Pour les Congolais(e)s, l’avenir reste aussi sombre


La Commission électorale nationale indépendante (Céni) l’a proclamé: Félix Tshisekedi est reconduit dans sa fonction de président de la République Démocratique du Congo (RDC) sur un score sans appel de 73,34% des voix. Et comme par le passé, la communauté internationale entérinera ce résultat, malgré tous les questionnements qu’on doit se poser sur la régularité de ce scrutin. Trop heureuse de voir la transition du pouvoir s’efforcer pacifiquement dans le plus grand pays d’Afrique, un continent où, dans bien des pays, des coups d’État militaires, dont certains sont orientés par le groupe de mercenaires russes Wagner et par la Russie de Vladimir Poutine, ont interrompu le cycle démocratique.

Faut-il pour autant se satisfaire de ce scrutin chahuté?

La réponse est venue de la mission d’observation des Églises catholique et protestantes, qui a dit avoir «documenté de nombreux cas d’irrégularités, susceptibles d’affecter l’intégrité des résultats de différents scrutins en certains endroits».

Pour rappel, le 20 décembre dernier, les Congolaises et les Congolais étaient invité(e)s à élire leur président, leurs députés nationaux et provinciaux, et leurs conseillers locaux. En principe, le scrutin n’était prévu que ce jour-là, mais les nombreux problèmes qui ont surgi – comme ceux de bureaux de vote censés ouvrir leurs portes à 9 heures mais qui n’ont été accessibles qu’à 13 ou 14 heures, le temps d’installer des isoloirs et/ou des «machines à voter»- ont fait que les opérations de vote ont été étendues au 21 par la Céni, et ont duré plusieurs jours dans certaines régions. Faisant naître le soupçon de manipulations, comme celles qui ont permis à Félix Tshisekedi d’être élu à la présidence en décembre 2018, au détriment de Martin Fayulu, considéré par de nombreux observateurs comme le véritable vainqueur du scrutin présidentiel.

Un succès électoral incontestable, pour Félix Tshisekedi?

Martin Fayulu était à nouveau en piste cette année, et il est crédité de 5,33% des suffrages, derrière Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga, qui aurait bénéficié de 18,08% des voix. L’ancien Premier ministre, Adophe Muzito, aurait obtenu, lui 1,12%, et la vingtaine d’autres candidats, dont le Prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, n’aurait pas franchi le seuil de 1% des suffrages.

Selon la Céni, 43% des inscrits auraient pris part au scrutin.

Ce dernier chiffre, et le système d’élection présidentielle à un seul tour, qui couronne le candidat arrivé en tête, suffiraient pas, dans de nombreux pays, pour invalider ce mode de scrutin et à postuler, au moins, un deuxième tour opposant les deux candidat(e)s arrivé(e)s en tête au premier tour.

Et l’exigence d’une participation d’au moins 50% des citoyen(ne)s à l’élection.

Au-delà de ces considérations politiques, la question qui se pose est de savoir si la réélection de Félix Tshisekedi pour son second mandat présidentiel, va améliorer un tant soit peu la situation des Congolaises et des Congolais, dont l’état de pauvreté dans un pays aussi riche de son sol et de son sous-sol est un authentique scandale.

Si point n’est nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer, comme l’aurait décrété Guillaume le Taciturne, il faut bien constater que sur base de son bilan de président sortant, on ne peut guère attendre de résultat de Félix Tshisekedi.

Pour la population congolaise, l’urgence règne depuis longtemps…

On inscrira à son crédit l’effort pour amener tous les enfants gratuitement à l’école primaire. Mais pour le reste, sa lutte contre la corruption, matérialisée par la condamnation de son allié de 2018, Vital Kamerhe, réhabilité ensuite, n’a débouché sur rien de concret. Et la promesse de rétablir la paix dans l’est de la RDC est démentie chaque jour par les morts qui s’y accumulent, et la persistance de groupes de guérillas armés qui font peser leur dictature sur des populations affamées.

Quant à l’exploitation, essentiellement chinoise et rwandaise, des ressources minières du pays, elle se poursuit de manière éhontée.

Si Félix Tshisekedi avait suscité de grands espoirs, il y a cinq ans, tant en raison du nom qu’il portait que de sa réputation d’opposant à la dictature de Mobutu puis au règne sans partage de Joseph Kabila, le désenchantement est survenu. Il s’est notamment matérialisé par la très faible participation au scrutin du 20 décembre, et des jours suivants.

On n’ose espérer que les choses changent fondamentalement. À moins que dans certaines administrations locales ou provinciales se retrouvent des élu(e)s pénétré(e)s du bien public, et qui, d’ici à quelques années, pourraient accéder à des fonctions plus importantes. Pour construire une vraie démocratie à partir de la base.

Le drame, pour la population congolaise, c’est que l’urgence se fait sentir depuis longtemps…

Et si on réformait l’index pour qu’il réduise l’inégalité sociale?


Appliquer l’index intégralement, comme le défend le ministre socialiste fédéral de l’Économie et du Travail, Pierre-Yves Dermagne, ou en exonérer une partie des charges patronales, comme le suggère son collègue libéral des Classes moyennes, David Clarinval? Le débat, au sein du gouvernement fédéral, va une nouvelle fois opposer la gauche et la droite, en attendant la conclusion d’un compromis.

Le débat autour de l’index n’est pas neuf… et il va rarement au fond des choses.

Côté patronal, le mécanisme est souvent remis en cause. En mettant en avant le handicap de compétitivité que subissent nos entreprises à l’égard de leurs concurrentes étrangères, établies dans des pays où les adaptations de salaires à l’indice de prix ne sont pas automatiques. Au sein de l’Union européenne, la Belgique et la Grèce sont, sauf erreur de ma part, les seuls pays à conserver cette adaptation systématique.

