, en déniant la qualité d’État à ce pays reconnu au plan international qui fait partie de l’Organisation des Nations-Unies, et en le qualifiant de «nazi». Une référence aux troupes ukrainiennes qui ont combattu aux côtés des nazis durant la Seconde guerre mondiale, au même titre que d’autres, dont la Légion Wallonie, les combattants flamands du front de l’est: cela ne suffit évidemment pas pour faire des dirigeants actuels de ces différents pays ou régions des adhérents au racisme nazi.

Le président russe et les «faucons» qui l’entourent ont surtout une mémoire fort sélective. Ils devraient se souvenir que, quand on déclenche un conflit armé, on ignore par nature la manière dont il se terminera. Et que l’Union Soviétique, dont Vladimir Poutine a affirmé plus d’une fois sa nostalgie, avait signé avec l’Allemagne hitlérienne, en août 1939, un pacte de non-agression auquel Staline a cru jusqu’au jour du déclenchement de l’opération Barbarossa, le 22 juin 1941. Donnant ainsi à Adolf Hitler les mains libres pour envahir la Pologne, et concourir à cette conquête. Et laisser se déclencher le second conflit mondial, dont sa population aura tellement à souffrir.

Après la fin du conflit, la Russie n’a jamais restitué à la Pologne les territoires qu’elle lui avait pris. Le territoire polonais s’est déplacé vers l’ouest, et sa frontière occidentale a été fixée sur une ligne Oder-Neisse que l’Allemagne n’a reconnue qu’à la faveur de l’Ostpolitik du chancelier Willy Brandt, au début des années 1970.

Hasard ou non, c’est dans ces anciens territoires polonais incorporés à l’Ukraine que le mouvement démocratique s’est le plus fort développé, et que le désir d’adhésion à l’Union européenne, voire à l’Otan, s’est le plus fortement exprimé. Alors que dans le Donbass, majoritairement peuplé de russophones, qui s’étaient pourtant eux aussi prononcés pour l’indépendance de l’Ukraine, après la fin de l’Union Soviétique, les yeux sont toujours restés tournés vers la Russie.

L’affrontement entre ces deux parties de l’Ukraine s’est concrétisé, plus tard, dans la lutte entre Viktor Iouchtchenko, le président pro-occidental, et Viktor Ianoukovytch, le président pro-russe chassé en 2014 après son refus de ratifier l’accord d’association passé par son prédécesseur avec l’Union européenne.

C’est cet épisode que Vladimir Poutine qualifie de coup d’État… comme l’était la révolution d’Octobre, en 1917, qui a installé Lénine au pouvoir. Le locataire (permanent) du Kremlin oublie qu’ensuite des élections libres ont eu lieu en Ukraine. Et si le pouvoir de Kyiv n’a pas nécessairement fait preuve de la plus grande habileté en retirant au russe, du moins de manière temporaire, son caractère de langue officielle, aux côtés de l’ukrainien, tout cela ne justifie en rien les opérations guerrières déclenchées aujourd’hui. Dont on ne connaît pas encore toutes les conséquences pour le monde, y compris pour la population russe. Et dont on ignore nécessairement la manière dont elles se clôtureront. Et l’ampleur du bain de sang qu’elles déclencheront.

Crise ukrainienne: avoir de la mémoire


Bien sûr, Vladimir Poutine n’a rien d’un enfant de chœur. On sait la manière dont le président russe a étouffé toute contestation intérieure et a manipulé les esprits et les textes pour se maintenir au pouvoir jusqu’en 2036. On n’ignore pas la manière dont un de ses affidés finance des mercenaires qui se répandent en Afrique, plus pour servir les intérêts russes que pour réellement lutter contre le terrorisme islamiste par exemple. La manière dont la Russie a annexé la Crimée, aussi légitimes soient les liens entre la péninsule et la mère-patrie, est difficilement acceptable, même si, comme expliqué précédemment, les pays occidentaux qui se sont précipités pour reconnaître l’autonomie autoproclamée du Kosovo n’ont sûrement pas de leçons à donner à Moscou en la matière.

