L’élection à Madrid annonce des lendemains difficiles en Espagne


Qu’elles soient locales ou régionales, les élections suscitent toujours le même type de réaction, sous toutes les latitudes: si l’opposition en sort gagnante, les partis au pouvoir s’empressent de souligner que les enjeux du scrutin étaient purement locaux, et qu’on ne peut en tirer de conclusions globales. Tandis que les vainqueurs annoncent d’ores et déjà un renversement d’alliances au niveau national, ce qui se produit effectivement… parfois.

Après les élections régionales à Madrid, qui ont vu le triomphe de la liste du Parti Populaire, emmenée par Isabel Diaz Ayuso, il ne paraît pourtant pas présomptueux de prévoir de grandes difficultés pour le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez et pour sa majorité brinquebalante. Surtout après le départ de Pablo Iglesias: la figure de proue du parti Podemos, qui avait quitté son poste de deuxième vice-président du gouvernement national pour descendre dans l’arène madrilène, afin de faire barrage à la droite et à l’extrême-droite, a tiré les conclusions de son échec cuisant, et annoncé son retrait de la politique. Un peu à la manière de Lionel Jospin, jetant l’éponge en 2002, après la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen, le leader du Front National, au second tour de l’élection présidentielle française.

Il faut dire que la déroute a été totale pour Podemos, même si la présidence de Pablo Iglesias lui a permis de gagner trois sièges (10 contre 7) dans la nouvelle assemblée, ainsi que pour toute la gauche madrilène, dont le Parti Populaire a, à lui seul, dépassé le nombre de suffrages (65 contre 58). Or l’espoir du camp de gauche était d’amplifier son résultat global (54 élus) de 2019…

Pour le PSOE, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol du Premier ministre, Pedro Sanchez, la pilule est également amère à avaler, puisque la débâcle de Podemos ne lui a pas bénéficié: il se retrouve à égalité avec la liste écologiste au sein de l’assemblée madrilène. Mais si les «Verts» ont gagné 4 mandats et se retrouvent à 24, les socialistes, eux, en ont perdu 13. C’est donc tout naturellement la liste Más Madrid qui va prendre la tête de l’opposition.

Ce qui est rassurant, à Madrid, c’est que le résultat époustouflant du PP n’a pas permis à l’extrême-droite de progresser: Vox passe de 12 à 13 élus. Le maintien des nostalgiques du franquisme n’en reste pas moins un élément inquiétant dans la capitale espagnole. Ils pourraient même jouer un rôle politique important, puisqu’il manque quatre voix au Parti Populaire pour détenir la majorité dans une assemblée forte de 136 députés…

Autre constat, Ciudadanos, l’autre parti «citoyen», créé, comme Podemos, il y a une quinzaine d’années, a sombré corps et biens: il n’a pas atteint le seuil électoral des 5% et ses 26 sièges sont très vraisemblablement allés… au PP.

A priori, la majorité de Pedro Sanchez, composée du PSOE, du Parti socialiste de Catalogne, et de Podemos, reste en place. Puisque, air connu, l’élection à Madrid s’est jouée sur des enjeux madrilènes.

Le «hic», c’est que ce scrutin a ébranlé le PSOE et Podemos, tandis que le Parti Socialiste de Catalogne, lui, a subi la victoire des indépendantistes lors des dernières élections régionales. Qui oserait dire que le gouvernement Sanchez pourra appliquer son programme comme si rien n’était désormais?

Une nouvelle fois, la balance du pouvoir à Madrid pourrait avoir des répercussions lourdes en Catalogne, où on se souvient que l’attitude fermée de Mariano Rajoy, le prédécesseur conservateur de Pedro Sanchez, et son retrait sur les concessions précédemment faites par le PSOE aux nationalistes catalans, ont conduit à la crispation, à la proclamation unilatérale chahutée d’indépendance du 10 octobre 2017, et à la répression qui s’en est suivie. Un retour de la droite au pouvoir à Madrid étoufferait à nouveau dans l’oeuf toute tentative d’accord amiable entre le gouvernement central et les autorités autonomistes aux affaires à Barcelone.

