La noblesse ne se décrète ni ne se transmet: elle s’acquiert


Interview en direct sur la Première, ce lundi matin; double page dans un grand quotidien bruxellois; conférence de presse l’après-midi; longue interview en direct dans le journal télévisé d’hier: la dame qui faisait ainsi l’objet de toutes les attentions méritait-elle tant d’honneur, après avoir subi tant d’indignité? Nombre de téléspectateurs ont eu l’impression qu’on les distrayait de problèmes bien plus importants: la pandémie de coronavirus qui reprend, notamment. Ou les remous à la tête du MR où la gestion «despotique», favorisant «le népotisme», et aux pratiques digne d’un «clan mafieux» du président, pour reprendre les mots d’une de ses principales opposantes, jetait déjà une ombre sur le tout nouveau gouvernement fédéral.

On ignore par ailleurs si, au fond de son tombeau, Ernst Ier a apprécié de voir ainsi la justice belge ajouter une descendante de plus à un arbre généalogique fort fourni, dont les branches s’étendent, outre la Belgique et le Royaume-Uni, jusqu’au Portugal, en Bulgarie, en Roumanie et ailleurs. Mais son surnom, «le Pieux», laisse entendre qu’il n’en aurait pas forcément été heureux. Évidemment, depuis 1675, année de son décès à l’âge d’un peu plus de 73 ans, le monde a bien changé…

Pour en revenir à la «pauvre petite fille riche» qui faisait ainsi l’objet de toutes les attentions, on est partagé entre deux sentiments: la satisfaction de voir une femme obtenir de la justice sa filiation exacte; et l’agacement devant certaines de ses affirmations. Celle, par exemple, de n’avoir jamais voulu se voir consacrer princesse de Belgique: tout qui a eu un dossier à plaider en justice sait qu’il suffit de détailler à son avocat ce qu’on souhaite et ce dont on ne veut pas, et que son mandat lui impose de suivre les desiderata de son client. Et l'(onéreux) avocat de cette personne connaît suffisamment son métier pour s’y conformer. Il n’aura d’ailleurs pas manqué d’informer sa cliente des tenants et aboutissants de pareille démarche.

Autre attitude désagréable de la plaignante: le mépris qu’elle témoigne à présent à l’égard d’une famille qui lui a offert son nom, et au sein de laquelle elle a vécu quand même pendant de longues années. Faut-il y voir le signe qu’elle n’y a jamais été acceptée, voire simplement tolérée? Si tel est le cas, il faut bien en conclure qu’être «bien plus riche que la famille royale belge», comme elle l’a dit, ne suffit pas à avoir une richesse de cœur.

Pour la première fois, au cours de cette conférence de presse, elle a parlé de sa mère. Pour dire que, maintenant que l’affaire est close, elle a renoué avec elle, après une fâcherie qui, manifestement, a duré des années. Ce silence prolongé était tout de même assez étrange, car entre les deux hommes dont elle voulait, l’un renier sa paternité, l’autre imposer sa reconnaissance, il y avait tout de même une femme, dont on ne m’empêchera pas de penser qu’à travers toute cette procédure, elle a cherché vengeance. Vengeance de quoi? De ne pas être devenue princesse elle-même, après un divorce qu’i n’est jamais venu? Ou de femme flouée qui avait nourri les plus grands espoirs après avoir donné naissance à la fille d’un authentique prince de sang?

De l’autre côté du prétoire, l’attitude n’a pas été plus brillante. Bien sûr, on peut comprendre que le caractère public donné à l’affaire, avec l’emballement médiatique que cela a provoqué, a suscité de l’amertume. Car il doit avoir été d’autant plus humiliant, pour un ancien chef de l’État, de se soumettre à un test ADN, comme un vulgaire quidam, qu’il en connaissait d’avance le résultat.

Son attitude s’explique peut-être, mais ne s’excuse pas pour autant, par le fait qu’il a pu croire que cette «affaire privée» se résoudrait d’elle-même, comme l’ont été les incartades de son père, Léopold III, dont certain arbre généalogique familial d’une vieille famille noble de Belgique porte une trace dont les historiens n’ont jamais parlé voire n’ont jamais eu connaissance; ou de son arrière-grand-oncle Léopold II, que la presse de l’époque a largement brocardé lorsqu’il a anobli sa dernière maîtresse et les deux enfants qu’elle lui avait donnés.

