Vérité d’un jour en bord de Vesdre, mensonge huit mois plus tard…


Le conseil communal de Verviers s’est réuni en présentiel ce mercredi soir, car l’événement était d’importance: les élus de l’ancienne Cité lainière étaient invités à retirer la motion de méfiance mixte qu’ils avaient approuvées le 21 septembre 2020, pour écarter la bourgmestre PS, Muriel Targnion, et la remplacer par l’éphémère mayeur Jean-François Istasse. Ce qui supposait une autre motion de méfiance, alambiquée celle-là, pour écarter de la magistrature suprême Hasan Aydan, président du CPAS et successeur naturel de la bourgmestre défenestrée, mais le réinstaller tout de même à la tête du Conseil de l’aide sociale.

Le retrait de cette motion devait permettre de contourner le prescrit du Code wallon de la démocratie locale, qui impose un délai d’un an entre le dépôt de deux motions de méfiance, et la voie sera dès lors libre à Malik Ben Achour, grand instrumentaliste de cette machinerie, de devenir à son tour bourgmestre, le 26 avril. Si toutefois aucun grain de sable ne vient gripper la mécanique, et sous réserve que le Conseil d’État, s’il est à nouveau saisi du problème, n’y déniche pas une autre défaillance juridique.

L’événement n’a finalement pas eu lieu, puisque… Malik Ben Achour lui-même a demandé le report du vote sur ce point. Il faut dire que seuls vingt-six élus se sont retrouvés en séance, et que le groupe socialiste, fort en principe de treize mandataires, était privé de ses exclu(e)s, Muriel Targnion, Alexandre Loffet, et Laurie Maréchal, ce qui n’en laisse plus que dix. Mais que les absences de l’échevin Antoine Lukoki; du président du CPAS, Hasan Aydin; et des conseiller(e)s Chimaine Nangi, Saïd Naji, et Mohammed-Anass Gallass ne laissaient subsister que cinq représentant(e)s. Mais sans doute n’est-ce que partie remise? Et l’installation d’une nouvelle majorité renvoyée… aux calendes grecques?

La motion de méfiance à l’égard de Muriel Targnion n’en reste pas moins, comme l’a rappelé mon ancien confrère Franck Destrebecq, dans le journal qui m’employait et ne me rémunérait pas assez à mon goût (air connu) (https://www.lavenir.net/cnt/dmf20210413_01572015/nouvelle-majorite-le-26-avril-peut-etre), motivée par «la mise en péril de la majorité sur base de la scission du groupe PS (…) à la suite d’une tentative de motion de méfiance individuelle avortée, déposée le 7 juillet 2020, à l’égard d’un de ses membres, Monsieur Hasan Aydin (PS), président du CPAS».

L’épisode a valu à la bourgmestre verviétoise d’être exclue du PS, au terme d’une procédure à dire vrai très peu orthodoxe, orchestrée par le président du parti, Paul Magnette, qui s’est rangé derrière le député fédéral verviétois, toujours en place en attendant de devoir démissionner du Parlement fédéral, s’il ceint l’écharpe mayorale à Verviers.

Dans la foulée, l’échevin Alexandre Loffet a, lui, été suspendu par le parti, tandis que la jeune conseillère Laurie Maréchal, écœurée par ces manœuvres de coulisse, en a démissionné, non sans avoir au préalable exigé, avec un certain panache, que son portrait de jeune élue soit retirée de la devanture du siège du PS, Boulevard de l’Empereur à Bruxelles.

«Expressément»

La quadrature du cercle, pour le PS verviétois, est de confirmer la mise à l’écart de Muriel Targnion, tout en instrumentalisant l’exécution de Hasan Aydin qui, non seulement ne se verra pas confier le mayorat, mais va, si l’ingéniérie politicienne mise en place par ses propres «amis» aboutit, perdre aussi la présidence du CPAS.

L’astuce? Reprendre, comme l’a évoqué mon ancien collègue, les termes de la motion de méfiance individuelle déposée à son égard par les conseillers socialistes qui avaient soutenu Muriel Targnion en juillet 2020, avant de se «raviser» opportunément par la suite.

«Pour rappel, cette motion comportait cinq pages d’argumentaire (auxquelles les signataires de la présente motion renvoient expressément)» explique le texte de la nouvelle motion de méfiance collective qui sera soumise aux élu(e)s verviétois(es) le 26 avril prochain.