L’élection à Madrid annonce peut-être tout autant des jours difficiles pour l’Espagne que pour le gouvernement Sanchez…

En Catalogne, les extrêmes se conjuguent


Au lendemain de la manifestation monstre – quelque 565000? – des indépentantistes catalans, ce vendredi, la situation reste confuse en Catalogne. Et le Premier ministre socialiste démissionnaire, Pedro Sanchez, se trouve pris entre deux extrêmes, qui souhaitent tous deux le pousser à la faute: l’extrême-droite réclame l’arrestation du président de la Generalitat, Quim Torra; le Parti populaire, dont il faut rappeler la responsabilité énorme dans la dégradation de la situation en Catalogne, postule l’instauration de l’état d’urgence ou la suspension des autorités catalanes… et les indépendantistes ne souhaitent sans doute rien tant que l’une ou l’autre hypothèse.

Manifs à BarceloneDans l’attente, l’impasse se poursuit. Il ne suffira pas aux indépentantistes catalans de descendre dans la rue pour faire annuler les condamnations, scandaleuses, de leurs leaders emprisonnés et condamnés à de lourdes peines de prison. Et de la même manière, on voit mal comment le calme pourrait revenir.

Une loi qui permet l’incarcération de représentants élus pour «rébellion» ou pour «sédition» n’a pas sa place dans l’arsenal législatif d’un pays démocratique. Les leaders indépendantistes condamnés étaient aussi prévenus de détournement de fonds publics, soit l’organisation d’un référendum considéré comme illégal: ce chef d’accusation ne peut en aucun cas valoir des condamnations de ce type.

Mais comme dans toute société démocratique, le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir politique, et il n’appartient pas au gouvernement Sanchez de renverser cet arrêt, que les condamnés peuvent et vont contester, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme. C’est la voie normale à suivre.

Ce que le ministre espagnol de la Justice pourrait proposer, par l’intermédiaire du parquet, c’est une sortie de prison des mandataires détenus, soit sous forme de liberté conditionnelle, soit après amnistie ou grâce. Mais pareille mesure semble difficile à prendre dans le contexte actuel, car cela reviendrait à paraître céder à la loi de la rue.

La question, désormais, est de savoir comment en sortir. Et donc de savoir comment on en est arrivé là, sans s’arrêter au passé.

