L’annulation du débat sur la liberté d’expression, qui devait avoir lieu à Waremme ce dernier jeudi, a fait l’objet de nombreux commentaires. Mesure de précaution élémentaire, en fonction du niveau d’alerte actuel en Belgique, ou dérobade incompréhensible, dans le cadre du climat paranoïaque qui plane actuellement sur notre pays? Chacun en jugera, de l’endroit où il se situe.
Il est pourtant des valeurs sur lesquelles il ne faut pas transiger. «Défendre la liberté d’expression, oui, mais pas au point de mettre sa vie ou celle des autres en danger», disait en substance une auditrice intervenant en radio cette semaine. La position semble de prime abord empreinte de bon sens: plus d’une fois, ici ou dans d’autres cercles, j’ai eu l’occasion de dire qu’aucune information ne valait la vie d’un(e) journaliste. Ce qui n’empêche que des journalistes meurent, ou sont emprisonnés, chaque année, pour avoir voulu exercer leur devoir d’informer, corollaire du droit à l’information qui figure dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Sans ces journalistes, les violations les plus graves des droits de l’homme ne seraient jamais connues, et donc ni combattues, ni punies.
La réflexion de cette auditrice m’a rappelé le souvenir d’un grand homme que j’ai eu le privilège de connaître: Paul Brusson avait été arrêté à l’âge de 19 ans, pendant la Seconde guerre mondiale, et envoyé au camp de concentration de Mauthausen, où, comme tant d’autres, il aurait pu laisser la vie.
Son crime? Avoir diffusé des journaux clandestins, qui reflétaient ses convictions antifascistes, qui faisaient de lui, malgré son jeune âge, un opposant farouche aux nazis.
En faisant cela, il mettait clairement sa vie en danger, et peut-être celle des autres. Mais son combat, et celui de ses camarades, était essentiel.
Aujourd’hui, le contexte a changé; mais l’enjeu reste le même: la défense de la liberté d’expression reste cruciale.
Cette liberté d’expression, c’est le droit de tout dire, pas celui de raconter n’importe quoi: cela aurait constitué la trame du message que j’aurais adressé aux adolescents de Waremme, si j’avais eu l’occasion de les rencontrer. Un message plus important que jamais, en cette période où le Web véhicule à la fois des tonnes d’informations utiles, et des torrents de conneries invérifiables, dont une partie sert à alimenter les peurs et les haines.
C’est la même conviction qui fonde la campagne du «Journalisme, un bien public», lancée il y a quelques années déjà par la Fédération Internationale des Journalistes. Car, plus que jamais dans ce monde où tout le monde se croit, ou s’affirme journaliste, le métier de journaliste professionnel a sa raison d’être.
Un article publié cette semaine par «Le Canard Enchaîné» décrit cette nature du journalisme beaucoup mieux que je n’aurais pu le faire, dans la foulée des événements dramatiques qui ont secoué la France, et le monde libre, le 7 janvier dernier.
Il n’y a rien à ajouter à ce qui est là (remarquablement) démontré.
Sauf peut-être à inviter les patrons de presse belges, européens et du monde entier, à le méditer en profondeur. Car pour permettre aux journalistes de jouer leur rôle sociétal, faut-il encore les placer dans des conditions matérielles qui le leur permettent.
Et, comme prévoyait de le dire un autre participant au débat avorté de Waremme sur la liberté d’expression, la censure économique est une forme de censure tout aussi détestable que les autres. Et c’est sans doute celle qui menace la presse de la manière la plus insidieuse.
La presse, notamment écrite, est un des rares secteurs économiques en difficultés qui, pour se sortir de la crise, ne se recentre pas sur son «cœur d’activité»: j’ai eu, à de nombreuses reprises, l’occasion de le rappeler ces dernières années.
Pour rappel, le «Canard Enchaîné», qui n’a pas de rentrées publicitaires, est un hebdomadaire rentable…