Il était question, a rappelé Franck Destrebecq, «d’un certain nombre d’opérations problématiques au regard des règles», de «décisions que nos considérons non conformes à la loi»; «d’inconduite d’Hasan Aydin envers ses collègues», d’«accusations diffamatoires lancées publiquement à leur encontre» et de « pratique de l’insulte et de l’intimidation, en particulier envers les femmes qui s’engagent en politique» (qui) «ne fait pas partie de nos valeurs».

Cohérence?

Pour les partis actuellement associés au PS dans la gestion (?) de la ville de Verviers, le MR, le NV (Nouveau Verviers), ainsi que pour le cdH, invité à s’unir à l’attelage, le texte ne doit pas poser de problème, puisqu’ils s’étaient déjà ralliés au projet de motion déposé par Muriel Targnion à l’endroit de son président de CPAS.

Mais, au sein du PS, il faudra tout de même une sérieuse explication pour justifier pourquoi le dépôt d’une motion, en juillet 2020, a valu à la bourgmestre socialiste de Verviers d’être exclue de son parti et d’être chassée de sa fonction, alors qu’en avril 2021, le vote d’une même motion permettra à un autre élu socialiste de reprendre son écharpe, avec la pleine approbation du président du PS lui-même!

Muriel Targnion a-t-elle eu le tort d’avoir raison trop tôt? Notre impression est plutôt que ces mois d’empoignades politiciennes à Verviers qui font honte à la démocratie avaient pour seul but d’écarter de sa fonction une bourgmestre dont l’action, notamment en tant que présidente du conseil d’administration de Nethys, avaient heurté de front la volonté présidentielle de se débarrasser de l’image désastreuse collée à son parti par la gestion calamiteuse de l’intercommunale liégeoise et de ses filiales. Et que les reproches formulés à l’égard du président du CPAS étaient fondés. Mais alors, pourquoi n’avoir pas pris l’initiative, il y a un an, alors que la gestion d’une ville de plus en plus paupérisée et vidée de ses commerces requérait déjà l’urgence?

L’impasse constatée depuis des mois n’aurait-elle pas justifié par ailleurs l’envoi à Verviers d’un(e) commissaire spécial(e), voire, devant l’impasse prolongée, une démission collective des bourgmestre et échevin(e)s, et un retour aux urnes anticipé pour rebattre les cartes?

La procédure utilisée ici, au mépris des statuts internes du PS, prend tellement des allures de «chasse à la sorcière»; la reprise des arguments que Muriel Targnion à l’égard de celui qui a réaffirmé son droit à exercer le mayorat témoigne d’un tel cynisme que la confiance du public dans l’institution communale mettra longtemps à se rétablir. Et risque de bénéficier aux populistes de tous poils, qui n’auront qu’à se baisser pour ramasser les suffrages des déçus de la démocratie.

Un combat à reprendre pour la liberté de la Presse


Il est des combats dont il ne faut jamais croire qu’ils sont définitivement gagnés: le combat pour la liberté de la Presse est de ceux-là! Paradoxe dans un pays qui, depuis l’origine, proclame dans sa Constitution que «la presse est libre» et que «la censure ne pourra jamais être établie»? Hélas, hélas, hélas, comme le disait Charles de Gaulle en évoquant le putsch des généraux félons à Alger, en 1962, il faut bien constater, ces derniers temps, que, y compris chez nous, l’année 2019 a été marquée par un recul de la liberté de la presse.

Péril pour la liberté de la presseLe signe le plus évident en est la nécessité ressentie par nos collègues flamands de la Vlaamse Vereniging van Journalisten (VVJ) de créer, sur leur site, un point d’alerte pour toute violence faite aux journalistes.

En six mois, c’est une douzaine de faits qui ont été signalés à l’union professionnelle des journalistes flamands. On n’en est, pour l’instant, qu’à des menaces physiques ou de l’intimidation, comme lors d’une manifestation d’extrême-droite contre le Pacte de Marrakech sur l’immigration, en début d’année. Ou lors d’un procès de Hells Angels devant un tribunal correctionnel limbourgeois. Mais il y a aussi ce fermier qui détruit l’appareil photo d’un correspondant de presse qui, à distance, venait de prendre des images de l’incendie d’une de ses étables. Ou la police qui menace de saisir les images d’un cameraman de télévision, qui filmait les lieux d’un accident de circulation, en respectant le périmètre de sécurité imposé.

