Pandémie: on attend toujours un langage vrai


Le tour de vis annoncé ce mercredi par les autorités belges pour endiguer la pandémie, pour attendu qu’il ait été, peine à convaincre l’opinion. L’art est difficile et la critique aisée, certes, et gérer ce défi inédit n’est pas simple: on en a encore eu la preuve avec le rétropédalage effectué, ce mercredi également, par la chancelière allemande, Angela Merkel, qui a annulé la « mise sous cloche » du pays, décidée la veille, sous sa responsabilité, pour la période du 1er au 5 avril prochains, tout en demandant « pardon » à nos voisins pour sa réaction impulsive de la veille.

Le revirement opéré, après à peine un mois, sur les métiers de contact donne notamment l’impression chez nous d’une improvisation totale, voire de la pratique d’un « football-panique ». D’abord parce qu’aucune étude n’est venue prouver que ces métiers de contacts donnent lieu à un taux d’infection particulier. Ensuite parce que de nombre d’entre eux, coiffeuses et coiffeurs, esthéticiennes, masseuses et masseurs avaient investi, pour pouvoir rouvrir au début mars dans de coûteux appareils de détection, que tout le monde semble avoir oubliés aujourd’hui. Enfin, parce que l’immense majorité sinon la totalité d’entre eux ont respecté un protocole strict avec prise de rendez-vous, et désinfection des lieux assurées.

Le même « à peu près » a prévalu, notamment, quand les voyages en bus ont été déconseillés. Là aussi sans la moindre argumentation scientifique, et alors que l’usage du masque en transport en commun est largement répandu depuis des mois. Et on ne parle que pour mémoire des discussions en cours dans l’enseignement, où des établissements où pas un seul cas de Covid-19 n’a été relevé sont obligés de fermer leurs portes, alors que les écoles maternelles doivent rester ouvertes. Et que le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, a dogmatiquement exclu la vaccination prioritaire pour les enseignants.

Au fait, il est surtout remarquable que les spécialistes qui se sont succédé dans les médias avant et après le dernier CodeCo, et les ministres qui ont donné la conférence de presse n’ont précisément pas utilisé le mot « vaccination ». Alors que tout le monde sait bien que seule, une vaccination à l’échelle non pas nationale ou européenne, mais à l’échelle mondiale parviendra à juguler cette mortelle pandémie.

L’Union européenne, elle, parle bien de vaccination. Elle prend enfin l’initiative pour faire respecter les contrats qu’elle a signés avec les entreprises pharmaceutiques, et notamment AstraZeneca, qui semble se soucier comme poisson d’une pomme des obligations contractuelles auxquelles elle a souscrit.

Contingenter les exportations de vaccins produits sur le territoire de l’Union européenne a du sens dans le court terme: il est absurde d’envoyer des vaccins dans les pays qui en produisent déjà en abondance, ou bien qui se targuent d’avoir atteint un taux de vaccination bien au-delà de deux atteints dans les vingt-sept pays membres de l’Union européenne. Mais à moyen et à long terme, c’est une politique absurde: puisque seule une vaccination à l’échelle mondiale peut venir à bout de la pandémie, il faut au contraire favoriser la diffusion la plus large possible des vaccins. L’Europe s’y emploie notamment en étant la plus grande contributrice de Covax, le mécanisme de redistribution. Mais il faut dépasser ce stade, et rendre publics les brevets des vaccins que les firmes pharmaceutiques n’ont pu mettre au point en un temps-record que grâce à un financement massif des Etats.

Entre-temps, c’est bien un manque de doses qui ralentit fortement la vaccination en Belgique, comme dans la plupart des autres pays de l’Union européenne. Et quand le ministre de la Santé, ce mercredi, a affirmé que les plus de 65 ans seraient tou(te)s vacciné(e)s pour le 31 mars, avant de s’excuser après coup et dire qu’il avait voulu parler du 31 mai, même en jouant sur cette date plus éloignée, il n’est pas du tout sûr d’atteindre l’objectif.

On passe vite également sur les tests rapides qui dorment dans les pharmacies, alors qu’il y a quelques mois, on nous prêchait l’absolue nécessité d’un dépistage rapide pour limiter la taille des « clusters ». Ou le traçage par le biais d’une application qui a fait l’objet d’une bien mièvre promotion.

