Une statistique qui ne peut pas faire peur


Un million de migrants sont entrés en Europe depuis le début de cette année, dont la moitié en provenance directe de Syrie: la statistique vient d’être dévoilée par l’ONU. Elle risque encore d’alimenter les peurs, au mieux, la haine, et au pire d’alimenter la haine de l’étranger, alimentée par l’extrême-droite sur le territoire de toute l’Union Européenne.
En cette époque de Noël – qui rappelle  aux croyants qu’à l’époque, Joseph et Marie ont été des réfugiés en Égypte, et aux non-croyants que le problème des réfugiés existait déjà l’époque – elle ne peut nous faire peur, mais elle de1391041961vrait peut-être plutôt nous faire honte. Car, qu’est-ce qu’un million de réfugiés à l’échelle de l’Union Européenne, qui compte quelque 508 millions d’habitants? 0,2%, si je compte toujours bien: ne serions-nous donc pas capables d’intégrer 0,2% de réfugiés sur notre continent? Si tel est le cas, il y a lieu de s’interroger sur les principes qui fondent l’Union Européenne!

Affirmer cela n’est pas tomber dans un angélisme bêlant: parmi ces réfugiés, il y a sans doute la même proportion de salauds, d’idiots, et de malhonnêtes que dans notre propre population. Peut-être même des candidats-terroristes se sont-ils glissés parmi eux? Est-ce une raison pour s’opposer à leur venue? Pour les rejeter? Ou pour opérer un distinguo subtil entre ceux dont la vie est menacée par la guerre qui se déroule sur le territoire où ils vivent, et ceux dont la vie est menacée parce qu’ils n’ont tout simplement pas assez à manger?

Et si, cette fois, on osait jouer l’ouverture? Et si, cette fois, dans nos médias, et notamment dans les «talk shows» prétendument populaire, on cessait de parler de vague exceptionnelle, d’afflux extraordinaire, voire d’invasion de réfugiés? Le temps n’invite-t-il pas à la réflexion? Le curé de Stockem l’a bien compris, dont la crèche est plantée au milieu de barbelés et de gilets de sauvetage (http://www.lavenir.net/cnt/dmf20151223_00755321/l-etonnante-creche-de-stockem). Au fait, ce jeudi, dix-huit réfugiés, dont plusieurs enfants, sont à nouveau morts noyés en mer Égée. Un «simple» fait divers, désormais…

Nom de Dieu, il va manquer!


Invité d’Eddy Caekelberghs sur «La Première», Edmond Blattchen a eu, ce soir, le privilège rare d’entendre son éloge «funèbre» de son vivant: «Face à l’info» a refait entendre certains des invités qu’il a, au fil des mois, fait parler du sens de la vie, et donc de la mort, dans son émission «Noms de dieux», dont la «Une» livrait ce soir le deux centième et dernier numéro. Tandis que d’autres disaient, en direct, tout le bien (parce qu’on ne dit pas de mal de quelqu’un qui s’en va?) qu’ils ou elles pensaient de cette émission hautement atypique.

Une émission que seule, une chaîne publique aurait pu permettre, a conclu Edmond Blattchen en concluant par «RTBF» une émission qu’Eddy Caekelberghs lui avait demandé de ponctuer d’un dernier mot. Le commentaire était particulièrement judicieux. On peut simplement se demander si, vingt-trois ans après le lancement de cette émission philosophique assez unique en son genre sur les chaînes francophones, la RTBF donnerait encore le feu vert aujourd’hui à ce type d’initiative. Car, et le constat ne vaut pas que pour elle, la télévision publique en Europe s’est de plus en plus inspirée de sa concurrente privée. Plus souvent pour le pire que pour le meilleur.

Edmond BlattchenRetour sur Edmond Blattchen: oserais-je avouer qu’il y a plus de décennies, l’ancien animateur des «Chansons qui vous ressemblent» et de «Chansong» avait sacrément surpris, en se lançant dans ce type d’émission philosophique. On n’avait, jusque-là, guère pu prendre la mesure de son érudition, et de sa capacité remarquable à faire se confier ses invités, en ne les interrompant que par de courtes questions, toujours remarquablement documentées.

Au moment où Edmond Blattchen quitte l’antenne, je ne peux m’empêcher de repenser à deux images fortes qu’il a laissées: l’une publique et forte, l’autre discrète et profonde.

