« Pauvres » têtes couronnées


C’est avec circonspection que j’ai abordé le double documentaire diffusé vendredi dernier par La Une sur les monarchies face à Hitler et, avant cela, sur leur rôle dans le déclenchement de la Première guerre mondiale.

À l’arrivée, j’en ai retiré plutôt un sentiment mitigé. La première partie dépeignait en effet assez bien comment le cousinage monarchique établi par la reine Victoria d’Angleterre a échoué à empêcher la guerre entre les puissances européennes. Et les conséquences de ce qu’on a qualifié de suicide de l’Europe à la fois pour les États d’avant-guerre, et pour les familles impériales ou royales qui y avaient régné étaient assez correctement rapportées, malgré, çà et là, une généralisation du propos Il aurait par exemple pu être utile d’expliquer que les pays vainqueurs ont tenté en vain de traduire l’ex-Kaiser Guillaume II réfugié aux Pays-Bas, devant un tribunal international qui eût préfiguré celui de Nuremberg. Et que le ci-devant empereur allemand, et non d’Allemagne, a obtenu la restitution de ses biens familiaux et d’une indemnisation considérable de la république de Weimar, qui n’a pas été un État à la dérive tout au long de sa courte existence. Le lien entre l’anticommunisme des familles régnantes et leur sympathie a tout le moins pour le fascisme italien était par contre bien décrit.

La deuxième partie, relative aux monarchies face à Hitler, s’est par contre résumée à un long plaidoyer pro domo de membres de familles royales pour expliquer et excuser l’attitude de leurs parent, grand-parent ou aïeul face à Hitler et Mussolini.

Seule exception, la famille royale britannique, dont aucun membre ne s’exprimait. Les remous provoqués par l’abdication d’Édouard VIII, dont les sympathies nazies étaient expliquées de manière un peu courte par le traitement de faveur réservé par Hitler à son épouse, Wallis-Simpson, ont été bien expliqués. Comme la popularité que son attitude pendant le Blitz a value au couple royal de George VI et Elizabeth

La fatale attraction de Victor-Emmanuel III pour Mussolini a elle aussi bien décrite, mais faire de son fils Umberto II un « résistant » potentiel était pour le moins abusif. L’opposition au nazisme de son épouse à l’époque était par contre bien soulignée. On aurait pu rappeler qu’Adolf Hitler avait qualifié Marie-José de Belgique de « seul homme à la cour d’Italie »

Sur le cas de Léopold III, dont la « défense » était prise en charge par la plus jeune de ses filles, Esmeralda, le dossier est resté par contre fort lacunaire .

Le retour à la politique de neutralité en 1936? Pas un mot sur la pression du Mouvement flamand sous le slogan « Los van Frankrijk ».

L’offre de médiation de la Belgique et des Pays-Bas, le 7 novembre 1939? Ignorée: quelques mois plus tard, les destins de Léopold III et de Wilhelmine prendront des directions opposées…

Rien non plus sur l’impossibilité de régner constatée par les parlementaires belges à Limoges, le 31 mai 1940.

Le dégât sur l’image de Léopold provoqué par son remariage en décembre 1941 évoqué et qualifié d’erreur par sa plus jeune fille? Pas un mot sur la grossesse de Lilian Baels et la nécessité de sauver les apparences.

L’entrevue de Berchtesgaden uniquement pour parler des prisonniers de guerre et dont Hitler aurait conclu que Léopold III était intraitable, à en croire Esmeralda de Belgique? L’entretien a eu aussi un côté,et politique, complètement éludé.

Le Testament politique de 1944, où Léopold III se permettait d’exiger de nos libérateurs qu’ils… respectent l’indépendance de la Belgique et déclarait nuls les traités d’alliance conclus par le gouvernement belge de Londres? Ignoré. La lecture de ce document avait fait dire de Léopold III à Churchill qu’il était « comme les Bourbon: il n’a rien compris et rien retenu ».