Un mécanisme de protection sociale favorable à l’économie, mais qu’il faudrait sans doute réformer…

L’index est incontestablement un mécanisme de protection sociale, que la gauche en général, les syndicats en particulier, défendent avec raison. Pour l’oublier toutefois, dès qu’il est question de la fixation de la norme d’augmentation des salaires. Au point que les syndicats n’hésitent pas à plaider une augmentation plus forte des salaires, dans les secteurs économiques qui se portent bien, quitte ainsi à oublier la solidarité entre travailleurs sur laquelle ils sont censés baser leur action.

Surtout, côté syndical, on n’échappe pas à la critique patronale selon laquelle, quand ils se plaignent de la modestie de la norme ainsi fixée, ils oublient le mécanisme d’indexation automatique des salaires et des allocations sociales. Que la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB) met d’office en cause dans la foulée. Retour au paragraphe précédent.

Reste que pour les chefs d’entreprise, aujourd’hui, et spécialement aux dirigeants des Petites et Moyennes Entreprises (PME), l’indexation répétée des salaires depuis un an, ajoutée à l’augmentation des prix des matières premières et de l’énergie, pose un problème aigu de gestion. Qui débouche parfois sur des propositions d’économie, voire sur des réductions d’emploi.

Et pourtant, quand on y réfléchit bien, ce mécanisme de protection sociale, favorable à l’économie, puisqu’il préserve le pouvoir d’achat des consommateurs, a un effet pervers: son application mécanique… creuse l’inégalité sociale.

Dès lors que tous les salaires et toutes les allocations sociales augmentent de la même manière en pourcentage, l’écart devient en effet plus grand entre les bas et les hauts salaires, à chaque adaptation salariale.

Le paradoxe n’est pas difficile à démontrer: au 1er avril dernier, le salaire minimum interprofessionnel a été fixé en Belgique à 1806,16 euros. Imaginons une augmentation de 5% (90,30 euros), il serait ainsi porté à 1896,46 euros. Un salaire de 2500 euros, lui, augmentera de 125 euros pour se chiffrer à 2625 euros. Et quand on envisage des salaires plus importants, de 5000, de 10000, de 15000 euros mensuels, ou plus, on voit qu’à chaque application mécanique de l’index, l’écart se creuse de plus en plus.

Comment corriger cette dérive?

Le thème mérite un examen en profondeur. On pourrait par exemple imaginer un «lissage» de l’application de l’index, qui serait entier pour les plus bas salaires, et se réduirait par paliers vers les plus hauts salaires, où son application ne serait que partielle.

On voit d’ici le problème: où placer les curseurs? Les empoignades à ce sujet pourraient être homériques.

Un rappel : lors d’une dernières négociations des conventions collectives de travail pour la presse écrite quotidienne par l’association des journalistes professionnels (AJP) -une «organisation corporatiste» comme l’a qualifiée un jour avec mépris la secrétaire générale de la CSC- les augmentations barémiques mises en place au moment où les journaux connaissaient leur âge d’or, étaient mises en cause par les éditeurs de quotidiens. La volonté des journalistes était de les conserver, surtout en faveur des journalistes débutant(e)s. La solution: les «lisser», et de ne plus conserver que… l’indexation pour les salaires des journalistes comptant 30 années d’ancienneté ou plus. Le système a perduré… et personne ne s’en est plaint.

Des empoignades homériques peuvent toujours se conclure par des accords… si chacun veut y mettre du sien.

Grief and Anger


To paraphrase the famous title of Marcel Ophüls’ documentary about daily life in Clermont-Ferrand, France, during the Nazi occupation, I wanted to title my post today « Grief and Anger ».
The images of the lifeless body of Sherine Abu Akleh, the famous al-Jazeera journalist, lying on the ground, dead, strapped into her bullet-proof waistcoat clearly stamped « Press » and wearing a helmet, inspired these two feelings. For me, there is no doubt that the Qatari TV journalist was deliberately shot, and her colleague Ali Al-Samoudi was deliberately wounded, to prevent them from filming the crackdown that the Israeli army was preparing to launch, or was launching, in the Jenin refugee camp.
Of course, people will object that this tragedy must be fully investigated.

Targeted while she was clearly identified as a journalist

The Israeli authorities have proposed a joint investigation to the Palestinian police forces. I cannot believe it. Firstly, because the context between Israel and the Palestinian Authority makes sincere collaboration between investigators from both sides unlikely.


The process is reminiscent of a fatal episode: Serbia’s refusal to allow Austrian investigators on its soil to investigate the assassination in Sarajevo of Crown Prince Franz Ferdinand and his wife. Austria-Hungary’s subsequent declaration of war on Serbia led to the First World War.


The claim by some Israeli circles that Sherine Abu Akleh and Ali Al-Samoudi were the victims of… Palestinian gunfire seems to me to be indecent. Even if we have to wait for the results of a truly independent (and therefore international) investigation into this tragedy, can we hear that Palestinian gunmen deliberately targeted journalists from an Arab TV station? Or that stray bullets hit the al-Jazeera journalist in the head and seriously injured her colleague?


Here again, a parallel with the tragic events of August 1914 is in order: when the Kaiser’s troops marked their passage through Belgium by massacring civilians in Herve, Visé, Andenne, Tamines, Leuven etc., each time the same pretext was invoked: German soldiers had been the target of sniper fire. Since then, a fate has been cast on these accusations.

One day we will know who gave the order to shoot Sherine Abu Akleh, and thus try to muzzle not only al-Jazeera, but also any media that is too curious to investigate the daily bullying of Palestinians. And also on the violent reaction they sometimes develop, which is always met with bloody retaliation.
It should not be forgotten, by the way, that a year ago, in the Gaza Strip, Israel deliberately bombed the building that housed the al-Jazeera editorial office. The inauguration of the Qatari channel’s new premises was scheduled for this week…

Israel likes to present itself as the only democracy in the Middle East. The country can demonstrate that it understands that freedom of the Press is a fundamental value of democracy, by agreeing to an independent investigation into the tragic death of Sherine Abu Akleh. But more broadly, journalists cannot be satisfied with the protection addressed to ordinary civilians in conflict zones: they are witnesses, and as such, they are particularly targeted. This is the only way to ensure that journalists are protected.