  • La responsabilité du Parti populaire dans la dérive de la Catalogne a encore été soulignée ce week-end par le secrétaire général du PSOE. Il l’a fait remonter au gouvernement Rajoy, et à la manière dont il a géré la situation née du référendum organisé, au-delà du mandat qui était le sien, par le gouvernement de Carles Puigdemont en 2017. On doit faire remonter la responsabilité du PP plus loin dans le temps, à l’époque où il a fait annuler le statut d’autonomie conclu avec les autonomistes catalans, avant les gouvernements de droite, par le gouvernement socialiste de Jose-Luis Zapatero. La mise en oeuvre de ce statut aurait peut-être, parce qu’on ne peut pas refaire l’Histoiren évité l’impasse actuelle.
  • Les indépentantistes catalans ont également une responsabilité énorme dans la dégradation de la situation. Faut-il rappeler que s’ils ont obtenu deux fois, par un habile découpage électoral, une majorité en sièges au Parlement catalan, jamais ils n’ont obtenu une majorité en voix dans les urnes? Organiser dans ce contexte un référendum sur l’indépendance, en 2017, était abuser du mandat qui leur avait été confié. Ils le savaient pertinemment; ils avaient correctement anticipé la réaction du gouvernement Rajoy, qui ne faisait que renforcer leurs positions. La conjonction des extrêmes leur a surtout bénéficié.
  • Ce référendum organisé dans ce contexte n’avait aucune chance de donner un résultat clair. Il le pouvait d’autant moins que la campagne électorale qui l’a précédé, à l’instar de la campagne sur le Brexit au Royaume-Uni, n’a jamais abordé des problèmes de fond, mais s’est concentrée sur des arguments sentimentaux, du type «Les Catalans ne sont pas appréciés des Espagnols», ou «Les Catalans ont été opprimés sous le franquisme». Ce dernier point est incontestable… mais les Catalans, ou les Basques ne sont pas les seuls à avoir été opprimés par le franquisme. Et, pour rappel, deux générations nous séparent de la mort du Caudillo, mort en 1975. Quarante-quatre ans après la Seconde Guerre mondiale, les pays européens, qui avaient souffert de l’occupation nazie, se réjouissaient avec les Allemands, de la chute du mur de Berlin, annonciatrice de la réunification des deux Allemagne.
  • Par surcroît, comme lors de la campagne électorale pour le Brexit, cette campagne électorale en Catalogne a été marquée par des mensonges destinés aux électeurs. Les deux principaux étaient de dire que la Catalogne ferait d’office partie de l’Union européenne, et que sa monnaire serat l’euro. Or même si il n’y aurait pas de raison de refuser à une Catalogne indépendante l’accès à l’Europe, elle devrait, comme tout État candidat à l’adhésion, passer par un processus d’adhésion plus ou moins long. Et en principe, l’euro ne pourrait être sa monnaie dans l’intervalle.
  • Le conflit catalan est un affrontement entre deux nationalismes: le nationalisme catalan et le nationalisme espagnol. Les premières victimes en sont les Catalans anti-indépendantistes, qui, pour l’instant, n’oseraient se risquer à afficher leur opinion, hors des nostalgiques du franquisme, dont les saluts fascistes ne peuvent réduire les Catalans anti-indépendantistes à des militants d’extrême-droite. Comme l’a posé Josep Borrell, prochain commissaire européen espagnol et catalan: «les indépentantistes catalans nient la « Catalanité » des Catalans anti-indépendantistes».
  • Pareille forme de nationalisme est à la fois insidieuse est courante: on est un mauvais Catalan si on n’est pas indépentantiste, comme, en Flandre, on est mauvais Flamand si on postule le maintien de la Belgique.
  • La ressemblance entre nationalismes catalan et flamand -ce n’est pas un hasard si Carles Puigdemont est soutenu par la N-VA, dans son exil doré à Waterloo-, ou encore avec les positions de la Lega en Italie (qui était à l’origine une Lega Nord, il faut le rappeler), c’est l’égoïsme d’une région riche, qui ne veut plus contribuer aux mécanismes de solidarité nationaux. Tous ces mouvements nationalistes sont fortement marqués à la droite extrême, voire à l’extrême-droite, y compris en Catalogne, où le spectre indépentantiste va pourtant de l’extrême-gauche à l’extrême-droite.
  • La manifestation de l’intolérance est contenue dans le projet de Constitution catalane, présentée par la coalition Junts pel si, constituée par l’ensemble des partis indépendantistes catalans avant l’élection régionale de 2015. Les dispositions anti-discrimination, se vantaient-ils, étaient intégralement reprise de la Convention européenne des droits de l’Homme. Un seul critère avait disparu dans la transcription: celui de… la langue. Ce qui, en pratique, permettait de craindre que les Catalans hispanophones deviennent, rapidement, des citoyens catalans de deuxième zone.

 

Pour en sortir par le haut, il faut d’abord que les élections prévues les 10 novembre en Espagne se déroulent normalement en Catalogne comme ailleurs. Ce sera peut-être l’occasion de revérifier les forces en présence.

À terme, les Catalans doivent avoir le droit d’organiser un référendum sur leur indépendance, comme l’ont fait les Québécois à deux reprises, ou comme l’ont fait les Écossais. Mais on ne peut accepter que pour de tels référendums essentiels, une simple majorité de 50% plus une voix puisse l’emporter, car cela revient à créer deux camps opposés, comme c’est le cas pour l’instant en Catalogne.

Pour de tels référendums, une majorité significative et indiscutable devrait être requise, d’au moins 60% des voix. Ce qu’on pourrait obtenir par un double verrou: 75% de votants, et 75% de votes favorables parmi les votants. Ce qui revient à un total de 56,25% des électeurs.

Impossible à atteindre? C’est un défi à relever pour les tenants d’un tel référendum.

Antidémocratique? Personne ne l’a prétendu quand l’Union européenne a fixé un seuil de 55% pour le référendum organisé au Monténégro pour se séparer de la Serbie. Ce seuil a été atteint, et la séparation s’est faite en douceur.

Quant les règles du jeu sont connues à l’avance, on ne peut prétendre que le jeu est faussé. Sauf à être de mauvaise foi?

Pour l’instant, l’insurrection qui se prolonge en Catalogne rappelle le discours, prophétique, d’adieu de feu François Mitterrand devant le Parlement européen. «Le nationalisme, avait-il rappelé, c’est la guerre».