Je regardais pour la énième fois, ces derniers jours, le film « Les heures sombres », qui évoque les journées de mai 1940 où Winston Churchill est arrivé au pouvoir au Royaume-Uni, et où, confronté à une volonté de négocier une paix acceptable avec Adolf Hitler au sein même de son gouvernement, il connaissait des périodes de découragement. Le film, peut-être romancé sur ce point, relate une visite nocturne du roi George VI, au moment de la capitulation belge, le 27 mai 1940, qui l’encourage à ne pas perdre de pied, mais qui lui recommande de parler aux Britanniques un langage vrai. Dans les jours suivants, c’était le rembarquement de Dunkerque, et le succès de l’opération baptisée « Dynamo » allait être célébré comme une grande victoire. « Les guerres ne se gagnent pas avec des évacuations« , commentera Churchill.

Sur les défaillances et perspectives de la vaccination, on attend un pareil langage de vérité. Plus que des décisions dont l’improvisation apparente, et les bisbilles politiciennes qu’elles déclenchent le soir même de leur annonce, ne font que susciter l’incompréhension. Et minent la volonté d’adhésion.

La loterie politique va repartir à Verviers


Un nouvel épisode de la saga politique va s’ouvrir à Verviers, où l’union socialiste communale (USC) a fait, jeudi soir, le choix du député fédéral Malik Ben Achour pour le mayorat, au détriment du président du CPAS, Hasan Aydin, à qui son score électoral promettait pourtant en principe l’écharpe.

On en arrive donc au scénario mis en place dès le départ par les plus hautes instances du PS, et qui exigeait la double mise à l’écart de l’actuelle bourgmestre, Muriel Targnion, et de Hasan Aydin, dont les rapports avec la titulaire de l’écharpe mayorale et avec l’ensemble des autres membres du collège communal étaient devenus impossibles. La manœuvre, très délicate, devait s’opérer en deux temps: d’abord l’exclusion des rangs du PS de Muriel Targnion, au prix même de certaines indélicatesses avec la procédure statutaire; avec son remplacement par Jean-François Istasse, le bourgmestre le plus éphémère de l’histoire politique de Verviers. Puis, ce jeudi soir, la mise en boîte de Hasan Aydin, par un vote savamment orchestré depuis Bruxelles au sein de l’USC verviétoise.

Voilà en tout cas le scénario mis sur papier. Car il suppose, à nouveau, un jeu qui passe par une motion de défiance à l’égard de Muriel Targnion, et un tour de passe-passe qui écarte Hasan Aydin du mayorat, tout en le maintenant, si rien n’a changé entre-temps, à la présidence du CPAS, mais pas au sein du collège communal. Ce qui supposerait qu’il démissionne du conseil communal, dans un scénario qu’il a à plus d’une reprise rejeté nettement ces dernières semaines.

Malik Ben Achour, en tout cas, se tient prêt à ceindre l’écharpe mayorale avec un sens du devoir qui émeut, puisqu’il explique que s’il n’avait pensé qu’à lui, il serait resté à la Chambre -il ne peut être à la fois bourgmestre de Verviers et député fédéral- mais qu’il a toujours dit qu’il voulait «être un acteur d’une solution» et qu’il lui faut bien constater qu’il est «l’ultime solution de consensus». Ceci dit, précise-t-il, «en toute modestie». On reste muet devant pareille abnégation, qui tranche avec le lamentable spectacle donné depuis neuf mois par tous les politiques verviétois!

Cela dit, Malik Ben Achour ne va pas démissionner tout de suite du mandat de député qui lui est échu à la suite de l’entrée de Frédéric Daerden au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en qualité de ministre du Budget. Le futur (?) mayeur verviétois est un philosophe, et il sait, par définition qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras…

Dix petits nègres

Car pour qu’il arrive à ses fins, il faut d’abord que la motion de défiance à l’égard de Muriel Targnion soit votée par sept des treize élus socialistes au soir des élections communales d’octobre 2018. La bourgmestre en titre, exclue de son parti, ne se fera évidemment pas hara-kiri, pas plus que l’échevin des Finances Alexandre Loffet, qui a également pris ses distances par rapport au parti qui l’a exclu. La jeune Laurie Maréchal, qui a elle aussi claqué la porte après avoir exigé qu’on retire son portrait de jeune élue de la façade du siège du parti, au boulevard de l’Empereur à Bruxelles, fera elle aussi défaut.