Manifestement, une démarche personnelle, il y a bien des années, aurait pu, aurait dû, régler la question de manière élégante. On ne peut s’empêcher, en l’espèce, de penser à la manière dont feu François Mitterrand, souverain non couronné de la Ve République, a reconnu la fille qu’il avait eue hors mariage, pouvant compter alors, évidemment, sur le silence complice d’une presse qui savait faire la distinction entre vie privée et vie publique, même d’un personnage aussi public. L’image de sa double vie s’est révélée au monde lors de ses funérailles, mais dans un climat qui n’avait rien à voir avec la rancœur et l’hostilité qui ont entouré toute cette affaire chez nous.

Ernst le Pieux peut bien se retourner dans son tombeau, la morale de cette histoire est claire: la noblesse ne peut se décréter en justice; elle ne se transmet pas non plus par l’hérédité, quand bien même cette transmission est la règle et donne accès à un almanach suranné.

La vraie noblesse, j’ai déjà eu l’occasion de le signaler sur ce blog, on la trouve à d’autres endroits, bien plus inattendus, et largement ignorés du monde. Chez ce couple, où le père des deux derniers enfants de son épouse adopte ses trois premiers, afin que tous soient sur pied d’égalité. Chez ces bénévoles qui apprennent à lire et à écrire à des adultes illettrés et honteux de l’être. Chez ces volontaires qui se mobilisent pour donner un avenir à une petit gamine handicapée physique depuis sa naissance. Tous ces gens à qui la radio, la télévision, ou un grand quotidien bruxellois ne donneront jamais la parole. Parce qu’ils ne les connaissent pas.

Permis de diffamer?


Les mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19 suscitent, à juste titre, de nombreuses questions. Celles qui ont été mises en place récemment sont d’autant plus difficiles à supporter qu’elles sont survenues en pleine période de canicule, et qu’elles ont succédé à une période où le retour à une vie normale semblait s’amorcer. Le rejet de la visière, beaucoup plus supportable en période de grandes chaleurs, m’est notamment apparu assez absurde, dès lors que j’avais pu en mesurer l’efficacité depuis le début de la pandémie.

La manière dont les chiffres sont présentés dans notre pays a particulièrement suscité de nombreuses interrogations. Utiliser des pourcentages pour décrire l’augmentation du nombre de cas, d’hospitalisations, de patients en réanimation, ou de décès est apparu singulièrement incongru, dès lors qu’on reste très loin des données constatées il y a quelques mois.

Parmi ces critiques, il est en est de fondées, qui ont été suivies d’effets: c’est le cas de la remarque de l’ancien recteur de l’université de Liège, Bernard Rentier, qui a requis, et obtenu, que l’augmentation du nombre de cas constatés soit mise en relation avec le nombre de tests pratiqués. Et la statistique, là, est nettement moins anxiogène.

À titre personnel, je pense qu’il serait de l’intérêt général d’étendre la démarche. En se rappelant que crier au loup en permanence n’est pas productif, puisque dès que le loup se présente, plus personne ne prend garde.

Mais à l’inverse, les plaidoyers contre le port du masque obligatoire au nom de la liberté individuelle ne peuvent être reçus. Une contamination n’est pas définition pas uniquement individuelle: l’individu porteur devient vecteur de transmission dans son entourage, éventuellement vers des personnes plus vulnérables. S’opposerait-on, dans la même logique, à l’obligation de rouler à droite, au nom de la liberté individuelle?

Le débat pourrait, ou devrait se dérouler de manière courtoise. Argument contre argument. L’exemple du Pr Bernard Rentier, cité plus haut, en est un exemple. On peut aussi citer l’astrophysicien Aurélien Barreau, dont la mise au point (https://www.facebook.com/trentemillejours/posts/584597305588737) est solidement argumentée.

Par contre, les théories complotistes ne trouvent aucune grâce à mes yeux. Et à ce titre, une séquence du JT de la RTBF, ce dimanche à 13 heures, me pose grave question. Elle était consacrée à la manifestation de quelques centaines de personnes opposées au port obligatoire du masque, devant la Bourse de Bruxelles.

Cette manifestation, aussi peu représentative soit-elle, devait être couverte. Malgré le nombre très restreints de participant(e)s. Parce qu’elle faisait écho à d’autres manifestations, dans d’autres pays d’Europe, dont la plus importante a eu lieu à Berlin, il y a peu.