L’Europe a connu quelques cas tristement célèbres d’assassinats de journalistes. Sur l’île de Malte, plus de deux ans après l’explosion de sa voiture qui lui a coûté la vie, les assassins présumés de Daphné Caruna-Galizia ne sont pas encore jugés, et leurs commanditaires ne sont pas connus. En Slovaquie, l’assassinat de Jan Kuciak et de sa fiancée a déclenché une vive réaction populaire qui a conduit à la démission du Premier ministre et à un renversement de majorité. Leurs assassins ont été démasqués, et les commanditaires mafieux de leurs assassinats sont connus. En Roumanie par contre, la précipitation avec laquelle l’assassinat de Viktoria Marinovna a été qualifié de crime purement sexuels laisse subsister bien des soupçons.

En Italie, j’ai eu le privilège douloureux de rencontrer des journalistes qui vivent sous protection policière permanente, après les menaces de morts proférées contre eux par la Mafia. Et le monde entier a appris avec horreur, il y a quelques semaines, les détails de l’assassinat de Jamal Kashoggi, au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul.

Rien de tout cela chez nous et dans les pays voisins, me direz-vous? Il y a un an, rappelez-vous, des journalistes belges et des journalistes français étaient menacés, et parfois molestés, par des «gilets jaunes» qui les jugeaient par définition hostiles. En Catalogne, des journalistes ont été victimes de violences policières, et d’autres ont été attaqués par des militants indépendantistes.

En Allemagne, où j’ai assissté récemment au congrès d’un des deux grands syndicats de journalistes, le Deutscher Journalisten Verband (DJV), le rapport annuel a évoqué le refus opposé par l’Alternativ für Deutschland à la présence de journalistes au congrès ce ce parti d’extrême-droite. Tandis que d’autres voix réclamaient une meilleure protection des sources journalistiques. Une protection des sources, qui, comme l’a posé la Cour européenne des Droits de l’Homme, est la «pierre angulaire de la liberté de la presse».

Presse locale, non merci!

Les médias locaux exclus de la visite du Secrtaire d'EtatUn autre cas flagrant de censure a été dénoncé ce week-end par la section bavaroise du DJV, le BJV (Bayerischer Journalisten Verband) après le véto opposé par les autorités (états-unienne? allemandes? états-uniennes et allemandes?) à la présence de journalistes du quotidien régional Der Frankenpost, lors de la visite, à Mödlareuth, du secrétaire d’État états-unien, Mike Pompeo, et du ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD). Seul était autorisé, dans le sillage des deux excellences, un pool télévisé, composé de représentants de la ZDF (chaîne publique), et de RT L (chaîne privée). L’idée étant, on l’imagine, de diffuser des images de cette visite, mais de ne donner à personne l’occasion de poser des questions au secrétaire d’État et à son hôte. Et aussi sans doute une forme de mépris à l’égard de la presse locale? L’incident a en tout cas suscité une réaction d’un député SPD de la région. Klaus Adelt s’est dit choqué par le fait que cette mise à l’écart s’est produite «le jour même où on célèbre la liberté d’opinion et la liberté de la Presse» et qu’en plus, «elle est incompatible avec la Constitution qui proclame la liberté de la Presse et la liberté d’informer».

Des notions également ignorées des autorités turques,  qui maintiennent en détention des dizaines de jouralistes turcs , sous l’accusation fallacieuse d’appartenance à une mouvance subversive: depuis près de dix ans, la Turquie se révèle la plus grande prison pour journalistes d’Europe, voire du monde!

De son côté, la Maison-Blanche a retiré leurs accréditations à des journalistes russes travaillant pour des médias que le président français, Emmanuel Macron, a qualifiés d’officines de propagande. Et dans la foulée le président russe, Vladimir Poutine, a pris une mesure similaire à l’égarde de journalistes étrangers, qualifés «d’agents de l’étranger». Quant aux journalistes russes travaillant en Ukraine ou aux journalistes ukrainiens actifs en Russie, on devine le sort qui leur est réservé.

Je rappellerai enfin le combat mené depuis plus d’un an par la rédaction d’un journal qui m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût, pour garantir son indépendance par rapport à une direction qui n’a pas hésité à procéder à des licenciements ciblés et à procéder à un lock-out, pour tenter de la faire plier.

Et que dire, dans le même ordre d’idées, des pressions exercées par le nouveau ministre-président flamand, Jan Jambon (N-VA) sur la VRT, pour que la chaîne publique de radio-télévision cesse sa «propagande» sur le réchauffement climatique et qu’elle offre la parole à des «climato-sceptiques»? Et la suppression, évoquée dans un autre billet de ce blog, des subsides à l’investigation journalistique indépendante?