Mais dans la crise ukrainienne qui se prolonge, il faut bien avouer que les États-Unis d’une part, l’Otan d’autre part, remettent de l’huile sur le feu, au point d’ailleurs que le président ukrainien, Volodimir Zelensky, pourtant confronté aux grandes manœuvres de l’armée russe à ses frontières et à l’activité des séparatistes du Donbass à l’intérieur, les a invités au calme ce week-end.

Comme déjà rappelé sur ce blog, les Américains et le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, ont la mémoire courte dans ce dossier, et ils s’essuient allègrement les pieds sur la promesse faite, en 1989, par le secrétaire d’État James Baker que l’Otan ne s’implanterait jamais aux frontières de la Russie. C’était, alors, le prix à payer pour que l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev marque son accord sur la réunification allemande et l’intégration de l’Allemagne réunifiée à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.

Cette promesse, on le sait, a déjà été trahie depuis lors, avec l’intégration des pays baltes, devenus indépendants, dans l’alliance atlantique. Mais avec l’Ukraine, on se trouve devant un autre état des lieux.

La géographie est en effet têtue, et indépendante ou non, l’Ukraine est incontestablement dans le périmètre proche de la Russie. Sur le plan historique aussi, il ne faut pas oublier que l’histoire russe a débuté… à Kiev. Et si on ne doit pas sacraliser le passé, on ne peut perdre de vue cette donnée qui fait que, vu de Moscou, l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan, ou dans l’Union européenne, est inacceptable. Voire contre nature.

Et puis les États-Uniens, eux aussi, feraient bien d’avoir un peu de mémoire.

En 1962, quand l’Union soviétique de Nikita Khrouchtchev installe des missiles à Cuba, les États-Unis réagissent violemment, car ils ne peuvent accepter que la Floride soit à portée des missiles russes. Le président John Kennedy, annonce un blocus de l’île, où Fidel Castro a renversé la dictature de Batista, entièrement inféodée au grand voisin américain. Et du 14 au 28 octobre, la tension monte, au point que la perspective d’un conflit nucléaire pousse de nombreux citoyens, en Belgique et ailleurs, à faire des stocks de provisions, et notamment de sucre et de farine, que leurs héritiers découvriront, des décennies plus tard, avec beaucoup de surprise dans des caves ou dans des armoires oubliées.

Les rampes de lancement soviétiques à proximité de la Floride: les États-Unis n’en voulaient pas…

Finalement, les Soviétiques feront marche arrière et démonteront les installations de lancement qu’ils avaient commencé à construire à Cuba. Les États-Unis, pour faire bonne mesure, retireront des missiles de Turquie.

Le réalisme avait prévalu: il était trop délicat d’installer des missiles dans le périmètre proche des USA. Aujourd’hui, le contexte est inverse. L’Otan et les États-Unis doivent admettre que la Russie ne peut admettre que l’alliance, qui n’a pas forcément un aspect défensif, prenne pied dans son jardin. Cela ne menace pas forcément l’indépendance de l’Ukraine, mais cela appelle à sa «finlandisation». Quand on voit comment la Finlande s’est développée, dans pareil contexte, ce n’est pas forcément une perspective négative…

Le choix de la traction hippomobile en 2035?


Que la lutte contre le réchauffement climatique doive devenir une priorité politique absolue est un fait qui ne devrait plus faire l’objet de contestations: les dérèglements observés sur la planète entière cet été soulignent l’urgence des conclusions alarmistes des experts du GIEC (Groupe d’Experts Internationaux sur le Climat). Faut-il encore ne pas confondre urgence et précipitation; générer les comportements vraiment réducteurs d’émissions de gaz à effets de serre; exiger des efforts des plus gros pollueurs et non s’acharner sur les citoyens en priorité; et veiller à ce que des effets pervers ne fassent perdre toute crédibilité aux décideurs.

La Commission européenne, on le sait, a décrété qu’à partir de 2035, plus aucun véhicule à moteur thermique, y compris les véhicules hybrides, ne pourraient être mis en vente en Europe. Fort bien, mais d’ici là, pourquoi ne pas favoriser l’usage de moteurs hybrides?