They therefore need special protection. This is the purpose of the « Convention on the Safety and Independence of Journalists and Media Professionals » that the International Federation of Journalists initiated almost four years ago.

The Convention is a tool for the protection of journalists and media professionals. The main aim of this text is to fight against the impunity enjoyed by the murderers of journalists: a UNESCO report has shown that nine out of ten murders of journalists go unpunished in the world. Probably because nine out of ten murdered journalists are local journalists, who do not fall in conflict zones.

Sherine Abu Akleh, on the other hand, became a martyr for freedom of expression in conflict zones. The outrage her death has caused around the world may be a decisive blow to that struggle.

Le chagrin et la colère


Pour paraphraser le titre célèbre du documentaire de Marcel Ophüls sur la vie quotidienne à Clermont-Ferrand, en France, sous l’Occupation nazie, j’ai voulu titrer mon billet de ce jour «Le chagrin et la colère».

Les images du corps sans vie de Sherine Abu Akleh, la célèbre journaliste d’al-Jazeera, gisant sur le sol, morte, sanglée dans son gilet pare-balles clairement estampillé «Press» et coiffée d’un casque m’a inspiré ces deux sentiments. Car pour moi, il n’y a aucun doute: la journaliste de la chaîne qatarie a été délibérément abattue, et son collègue Ali Al-Samoudi a été volontairement blessé, pour les empêcher de filmer la répression que l’armée israélienne s’apprêtait à lancer, ou lançait dans le camp de réfugiés de Jenine.

Abattue alors qu’elle était clairement identifiable comme journaliste

Certes, on m’objectera qu’il faut faire toute la lumière sur ce drame.

Les autorités israéliennes ont proposé une enquête communes aux forces de police palestiniennes. Je ne peux y croire. D’abord parce que le contexte tenu entre Israël et l’Autorité palestinienne rend peu vraisemblable une collaboration sincère entre enquêteurs des deux camps.

Le procédé rappelle un épisode fatal: le refus par la Serbie d’enquêteurs autrichiens sur son sol, pour enquêter sur l’assassinat, à Sarajevo, du prince-héritier Franz-Ferdinand et de son épouse. La déclaration de guerre subséquente de l’Autriche-Hongrie à la Serbie a conduit à la Première Guerre mondiale.

L’affirmation de certains milieux israéliens selon lesquels Sherine Abu Akleh et Ali Al-Samoudi auraient été victimes de tirs… palestiniens, me paraît par ailleurs indécente. Même s’il faudrait attendre le résultat d’une enquête réellement indépendante (et donc internationale) sur ce drame, peut-on entendre que des tireurs palestiniens auraient délibérément visé des journalistes d’une télé arabe? Ou que des balles perdues auraient l’une, touché mortellement à la tête la journaliste d’al-Jazeera, et l’autre grièvement blessé son collègue?

Là aussi, un parallèle avec les tragiques événements d’août 1914 s’impose: quand les troupes du Kaiser ont marqué leur passage en Belgique par des massacres de civils à Herve, à Visé, à Andenne, à Tamines, à Louvain etc., à chaque fois, le même prétexte était invoqué: les soldats allemands avaient été la cible de tirs de francs-tireurs. Depuis lors, un sort a été fait à ces accusations.

On saura un jour qui a donné l’ordre de tirer, pour abattre Sherine Abu Akleh, et tenter ainsi de museler non seulement al-Jazeera, mais aussi tous les médias trop curieux, qui enquêterait sur les brimades quotidiennes dont les Palestiniennes et les Palestiniens font l’objet. Et aussi sur la réaction violente qu’ils développent parfois, et leur vaut à chaque fois des répliques sanglantes.

On n’oubliera pas, au passage, qu’il y a un an, dans la bande de Gaza, Israël avait bombardé délibérément l’immeuble qui abritait la rédaction d’al-Jazeera. L’inauguration des nouveaux locaux de la chaîne qatarie était prévue pour cette semaine…

Israël aime à se présenter comme la seule démocratie du Proche-Orient. Le pays peut démontrer qu’il comprend que la liberté de la Presse est une valeur fondamentale de la démocratie, en acceptant une enquête indépendante sur le décès tragique de Sherine Abu Akleh.

Mais plus largement, les journalistes ne peuvent se contenter de la protection adressée aux simples civils en zones de conflit: ils et elles sont des témoins, et à ce titre, ils et elles sont visés particulièrement.

Il leur faut donc une protection particulière. C’est le propos de la «Convention sur la sécurité et l’indépendance des journalistes et des professionnels des médias» que la Fédération Internationale des Journalistes a mis en chantier il y a près de quatre ans.

Le but principal de ce texte est de lutter contre l’impunité dont bénéficient les assassins de journalistes: un rapport de l’UNESCO a démontré que neuf assassinats de journalistes sur dix restent impunis dans le monde. Probablement parce que neuf journalistes assassinés sur dix sont des journalistes locaux, qui ne tombent pas dans des zones de conflit.

Sherine Abu Akleh, elle, est devenue une martyre de la liberté d’expression en zone de conflit. L’indignation que sa mort a suscitée dans le monde donnera peut-être un coup décisif à cette lutte contre l’impunité d’assassins…

Ni le sport en général, le football en particulier, ne sont apolitiques


Est-il cohérent d’exclure la Russie de la prochaine coupe du Monde, et les clubs russes des compétitions européennes, en raison de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes? La décision conjointe de la FIFA et de l’UEFA, confrontées au refus de la Suède, de la Pologne et de la République tchèque de rencontrer l’équipe russe pour tenter de décrocher les derniers tickets pour le Qatar, leur a sans doute forcé la main. Mais un large consensus existe à ce sujet.