La piqûre de rappel est sérieuse, et tou(te)s les journalistes doivent en être conscient(e)s: la défense de leur liberté est leur affaire, en tout premier lieu. Et s’ils/elles ne la défendent pas eux/elles-mêmes, personne ne le fera à leur place!

 

Jean, Cédric, Jean-Paul, Dominique, Anne, Jean-Marc, Catherine: une liste trop longue


Il est des journalistes dont la mort fait l’actualité de la presse mondiale: les retombées de l’assassinat horrible de Jamal Kashoggi, célèbre critique du régime saoudien, n’ont pas fini de perturber les relations internationales de l’Arabie Saoudite.

Il est des journalistes dont le meurtre ébranle toute l’Europe: les disparitions brutales de Daphné Caruana Galicia, à Malte; de Jan Kuciak en Slovaquie; et de Viktoria Marinova en Bulgarie ont jeté une lumière crue sur les rapports obscurs entre le monde politique et les milieux mafieux.

Et puis à côté de tous ces journalistes victimes de mort violente, dont les répertoires annuels rappellent un sacrifice d’autant plus insupportable que dans neuf cas sur dix, leurs assassins restent impunis, il y a toutes celles et tous ceux dont le décès frappe ne foudroie «que» leurs collègues, leurs consœurs et leurs confrères.

Disparu soudainement en ce début de semaine, Jean s’est joint à la liste des collègues qui, depuis le grand départ de Catherine, il y a trois ans et demi, ont laissé les journalistes de «L’Avenir» dans l’affliction. Emportés comme eux soit par la maladie, soit de manière tout à fait inopinée, Cédric, Jean-Pol, Anne, Dominique et Jean-Marc ont laissé dans l’eau des trous, qui comme le chante Brassens, «jamais ne se refermeront».

Un collègue, mais surtout un mari, un papa, un fils, un frère, a été arraché à l’amour des siens, à l’affection de ses voisins de bureau et de toute une rédaction.

La fatalité? Peut-être! Mais la répétition de ces décès, que la rédaction de «L’Avenir» n’est pas la seule à subir, doit interpeller. Car s’il est rassurant de tenter une explication pour chacun d’entre eux – «il était fort porté sur la boisson»; «elle fumait depuis longtemps»; «son père est décédé de la même manière, au même âge»– il est un élément caractéristique de notre profession dont les effets n’ont jamais été vraiment pris en compte: le stress inhérent à une profession de plus en plus marquée par un impératif d’immédiateté.

Ce stress explique à coup sûr les trop nombreux épuisements enregistrés dans les rédactions, et dans celle de «L’Avenir» en particulier. Mais quels sont ses effets les plus dévastateurs?

Comme tou(te)s les collègues disparu(e)s, Jean ne souffrait sûrement pas d’un «manque de goût pour le travail» évoqué en début d’année par le président du conseil d’administration des Éditions de l’Avenir, en conseil d’entreprise, qui prenait connaissance du nombre de personnes en congé de maladie de longue durée!. Au contraire: son talent ne s’était pas limité à l’écriture de nombreux articles aux titres «choisis» dans le journal qui (air connu) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût, mais il l’avait poussé vers la bande dessinée en qualité de scénariste, et, tout récemment, à l’écriture d’un livre sur Felice Mazzú, l’entraîneur à succès du Sporting de Charleroi, le club dont il s’était fait le chantre.

L’hommage qu’il a reçu de la direction des «Zèbres», mais aussi de l’ensemble de la profession – presse écrite et audiovisuelle, francophone et flamande confondues, ce qui est exceptionnel!- témoigne de la trace qu’il a laissée.

Raison de plus pour s’inquiéter de manière plus attentive de l’état de santé physique des journalistes (pour l’état de santé mentale, il est déjà trop tard- lol): y en a marre de ces rédactions décimées!

