Les inondations catastrophiques qui ont ravagé les vallées de la Vesdre, de la Hoegne, et de l’Ourthe ont dépassé par leur ampleur toutes celles qu’on avait connues auparavant. Alors que les régions sinistrées pansent encore leurs plaies, des politiciens locaux avides de publicité (et jaloux de celles que se sont attirées à titres divers les bourgmestres de Limbourg, Olne et Trooz?) ont déjà lancé une polémique visant le ministre wallon du Climat, Philippe Henry, en attribuant les dégâts considérables causés par ces inondations à la seule gestion du barrage d’Eupen.
Le propos, ici, n’est pas de défendre le vice-ministre-président écolo du gouvernement wallon, mais avant de lancer cette polémique, les politiciens locaux concernés auraient peut-être dû se rappeler les quantités inédites d’eau que les cieux en colère ont déversées simultanément sur tous les bassins hydrographiques de la région, et opérer un calcul, sur base de ces précipitations au mètres carré et dè nombre de mètres carrés considérés, pour avoir une idée des millions de litres qui se sont ainsi déversés dans les rivières en furie! Là se trouve sans doute la première cause des ravages qu’elles ont provoqués.
Il n’empêche qu’il faudra revenir sur la gestion des barrages; et qu’il conviendra de redéfinir diverses normes en matière de constructions. Tout en se souvenant que si on interdit de reconstruire aux abords des rivières, et qu’on oblige les habitants concernés à aller s’établir ailleurs, on bétonnera par définition de nouvelles zones, dans lesquelles l’eau ne pourra plus s’infiltrer, et dévalera d’autant plus vite les pentes des vallées pour se déverser dans la Vesdre, la Hoegne, le Wayai, l’Ourthe ou l’Amblève.
Il faudra donc penser à une batterie de mesures… comme c’était déjà le cas, il y a plus d’un quart de siècle, quand des inondations à répétition se produisaient dans la vallée de l’Ourthe, sans causer des dommages du niveau inédit que nous avons connus ces dernières semaines.
Le ministre wallon des Travaux de l’époque, feu Jean-Pierre Grafé, avait sorti l’idée de créer des « barrages écrêteurs» sur l’Ourthe. Ces ouvrages, dont il avait vu des exemplaires dans la vallée de la Lippe en Allemagne, laissent passer la rivière en période d’étiage normal, mais dès que le niveau des eaux monte de manière anormale, ils les retiennent et inondent des zones définies par avance.
Lancée en 1993, et examinée par la commission de l’Ourthe, l’idée avait progressé dès l’année suivante, avec des crues, qui avaient suscité la réalisation de travaux classiques comme des rehaussements de murs de quais; le redressement de coudes de rivières; ou l’enlèvement d’un dos rocheux contrariant l’écoulement des eaux.
Des projets précis de «barrages écrêteurs» étaient également évoqués: une digue de 27 mètres, susceptible de retenir 10 millions de m3 sur l’Ourthe Occidentale, était envisagée en amont du confluent d’Engreux; et une autre de 13,5 mètres devait pouvoir en retenir 11,8 millions en amont de Durbuy. Un autre barrage écrêteur était également en projet sur l’Amblève, et le site de Stoumont, à l’aval du complexe de Coo, semblait tenir la corde.
En voyant les millions de mètres cubes d’eau qui auraient ainsi pu être «stockés» la semaine dernière, on se prend à penser que bien des tourments auraient ainsi pu être évités…
Déjà à l’époque, toutefois, des voix s’élevaient contre le projet. En suggérant des mesures alternatives comme la plantation de feuillus; la revalorisation de zones humides; ou l’aménagement de certains méandres. Ce qui, a priori, n’était pas contradictoire en soi…
Ce qu’on peut imaginer, par contre, c’est qu’aucune Commune ne souhaitait se voir attribuer des zones inondables pour retenir les eaux de l’Ourthe en cas de crue grave de la rivière. Le phénomène NIMBY («Not in my backyard») était déjà bien connu à l’époque; il se manifeste toujours aujourd’hui, par exemple sur les projets d’implantations d’éoliennes.
L’astuce, là, passera par le changement de titulaire du ministère wallon des Travaux. Michel Lebrun, en charge de l’Aménagement du territoire, était du même parti que feu Jean-Pierre Grafé, et s’il s’est chargé d’enterrer le projet de son prédécesseur, il y a mis les formes. En invoquant la nécessité, d’abord, d’une unanimité de tous les spécialistes appelés à se prononcer sur le sujet. C’était déjà une manière de refermer discrètement la porte. Puis en invoquant des arguments techniques sans trop y rechercher de solutions. Et en estimant le coût des travaux du premier barrage planifié, à Grandhan, en province de Luxembourg, absolument trop élevé.
Les barrages écrêteurs n’ont donc jamais vu le jour sur l’Ourthe et l’Amblève. En Brabant Wallon, à l’inverse, des projets de «zones d’immersion temporaire» sont à l’étude ou en cours de réalisation. En Allemagne, ils ont fait leur preuve depuis de nombreuses années.
Le moment est peut-être venu de les ressortir du placard où on les avait enfermés. En résolvant les questions techniques présentées comme fondamentales, il y a vingt-cinq ans. Et en réévaluant la question du coût de leurs réalisations, à l’aune des dégâts actuellement constatés dans les différentes vallées concernées, dont le coût sera sans commune mesure avec celui de création de retenues d’eau dans des zones inondables préalablement définies…