Pas un mot, non plus, sur le régent, Charles, qui a « sauvé le brol » comme il l’a dit lui-même. Et enfin l’omission finale: si Léopold III a effectivement obtenu une majorité en sa faveur à la consultation populaire de 1950. Esmeralda de Belgique a simplement omis qu’en Wallonie, la majorité lui était opposée…

Bien sûr, le documentaire abordait l’ensemble des monarchies et pas la Question royale en Belgique. Résumer le cas de Léopold III aurait alors exigé plus d’objectivité. Et l’analyse d’un(e) historien(ne) aurait été préférable au plaidoyer ampoulé et incomplet d’une fille pour son père…

Un rapprochement, enfin a été cruel. Michel de Grèce évoquait le cas de son oncle, le tsar de Bulgarie, qui avait choisi l’alliance de son pays avec l’Allemagne nazie plutôt que l’invasion par la Wehrmacht. Et s’interrogeait: son choix n’était-il pas celui de la prudence? Deux jours plus tard, France 5 rediffusait en hommage une interview de Daniel Cordier, l’avant-dernier Compagnon de la Libération, décédé la semaine passée à l’âge de 100 ans. L’ancien secrétaire de Jean Moulin y expliquait les risques pris pour fédérer la Résistance française et lutter contre l’occupant,juste avant l’arrestation et la mort de celui qu’il ne connaissait que comme Rex. C’est notamment grâce à ces gens imprudents de cette trempe que le nazisme,finalement, a été abattu.

Taire une info, non, mais la cadrer…


Aucune information ne doit être tue, tout est dans la manière dont elle est traitée. La réflexion m’est venue ce dimanche, en début de soirée, après la vision du journal télévisé de RTL-TVI, à 19 heures, où l’agression d’une policière bruxelloise à laquelle son agresseur avait tenté de voler son arme a occupé au total près de huit minutes et demie d’antenne. Avec d’abord l’interview de la policière, heureusement sortie indemne de l’incident, qui s’est plainte de n’être pas reconnue comme victime après la remise en liberté de son agresseur; puis le commentaire de Luc Hennart, président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles, habitué des plateaux de télévision, qui s’est exprimé pendant près de cinq minutes sans intervention du présentateur du JTL. Et au sortir, l’impression désagréable que cette séquence n’aura fait qu’ajouter à un sentiment ambiant d’insécurité, susceptible de nourrir le vote populiste.

Reprenons les choses dans l’ordre: le choix du sujet d’abord. La politique rédactionnelle de RTL-TVI, qui met volontiers l’accent sur le fait divers, est régulièrement pointée du doigt. La critique est malvenue: un choix rédactionnel relève de la liberté éditoriale. Et personne n’est obligé d’y adhérer, en regardant ses journaux télévisés, ou ses émissions. Comme personne n’est obligé d’acheter ou de lire les quotidiens qui s’inscrivent dans la même veine éditoriale.

L’interview de la policière était très professionnellement menée, et son propos était mesuré. Elle racontait sobrement l’agression dont elle a fait l’objet, et la manière dont elle a pu maîtriser son agresseur. Et elle se plaignait de ne pas être reconnue comme la victime par la Justice par son agresseur, remis en liberté malgré un ordre de quitter le territoire. Sans, là, que l’interviewer lui objecte que la remise en liberté ne signifie pas l’impunité.

C’est ce que Luc Hennart, ensuite a expliqué en une phrase, qui « cadrait » parfaitement l’interview de la policière. Cette, a-t-il relevé très justement, aurait dû en être consciente, étant elle-même auxiliaire de justice.

Il aurait pu, voire dû en rester là. Car le reste de son intervention, qui évoquait notamment l’envoi sur le terrain de jeunes policiers insuffisamment formés et insistait l’inopportunité de répondre à la violence de manifestants ou de citoyens récalcitrants par une violence plus grande encore tombait complètement à plat.

La policière en question affichait vingt-cinq années d’ancienneté. Son agresseur avait proféré à son égard une menace de mort caractérisée: « Je vais t’égorger! ». Dans le contexte actuel, on n’oserait plus qualifier cette apostrophe de rodomontade. Il a tenté de lui dérober son arme. Et, frappé d’un ordre de quitter le territoire, il n’a pas été maintenu en détention: naguère, notre pays a été moins regardant pour enfermer des enfants de migrants dans des centres fermés, ce qui lui a valu une condamnation humiliante devant la cour européenne des droits de l’Homme.