Sauvegarder le pluralisme de la presse


La légitime indignation qui a saisi l’opinion, à la suite de la révélation des abus au sein de la nébuleuse Nethys-Publifin, a déclenché au sein de la classe politico-médiatique une réaction de «football panique» qui, au-delà des mesures d’assainissement nécessaires, dont certaines restent à prendre, ont conduit à sanctionner des mandataires qui vont être pénalisés dans l’exercice de fonctions, dans lesquelles ils ont strictement respecté les limites légales ou réglementaires qui leur ont été imposées. Je pense par exemple aux députés-bourgmestres ou députés-échevins socialistes dont l’indemnité cumulée ne pourra plus dépasser le montant de leur indemnité parlementaire, alors que jusqu’ici, le cumul ne pouvait dépasser 150% de l’indemnité parlementaire. Ces bourgmestres et échevins qui sont en même temps députés devront dès lors exercer leur fonction mayorale ou scabinale à titre purement gratuit: est-ce normal? Ne serait-il pas plus cohérent, dès lors, d’interdire purement et simplement le cumul de mandats, ce qui, au niveau du gouvernement wallon, n’irait pas sans poser quelque problème à M. Magnette ou à M. Prévost…

Le souci de clarification de la gestion de Nethys n’est pas nouveau: il y a plusieurs années déjà, Bernard Wesphael, alors chef de groupe Ecolo au Parlement wallon, avait déposé en vain des propositions de décrets en la matière. Il est temps que le contrôle public s’exerce efficacement sur l’intercommunale, puisqu’elle gère de l’argent public, et que de l’ordre soit mis dans les structures privées qui s’y sont multipliées. Et qu’il soit mis fin à cette fiction des mandats privés exercés par des mandataires publics: il y a là fraude manifeste pour contourner des règlements existants.

journaux-francophonesFaut-il pour autant démanteler Nethys, et notamment l’obliger à céder le groupe de presse qui (air connu) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût?

Une phrase prononcée à la tribune du conseil provincial de Liège par le député provincial André Gilles, par ailleurs président du conseil d’administration de Nethys, a relancé le fantasme, qu’on a vu rebondir de tweet en tweet, jusque sous la plume de consœurs et confrères en principe bien informés.

L’alternative à Nethys en Belgique -un rachat du groupe «L’Avenir» par le groupe Rossel – n’est pas neuve: elle avait déjà été envisagée quand le groupe flamand Corelio, devenu Mediahuis, a décidé de se séparer de son aile wallonne. C’est à ce moment-là que l’intercommunale liégeoise a décidé, en quelques jours semble-t-il, de dépasser sur le fil le groupe éditeur du Soir et des journaux du groupe Sud-Presse.

Quoi qu’on pense de la gestion de Nethys, que je n’ai pas été le dernier à critiquer, cette solution était de loin préférable à une opération qui aurait eu pour effet de rendre un groupe de presse propriétaire de plus de 85% des titres de presse en Belgique francophone. Outre que l’opération aurait à terme conduit à une fusion entre des journaux aussi différents dans leur manière de couvrir l’actualité que les quotidiens du groupe «L’Avenir» que ceux du groupe Sud-Presse, ou à un bain de sang social provoqué par la fermeture d’éditions aujourd’hui concurrentes dans les zones où elles ne sont pas dominantes.

Les réflexions qui prévalaient à l’époque sont toujours d’actualité aujourd’hui. Et un des volets importants du combat que mènent depuis longtemps l’Association des Journalistes Professionnels en Belgique francophone, la Fédération Européenne des Journalistes et la Fédérations Internationale des Journalistes est précisément la lutte contre la concentration des médias, qui conduit à chaque fois à une désertification du paysage médiatique. J’ose espérer qu’au-delà des différences d’opinion qui les séparent, et au-delà des liens professionnels qu’ils ont, tous les journalistes peuvent se rejoindre sur ce principe.

Une étrange conception de la gouvernance


Alain JeunehommeLa décision de rachat des Éditions de l’Avenir par l’intercommunale Tecteo, ou plutôt, par la SA Tecteo Services pour compte de Tecteo, a fait une première victime: Alain Jeunehomme a été dégommé de son poste d’administrateur de l’intercommunale, et, dans la foulée, de sa fonction de chef de cabinet de la ministre des Classes moyennes. Sabine Laruelle a, à cette occasion, subi un cruel camouflet, puisque le matin même de la défenestration de son chef de cab’, s’affichant «cool et pas frustrée», elle lui maintenait sa confiance, dès lors qu’il appliquait ses consignes au sein de son cabinet.

Le crime d’Alain Jeunehomme? N’avoir pas obtempéré aux consignes de son président provincial, Daniel Bacquelaine, qui lui demandait de ne pas approuver le rachat, ou, à défaut, d’exiger le report de la décision.