Donner la parole aux manifestant(e)s était une chose, leur laisser raconter n’importe quoi, et notamment diffamer publiquement des personnes en est une autre. Une intervenante ( voir son intervention entre 2’33 » et 2’50 » sur https://www.rtbf.be/auvio/detail_jt-13h?id=2669225) a ainsi développé une thèse ubuesque mettant en cause les grandes firmes pharmaceutiques, qui orchestreraient toute la campagne sur la pandémie afin de réaliser de plantureux bénéfices au moment où un vaccin sera prêt. Et qui stipendieraient entre-temps des experts pour porter le message en télévision. Et cette dame d’accuser publiquement les Prs Marc Van Ranst et Yves Van Laethem de percevoir «des petites enveloppes des lobbies pharmaceutiques». Avant de conclure d’un ton péremptoire «ça, tout le monde l’a vérifié, ici en tout cas. On est au courant!».

Ah bon, des virologue véreux? Et l’intervenante en avait la preuve? On s’attendait à une relance sur le sujet, à l’administration de cette preuve. Rien n’est venu: le reportage a glissé comme si rien n’était. Un peu mal à l’aise, sans doute, le présentateur du JT, Laurent Mathie, a conclu (3’50 ») «On laissera à chacun la responsabilité de ses propos»

C’est un peu court. La reproduction de pareilles accusations dans un média écrit vaudrait à l’auteur(e) de l’article une plainte en diffamation, en même temps que celle visant les personnes qui profèrent des accusations aussi graves.

Les règles diffèrent-elles en télévision? Je n’en suis pas sûr. La RTBF a en tout cas réagi en supprimant ces propos diffamatoires de la séquence, reprise au JT de 19h30, consacrée à cette manifestation. Au risque de se faire accuser de censure, comme les médias «mainstream» qui se rendraient complice de cette mystification: le phénomène s’était déjà manifesté lors de la récente crise des «gilets jaunes»…

Peut-être cela nécessiterait-il un recadrage des jeunes et des futur(e)s journalistes? Pour leur rappeler que le métier n’est pas simplement de tendre le micro, mais de mettre en perspective. De réagir à ce qui est dit. Et donc de ne pas publier des pseudo-informations… impubliables.

Nom de Dieu, il va manquer!


Invité d’Eddy Caekelberghs sur «La Première», Edmond Blattchen a eu, ce soir, le privilège rare d’entendre son éloge «funèbre» de son vivant: «Face à l’info» a refait entendre certains des invités qu’il a, au fil des mois, fait parler du sens de la vie, et donc de la mort, dans son émission «Noms de dieux», dont la «Une» livrait ce soir le deux centième et dernier numéro. Tandis que d’autres disaient, en direct, tout le bien (parce qu’on ne dit pas de mal de quelqu’un qui s’en va?) qu’ils ou elles pensaient de cette émission hautement atypique.

Une émission que seule, une chaîne publique aurait pu permettre, a conclu Edmond Blattchen en concluant par «RTBF» une émission qu’Eddy Caekelberghs lui avait demandé de ponctuer d’un dernier mot. Le commentaire était particulièrement judicieux. On peut simplement se demander si, vingt-trois ans après le lancement de cette émission philosophique assez unique en son genre sur les chaînes francophones, la RTBF donnerait encore le feu vert aujourd’hui à ce type d’initiative. Car, et le constat ne vaut pas que pour elle, la télévision publique en Europe s’est de plus en plus inspirée de sa concurrente privée. Plus souvent pour le pire que pour le meilleur.

Edmond BlattchenRetour sur Edmond Blattchen: oserais-je avouer qu’il y a plus de décennies, l’ancien animateur des «Chansons qui vous ressemblent» et de «Chansong» avait sacrément surpris, en se lançant dans ce type d’émission philosophique. On n’avait, jusque-là, guère pu prendre la mesure de son érudition, et de sa capacité remarquable à faire se confier ses invités, en ne les interrompant que par de courtes questions, toujours remarquablement documentées.

Au moment où Edmond Blattchen quitte l’antenne, je ne peux m’empêcher de repenser à deux images fortes qu’il a laissées: l’une publique et forte, l’autre discrète et profonde.

L’image publique et forte, c’est celle de Blattchen en colère, tirant sa chemise pour montrer la cicatrice que lui avait laissée sur la poitrine une intervention chirurgicale rendue nécessaire pour combattre un cancer du poumon provoqué par la cigarette: c’était un soir de controverse télévisée, sur la RTBF, entre partisans et adversaires de la publicité pour le tabac, à l’époque où sa probable interdiction laissait peser une menace sur le Grand Prix de Belgique de Formule 1.