Les usagers qui roulent au CNG (gaz naturel compressé) s’inscrivent dans la logique de réduction des émissions nocives: un véhicule roulant au CNG émet en effet 11% de gaz à effets de serre et 90% d’oxydes d’azote en moins qu’un véhicule roulant au carburant fossile. Par rapport à un véhicule diesel, il émet 77% de particules fines en moins. Le problème est qu’en Belgique, les pompes permettant de s’alimenter en CNG sont rarissimes.

Pire, les pompes dont l’ouverture est annoncée depuis des mois, parfois plus d’un an, dans des stations spécialisées, sur le parking de grandes surfaces, se font désormais plus attendre que la soeur Anne de l’épouse du célèbre Barbe-Bleue, dans le conte éponyme.

Rien qu’en région liégeoise, une station à Herstal attend en vain d’être équipée depuis plus d’un an, tandis que d’autres, à Fléron et à Herve, reste désespérément en attente d’équipement elles aussi. Les usagers doivent ainsi aller faire leur plein à… Tongres. Autant dire qu’au kilomètre parcouru, les réductions de pollution annoncées se… réduisent comme peau de chagrin.

L’électricité marche à reculons

Plus grave, dans sa course à la neutralité climatique pour 2050, l’Union Européenne a mis quasiment tous ses œufs dans le même panier, puisque pour les particuliers, son option prioritaire, sinon exclusive, pour 2035, sera la généralisation des véhicules électriques.

Inutile de revenir, ici, sur les défaillance écologiques graves de ce type de véhicule, comme l’impossibilité de recycler ses batteries, ou le recours à des minéraux rares, et donc en voie rapide d’extinction, nécessaire à la production de ces batteries: nous les avons déjà évoquées. Comme nous avons dénoncé à de multiples reprises les conditions inhumaines dans lesquelles des mineurs artisanaux, dont de nombreux enfants, doivent extraire ces minéraux rares en Afrique centrale, souvent au péril de leur vie, et pour des salaires de misère: l’Union Européenne, qui rappelle ses valeurs, notamment à ceux de ses États-membres qui ne les respectent pas scrupuleusement ou semblent s’en écarter, paraît nettement moins combative lorsqu’il s’agit d’en faire bénéficier des populations africaines. Quant à l’industrie automobile, si elle avait la moindre préoccupation humanitaire, on l’aurait sur depuis longtemps.

Beaucoup moins écologiques qu’on ne l’affirme généralement; grevée d’un bilan sociétal désastreux, la voiture électrique, par ailleurs, est d’un coût inabordable pour de nombreux usagers européens. Sans doute la Commission spécule-t-elle sur le fait qu’une production massive, à l’approche de 2035, en fera baisser le coût, mais ce postulat est loin d’être démontré.

Et puis la voiture électrique est particulièrement peu efficace en termes de… mobilité. En témoigne notamment cette histoire rapportée dernièrement par l’hebdomadaire satirique français Le Canard Enchaîné: celle d’un automobiliste à la conscience écologique extrêmement affûtée, et qui a choisi un véhicule 100% électrique, précédant ainsi de près de 15 ans le vœu de la Commission.

Oui, oui, vous l’avez bien lu, pour parcourir 260 kilomètres, avec une automobile électrique censée disposer d’une autonomie de 340 kilomètres, un usager français a dû rouler pendant… sept heures, au lieu des trois habituellement nécessaire pour franchir la distrance. Car l’autonomie annoncée ne précise pas qu’il est interdit d’utiliser la climatisation du véhicule, même si la température s’élève à 50° C à l’ombre. Et omet de préciser qu’en cas de bouchons sur le trafic, cette autonomie se réduit comme peau de chagrin.

Cet usager a donc parcouru la distance à la vitesse phénoménale de 37,14 kilomètres à l’heure. Si l’on veut bien admettre qu’à pareille «vitesse», les risque d’accidents graves sont particulièrement réduits, on ne peut s’empêcher de frémir à l’idée du trafic automobile, à l’horizon 2035, quand la voiture électrique, imposée par la Commission, régnera en grande maîtresse sur les réseaux européens!