Chose étrange: d’autres administrateurs, apparemment, n’avaient pas reçu les mêmes consignes. Ou alors les ont ignorées, mais sont restés néanmoins en place.

Cette démission (plus ou moins) volontaire n’en interpelle pas moins, car elle renvoie à la manière dont sont gérées des sociétés publiques. Ou plus exactement à la conception dont certains responsables politiques de haut niveau ont de la gestion des sociétés publiques.

Car enfin, la responsabilité d’administrateurs, qu’ils soient publics ou privés, c’est de veiller aux intérêts de la société dont ils ont la charge. Et, nous l’avons dit ici, en rachetant les Éditions de l’Avenir, c’est une société saine que Tecteo a acquise. Dans une perspective économique qui peut se justifier: l’apport de contenu régional doit permettre à l’intercommunale de garnir son offre sur le Web, alors que de son côté, le groupe de presse trouve dans cette reprise un partenaire spécialisé, susceptible d’accompagner le développement de ses applications payantes.

da6eb862-4bfe-4f06-8df4-0561e2ff4183_PICTUREY avait-il urgence? On l’invoque par l’imminence, faute de décision, du rachat des Éditions de l’Avenir par Rossel. Lequel avait fait offre de reprise, et n’a jamais caché son intérêt pour un rachat, suivi d’une fusion des EdA avec sa filiale Sud-Presse. Avec, là aussi, une logique (?) économique: la colonne vertébrale de «L’Avenir» est la Nationale 4, et la dorsale wallonne celle des quotidiens de Sud-Presse. Pareille fusion aurait conduit à l’union contre nature de deux quotidiens qui abordent l’actualité régionale de manière radicalement différente, et aurait entraîné un bain de sang social. Et surtout, l’acquisition des Éditions de l’Avenir aurait mis 85% de la presse écrite quotidienne francophone dans les mains de Rossel. Le discours sur le pluralisme qu’on entend dans le chef de certains prend tout à coup une singulière dimension…

Le véto imposé par Charles Michel à ses administrateurs; ou la volte-face de Dominique Drion, qui, après avoir approuvé le rachat, a réclamé la convocation d’un conseil d’administration; voire même l’appel d’Emily Hoyos aux «amis de la liberté de la presse» n’en apparaissent pas dès lors, bien éloigné d’un principe de bonne gouvernance dans le chef du président du MR; incohérente pour l’administrateur cdH de Tecteo; et assez grandiloquent dans la bouche de la coprésidente d’Ecolo. Et l’on sent bien, surtout chez le premier nommé, la volonté de tailler des croupières à l’homme fort de Tecteo, le bourgmestre d’Ans, Stephane Moreau, dont nous avons déjà dans ce blog épinglé la conception des relations sociales; de l’observation des normes législatives en matière d’incompatibilités de fonctions; ou encore du respect de la liberté de la presse, à propos de sa plainte pour un montant total de 6 millions d’euros à l’égard du «Soir» et d’un journaliste indépendant liégeois.

Et là, désolé: certains politiques se servent du rachat des Éditions de l’Avenir pour tenter de se refaire un peu rapidement une virginité, eux qui ont laissé Tecteo et son patron échapper à toute forme de tutelle.

Car enfin, il y a eu au Parlement wallon une proposition de décret, émanant de Bernard Wesphael, pour conserver la tutelle régionale sur une intercommunale supra-régionale, en fonction de son territoire principal d’implantation. Mais cette proposition de l’ancien chef de groupe des «Verts», un des meilleurs connaisseurs du dossier Tecteo, est restée lettre morte…

Et puis, c’est… à l’unanimité qu’a été créée la société anonyme Tecteo Services, celle qui a permis à Stéphane Moreau de ceindre l’écharpe mayorale à Ans tout en restant CEO de Tecteo, et celle-là même qui vient d’acquérir les Éditions de l’Avenir. Tecteo Services a procédé à cette acquisition le plus légalement du monde, en utilisant la délégation de pouvoir qui lui permet de mobiliser des fonds de l’intercommunale, pour procéder à tout investissement s’inscrivant, fût-ce de manière très large, dans son objet.

En s’en prenant à la décision de rachat, MR, cdH et Ecolo se tirent donc une balle dans le pied. Ils ne servent en tout cas ni le pluralisme, ni l’indépendance journalistique. Et sur ce dernier point, qu’ils ne s’en fassent donc pas: la rédaction de «L’Avenir» sait comment se défendre!