Certains pourtant, à l’image d’un des chroniqueurs de l’émission télévisée de la RTBF «La Tribune», continuent à penser que pareille exclusion est inique à l’égard de sportifs qui se sont préparés ou qui se préparent pour de grandes épreuves. Sous-entendant, sans doute, par là, que le sport en général, et le football en particulier, sont complètement apolitiques. Vague réminiscence, peut-être, des Jeux Olympiques de l’Antiquité, où les cités qui y participaient mettaient leurs conflits entre parenthèses pour la durée des compétitions, et satisfaire les dieux qui les protégeaient.

L’époque moderne a pourtant balayé cette théorie: plus personnes aujourd’hui ne mettrait en doute le fait que, pour l’Allemagne nazie, les Jeux Olympiques de 1936 constituaient une occasion rêvée de mettre le régime en lumière. Il était pourtant déjà question de boycott à l’époque: afin de les prévenir, les pontes du régime avaient notamment donné pour instruction de faire disparaître, le temps d’un été, toutes les inscriptions antisémites qu’ils avaient largement contribué à faire proliférer.

Il y a un demi-siècle, les performances gymniques exceptionnelles de la toute jeune Nadia Comaneci, aux Jeux Olympiques de Montréal, en 1976, lui ont valu la lourde protection du couple présidentiel roumain, Nicolae et Elena Ceaucescu. Un joug qui, à mesure que la jeune prodige prendra de l’âge, et ne pourra plus reproduire ses performances uniques, lui pèsera tellement qu’elle finira par prendre le chemin de l’exil.

Quatre ans plus tard, de nombreux pays occidentaux et musulmans, les États-Unis en tête, boycottent les Jeux Olympiques de Moscou, pour dénoncer l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques. En retour, les pays communistes refuseront, en 1984, de participer aux Jeux de Los Angeles.

La coupe du Monde de football, en Argentine, en 1978, avait provoqué les mêmes débats, chez les Neerlandais notamment, dont le chef de file, Johan Cruyff, avait snobé la compétition. En raison d’une blessure, ou, avait-on dit à l’époque, parce qu’il refusait de cautionner la dictature argentine, qui a au bout du compte bénéficié du regain de popularité que lui a valu la victoire finale des Argentins…

Kamila Valieva n’a pas servi la gloire de la Russie poutinienne

Cette instrumentalisation du sport se poursuit de nos jours, parfois de manière éhontée: la jeune patineuse russe Kamila Valieva, 15 ans, a été convaincue de dopage, quelques jours avant les récents Jeux Olympiques de Beijing. Personne ne se fait d’illusion à ce sujet: l’adolescente n’a pas trouvé seule des produits dopants, destinés à l’amener à des niveaux de performance supérieures; et son explication qu’elle les avait ingurgités en buvant une boisson destinée à son grand-père n’a abusé que les crédules.

En compétition, la pression sur elle était tellement grande, que Kamila Valieva a chuté deux fois. La manière dont son entraîneuse l’a apostrophée à sa sortie de patinoire a choqué le monde du patinage et les responsables du comité olympique lui-même. La gamine avait fauté, car elle n’avait pas servi la plus grande gloire de la Russie poutinienne!

D’autres sportives et sportives avant elles ont subi une pression similaire. Et certains l’ont payé de leur vie, tel le magnifique footballeur autrichien Mathias Sindelaar, dans les années 30.

Le meneur de jeu de la Wunderteam («L’équipe magique») autrichienne, qui n’a subi que trois défaites entre 1930 et 1934, restait une vedette au moment de l’Anschluss entre son pays et l’Allemagne hitlérienne.

Mathias Sindelaar n’a pas voulu servir l’Allemagne nazie

Un match entre les deux équipes nationales, organisé pour célébrer l’événement, devait se clôturer, sur ordre des nazis, par un match nul fraternel. Mais Mathias Sindelaar ne l’entendait pas de cette oreille: sous son impulsion, l’équipe autrichienne, qui allait disparaître, battit l’équipe allemande (2-0).

Quelques semaines plus tard, l’Allemagne prenait part au championnat du Monde de football qui se jouait en France, et comptait bien aligner Sindelaar dans ses rangs. Mais le chef d’orchestre autrichien fera défaut à la Mannschaft, invoquant une blessure.

Le 23 janvier 1939, on le retrouvait asphyxié, avec sa maîtresse, dans son appartement de Vienne. Suicide dira-t-on à l’époque: l’hypothèse de l’assassinat a pris consistance de nos jours.

Quinze mille personnes assisteront à ses obsèques. Pour rendre hommage à l’artiste et manifester leur attachement à l’Autriche disparue.

Sur de nombreux terrains de football d’Europe, ce dernier week-end, le drapeau ukrainien a été exhibé. Et les joueurs ukrainiens (Sobol au Club Brugeois, Yaremchuk à Benfica) ont été ovationnés. Le public, lui, l’a bien compris: le football ne vit pas sous cloche dans le monde qui nous entoure.

L’exclusion de la Russie du Mondial au Qatar, et des clubs russes des compétitions européennes de football sanctionnent justement l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et répondent à l’attente du public.

Applaudir les infirmières ne suffit pas…


Proclamer une «journée internationale des infirmières» ne suffit pas. Les applaudir comme elles l’ont été lors… de la première vague du Covid, l’année dernière, n’a pas duré. Aujourd’hui, les établissements de soin sont en manque de personnel infirmier. Et le phénomène n’est pas national: au Québec, la quête à l’étranger d’infirmier et d’infirmières ne fait que croître: de quelques centaines il y a un an ou deux, on en est à quatre mille pour cette année 2021. Avec, là comme chez nous et plus encore en France, une désertification hospitalière marquée dans certaines régions.