Ils restent donc à dix dans le groupe socialiste «orthodoxes», comme les dix petits nègres du roman policier éponyme d’Agatha Christie. Et l’une est déjà tombée du bateau, puisque l’ancienne échevine, Sylvia Belly, prudente, a déjà repris une fonction directoriale dans l’enseignement communale, incompatible avec sa fonction scabinale. Se souvenant sans doute qu’elle s’était fait menacer par ses camarades, l’an dernier, de se retrouver au chômage, si elle persistait à soutenir la motion mise en œuvre par Muriel Targnion pour écarter Hasan Aydin de la présidence du CPAS.

Que fera ce dernier? Après avoir dit et répété qu’il n’accepterait pas de se voir déposséder d’une écharpe mayorale que son score électoral lui garantissait, une fois Muriel Targnion écartée; après avoir expliqué qu’il n’entrerait pas dans une mécanique compliquée, qui l’obligerait à démissionner du conseil communal pour continuer à présider le CPAS, on le voit mal manger son chapeau et se faire volontairement hara-kiri. Restent huit petits nègres…

C’est ici, sans doute, que les pressions vont jouer à fond pour garder tout le monde bien dans la ligne fixée par le parti socialiste. Et les moyens de pression existent, à commencer par les mandats d’échevins à distribuer.

Antoine Lukoki, par exemple, qui s’était allié à Hasan Aydin, au point de mettre en place avec lui des permanences sociales impliquant illégalement des employés du CPAS, va-t-il rester fidèle à son engagement, ou considérer que, tout compte fait, son maintien au collège communale, dans le plus haut intérêt de la ville et de la population de Verviers, lui imposent de retourner sa veste?

Avec Chimaine Nangi, le scénario semble cousu de câble blanc: il semble qu’un fauteuil scabinal lui a été promis. Bien sûr, les promesse n’engagent que celles et ceux qui y croient, selon un adage bien connu. Mais cela devrait suffire à la maintenir dans le rang.

Tout dépendra donc de deux élus socialistes incertains, Said Naji et Anass Gallas: d’ici au 29 mars, date du prochain conseil communal, on suppose que les deux mandaitaires vont faire l’objet d’un tas de pressions, amicales ou menaçantes, pour s’assurer qu’ils ne feront pas défaut tous les deux, car si c’était le cas, patatras, le beau scénario s’écroulerait avant même d’avoir été mis en place. Cela posé, les voilà tous deux en position de force pour revendiquer, qui sait, un mandat d’échevin? Ah oui, mais alors, c’est Antoine Lukoki qui serait sur un siège éjectable, et qu’il faudrait ramener à de meilleurs sentiments…

Tout ces maquignonnages, on s’en doute, ne sont guère de nature à réconcilier le Verviétois lambda, avec la classe politique. Surtout après le blocage du PS autour du budget communal, qui a retardé de quatre mois l’activation des mesures de soutien aux commerçants réduits à l’inactivité par la pandémie du Covid-19, ou les commandes à passer pour assurer le bon déroulement des chantiers qui défigurent depuis des mois le centre de la Cité lainière, et ne sont pas de nature à y ramener le chaland…

Rendez-vous rue de la Science

Tout cela suppose que le scénario réécrit au sein de l’USC verviétoise tienne la route. Or, le Conseil d’État doit toujours se prononcer sur le recours en annulation introduit par Muriel Targnion contre le précédent mécanisme qui l’avait privée de l’écharpe mayorale.

L’instance de la rue de la Science avait, à l’époque, validé la requête de suspension de la décision en extrême urgence, ce qui avait obligé Jean-François Istasse à jeter l’éponge après à peine quinze jours de fonction à l’Hôtel de ville de Verviers. Elle avait remis à plus tard sa décision sur le fond, et cette décision n’est pas encore connue. Pour rappel, elle avait suspendu le mécanisme sur base d’un premier argument; les autres doivent encore être examinés.

Il n’est pas exclu, si l’histoire se répète, que de nouveaux recours en suspension et annulation partent pour la capitale. Envoyés par Muriel Targnion, ou Alexandre Loffet? Possible, mais qu’est-ce qui empêcherait Hasan Aydin, s’il n’est pas satisfait du sort qui lui est fait, de leur emboîter le pas, voire de risquer sa chance à lui seul?

Les dispositions wallonnes sur la démocratie locale imposent, par ailleurs, un délai d’un an entre deux motions de défiance: le compte n’y est donc pas. Le paradoxe, peut-être, est que les Machiavels verviétois tireront argument de la suspension de leur précédente initiative pour en déduire qu’elle n’existe pas, et que dès lors, le délai n’a plus cours. Après tout, pourquoi pas? Là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. Et en matière de gêne, les politiques verviétois ont depuis longtemps franchi bien des limites…