Autre témoignage éclairant qui m’a été transmis: https://www.facebook.com/TestAchats/posts/10160720054843275

Si l’évolution se poursuit de la sorte, il serait peut-être finalement opportun d’en revenir à la traction hippomobile, et à rétablir les relais-postes de jadis, où on procédait au changement d’attelage, beaucoup plus rapide, en l’occurrence, qu’un rechargement de batterie électrique. La vitesse se réduirait sans doute quelque peu, mais pas dans des proportions aussi graves que celles subies par le malheureux automobiliste, dont les convictions écologiques ont dû être sérieusement ébranlées par l’épisode.

En attendant, on continue à véhiculer le dogme selon lequel un moteur à hydrogène serait capable d’équiper des poids lourds, des bus ou des autocars, sans parvenir à démontrer qu’il ne serait pas plus efficace encore pour des véhicules individuels. Et la condamnation à mort des véhicules hybrides reste sans appel.

Au fait, des statistiques démontent combien la pollution des grands tankers ou des énormes paquebots qui continuent à sortir des chantiers navals est bien plus importante que le trafic automobile. Mais bizarrement, c’est uniquement sur ce dernier que tombent les foudres de l’Union Européenne. Si vous avez une explication logique à ce comportement, je serais heureux d’en être informé….

Bientôt une Saint Tonton le 10 mai?


Les documentaires se sont multipliés ces derniers jours et vont encore se multiplier d’ici à dimanche prochain sur les chaînes françaises et sur les chaînes historiques pour commémorer l’élection à la présidence de la République de François Mitterrand, le 10 mai 1981, il y a eu tout juste quarante ans ce dernier lundi.

Ce qui est gênant dans tous ces documentaires c’est leur ton généralement largement hagiographique. On n’a que très rarement évoqué le Mitterrand d’avant 1981: le résistant de la Seconde guerre mondiale passé d’abord dans les cercles du pouvoir à Vichy où il a noué des amitiés discutables auxquelles il est resté fidèle jusqu’au bout; ou le ministre de l’Intérieur partisan d’une répression musclée face aux insurgés algériens dans les années 1950. Sans compter cette nébuleuse affaire de «l’attentat» de la rue de l’Observatoire.

«Florentin»

Rien ou pratiquement rien non plus sur sa conquête du pouvoir au sein du Parti socialiste qui ne portait pas encore ce nom en 1971, au congrès d’Épinay.

Par contre sa haine corse pour un Michel Rocard, opposant de l’époque, Premier ministre méprisé, nommé le 10 mai 1988 et congédié le 15 mai 1991, après trois années de mandat particulièrement réussies, pour l’empêcher de briguer la succession à l’Élysée a bien été décrite: petitesse fréquente chez les hommes politiques d’envergure, poussée à son paroxysme chez un dirigeant, à qui sa duplicité avait valu le surnom de « florentin ». Le résultat de cette obstruction est peut-être l’effondrement, aujourd’hui, du Parti socialiste français et l’explosion de la gauche, désormais plus éloignée que jamais du pouvoir suprême…

On a par contre bien pu prendre la mesure de sa capacité extraordinaire à rebondir, pour avoir réussi en 1974 et encore plus en 1981 à se présenter comme un « homme nouveau », lui qui était dans le bain politique depuis plus de trois décennies. Ou qui, après avoir accusé le général de Gaulle de pratiquer un « Coup d’État permanent » avec sa Constitution de la Ve République, a par la suite exercé avec délectation les pouvoirs exorbitants accordés au chef de l’État.

Le choc salutaire de l’alternance

Ces commémorations de son élection à la présidence de la République ont par contre bien souligné le choc que ce scrutin a représenté pour une France où la droite semblait éternellement vouée au pouvoir, qui a joué vainement la menace d’une arrivée des chars soviétiques à Paris si la gauche se l’appropriait, et où le personnel de l’Élysée, selon les mots d’un acteur de l’époque semblait étonné de voir ses représentants manger… avec des fourchettes. Un choc décrit aujourd’hui par un de ses opposants d’alors comme le choc salutaire de l’alternance pour la démocratie française.

Elles traduisent aussi la nostalgie des Français pour un président qui a osé imposer des réformes sociales fortes dès son arrivée au pouvoir; qui s’est fourvoyé dans une politique économique dont une partie de ses proches annonçait la faillite dès le départ, puis en est revenu deux ans plus tard tout en maintenant les réformes sociales engagées… dont certaines pèsent toujours sur les finances publiques françaises, ou qui, par exemple avec l’abolition de la peine de mort, n’a pas hésité à imposer un choix politique et éthique à l’encontre de l’opinion largement majoritaire.