En Belgique, on fait de la corde raide pour l’instant. Car le métier n’exerce plus autant d’attrait qu’il y a une dizaine, une vingtaine ou une trentaine d’années.

Les causes? La pénibilité de la fonction, sans aucun doute, à la fois en matière de service et d’horaires à assurer de manière constante. Un manque de considération global, peut-être, malgré l’embellie qui s’était marquée lors de la première vague de la pandémie.

La question des rémunérations, elle, a été abordée avec l’introduction d’un nouveau modèle salarial, qui se traduit par une classification assez détaillée des fonctions, auxquelles des barèmes sont attribués.

Le but, globalement, était de revaloriser la fonction hospitalière, même si la suppression des primes pour spécialisations et expertises, maintenues pour le personnel en place, mais désormais intégrées au mécanisme barémique, ne s’est pas fait sans heurts.

Toujours est-il que la question du recrutement se posera tôt ou tard avec plus d’acuité, car à mesure que des infirmiers et infirmières s’en iront, soit vers d’autres horizons, soit à la retraite, il deviendra de plus en plus difficile, voire impossible de les remplacer.

Dans certains hôpitaux, on en est d’ailleurs déjà au recrutement d’infirmières et d’infirmiers étrangers pour remplir les cadres. Et leur intégration ne se fait pas toujours sans mal, non en raison d’un défaut de formation, mais parce que les pratiques ne sont pas nécessairement les mêmes dans les pays d’où ils et elles proviennent, et celles qui sont en vigueur dans nos pays.

À plus long terme, on peut imaginer que ce recrutement à l’étranger ne fera que s’intensifier… ce qui peut poser un problème de couverture dans les pays concernés.

Il s’en trouvera peut-être, alors, pour se plaindre d’une «invasion» et dénoncer l’occupation par des étranger(e)s d’emplois «destinés aux Belges». Nous ne sommes pas à l’abri, en effet, d’une «Zemmourisation» des esprits.

Ce serait peut-être le moment de rediffuser le sketch de Fernand Raynaud sur le Franchouillard qui «n’aime pas les étrangers parce qu’ils mangent le pain des Français». Et qui parvient à obtenir le départ du seul étranger établi dans un village où on ne mange désormais plus de pain… puisque cet étranger était boulanger.

Inondations catastrophiques dans la vallée de la Vesdre: revoir le passé pour baliser l’avenir


Alors que les vallées de la Vesdre, de la Hoegne ou de l’Ourthe portent encore, pour un temps encore assez long, les stigmates des inondations catastrophiques de la mi-juillet, une enquête judiciaire vise à désigner des responsabilités humaines dans ce désastre, et une commission d’enquête parlementaire est réclamée pour analyser les failles éventuelles du système d’alerte, de la gestion des barrages, et de l’orgàisation des secours.

Souvent, le barrage d’Eupen est pointé du doigt, pour n’avoir pas suffisamment délesté avant le début des pluies diluviennes qui ont fait rage sur l’ensemble du bassin, quand bien même pareil délestage préalable aurait sans doute déjà gonflé le flot. Il appartiendra aux analystes de s’exprimer à ce propos.

Inondations périodiques

Mais face à pareille catastrophe, il est aussi utile de se repencher sur le passé, notamment pour voir si le déchaînement des éléments que nous avons connus le mois dernier était inédit, et si les barrages, à partir du moment où ils ont été construits, ont été utilisés à bon escient pour réduire l’impact des inondations.

C’est ce qu’a fait l’excellent historien Paul Delforge, sur le site de l’institut Jules Destrée, et cr texte (http://www.institut-destree.eu/wa_files/2021-08-10_paul-delforge_barrage-vesdre.pdf?fbclid=IwAR3y2vDMwWjKX2gZ_27FhJIVKLTwcNMubVoBJytCLU0vlz9eD1fAYlLvolw) mérite à coup sûr l’examen.

On y apprend, notamment, que les inondations de la vallée de la Vesdre, pour n’être peut-être pas aussi dévastatrices que celles de cet été, ne sont absolument pas exceptionnelles.

« De la vaste documentation qu’il a rassemblée sur les périodes les plus anciennes, Remacle J. Detrooz remarquait déjà en 1856 combien les crues avaient été nombreuses dans l’Histoire, celle du 15 janvier 1643 ayant particulièrement marqué les esprits » écrit notamment Paul Delforge.

« Le 10 août 1498, précise-t-il, le pont en bois de Hodimont fut entraîné par les eaux. Il fut alors remplacé par un pont en pierre (pont des Récollets). Le 2 juillet 1723, la Vesdre qui s’est gonflée d’un coup fond avec tant de violence sur la digue du moulin qu’elle parvient à l’entraîner. La manufacture de la laine cesse toute activité faute d’eau dans le canal ; la même catastrophe se reproduit deux ans plus tard, rapporte un autre chroniqueur. Les 11, 12, 13 décembre 1740, des crues extraordinaires font déborder les rivières. Il y a plusieurs morts. Au début du XIXe siècle, la Vesdre se déchaîne encore à plusieurs reprises, par exemple en 1826, provoquant de forts dégâts sur la route de la Vesdre en construction. Le souvenir des débordements de 1803 (montée des eaux de trois mètres en une demi-heure à Dolhain) reste vivace quand se succèdent trois inondations majeures (montée du niveau d’un mètre et demi en quatre à cinq heures) le 2 mars 1843, le 15 août 1844 et surtout le 31 janvier 1850 », poursuit l’historien. La rapidité de la montée du flot en 1803 notamment n’est pas sans évoquer les événements récents.

Un but précis de régulation!

