Entre la politique et le sport, les points de convergence ne manquent pas. Ne fût-ce, au départ, que par l’instrumentalisation du sport par la politique: les Jeux Olympiques de 1936, à Berlin, en furent peut-être le premier exemple aussi manifeste. Et puis, ajouteront peut-être certains, faire de la politique s’apparente au sport: ne parle-t-on pas régulièrement, par exemple, de lutte électorale, ou de duel électoral?
Sport (professionnel) et politique semblent désormais partager une autre caractéristique, assez détestable: celle de la gestion du journalisme, de plus en plus réduit au rôle de simple faire-valoir dans le sport, et qu’on tente de réduire à du porte-micro ou du porte-plume en politique.
Il fut un temps, désormais lointain, où, dans le football professionnel, après la conférence de presse d’après-match des entraîneurs, les portes des vestiaires tout proches s’ouvraient, et les journalistes pouvaient aller recueillir les confidences des joueurs au sortir de leur douche. Le lieu permettait des échanges assez prolongés entre les protagonistes, et permettaient souvent de recueillir des informations confidentielles sur la vie du club. La professionnalisation croissante du foot, et surtout l’emprise de plus en plus forte du fric sur le ballon rond ne pouvaient s’accommoder de cette liberté de ton: les portes des vestiaires se sont fermées, et les journalistes se sont vu intimer de désigner les joueurs qu’ils souhaitaient voir venir à la conférence de presse d’après-match. Puis on ne leur a plus demandé leur choix: on a désigné d’office les joueurs chargés de venir s’exprimer devant la presse. Ce ne sont pas d’office les plus indépendants d’esprit qui sont désignés; le discours s’est petit à petit uniformisé; et le journalisme sportif, surtout télévisuel, s’est étiolé. En matière de sport, l’investigation s’est faite rare. Et ce sont surtout des journalistes non-sportifs qui ont révélé, ces dernières années, des dossiers de corruption, de dopage, d’argent sale, etc.
Les journalistes politiques se targuent, avec raison, de jouer un rôle essentiel dans le fonctionnement de la société démocratique.
Mais là aussi, la communication des partis s’est largement professionnalisée. On obtient nettement moins d’interviewes qu’on en reçoit. Et dès lors que le ou la responsable politique décide d’accorder une entrevue à tel ou tel média, c’est, presque toujours, plus pour délivrer un message formaté, plutôt que pour répondre à des questions éventuellement dérangeantes. Ce qui ne dispense pas, évidemment, les journalistes, même dans ce cadre, de poser les questions qui leur tiennent à cœur… mais n’obtiennent pas toujours réponse. La démarche se double souvent d’une exigence de parution, dans des formes ou à des endroits déterminés: là aussi, personne n’est obligé d’accepter, au risque de louper l’interview.
Depuis quelque temps, le jeu se complique: les journalistes se voient quasiment imposer leur interlocuteur; les partis organisent leur campagne de communication en choisissant dans leurs rangs celles et ceux qui s’adresseront à tel ou tel média. Le propos est, évidemment, d’assurer un maximum de visibilité à l’homme ou à la femme politique, dans le média jugé le plus proche de ses électeurs. Et à force de dériver, cette pratique fera que les lecteurs, les auditeurs, ou les téléspectateurs de certains médias n’auront plus qu’un seul interlocuteur par parti. Avec, là aussi, un discours formaté. Le rôle démocratique du journalisme politique aura alors pratiquement vécu.
Il existe une parade à cette résistible évolution: refuser de jouer le jeu, quitte à louper l’une ou l’autre interview. Mais comme ces interviewes ne sont pas d’office porteuses de sens, le risque est limité. Compenser en trouvant l’info à d’autres sources. Et savoir que, de toute manière, à l’approche d’un scrutin, les journalistes se retrouvent avec les meilleures cartes en mains.
Faut-il encore convaincre sa hiérarchie, en pareil cas, de la nécessité de refuser telle ou telle entrevue organisée sous contrôle. Pas évident, peut-être. Mais l’indépendance d’esprit nécessite bien des sacrifices…