C’est aussi le souvenir d’un chef de l’État plus pénétré de Culture que d’économie, et qui a laissé sa trace dans le paysage parisien (Pyramide du Louvre, Arc de La Défense, Opéra de La Bastille, Colonnes de Buren), à la manière d’un monarque absolu non couronné, dont les Français sont périodiquement en quête, pratiquement depuis qu’ils ont coupé la tête de Louis XVI, le 21 janvier 1793.

Bizarrement par contre, son engagement européen, notamment à travers une proximité renforcée avec l’Allemagne, mise à l’épreuve au moment du processus de réunification en 1989, n’a été que très furtivement évoqué.

Plus prosaïquement, cette commémoration souligne en creux la médiocrité de la classe politique qui a succédé à François Mitterrand. En partie par sa faute, à la fois parce qu’il a étouffé au Parti socialiste les successeurs d’envergure (Jacques Delors, Michel Rocard) qui auraient pu faire de l’ombre à son bilan, et parce que par calcul politicien, il a favorisé l’expansion du cancer du Front national dans le paysage politique français.

Deux présidents d’envergure

La tentation est effectivement toujours grande d’idéaliser le passé. Mais à l’analyse, il faut bien convenir que seuls le général de Gaulle, qui s’est donné une République à la mesure de son ambition, et François Mitterrand, qui a joué à fond de ses institutions, ont présidé avec brio la Veme République. Tous deux en ayant bénéficié d’un fort soutien populaire au départ, puis subi la désillusion d’un peuple qui croit peut-être naïvement qu’un homme seul peut décider de l’évolution du pays.

Georges Pompidou n’a pas eu le temps d’assumer la succession du premier, et avant le second, l’illusion Giscard d’Estaing s’est progressivement dissipée au cours de son septennat.

Ensuite, si Jacques Chirac a été (et reste) un président très populaire, il a surtout brillé par ses gaffes politiques et son incapacité à exercer le pouvoir après l’avoir brillamment conquis.

Puis sont venus Nicolas Sarkozy, manifestement trop court pour la fonction; et François Hollande qui a très maladroitement tenté de reproduire le modèle Mitterrand. Jusque dans ses écarts amoureux avec l’épisode humiliant du scooter qu’il utilisait pour se rendre à son rendez-vous galant…

Reste Emmanuel Macron, sorti du néant politique, dont le parcours actuel n’est pas loin de rappeler la parenthèse Giscard d’Estaing des années 1970. Peut-être dans sa quasi-certitude d’aller tout droit vers la réélection, performance qu’à l’heure présente, seul François Mitterrand a effectivement réalisée.

Décidément, on comprend cette nostalgie de l’époque de « Tonton ». Même si, pour les Françaises et les Français, il serait peut-être préférable, l’an prochain, de pouvoir revenir les pieds sur terre….

L’élection à Madrid annonce des lendemains difficiles en Espagne


Qu’elles soient locales ou régionales, les élections suscitent toujours le même type de réaction, sous toutes les latitudes: si l’opposition en sort gagnante, les partis au pouvoir s’empressent de souligner que les enjeux du scrutin étaient purement locaux, et qu’on ne peut en tirer de conclusions globales. Tandis que les vainqueurs annoncent d’ores et déjà un renversement d’alliances au niveau national, ce qui se produit effectivement… parfois.

Après les élections régionales à Madrid, qui ont vu le triomphe de la liste du Parti Populaire, emmenée par Isabel Diaz Ayuso, il ne paraît pourtant pas présomptueux de prévoir de grandes difficultés pour le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez et pour sa majorité brinquebalante. Surtout après le départ de Pablo Iglesias: la figure de proue du parti Podemos, qui avait quitté son poste de deuxième vice-président du gouvernement national pour descendre dans l’arène madrilène, afin de faire barrage à la droite et à l’extrême-droite, a tiré les conclusions de son échec cuisant, et annoncé son retrait de la politique. Un peu à la manière de Lionel Jospin, jetant l’éponge en 2002, après la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen, le leader du Front National, au second tour de l’élection présidentielle française.