Surtout, rappelle Paul Delforge, les barrages, et plus particulièrement celui de la Gileppe (photo), n’ont pas été construits dans un souci de maîtrise des inondations , ni non plus de distribution d’eau potable, qui est aujourd’hui leur fonction essentielle, mais dans un souci de régulation du débit, afin d’assurer en été un niveau d’eau suffisant à la florissante industrie lainière verviétoise, établie le long de la Vesdre.

Plus tard, en l’une ou l’autre occasion, il a ensuite été constaté que le stockage de millions de mètres cubes permettait d’éviter ou d’atténuer l’impact d’inondations, mais ce n’était nullement le but premier des ouvrages d’art, insiste l’historien.

Autre élément à noter: des écologistes avant l’heure ont incriminé, au XIXeme siècle, l’assèchement des marais de l’Hertogenwald, qui ne jouaient plus ainsi leur rôle « d’éponge naturelle » et un procès sera même intenté à l’État belge par une commune de la vallée, après une inondation. En vain d’ailleurs…

Paul Delforge rappelle aussi qu’un système de pompage a permis de maîtriser les crues de la Meuse, après l’inondation historique de 1926, dont des bâtiments du centre de la Cité Ardente portent encore la trace. Rien de tel n’a été prévu pour la vallée de la Vesdre, et dans celle de l’Ourthe, comme nous l’avons noté, le projet de barrages écrêteurs n’a jamais été concrétisé. Trop cher estimait-on à l’époque. Le coût des indemnisations à assumer aujourd’hui forcera peut-être à revoir certaines positions…

Le lobby électrique accentue sa pression


Le problème des voitures de société qui ressurgit à chaque élection, notamment sous l’angle fiscal, va prendre une nouvelle forme dès 2026: dans cinq ans, seuls les véhicules de société électriques à 100% bénéficieront d’une exonération intégrale. Pour les véhicules hybrides, la déductibilité ne sera plus que de 50%.

Mobilité réduite

Pour certain(e)s d’entre eux (elles) qui vivent à distance respectable de leur lieu de travail, pourrait ainsi poser de sérieux problèmes de mobilité, si l’autonomie des véhicules électriques ne s’étend pas sérieusement d’ici à cinq ans. Et puis on oublie qu’un certain nombre d’entreprises ne disposent que d’un nombre limité d’emplacements de parking, voire de pas d’emplacement du tout. Alors, les salarié(e)s devront-ils (elles) s’équiper à leurs frais? L’enfer est, on le sait, souvent pavé des meilleures intentions…

Une prétendue démarche écologique

Surtout, une nouvelle fois, cette décision à l’emporte-pièce relève une nouvelle fois d’une prétendue démarche écologique déjà rappelée plus d’une fois sur ce blog

Comment faire face à la hausse notoire de la consommation d’électricité que ce diktat entraînera? La question n’est évidemment pas abordée!

L’exploitation, dans des conditions inhumaines (travail des enfants, absence de normes de sécurité, inexistence de protection sociale) des mines de métaux rares appelés à épuisement rapide? Pudiquement évitée…

L’impossibilité actuelle de recycler les batteries de véhicules électriques usagés ou accidentés? Passée par pertes et profits, tout simplement!

Quand la politique passe les problèmes sous silence, ils ressurgissent tôt ou tard avec plus d’acuité. Et l’objectif de réduction des gaz à effets de serre d’ici à 20250 n’en apparaît que plus utopique.

Un combat à reprendre pour la liberté de la Presse


Il est des combats dont il ne faut jamais croire qu’ils sont définitivement gagnés: le combat pour la liberté de la Presse est de ceux-là! Paradoxe dans un pays qui, depuis l’origine, proclame dans sa Constitution que «la presse est libre» et que «la censure ne pourra jamais être établie»? Hélas, hélas, hélas, comme le disait Charles de Gaulle en évoquant le putsch des généraux félons à Alger, en 1962, il faut bien constater, ces derniers temps, que, y compris chez nous, l’année 2019 a été marquée par un recul de la liberté de la presse.

Péril pour la liberté de la presseLe signe le plus évident en est la nécessité ressentie par nos collègues flamands de la Vlaamse Vereniging van Journalisten (VVJ) de créer, sur leur site, un point d’alerte pour toute violence faite aux journalistes.

En six mois, c’est une douzaine de faits qui ont été signalés à l’union professionnelle des journalistes flamands. On n’en est, pour l’instant, qu’à des menaces physiques ou de l’intimidation, comme lors d’une manifestation d’extrême-droite contre le Pacte de Marrakech sur l’immigration, en début d’année. Ou lors d’un procès de Hells Angels devant un tribunal correctionnel limbourgeois. Mais il y a aussi ce fermier qui détruit l’appareil photo d’un correspondant de presse qui, à distance, venait de prendre des images de l’incendie d’une de ses étables. Ou la police qui menace de saisir les images d’un cameraman de télévision, qui filmait les lieux d’un accident de circulation, en respectant le périmètre de sécurité imposé.

L’Europe a connu quelques cas tristement célèbres d’assassinats de journalistes. Sur l’île de Malte, plus de deux ans après l’explosion de sa voiture qui lui a coûté la vie, les assassins présumés de Daphné Caruna-Galizia ne sont pas encore jugés, et leurs commanditaires ne sont pas connus. En Slovaquie, l’assassinat de Jan Kuciak et de sa fiancée a déclenché une vive réaction populaire qui a conduit à la démission du Premier ministre et à un renversement de majorité. Leurs assassins ont été démasqués, et les commanditaires mafieux de leurs assassinats sont connus. En Roumanie par contre, la précipitation avec laquelle l’assassinat de Viktoria Marinovna a été qualifié de crime purement sexuels laisse subsister bien des soupçons.