L’image privée, c’est celle d’Edmond Blattchen en ami fidèle, assistant aux obsèques de mon confrère feu Jean-Francis Dechesne, il y a un peu plus de onze ans. Jean-Francis s’était fait le chroniqueur attitré de «Noms de dieux» dans le journal qui (air connu) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût. Et, apprenant son décès brutal, Edmond Blattchen, avec lequel  il n’avait sans doute pu s’empêcher d’échanger l’une ou l’autre réflexion philosophique voire métaphysique, avait tenu à participer à son dernier adieu.

«Face à l’info» aura apporté un éclairage sur sa démarche journalistique: sa demande, à ses invités, d’écrire à leur façon «Noms de dieux» procédait peut-être, a-t-il révélé, de la colère de son père, Edmond Blattchen père, qui, mis au mur par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale, à l’âge de six ans à peine, avait décidé qu’on supprimerait l’«Umlaut» avec lequel devait s’écrire la lettre «a» de son nom de famille, légué par son propre père, Prussien d’origine. L’émission a laissé par contre une question ouverte: quelle autre émission de réflexion et de débat la RTBF proposera-t-elle pour succéder à «Noms de dieux».

Quant à nous, il nous restera la possibilité de voir et de revoir les anciens numéros, et leurs invités, toujours en vie ou disparus. De grands moments de télévision.

Un témoignage impressionnant

Et, à propos d’invités, j’avoue avoir été impressionné par le témoignage de Latifa Ibn Ziaten, la deux centième et dernière interlocutrice d’Edmond Blattchen. Ni une théologienne, ni une poétesse, ni une scientifique, ni une femme politique: une mère blessée dans sa chair par l’assassinat de son fils, Imad, un militaire abattu par Mohammed Merah, le 11 mars 2012 à Toulouse. Cette blessure, symbolisée par le béret de son fils, dont elle ne se sépare jamais, ne se refermera plus. Mais cette femme que rien ne destinait à pareil destin, et qui s’exprime très simplement («C’est très important» a-t-elle dit à de multiples reprises au cours de l’entretien, pour souligner son propos) a mieux expliqué que bien des exégètes le sens profond du djihad, pour un(e) croyant(e): c’est la démarche qui l’a poussée à ne pas se refermer sur sa douleur, mais à s’en servir pour aller vers les autres, pour tenter de comprendre le geste de l’assassin de son fils, et pour tenter d’éviter à ses semblables éviter une dérive similaire. Par exemple en leur offrant des conditions de détention digne: à l’heure où près d’un tiers des électeurs français ont voté pour le Front National, le message prend tout son sens. D’où le livre qu’elle a écrit («Mort pour la France»), et l’association qu’elle a créée (www.association-imad.fr)

Cela lui a valu des honneurs; cela l’amène de voyager dans divers pays, pour rencontrer des mandataires politiques ou des représentants de la société civile; cela a fait d’elle une vedette médiatique, mais rien de tout cela ne lui est monté à la tête.

Un des moments les plus poignants de l’émission a été celui où elle a raconté qu’en pèlerinage à La Mecque, elle y a vu son fils assassiné. Les esprits rationnels mettront sans doute cela sur le compte de l’émotion du lieu et du moment. Sa propre belle-mère, qui l’accompagnait avec son mari dans ce pèlerinage essentiel pour les musulmans, lui a dit qu’elle avait cru voir son fils assassiné. Mais Latifa Ibn Ziaten n’en démord pas: elle l’a vu, et l’a appelé en vain. Difficile à croire au pied de la lettre, effectivement. Mais plutôt que de la plaindre, en pensant que si elle faisait usage de sa raison, elle comprendrait qu’elle a été victime d’une confusion, d’une illusion, ou d’un rêve, je me dis peut-être que, dans la profondeur de sa foi, elle a pu atteindre, l’espace d’un moment, une réalité intérieure profonde ou une réalité extérieure qui échappe complètement à notre entendement. Quoi qu’il en soit, total respect!