L’image publique et forte, c’est celle de Blattchen en colère, tirant sa chemise pour montrer la cicatrice que lui avait laissée sur la poitrine une intervention chirurgicale rendue nécessaire pour combattre un cancer du poumon provoqué par la cigarette: c’était un soir de controverse télévisée, sur la RTBF, entre partisans et adversaires de la publicité pour le tabac, à l’époque où sa probable interdiction laissait peser une menace sur le Grand Prix de Belgique de Formule 1.

L’image privée, c’est celle d’Edmond Blattchen en ami fidèle, assistant aux obsèques de mon confrère feu Jean-Francis Dechesne, il y a un peu plus de onze ans. Jean-Francis s’était fait le chroniqueur attitré de «Noms de dieux» dans le journal qui (air connu) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût. Et, apprenant son décès brutal, Edmond Blattchen, avec lequel  il n’avait sans doute pu s’empêcher d’échanger l’une ou l’autre réflexion philosophique voire métaphysique, avait tenu à participer à son dernier adieu.

«Face à l’info» aura apporté un éclairage sur sa démarche journalistique: sa demande, à ses invités, d’écrire à leur façon «Noms de dieux» procédait peut-être, a-t-il révélé, de la colère de son père, Edmond Blattchen père, qui, mis au mur par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale, à l’âge de six ans à peine, avait décidé qu’on supprimerait l’«Umlaut» avec lequel devait s’écrire la lettre «a» de son nom de famille, légué par son propre père, Prussien d’origine. L’émission a laissé par contre une question ouverte: quelle autre émission de réflexion et de débat la RTBF proposera-t-elle pour succéder à «Noms de dieux».

Quant à nous, il nous restera la possibilité de voir et de revoir les anciens numéros, et leurs invités, toujours en vie ou disparus. De grands moments de télévision.

Un témoignage impressionnant

Et, à propos d’invités, j’avoue avoir été impressionné par le témoignage de Latifa Ibn Ziaten, la deux centième et dernière interlocutrice d’Edmond Blattchen. Ni une théologienne, ni une poétesse, ni une scientifique, ni une femme politique: une mère blessée dans sa chair par l’assassinat de son fils, Imad, un militaire abattu par Mohammed Merah, le 11 mars 2012 à Toulouse. Cette blessure, symbolisée par le béret de son fils, dont elle ne se sépare jamais, ne se refermera plus. Mais cette femme que rien ne destinait à pareil destin, et qui s’exprime très simplement («C’est très important» a-t-elle dit à de multiples reprises au cours de l’entretien, pour souligner son propos) a mieux expliqué que bien des exégètes le sens profond du djihad, pour un(e) croyant(e): c’est la démarche qui l’a poussée à ne pas se refermer sur sa douleur, mais à s’en servir pour aller vers les autres, pour tenter de comprendre le geste de l’assassin de son fils, et pour tenter d’éviter à ses semblables éviter une dérive similaire. Par exemple en leur offrant des conditions de détention digne: à l’heure où près d’un tiers des électeurs français ont voté pour le Front National, le message prend tout son sens. D’où le livre qu’elle a écrit («Mort pour la France»), et l’association qu’elle a créée (www.association-imad.fr)

Cela lui a valu des honneurs; cela l’amène de voyager dans divers pays, pour rencontrer des mandataires politiques ou des représentants de la société civile; cela a fait d’elle une vedette médiatique, mais rien de tout cela ne lui est monté à la tête.

Un des moments les plus poignants de l’émission a été celui où elle a raconté qu’en pèlerinage à La Mecque, elle y a vu son fils assassiné. Les esprits rationnels mettront sans doute cela sur le compte de l’émotion du lieu et du moment. Sa propre belle-mère, qui l’accompagnait avec son mari dans ce pèlerinage essentiel pour les musulmans, lui a dit qu’elle avait cru voir son fils assassiné. Mais Latifa Ibn Ziaten n’en démord pas: elle l’a vu, et l’a appelé en vain. Difficile à croire au pied de la lettre, effectivement. Mais plutôt que de la plaindre, en pensant que si elle faisait usage de sa raison, elle comprendrait qu’elle a été victime d’une confusion, d’une illusion, ou d’un rêve, je me dis peut-être que, dans la profondeur de sa foi, elle a pu atteindre, l’espace d’un moment, une réalité intérieure profonde ou une réalité extérieure qui échappe complètement à notre entendement. Quoi qu’il en soit, total respect!