En Italie, j’ai eu le privilège douloureux de rencontrer des journalistes qui vivent sous protection policière permanente, après les menaces de morts proférées contre eux par la Mafia. Et le monde entier a appris avec horreur, il y a quelques semaines, les détails de l’assassinat de Jamal Kashoggi, au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul.

Rien de tout cela chez nous et dans les pays voisins, me direz-vous? Il y a un an, rappelez-vous, des journalistes belges et des journalistes français étaient menacés, et parfois molestés, par des «gilets jaunes» qui les jugeaient par définition hostiles. En Catalogne, des journalistes ont été victimes de violences policières, et d’autres ont été attaqués par des militants indépendantistes.

En Allemagne, où j’ai assissté récemment au congrès d’un des deux grands syndicats de journalistes, le Deutscher Journalisten Verband (DJV), le rapport annuel a évoqué le refus opposé par l’Alternativ für Deutschland à la présence de journalistes au congrès ce ce parti d’extrême-droite. Tandis que d’autres voix réclamaient une meilleure protection des sources journalistiques. Une protection des sources, qui, comme l’a posé la Cour européenne des Droits de l’Homme, est la «pierre angulaire de la liberté de la presse».

Presse locale, non merci!

Les médias locaux exclus de la visite du Secrtaire d'EtatUn autre cas flagrant de censure a été dénoncé ce week-end par la section bavaroise du DJV, le BJV (Bayerischer Journalisten Verband) après le véto opposé par les autorités (états-unienne? allemandes? états-uniennes et allemandes?) à la présence de journalistes du quotidien régional Der Frankenpost, lors de la visite, à Mödlareuth, du secrétaire d’État états-unien, Mike Pompeo, et du ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD). Seul était autorisé, dans le sillage des deux excellences, un pool télévisé, composé de représentants de la ZDF (chaîne publique), et de RT L (chaîne privée). L’idée étant, on l’imagine, de diffuser des images de cette visite, mais de ne donner à personne l’occasion de poser des questions au secrétaire d’État et à son hôte. Et aussi sans doute une forme de mépris à l’égard de la presse locale? L’incident a en tout cas suscité une réaction d’un député SPD de la région. Klaus Adelt s’est dit choqué par le fait que cette mise à l’écart s’est produite «le jour même où on célèbre la liberté d’opinion et la liberté de la Presse» et qu’en plus, «elle est incompatible avec la Constitution qui proclame la liberté de la Presse et la liberté d’informer».

Des notions également ignorées des autorités turques,  qui maintiennent en détention des dizaines de jouralistes turcs , sous l’accusation fallacieuse d’appartenance à une mouvance subversive: depuis près de dix ans, la Turquie se révèle la plus grande prison pour journalistes d’Europe, voire du monde!

De son côté, la Maison-Blanche a retiré leurs accréditations à des journalistes russes travaillant pour des médias que le président français, Emmanuel Macron, a qualifiés d’officines de propagande. Et dans la foulée le président russe, Vladimir Poutine, a pris une mesure similaire à l’égarde de journalistes étrangers, qualifés «d’agents de l’étranger». Quant aux journalistes russes travaillant en Ukraine ou aux journalistes ukrainiens actifs en Russie, on devine le sort qui leur est réservé.

Je rappellerai enfin le combat mené depuis plus d’un an par la rédaction d’un journal qui m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût, pour garantir son indépendance par rapport à une direction qui n’a pas hésité à procéder à des licenciements ciblés et à procéder à un lock-out, pour tenter de la faire plier.

Et que dire, dans le même ordre d’idées, des pressions exercées par le nouveau ministre-président flamand, Jan Jambon (N-VA) sur la VRT, pour que la chaîne publique de radio-télévision cesse sa «propagande» sur le réchauffement climatique et qu’elle offre la parole à des «climato-sceptiques»? Et la suppression, évoquée dans un autre billet de ce blog, des subsides à l’investigation journalistique indépendante?

La piqûre de rappel est sérieuse, et tou(te)s les journalistes doivent en être conscient(e)s: la défense de leur liberté est leur affaire, en tout premier lieu. Et s’ils/elles ne la défendent pas eux/elles-mêmes, personne ne le fera à leur place!

 

Une solidarité propre aux journalistes

Une solidarité propre aux journalistes


Il a été (évidemment) question du conflit aux Édition de l’Avenir, ce samedi, à l’assemblée générale de l’Association des Journalistes Professionnels (AJP). Le conflit social, toujours en cours, et surtout la manière exemplaire dont les journalistes du groupe l’ont mené (et continuent à le faire) a été saluée, notamment par le vote unanime d’une motion de soutien.

Le vote de cette motion a traduit la solidarité de tou(te)s les journalistes francophones et germanophones, quel que soit le média pour lequel ils ou elles travaillent,  pour vote-de-la-motion-de-soutienleurs consœurs et confrères confrontés à une vague de licenciements dont les effets restent à mesurer. Il reflète aussi une spécificité d’une profession, que les organisations syndicales classiques ont décidément grand peine à prendre en compte.Le conflit aux Éditions de l’Avenir a effectivement été marqué, ces derniers jours, par la dénonciation unilatérale par les organisations syndicales de l’accord de coopération qui les liait, depuis une bonne dizaine d’années, à l’AJP et à la société des rédacteurs (SDR). Ce front commun, forgé lors d’un précédent social, avait permis, à l’époque, de limiter les dégâts. Il n’avait pas fonctionné sans heurts, mais avait tenu bon jusqu’ici.Pourquoi a-t-il pris fin?Un plan social aussi brutal que celui mis en œuvre par Nethys aux Éditions de l’Avenir crée inévitablement des tensions en interne.

Mais la restructuration d’un journal a des aspects spécifiques, que les deux organisationssyndicales en lice n’ont pu, ou n’ont voulu, prendre en compte, dans un débat pollué dès le départ par la proximité de l’une d’entre elles, avec les dirigeants de l’actionnaire principal.