Il faut dire que la déroute a été totale pour Podemos, même si la présidence de Pablo Iglesias lui a permis de gagner trois sièges (10 contre 7) dans la nouvelle assemblée, ainsi que pour toute la gauche madrilène, dont le Parti Populaire a, à lui seul, dépassé le nombre de suffrages (65 contre 58). Or l’espoir du camp de gauche était d’amplifier son résultat global (54 élus) de 2019…

Pour le PSOE, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol du Premier ministre, Pedro Sanchez, la pilule est également amère à avaler, puisque la débâcle de Podemos ne lui a pas bénéficié: il se retrouve à égalité avec la liste écologiste au sein de l’assemblée madrilène. Mais si les «Verts» ont gagné 4 mandats et se retrouvent à 24, les socialistes, eux, en ont perdu 13. C’est donc tout naturellement la liste Más Madrid qui va prendre la tête de l’opposition.

Ce qui est rassurant, à Madrid, c’est que le résultat époustouflant du PP n’a pas permis à l’extrême-droite de progresser: Vox passe de 12 à 13 élus. Le maintien des nostalgiques du franquisme n’en reste pas moins un élément inquiétant dans la capitale espagnole. Ils pourraient même jouer un rôle politique important, puisqu’il manque quatre voix au Parti Populaire pour détenir la majorité dans une assemblée forte de 136 députés…

Autre constat, Ciudadanos, l’autre parti «citoyen», créé, comme Podemos, il y a une quinzaine d’années, a sombré corps et biens: il n’a pas atteint le seuil électoral des 5% et ses 26 sièges sont très vraisemblablement allés… au PP.

A priori, la majorité de Pedro Sanchez, composée du PSOE, du Parti socialiste de Catalogne, et de Podemos, reste en place. Puisque, air connu, l’élection à Madrid s’est jouée sur des enjeux madrilènes.

Le «hic», c’est que ce scrutin a ébranlé le PSOE et Podemos, tandis que le Parti Socialiste de Catalogne, lui, a subi la victoire des indépendantistes lors des dernières élections régionales. Qui oserait dire que le gouvernement Sanchez pourra appliquer son programme comme si rien n’était désormais?

Une nouvelle fois, la balance du pouvoir à Madrid pourrait avoir des répercussions lourdes en Catalogne, où on se souvient que l’attitude fermée de Mariano Rajoy, le prédécesseur conservateur de Pedro Sanchez, et son retrait sur les concessions précédemment faites par le PSOE aux nationalistes catalans, ont conduit à la crispation, à la proclamation unilatérale chahutée d’indépendance du 10 octobre 2017, et à la répression qui s’en est suivie. Un retour de la droite au pouvoir à Madrid étoufferait à nouveau dans l’oeuf toute tentative d’accord amiable entre le gouvernement central et les autorités autonomistes aux affaires à Barcelone.

L’élection à Madrid annonce peut-être tout autant des jours difficiles pour l’Espagne que pour le gouvernement Sanchez…

Baris Terkoglu et ses collègues risquent leur vie derrière les barreaux!


Depuis quelques jours, Baris Terkoglu, son collègue Baris Pehlivan, et une troisième collaboratrice du site turc Oda TV ont retrouvé les sinistres murs de la méga-prison de Silivri, à une quarantaine de kilomètres d’Istanbul.

Ils ne sont pas être les seuls à être détenus à cet endroit. D’autres journalistes, travaillant pour des quotidiens, dont des journalistes pro-kurdes, ont été également arrêtés en même temps qu’eux. Et à Silivri, des journalistes croupissent depuis des mois.

Baris Terkoglu et Baris Pehlivan connaissent bien les lieux: ce n’est pas un hasard, la répression de la liberté de la Presse n’est pas neuve en Turquie.

Cette fois, ils sont poursuivis pour infraction à la loi sur les services de renseignement. Leur crime? Avoir évoqué les obsèques d’un agent des services de renseignement turcs, mort en service commandé en Libye. Le nom de cet agent avait été mentionné au Parlement, dans un débat sur l’engagement de la Turquie en Libye; et il avait été repris dans des quotidiens qui avaient relaté ces débats. Qu’importe: les journalistes du site Oda tv ont été incarcérés.

