Les aficionados de la famille royale auront passé toute leur matinée à regarder ou écouter les émissions spéciales, dégoulinantes de guimauve, consacrées par les chaînes publique et privée à l’anniversaire d’Elisabeth, fille aînée du couple royal, dont plus personne ne peut sans doute ignorer qu’elle célèbre son dix-huitième anniversaire, et qu’elle devient donc majeure.
Celles et ceux qui ne sont pas sensibles à cette brusque et un peu surannée « Elisabethmania » n’ont donc eu de choix que de se tourner vers les chaînes étrangères, pour échapper à l’ambiance empesée qui a marqué un événement autrement festif, pour tous les autres jeunes de cet âge, dont la préoccupation première est souvent de passer leur examen de permis de conduire, afin de marquer leur autonomie.
Cette préoccupation n’est sans doute pas première pour la jeune princesse. D’abord parce que d’autres responsabilités l’attendent… peut-être. Et puis parce que si elle veut se déplacer, des chauffeurs sont sans doute à sa disposition.
Quitte à doucher l’enthousiasme des commentateurs plus royalistes que le roi, il faut pourtant rappeler qu’il est un peu prématuré de décrire cette jeune personne comme « future reine des Belges ». Car, d’ici à son accession à la responsabilité éventuelle de cheffe d’Etat, bien des choses peuvent se passer. La plus dramatique, que nous n’évoquerons quà titre indicatif, serait qu’elle disparaisse avant son père, le roi Philippe. Idée sacrilège? Les contrats d’assurance sur la vie sont remplis d’hypothèses de ce type.
D’autres contingences pourraient empêcher son accession au trône de Belgique. La première, serait… qu’il n’existe plus de Belgique. Les partis indépendantistes flamands ne sont pas loin d’arriver ensemble à la moitié des sièges au Vlaams Parlement. Si un jour, ils l’atteignent, on ne donnerait plus cher du cordon sanitaire, qui tient le Vlaams Belang à l’écart de toute forme de pouvoir depuis bientôt trente ans. Rien ne dit non plus que l’indépendance de la Flandre l’emporterait, lors d’un référendum du type de celui qui s’est déroulé jadis au Québec, naguère et peut-être bientôt en Ecosse, et que la Catalogne n’a pu organiser de manière ordonnée.
Une autre hypothèse serait que la Belgique… ne soit plus une monarchie. « La Belgique a besoin de monarchie comme de pain », a souvent répété l’historien émérite liégeois, Francis Balace, fasciné par la monarchie belge, citant un aphorisme prononcé au XIXeme siècle. Mais la Belgique de plus en plus fédérale n’a plus rien à voir avec la Belgique unitaire des débuts, et qui sait, un jour, Flandre, Wallonie, plus Région bruxelloise et Région germanophone, pourraient décider d’un mode d’organisation de l’Etat sur le modèle de la Yougoslavie de Tito, avec une présidence de la République tournante?
Foutaises que tout cela? Peut-être. Comme l’hypothèse qu’Elisabeth, le jour venu, renonce au trône. Ou qu’on découvre dans son passé un élément l’empêchant d’accéder à la fonction de chef d’Etat. Du style fraude fiscale à grand échelle, adhésion à un parti rattachiste, ou autre cause dirimante.
Reste enfin la conjonction d’éléments (Elisabeth survit à son père, ou vit au moment de son abdication éventuelle; la Belgique existe toujours et est toujours une monarchie; la princesse est prête à assumer la fonction; et aucun obstacle ne se dresse sur sa route): voilà pourquoi on devrait dire qu’elle est non pas la « future reine des Belges« , mais la « future reine présomptive des Belges« . Tant il est vrai que, comme l’avait dit Albert Camus, « mal nommer les choses, c’est aujouter au malheur des gens ».