La portée du débat politique et médiatique engagé sur le sort des Éditions de l’Avenir a Motion de soutienainsi manifestement échappé aux responsables syndicaux en charge du dossier.

«La restructuration de NLMK à Clabecq suscite elle aussi pas mal de remous» a expliqué l’un d’entre eux. Le constat est exact. Mais les causes de ces remous sont différentes. Dans ce cas-ci, c’est la combativité des sidérurgistes, que j’ai bien connue lorsque je couvrais la restructuration de la sidérurgie liégeoise, qui fait déborder le conflit du cadre strict des entreprises concernées. Mais lectrices ou lecteurs de journal ont avec leur quotidien une relation personnelle voire philosophique avec son quotidien, qu’ils n’ont pas avec la canette de boisson achetée dans leur grande ou moyenne surface habituelle ou avec leur voiture.Il y a de nombreuses années, j’avais visité l’usine de Wolfburg, en Allemagne, siège central de Vokswagen, où on m’avait montré l’emboutissement de tôles à flans soudés (c’est-à-dire une tôle dont l’épaisseur varie selon les endroits où on la mesure) dont j’avais assisté à la production, quelques heures auparavant, en région liégeoise. Le service de communication de Cockerill-Sambre, à l’époque, avait parfaitement fait son travail. Mais ce constat ne m’a pas poussé, pour la cause, à changer de marque de voiture. Et quand j’achète une canette, je ne vérifie pas si l’acier dont elle est faite a été produite à Liège, à Charleroi, à Gand, à Fos-sur-mer ou en Chine. Essayez, par contre, de convaincre une lectrice ou un lecteur de quotidien de changer de journal: il vous faudra des trésors d’imagination pour vaincre sa réticence!

De même si l’existence de «listes noires» est évoquée dans tous les graves conflits sociaux, elle est le plus souvent évoquée pour dénoncer les risques pris par des délégués ou par des travailleurs particulièrement engagés pour défendre l’emploi de leurs collègues.Dans le cas d’un journal, et plus précisément des Éditions de l’Avenir, elle traduisait la volonté potentielle de l’actionnaire de se débarrasser de journalistes particulièrement indépendants. Si l’existence de cette liste n’a pas (bien entendu) pas été confirmée, une allusion (indirecte) y a été faite par Stéphane Moreau lui-même: en conseil d’administration d’Enodia, le nouveau nom de Publifin, le patron de Nethys a avoué que désormais, il n’oserait plus licencier un(e)s seul(e) journaliste qui avait traité le dossier, sans être accusé de vouloir régler ses comptes.

Les motifs de l’engagement particulier des journalistes dans le conflit aux Éditions de l’Avenir a ainsi échappé aux syndicats. En témoigne notamment la manière dont ils ont ignoré volontairement une motion unanime du personnel réclamant la sortie du groupe du périmètre de Nethys. Bel exemple de démocratie syndicale, et en même temps témoignage éclatant de leur volonté de traiter la restructuration comme n’importe quelle restructuration! La préoccupation de voir Nethys assumer la responsabilité des dégâts qu’il cause était légitime; le rejet, par exemple, de toute hypothèse de «portage» par la Région wallonne, montre l’étroitesse de la réflexion syndicale sur le volet sociétal du conflit.

La défense obstinée de leurs droits par les journalistes portait sur la nature même du quotidien, et ce qui est remarquable aux Éditions de l’Avenir, c’est que les autres catégories du personnel, tout aussi attachées à leur produit, l’ont bien ressenti: des employé(e)s ont demandé, et obtenu, l’accès à la dernière assemblée générale des journalistes, organisée par l’AJP. Pour (enfin) être bien informés des derniers développements du dossier? Ou parce qu’ils étaient bien conscients que c’est à l’action des journalistes qu’ils devaient l’augmentation de 100 euros bruts par mois (cf. un billet précédent sur ce blog) pour tou(te)s les partant(e)s en RCC (régime de chômage avec complément d’entreprise), concédée par la direction aux syndicats au moment du seul jour de grève des journalistes. Espérant, en vain, désamorcer leur mouvement, heureusement conclu le dimanche suivant.

On ne peut exclure que cette perte d’audience des syndicats aux Éditions de l’Avenir ait provoqué leur raidissement. Ce n’est pas la seule entreprise, hors secteur médiatique, où ils sont pourtant confrontés à des organisations auxquelles des professionels d’un secteur font plus confiance pour défendre leurs droits. «Des organisations corporatistes», dénoncent-ils, dans une invective qui sent à la fois le médiéval et le soufre: les mouvements fascistes des années 30, du fascisme mussolinien au régime de Vichy prônaient le retour aux corporations.

L’injure est l’arme des faibles. Entre-temps, les syndicats autonomes de conducteurs de train ont réussi à s’imposer dans le débat social, au sein de la SNCB. Et chez Ryanair, on a vu la CNE bruxelloise prendre le pas des associations de pilote, tandis que le Setca restait à l’écart, au point de ne pas appuyer les grèves qui y ont imposé la négociation sociale à un patron aussi dure que Michael O’Leary.

Aux Éditions de l’Avenir, les syndicats ont, involontairement je l’espère, joué exactement la partition que Stéphane Moreau attendait d’eux. C’est incontestablement un recul. On n’en rejettera pas le bébé avec l’eau du bain pour la cause: les organisations syndicales sont et restent des acteurs essentiels de la défense des droits et du dialogue social. Mais quand leur appareil songe aussi, voire d’abord, à se défendre lui-même, ils perdent de leur crédibilité.

Cela n’échappe pas à des journalistes, habitués à la critique. Qui savent que leur union professionnelle comprend leurs préoccupations et défend leur cause. Et où ils trouvent la solidarité de celles et ceux dont ils sont habituellement des concurrents.