Face au FN, des réponses invariables depuis plus de trente ans


Cruel exercice que celui effectué par la télévision française hier: elle a enregistré les réactions des politiques de gauche et de droite à la victoire du Front National aux élections régionales de ce dimanche. Leur réponse a été quasi unanime: «on a compris la colèrel’exaspération, ont dit d’autres- des Français».
Le hic, c’est que leurs prédécesseurs, en 1984, avaient eu exactement le même commentaire, quand le Front National de Jean-Marie Le Pen avait frappé un grand coup, en décrochant quelque 10% aux élections européennes de cette année-là. campagne-fn-1984C’était l’époque, on s’en souvient, où la majorité dirigée par feu François Mitterrand avait introduit une bonne dose de représentation proportionnelle en France, dans un calcul machiavélique pour embarrasser la droite: le couvercle, aujourd’hui, est retombé sur le nez de toute la classe politique française.

Rebelote en 2002: à la consternation générale, Jean-Marie Le Pen impose sa présence au deuxième tour de l’élection présidentielle. La France est commotionnée, et les responsables politiques, de gauche comme de droite, expliquent qu’ils ont pris la mesure de «l’exaspération» («de la colère», diront d’autres), des Français.FN-2002-anti-et-pro_scalewidth_906

Jacques Chirac bénéficiera de l’indignation populaire pour se faire réélire dans un fauteuil: il oubliera malencontreusement que des voix de gauche et de droite ont écarté Le Pen de l’Élysée.

Les médias ne sont pas en reste: ce soir, «La Première» diffusait dans «Face à l’Info» une enquête en PACA auprès de sympathisants des Républicains, qui finissaient par se dire fort proches du Front National et à estimer que Marion Maréchal-Le Pen mériterait peut-être de se voir donner une chance de diriger la Région (et tant pis pour les habitants de Provence-Alpes-Côte d’Azur!). Il y a treize ans, après le choc de l’élimination de Lionel Jospin par Jean-Marie Le Pen, l’émission «Là-bas, si j’y suis», depuis lors bannie de l’antenne de France Inter, était partie à la rencontre des électeurs qui avaient donné leur voix à l’extrême-droite française. On y avait, déjà, entendu les habitants de petits villages où ne vivaient aucun étranger vitupérer contre l’excès d’immigrants en France…

Car cette colère, cette exaspération, qui habiterait les Français depuis trois décennies, ne peut évidemment avoir les mêmes causes aujourd’hui qu’avant-hier. Les récents attentats meurtriers de Paris ont probablement pesé sur le vote de ce dimanche, au premier tour des régionales de 2015, mais auparavant?

La mondialisation de l’économie a coûté de nombreux emplois en France… comme ailleurs, ces dernières années: était-ce déjà le cas en 2002 ou en 1984?

Ou alors, doit-on en conclure que les messages de rejet distillés par l’extrême-droite sont de plus en plus efficaces, mais remuent toujours un fond raciste qui, hélas, sommeille peut-être au plus profond de la plupart d’entre nous?

La responsabilité des politiques n’en est pas moins écrasante. Depuis trente ans, ils n’ont donc pas trouvé le moyen de répondre aux arguments populistes de l’extrême-droite? Il est assez stupéfiant, par exemple de voir comment, au cours de cette campagne électorale, personne n’a repris de volée jusqu’ici les candidat(e)s frontistes, en épinglant dans leur programme tout ce qui est contraire aux droits de l’Homme. Et elles sont nombreuses les propositions indécentes que ce programme véhicule!

Les médias, eux aussi, ne doivent pas éluder leur responsabilité. Il n’y a guère, sur ce blog,  j’épinglais la manière dont certains, de semaine en semaine, martelaient que la Belgique allait être confrontée à un afflux incontrôlable de candidats réfugiés. Cette manière de présenter les choses, sans recul, apporte de l’eau au moulin de l’extrême-droite. Non qu’il faille taire le problème des réfugiés, qui, quelles que soient leur motivation, voient dans l’Europe leur seule planche de salut. L’Union européenne, pour rappel, compte 508 millions d’habitants: s’il débarquait même 5 millions de réfugiés, ils ne représenteraient qu’1% de ce total. Impossible à absorber, vraiment? Je n’ai que très rarement lu, vu, ou entendu cette simple notion statistique. Et le Front National en a profité pour déverser ses tombereaux d’hostilité. Mêmes causes, mêmes effets…