Marchands de papier et non plus hommes de presse…


Bernard Marchand«Autrefois, un journal s’achetait; aujourd’hui, il faut le vendre…»: la phrase de Bernard Marchant, administrateur-délégué du groupe Rossel, au micro du «Question à la une» consacré à la « presse populaire» résume bien le drame de la presse quotidienne francophone belge: jadis, elle était dirigée par des hommes de presse, aujourd’hui, elle est managée par des marchands de papier. C’est peut-être là une explication de son déclin: comme je l’ai plusieurs fois exprimé sur ce blog, et ailleurs, la presse écrite quotidienne francophone doit être le seul secteur économique en difficultés qui a désinvesti massivement, ces dernières années, de son cœur d’activité, la production d’informations. Avec le résultat que l’on sait.

La presse populaire est-elle l’exception qui confirme la règle? «Questions à la une», le magazine d’enquête de La Une, a tenté de répondre à la question, et après avoir loupé l’émission en direct, je l’ai visionnée ce matin aux aurores, afin de me faire une opinion.

3980f93Les interventions de Bernard Marchant et de son homologue d’IPM, Denis Pierrard, pour défendre les titres populaires de leur groupe respectif m’ont beaucoup amusé. D’habitude, on les voit plutôt se présenter en patrons de leurs «quality papers», comme ils aiment à le proclamer, «Le Soir» et «La Libre», et on n’est pas sûr, soit dit au passage, qu’ils se plongent régulièrement dans «Sud Presse» ou dans «La Dernière Heure». Mais qu’importe, il leur fallait assumer ces quotidiens. Et, de manière on suppose involontaire, Bernard Marchant, a égratigné les journalistes du « Soir», en insistant sur «l’audace» de leurs consœurs et confrères de «Sud Presse», qui ne sont pas, a-t-il insisté, «des journalistes ran-plan-plan» (sic). Sous-entendant donc que les autres le sont, à commencer par les journalistes du «Soir»?

Revenons à l’émission en elle-même: descendant de sa tour Reyers, la RTBF allait une nouvelle fois, en se pinçant le nez, à la recherche de la presse populaire. Avec une double question: est-elle accrocheuse ou racoleuse? Pour arriver à la conclusion qu’elle est… accrocheuse et racoleuse. Fallait-il donc toute «une enquête pendant un laps de temps important», comme on l’explique à la RTBF, pour arriver de cette question à cette conclusion? Les uns diront que le constat étant posé à l’avance, il n’y avait pas lieu d’enquêter. Les autres que, la séquence n’ayant pas réussi à trancher, c’est qu’elle n’est pas allée au fond des choses.

La démarche partait apparemment d’une forme de dédain pour le journalisme «de caniveau»: au bilan, les journalistes et rédacteurs en chef de «Sud Presse» et de «La Dernière Heure» en sont sortis grandis. Car le travail qu’ils font est incontestablement journalistique. Un journalisme qui n’est pas le mien, mais qui est du journalisme. Qui joue la carte «populo» et donc est à la fois accrocheur et racoleur. Le «Bild Zeitung», en Allemagne, ne fait rien d’autre, dont l’argument de vente principal est la taille des seins des pin-ups qu’il exhibe à longueur de page. Ses méthodes sont beaucoup plus critiquables, ainsi que Günther Wallraf les avait décrites, il y a longtemps déjà, dans son livre «Le journaliste indésirable». Mais tout responsable politique allemand sait que, pour toucher le grand public, il faut passer par le «Bild». Ce qui ne suppose pas approuver sa ligne rédactionnelle. L’attaché de presse de la ministre wallonne Éliane Tillieux, qui a connu une vie de journaliste chez «Sud Presse», n’a rien dit d’autre.
L’enquête (?) de «Question à la une» a manqué singulièrement de biscuits. Elle n’avait pas le mordant d’une émission, déjà lointaine, de Jean-Claude Defossé, qui mettait «Les pieds dans le plat», et dans un numéro consacré à «La Presse», avait affronté feu Wally Meurens, alors rédacteur en chef de «La Meuse» avec un dossier déontologique (déjà) en béton, où il avait même lu, à la grande surprise de votre serviteur et de Martine Simonis, secrétaire générale de l’AJP, un projet d’avis alors en cours de discussion au Conseil de déontologie de l’Association des Journalistes Professionnels. Ce conseil était l’ancêPQ people 1tre de l’actuel Conseil de Journalisme, qui, ces derniers mois, a lui aussi eu à connaître d’un (grand) nombre de dossiers relatifs à «Sud Presse».