La prestation de Luc Hennart n’a fait que renforcer l’image, erronée, d’une justice déconnectée de la réalité de terrain, et qui ne parvient pas à donner une réponse appropriée à l’insécurité ambiante.

Il en porte une part de responsabilité: quand un expert est invité à commenter un dossier sur un plateau de télévision, le moins que l’on puisse en attendre, c’est qu’il ne se contente pas d’un discours général, mais qu’il entre dans les détails du dossier.

La responsabilité du journaliste est de l’avoir laissé dérouler son discours formaté, sans l’interrompre pour le confronter à la contradiction qu’il portait.

Le propos, ici, n’est pas de lui jeter la pierre, mais de cibler la réponse à la crise de la presse, tous médias confondus, et, s’agissant de RTL TVI, au recul de ses recettes publicitaires: partout, on a taillé dans les effectifs, en poussant au départ les journalistes les plus expérimenté(e)s, qui coûtent le plus cher, mais qui ont aussi le plus d’expérience, au motif qu’une rédaction « coûte cher et ne rapporte rien ». Ou, en télévision, en « placardisant » celles et ceux qu’ils n’ont pu éliminer dans le cadre des derniers plans sociaux. Sur pareil dossier, pourtant, il reste toujours dans la chaîne privée l’un(e) ou l’autre interviewer(euse) qui n’aurait pas écouté l’ancien magistrat dérouler son intervention, à la manière d’un étudiant qui écoute l’exposé d’un prof d’unif », mais qui l’aurait interrompu, sans tomber nécessairement dans les excès du genre, pour le ramener sur les rails.

L’adage le dit: l’art est difficile et la critique aisée. Dans le même temps, la couverture de l’élection présidentielle américaine a permis de voir, sur CNN, un journaliste aux cheveux blancs sur le front, tout au long du dépouillement. Et quand le président sortant, Donald Trump, s’est mis à déraper gravement dans un de ses commentaires, certaines chaînes lui carrément refusé l’antenne. Le procédé, là aussi, est discutable. Mais au moins les chaînes se sont-elles expliquées. De là à dire qu’elles ont convaincu…

Bart De Wever, satrape et talon d’Achille de la N-VA


La nouvelle n’a pas fait la «une» de la Presse quotidienne: Bart De Wever a été réélu ce week-end président de la N-VA, avec un score de 98,6% des suffrages, propre à faire se retourner Staline dans sa tombe, et à faire pâlir d’envie Kim Jong-un, le leader nord-coréen.

Le bourgmestre d’Anvers et ministre-président flamand ne risquait rien dans l’aventure, puisqu’il était le seul candidat en lice: personne ne pouvait donc lui faire de l’ombre.

Le seul obstacle qui aurait pu se mettre sur sa route était statutaire: les règles internes du parti nationaliste flamingant limitent en effet à deux le nombre de mandats présidentiels possibles. Sauf dérogation. Bart De Wever en a bénéficié pour la quatrième fois: aux commandes de sa formation depuis 2004, il y restera jusqu’en 2023… au moins. Car rien n’interdit de penser qu’alors, pour répondre aux vœux de ses affidés, le président de la N-VA ne se résignera pas à demander une dérogation supplémentaire, et repartir ainsi pour un, ou deux, ou trois, ou…. tours.

Et dire qu’en Afrique, on vilipende à juste titre les présidents qui contournent la limitation constitutionnelle du nombre de mandats, comme vient de le faire encore Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, ou comme l’ont notamment fait Paul Kagame au Rwanda et feu Pierre Nkurunziza au Burundi, Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville ou feu Robert Mugabe au Zimbabwe. Joseph Kabila, empêché de répéter l’opération au Congo-Kinshasa doit se dire qu’il aurait été mieux inspiré de présider la N-VA plutôt que notre ancienne colonie!

Plus sérieusement, la N-VA se rendrait déjà plus crédible si elle levait cette limitation du nombre de mandats dans ses statuts. Quand une dérogation est accordée, pareille limitation peut se concevoir. Mais quand elle est systématiquement contournée, la maintenir relève à la fois de l’hypocrisie et du ridicule.