La Catalogne et l’Espagne en manque de dirigeants responsables


Les deux coqs de combat qui se font face, dans l’arène catalane, peuvent être satisfaits: Carles Puigdemont se dit sans doute qu’il s’est assuré une place dans les livres d’histoire de la Catalogne, en étant le deuxième, après Lluis Companys en des temps plus lointains, à avoir proclamé ce vendredi l’indépendance de «son pays»; et Mariano Rajoy se voit Article 155peut-être en sauveur de l’unité espagnole, après avoir activé l’article 155 de la Constitution, qui destitue les autorités catalanes en général, et le président de la Generalitat en particulier. Lesquels se soucient vraisemblablement comme poisson d’une pomme de cette initiative. La mise en œuvre de cette mise sous tutelle comporte par ailleurs des menaces très claires pour la liberté de la presse, avec la mise sous tutelle de la radio-télévision catalane, accusée sans preuve formelle par Madrid de soutenir la cause indépendantiste.

Tout cela serait ridicule, s’il n’y allait des conditions de vie des Catalans eux-mêmes, dans une prétendue république qui ne sera reconnue par personne, hors quelques groupes autonomistes de ci de là, et si la dégradation de la situation politique dans la région et dans le pays n’était potentiellement explosive, surtout dans le contexte électoral qui balisera les semaines à venir, jusqu’au 21 décembre.

Les événements de ce vendredi témoignent, hélas, de l’irresponsabilité des principaux acteurs de cette confrontation, qui démontrent à leur manière la différence qui sépare les hommes et femmes d’État, qui transcendent leurs intérêts partisans pour s’attacher à la défense de l’intérêt général, des simples politiciens, qui ne songent qu’à leur intérêt électoral.

PokemonCarles Puigdemont tout d’abord. Le matamore catalan n’a pas fait preuve d’une grande constance ces derniers jours, en ne se désistant qu’au dernier moment de l’invitation qui lui avait été faite de venir défendre son point de vue devant le Sénat espagnol, qui devait précisément débattre de l’application de cet article 155. Puis en négociant plus ou moins secrètement avec Madrid sur l’organisation d’élections régionales, avant de se désister pour éviter la scission, au sein de son camp, avec la frange la plus indépendantiste de sa fragile majorité, celle des républicains du CUP.

Mais l’escroquerie du camp indépendantiste se situe d’abord dans la référence qu’ils font au référendum du 1er octobre dernier pour fonder leur déclaration unilatérale d’indépendance sur la volonté populaire. Que la réaction de l’État espagnol à l’organisation de ce référendum illégal à ses yeux (cf. ci-dessous) ait été ou non inappropriée, on ne peut en aucun cas dire qu’il a dégagé une majorité significative en faveur de l’indépendance de la Catalogne. D’autant qu’avant les tracasseries administratives et les violences policières qui ont marqué le déroulement de la consultation, les intimidations à l’égard des anti-indépendantistes suffisaient déjà à mettre en doute sa régularité.

Mais la tromperie réside surtout dans la manière dont les partis indépendantistes catalans ont transformé une élection régionale, qui ne leur a pas donné une majorité en voix faut-il le rappeler, en consultation sur l’indépendance, mais sans avoir, au cours de la campagne électorale, expliqué concrètement, sinon par des slogans creux, comment ils allaient concrètement réaliser cette indépendance. La Catalogne se retrouve ainsi dans la position du Royaume-Uni, forcé de négocier sa sortie de l’Union Européenne après une campagne électorale mensongère, et qui se retrouve bien démuni pour assumer les conséquences concrètes de son acte. Côté catalan, les indépendantistes avaient, eux, affirmé contre toute vérité juridique, qu’une Catalogne indépendante ferait d’office partie de l’Union Européenne. La réaction des entreprises qui quittent déjà son territoire confirment le caractère trompeur de l’affirmation.

RajoyMais Mariano Rajoy porte lui aussi sa part de responsabilité dans la dégradation de la situation dans la péninsule ibérique.

Sa manière de contrecarrer un référendum dont il avait par avance annoncé qu’il ne reconnaîtrait pas le résultat a eu pour effet de transformer une majorité probable du «non» – pour rappel, un sondage commandé par la Generalitat, juste avant le scrutin, annonçait 49% de rejet de l’indépendance pour 41% d’approbation, avec une dizaine de pour-cents d’indécis- en une possible majorité de votes favorables.