Elle n’avait pas non plus l’ironie d’un «Écran témoin» bien plus ancien (quarante ans au moins), dont le présentateur avait mis le défunt patron de la rédaction du «Monde» dans un cruel embarras: le directeur de la rédaction d’«Ici Paris», un journal de caniveau de l’époque, ayant affirmé qu’il se tenait informé de l’actualité, notamment en lisant «Le Monde», et qu’il n’écrirait donc pas n’importe quoi, le présentateur, avec un sourire ironique, avait demandé à Fauvet s’il lui «rendait la politesse». Embarrassé, le mythique directeur du «Monde» s’était lancé dans de très longues explications pour dire qu’il n’avait pas vraiment le temps de lire «Ici Paris» et bien d’autres publications.

Presse populaire 2Ici, rien de tout cela. Quand l’émission a par exemple abordé le titre de «Sud Presse» qui proclamait «Justice est faite» après la mort violente des frères Kouachi, auteurs du massacre de Charlie-Hebdo, le 7 janvier dernier, et d’Amedy Coulibaly, auteur d’une prise d’otages, le même jour, dans une superette kasher à Paris, elle ignorait, ou n’a pas voulu aborder, l’incident qui a suivi, quand un chef d’édition du groupe n’a dû qu’à la solidarité professionnelle de ne pas être viré, pour avoir osé critiquer le titre en interne. Interroger le rédacteur en chef sur cette ouverture très particulière à la critique interne aurait éclairé d’une lumière particulière sa gestion de la rédaction. Il aurait peut-être aussi été significatif de s’interroger sur le nombre très restreint de témoignages de journalistes dans ce dossier…

Et puis, quand on veut laver plus blanc que blanc, il faut aussi veiller à être soi-même impeccable. Mon collègue Martial Dumont, dans le canard qui (air connu) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût, a déjà souligné la négligence de la journaliste, qui a présenté Me Jean-Philippe Mayence comme un avocat pénaliste, mais pas comme le défenseur de Bernard Wesphael, quand il exprimait ses critiques sur un titre de «une» de «Sud Presse» qualifiant d’«assassinat» les fait qui vaudront bientôt à l’ancien élu «vert» de se retrouver devant une cour d’assises.

Était-il opportun aussi, de demander l’avis d’un analyste universitaire éminent… qui a été en charge, il y a quelques années, d’un travail pour Sud Presse? Il ne manque pas, en Belgique, d’analystes du secteur, en choisir un autre aurait été plus prudent.

Enfin, il aura échappé à beaucoup de monde, mais pas aux professionnels de l’information, que le tableau statistique qui présentait l’évolution de vente des quotidiens belges, pour montrer que la presse populaire souffre moins que la grande (?) presse nationale… omettait celles du groupe qui (air connu, bis) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût. «Choix éditorial indépendant» se défend la RTBF. La chaîne publique aime se draper dans sa dignité outragée, pour défendre une mauvaise cause. L’information était tout simplement tronquée. Et si elle l’était volontairement, le cas est grave: il y avait alors volonté délibérée de montrer qu’une troisième voie est possible entre journalisme élitiste et journalisme de proximité!

Un thème de réflexion pour un prochain «Question à la une»?

Une belle leçon de journalisme


L’interview de Damien Thiéry, le bourgmestre non-nommé de Linkebeek, réalisée en direct par notre consœur Nathalie Maleux, dans le journal télévisé de la mi-journée, sur La Une, mériterait d’être montré dans les écoles de journalisme. Cette interview a été menée sans complaisance, et sans agressivité, et, surtout, elle a relayé les questions que le téléspectateur moyen se posait, après l’annonce du ralliement au MR de ce poids lourd du FDF.

http://www.rtbf.be/video/detail_jt-13h?id=1879855

nathalie_maleux-jt_rtbf-20120126-1-by_pouce_tnRalliement au MR? Mais n’est-ce pas ce même Damien Thiéry qui, il y a quelques semaines à peine, disait que l’accord sur la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde, défendu par le président du MR, Charles Michel, était «un leurre, une roulette russe»? Toujours membre du FDF, le mayeur non-nommé de Linkebeek défendait alors la ligne du parti d’Olivier Maingain, qui avait rompu avec les libéraux notamment en raison de la divergence de vues qui les opposait sur cet accord communautaire?