Cette inculpation est évidemment un prétexte: c’est le journalisme d’investigation qui est visé à travers eux. Le Baris Terkoglu que nous avons connu il y a neuf ans n’est en effet plus un journaliste inconnu en Turquie. La publication, avec Baris Pehlivan, de livres, «Mahrem» et surtout «Metastaz», sur le devenir des membres des réseau «gulllenistes» en Turquie, a fait d’eux des journalistes qui comptent en Turquie, et leur site Oda TV est devenu un rendez-vous des citoyens en quête d’information indépendante. Et si leur arrestation était à mettre en perspective avec la prochaine publication d’une suite à «Metastaz», dont les épreuves venaient d’être relues?

La procédure, en cas de violation de la loi sur les services secrets est en principe rapide, nul ne sait combien de temps elle durera. Cela avait déjà été le cas il y a neuf ans. Mais il y a neuf ans, le Covid-19 ne s’était pas répandu dans le monde. Et dans les prisons turques, surpeuplées comme la plupart des prisons européennes, il fait craindre l’expansion rapide d’une pandémie mortelle.

Les autorités turques en sont conscientes, qui envisageraient de libérer anticipativement une série de détenus… sauf les journalistes. En clair, elles sont prêts à mettre en cause la vie de journalistes qui ne devraient pas être derrières les barreaux!

WhatsApp Image 2020-03-25 at 20.54.22

L’appel est lancé aux autorités belges et européennes. Et aussi aux journalistes de Belgique et d’ailleurs. Ces journalistes doivent sortir de prison. LE JOURNALISME N’EST PAS UN CRIME!

Un combat à reprendre pour la liberté de la Presse


Il est des combats dont il ne faut jamais croire qu’ils sont définitivement gagnés: le combat pour la liberté de la Presse est de ceux-là! Paradoxe dans un pays qui, depuis l’origine, proclame dans sa Constitution que «la presse est libre» et que «la censure ne pourra jamais être établie»? Hélas, hélas, hélas, comme le disait Charles de Gaulle en évoquant le putsch des généraux félons à Alger, en 1962, il faut bien constater, ces derniers temps, que, y compris chez nous, l’année 2019 a été marquée par un recul de la liberté de la presse.

Péril pour la liberté de la presseLe signe le plus évident en est la nécessité ressentie par nos collègues flamands de la Vlaamse Vereniging van Journalisten (VVJ) de créer, sur leur site, un point d’alerte pour toute violence faite aux journalistes.

En six mois, c’est une douzaine de faits qui ont été signalés à l’union professionnelle des journalistes flamands. On n’en est, pour l’instant, qu’à des menaces physiques ou de l’intimidation, comme lors d’une manifestation d’extrême-droite contre le Pacte de Marrakech sur l’immigration, en début d’année. Ou lors d’un procès de Hells Angels devant un tribunal correctionnel limbourgeois. Mais il y a aussi ce fermier qui détruit l’appareil photo d’un correspondant de presse qui, à distance, venait de prendre des images de l’incendie d’une de ses étables. Ou la police qui menace de saisir les images d’un cameraman de télévision, qui filmait les lieux d’un accident de circulation, en respectant le périmètre de sécurité imposé.

L’Europe a connu quelques cas tristement célèbres d’assassinats de journalistes. Sur l’île de Malte, plus de deux ans après l’explosion de sa voiture qui lui a coûté la vie, les assassins présumés de Daphné Caruna-Galizia ne sont pas encore jugés, et leurs commanditaires ne sont pas connus. En Slovaquie, l’assassinat de Jan Kuciak et de sa fiancée a déclenché une vive réaction populaire qui a conduit à la démission du Premier ministre et à un renversement de majorité. Leurs assassins ont été démasqués, et les commanditaires mafieux de leurs assassinats sont connus. En Roumanie par contre, la précipitation avec laquelle l’assassinat de Viktoria Marinovna a été qualifié de crime purement sexuels laisse subsister bien des soupçons.