La longévité de Bart De Wever à la tête du parti nationaliste flamingant témoigne d’abord de la qualité et de la durée de son engagement.

L’homme politique ventripotent du début du XXIeme siècle a d’abord fait preuve de sa grande volonté en s’imposant un apprentissage prononcé du français… même s’il répugne depuis longtemps à répondre en profondeur aux demandes des médias francophones. Il a manifesté la même endurance en suivant un régime strict qui a refait de lui une espèce de star en Flandre, image qu’il a cultivée ensuite en remportant un célèbre jeu télévisé sur la chaîne publique, pompeusement baptisé «De slimste mens ter wereld», «L’être humain le plus intelligent du monde».

Ce n’est pas faire injure à Bart De Wever de dire que pareil titre est usurpé. Mais dans le jardin extraordinaire de la politique belge, comme aurait dit feu Gaston Eyskens, il a fortement marqué son empreinte. D’abord en se jouant d’Yves Leterme, qui avait cru étouffer la N-VA dans son cartel avec le CD&V, dont Bart De Wever a tiré profit pour propulser son parti au sommet, et reléguer les démocrates-chrétiens flamands à un niveau dont ils ne se sont toujours pas remis.

Bart De Wever a ensuite réussi à phagocyter les voix du Vlaams Belang, dont les électeurs, racistes et autres, se sont lassés de voter pour un parti tenu à l’écart de toute coalition par un «cordon sanitaire» qui a tenu, envers et contre tout, depuis le «dimanche noir» du 24 novembre 1991.

Il a réussi enfin à propulser son parti au gouvernement fédéral, dans une improbable coalition avec un MR qui s’y est retrouvé comme seul parti francophone pendant une législature, et dont le président de la N-VA a tiré la prise au bon moment, pensait-il, pour ressortir le communautaire du frigo où il avait dû l’enfermer, et peser ainsi encore plus sur la politique fédérale et flamande.

Et c’est là que le bât a blessé. Car, contre toute attente, les élections du 26 mai 2019 ont vu pour la première fois depuis l’arrivée à sa tête de son «homme providentiel», la N-VA refluer, tandis que la Vlaams Belang opérait une remontée aussi spectaculaire qu’inquiétante et inattendue, sous la houlette d’un jeune président, gendre idéal de la Flandre, qui a compris comment utiliser les médias sociaux au bénéfice des ses thèses ultra-nationalistes et racistes.

Le scénario concocté par Bart De Wever, qui voyait Jan Jambon présider le gouvernement flamand, tandis que lui prendrait le gouvernail au 16 de la rue de la Loi, ne s’est pas concrétisé. Le bourgmestre d’Anvers, du coup, s’est rabattu sur le Vlaamse Regering, et a espéré pendant longtemps réimposer son parti au niveau fédéral. Les injures qu’il a proférées à l’égard de Paul Magnette, le président du PS, incontournable au niveau francophone, ont d’abord témoigné de son désarroi. Puis quand il a vu que d’autres partis flamands semblaient prêts à monter sans la N-VA dans une coalition fédérale, il s’est lancé dans une surenchère auprès de son alter ego de Charleroi, en concédant au PS des avancées dont certains socialistes ont eu la nostalgie, au moment de souscrire à la coalition Vivaldi.

N’est-ce que partie remise pour la N-VA? C’est ce qu’elle paraît croire, en ayant reconduit pour trois ans son leader maximo. Mais pareille dépendance est peut-être aussi le talon d’Achille du parti nationaliste flamingant. Car elle semble indiquer que sans Bart De Wever, elle sera condamnée au reflux. Tandis que, en dehors de ses rangs, l’image du «slimste mens ter wereld» commence sans doute à pâlir. Depuis 2004, la composition du corps électoral a singulièrement évolué, et pour de nombreux électeurs, Bart De Wever est désormais déjà un peu un homme politique du passé.

Chez les Romains anciens, une maxime le rappelait aux empereurs couronnés: la Roche Tarpéienne est proche du Capitole…