Sans doute un peu pris au dépourvu, Damien Thiéry a pris la tangente, en rappelant «l’excellente collaboration entre les deux partis», avant cet épisode, puis en tenant d’expliquer la subtile différence entre le renvoi des dossiers litigieux des bourgmestres non-nommés de la périphérie devant une chambre bilingue du Conseil d’État alternativement présidée par un magistrat flamand ou francophone, et le renvoi devant la Cour constitutionnelle. Mais Nathalie Maleux, à nouveau, l’a interrompu, en lui signalant que les téléspectateurs risquaient d’être «noyés», et en lui demandant d’expliquer en quelques mots comment il pouvait aujourd’hui rallier un parti dont il expliquait naguère qu’il «n’avait pas la même conception du mot « respect » que (lui)» et qui ne «rêv(ait) que d’accéder au pouvoir». Le tout dit sans la moindre agressivité dans le ton.

On peut imaginer aujourd’hui que notre consœur est vilipendée au MR, et couverte de louanges au FDF. Et si tel est le cas, on a tort dans les deux partis. Car, au risque de me répéter, Nathalie Maleux a fait là un simple travail journalistique de décryptage, en mettant un responsable politique devant ses propres déclarations contradictoires.

Ce qui rend cette interview politique remarquable, c’est peut-être, malheureusement, qu’elle devient rare, notamment en télévision. La préoccupation du «buzz» sur le Web; la recherche de la «petite phrase» qui fera mouche ont pris le pas, dans bien des rédactions, sur la vraie interview, celle qui n’est pas là pour permettre à l’interviewé(e) de dérouler son message sans la moindre contradiction; celle qui permet au public de se faire une opinion sur le bien-fondé de tel ou tel message. L’interview de Damien Thiéry par Nathalie Maleux démontre, si besoin en était, qu’une interview bien faite peut encore bien mieux retenir l’attention. Parce qu’elle est bien faite, précisément. On en redemande!

Le latin venu à pied du fond des âges….


Avec «Merci Professeur» et d’autres rubriques, TV5 Monde illustre régulièrement la langue française, en précisant l’orthographe de divers mots, ou en situant l’origine de certaines expressions.

C’est ainsi que, ce matin, elle expliquait que l’amitié entre porcs, que personne n’a jamais pu vérifier au demeurant, n’a absolument rien à voir avec la célèbre expression «copains comme cochons». Le mot «cochon», rappelait-elle à toutes celles et ceux qui l’avaient appris, et apprenait-elle à toutes celles et tous ceux qui, comme moi, l’ignoraient complètement, est une déformation du mot ancien «soçon», lui-même dérivé du latin «socius»: ami, associé (ce dernier terme manifestant d’ailleurs clairement sa filiation).

dyn004_original_720_540_pjpeg_2669699_848880771c9182afc272f40580f78b78TV5 Monde ne pratique (évidemment) pas le wallon. Et ignore donc qu’en wallon de Namur, le mot «soçon» ou «sosson» désigne toujours un compagnon, un copain, un compère, un ami. Notamment dans l’affectueux «vî sosson».

Le Liégeois, lui, parlera de son «vî coyon», et, à la lumière de ce qui précède, on imagine bien que le terme, à forte connotation sexuelle (un peu comme le… cochon français), est lui-même une déformation de celui que le wallon de Namur a conservé dans sa forme primitive.

Si besoin en était, voilà qui rappelle encore la belle expression de Julos Beaucarne, qui a décrit le wallon comme «le latin, venu à pied du fond des âges…».

Paradoxe: la langue wallonne se pratique de moins en moins, mais le théâtre wallon, lui, connaît une nouvelle vigueur. Au point que la RTBF a entamé de nouvelles captations de pièces: manière de se réconcilier avec un public wallon qui lui reproche souvent d’être trop «bruxello-bruxelloise»?

Mais les Wallons eux-mêmes sont-ils suffisamment conscients de la portée de leur culture wallonne?

À Verviers, où il est né, une plaque commémore le souvenir de Jean Haust, «professeur à l’université de Liège». On n’a même pas pensé à signaler que Jean Haust est l’auteur d’un dictionnaire wallon-français du wallon liégeois qui fait référence, mais qui illustre surtout la richesse du vocabulaire wallon, et souligne au gré des pages sa filiation wallonne. On raconte, d’ailleurs, que Jean Haust, apprenant le nom latin du hêtre, «fagus», avait fait remarquer qu’en wallon, l’arbre se désigne «fawe». Il s’était fait solidement réprimander. C’est pourtant bien lui qui avait raison. Bien avant Julos, il avait démontré que le wallon était bien le latin, venu à pied du fond des âges…