Le Premier ministre espagnol a singulièrement manqué de sens de l’État quand il a invité le gouvernement autonomiste catalan à organiser des élections pour se redonner une légitimité démocratique, mais tout en se gardant bien de prendre le même engagement pour lui-même. S’arc-boutant au texte de la Constitution, qu’il est chargé de défendre, il a omis, aussi, d’annoncer, en même temps qu’un retour aux urnes espagnoles, un débat pour modifier cette Constitution dans le sens, par exemple, d’une fédéralisation accentuée de l’Espagne, où toutes les régions jouiraient de prérogatives identiques. Le processus est bien connu en Belgique, où, s’il n’a pas toujours été maîtrisé, il a permis de rencontrer la plupart des aspirations des uns et des autres, dans des compromis qui n’ont donné entièrement satisfaction à personne, mais d’où toutes les parties ont pu ressortir avec la satisfaction d’avoir obtenu gain de cause sur un certain nombre de revendications.

Puigdemont et Rajoy réunis portent ensemble une responsabilité évidente devant les événements violents qui pourraient émailler une campagne électorale explosive en Catalogne, où les arguments passionnels remplaceront à coup sûr un débat sensé sur les conditions dans lesquelles les indépendantistes entendent réaliser l’indépendance de la Catalogne, et sur les motifs que les adversaires de l’indépendance peuvent leur opposer.

La fièvre nationaliste marquera à coup sûr cette campagne: nationalisme catalan contre nationalisme espagnol, comme les manifestations dans les rues de Barcelone et d’ailleurs le démontrent déjà depuis quelque temps. Et au risque de me répéter, je rappellerai une nouvelle fois la mise en garde de feu François Mitterrand, dans son discours d’adieu au Parlement européen: «le nationalisme, c’est la guerre!». La guerre des mots et des symboles est effectivement engagée en Catalogne…

La Catalogne indépendante peut-elle se bâtir sur une minorité?


Incapables de s’entendre sur un programme gouvernemental, les nationalistes catalans de tous poils se sont donc entendus pour mettre sur rails le processus d’indépendance de la Catalogne. Un vote acquis avec une majorité étroite (72 députés sur 135, c’est-à-dire cinq petits sièges) qui cache dans les faits une minorité électorale, puisque, aux élections de septembre dernier, transformées par eux en référendum de fait sur l’indépendance catalane, la coalition «Junts pel Si» et l’extrême-gauche nationaliste n’avaient totalisé que 48% des votes.

Bras de fer en CatalogneBien sûr, on pourra toujours faire observer que cette élection n’était qu’un ersatz de référendum, après le rejet par la Cour constitutionnelle espagnole du projet initial de référendum présenté par les indépendantistes catalans.

Le plus cohérent serait donc de procéder à un véritable référendum, qui donnerait vraisemblablement un résultat aussi serré. Et jusqu’à présent, il faut bien constater que des référendums de ce type, que ce soit au Québec ou en Écosse, ont toujours été défavorables aux tenants de l’indépendance, fût-ce parfois de toute justesse.

En l’état, il est en tout cas difficile aux nationalistes catalans de parler de démocratie, puisqu’ils engagent leur région dans un processus incertain (contre l’avis non seulement des responsables politiques européens mais de très nombreux spécialistes du droit communautaire, ils ont présenté l’appartenance à l’Union Européenne comme allant de soi, lors de la campagne électorale de septembre dernier; ils n’ont pas abordé la question de la monnaie de l’hypothétique république catalane, laissant entendre que ce serait l’euro…) sans disposer d’une majorité démocratique. Une situation de tension se crée ainsi, qui me rappelle le dernier discours de feu François Mitterrand devant le Parlement européen. «Le nationalisme, c’est la guerre» avait lancé le président français, au moment de quitter sa fonction; les faits lui donnent raison dans la plupart des cas.

Retour en Espagne: le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a, sans surprise, aussitôt condamné l’initiative du parlement catalan, mais en se référant au cadre législatif espagnol, que les indépendantistes catalans rejettent, et non le déni de démocratie dont leur initiative est porteuse. Un député anti-indépendantiste a plus justement qualifié les choses au Parlement catalan, en dénonçant le «mur» que les nationalistes veulent ériger entre la Catalogne et l’Espagne.

Les prochaines élections générale en Espagne changeront-elles la donne? Une majorité différente ouvrirait peut-être la voie à un référendum en Catalogne. Un référendum qui permettrait de trancher la question. À condition de fixer au départ le niveau de majorité requis (50% plus une voix peuvent-ils suffire pour pareille décision capitale?) pour emporter la décision d’indépendance. Mais les nationalistes catalans voudront-ils, maintenant, engager la partie?