En Italie, j’ai eu le privilège douloureux de rencontrer des journalistes qui vivent sous protection policière permanente, après les menaces de morts proférées contre eux par la Mafia. Et le monde entier a appris avec horreur, il y a quelques semaines, les détails de l’assassinat de Jamal Kashoggi, au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul.

Rien de tout cela chez nous et dans les pays voisins, me direz-vous? Il y a un an, rappelez-vous, des journalistes belges et des journalistes français étaient menacés, et parfois molestés, par des «gilets jaunes» qui les jugeaient par définition hostiles. En Catalogne, des journalistes ont été victimes de violences policières, et d’autres ont été attaqués par des militants indépendantistes.

En Allemagne, où j’ai assissté récemment au congrès d’un des deux grands syndicats de journalistes, le Deutscher Journalisten Verband (DJV), le rapport annuel a évoqué le refus opposé par l’Alternativ für Deutschland à la présence de journalistes au congrès ce ce parti d’extrême-droite. Tandis que d’autres voix réclamaient une meilleure protection des sources journalistiques. Une protection des sources, qui, comme l’a posé la Cour européenne des Droits de l’Homme, est la «pierre angulaire de la liberté de la presse».

Presse locale, non merci!

Les médias locaux exclus de la visite du Secrtaire d'EtatUn autre cas flagrant de censure a été dénoncé ce week-end par la section bavaroise du DJV, le BJV (Bayerischer Journalisten Verband) après le véto opposé par les autorités (états-unienne? allemandes? états-uniennes et allemandes?) à la présence de journalistes du quotidien régional Der Frankenpost, lors de la visite, à Mödlareuth, du secrétaire d’État états-unien, Mike Pompeo, et du ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD). Seul était autorisé, dans le sillage des deux excellences, un pool télévisé, composé de représentants de la ZDF (chaîne publique), et de RT L (chaîne privée). L’idée étant, on l’imagine, de diffuser des images de cette visite, mais de ne donner à personne l’occasion de poser des questions au secrétaire d’État et à son hôte. Et aussi sans doute une forme de mépris à l’égard de la presse locale? L’incident a en tout cas suscité une réaction d’un député SPD de la région. Klaus Adelt s’est dit choqué par le fait que cette mise à l’écart s’est produite «le jour même où on célèbre la liberté d’opinion et la liberté de la Presse» et qu’en plus, «elle est incompatible avec la Constitution qui proclame la liberté de la Presse et la liberté d’informer».

Des notions également ignorées des autorités turques,  qui maintiennent en détention des dizaines de jouralistes turcs , sous l’accusation fallacieuse d’appartenance à une mouvance subversive: depuis près de dix ans, la Turquie se révèle la plus grande prison pour journalistes d’Europe, voire du monde!

De son côté, la Maison-Blanche a retiré leurs accréditations à des journalistes russes travaillant pour des médias que le président français, Emmanuel Macron, a qualifiés d’officines de propagande. Et dans la foulée le président russe, Vladimir Poutine, a pris une mesure similaire à l’égarde de journalistes étrangers, qualifés «d’agents de l’étranger». Quant aux journalistes russes travaillant en Ukraine ou aux journalistes ukrainiens actifs en Russie, on devine le sort qui leur est réservé.

Je rappellerai enfin le combat mené depuis plus d’un an par la rédaction d’un journal qui m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût, pour garantir son indépendance par rapport à une direction qui n’a pas hésité à procéder à des licenciements ciblés et à procéder à un lock-out, pour tenter de la faire plier.

Et que dire, dans le même ordre d’idées, des pressions exercées par le nouveau ministre-président flamand, Jan Jambon (N-VA) sur la VRT, pour que la chaîne publique de radio-télévision cesse sa «propagande» sur le réchauffement climatique et qu’elle offre la parole à des «climato-sceptiques»? Et la suppression, évoquée dans un autre billet de ce blog, des subsides à l’investigation journalistique indépendante?

La piqûre de rappel est sérieuse, et tou(te)s les journalistes doivent en être conscient(e)s: la défense de leur liberté est leur affaire, en tout premier lieu. Et s’ils/elles ne la défendent pas eux/elles-mêmes, personne ne le fera à leur place!