Des papes, oui, mais à quand la canonisation du «saint de Mauthausen»?


L’effervescence sera grande, à Rome, ce dimanche, et les médias du monde entier retransmettront ou évoqueront la cérémonie de canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II, deux papes qui, chacun à leur manière, ont marqué l’Histoire de l’Église et celle de l’humanité, au cours du XXeme siècle. Et chacun ira, sans doute, de son commentaire, soit pour louer les deux nouveaux saints, soit pour évoquer positivement ou négativement l’action de l’un et de l’autre.

Fr. Johann GruberJohann Gruber, lui, est loin d’avoir atteint pareille notoriété. Mais son témoignage, dans des circonstances terribles, a été droit au cœur des croyants et des incroyants qu’il a croisés, aux camps de concentration de Dachau et de Mauthausen, où son intransigeante opposition au nazisme avait conduit ce prêtre autrichien.

L’oubli qu’il a fait de lui-même, pour se mettre au service des autres, lui a valu le surnom flatteur de «saint de Mauthausen». J’ai gardé personnellement le souvenir de l’engagement de feu Paul Brusson, un des détenus qui l’ont côtoyé au sinistre camp annexe de Gusen, pour obtenir sa reconnaissance par l’Église. Non-croyant, Paul Brusson avait contacté l’évêque de Liège de l’époque, Mgr Albert Houssiau, afin de savoir s’il était possible de demander la canonisation de «Papa Gruber»: il lui avait été expliqué que la procédure devait être lancée par l’évêque de Linz, en Autriche, d’où était originaire Iohann Gruber. Mais qu’il fallait d’abord qu’il soit lavé de l’accusation de pédophilie, sous laquelle les nazis l’avaient fait condamner, après l’Anschluss, pour justifier son envoi en camp de concentration. La Justice autrichienne, depuis lors, a lavé Johann Gruber de cette accusation infamante. Rien ne s’oppose donc théoriquement plus à sa canonisation. Sauf, sans doute, l’absence des miracles requis? Les spécialistes du droit canon, dont je ne suis pas, rappellent que le martyre «dispense» de cette «obligation de résultat».

410801947Et, sans aucun doute, Johann Gruber a été martyrisé en raison de son opposition au nazisme, fondée sur sa conviction chrétienne.  Ses bourreaux eux-mêmes l’ont involontairement confirmé. En le battant à coups de fil de fer barbelé, dans sa cellule, ils ont ironisé: tu es flagellé «comme l’a été ton Christ».

Johann Gruber est décédé à Gusen, le 7 avril 1944. C’était, cette année-là, le jour du… Vendredi saint.

«Santo subito!» avait crié la foule, lors des obsèques de Jean-Paul II, et le cri, manifestement, a été entendu. Dès lors que Johann Gruber est déjà désigné comme le «saint de Mauthausen», ne serait-il pas légitime de considérer, là aussi, que la vox populi est la… vox Dei?

Un acte criminel qui en dit long


Étrange sentiment qui a été le mien, hier, en découvrant dans les dépêches d’agences la nouvelle de l’attentat dont a été victime Emmanuel de Mérode: il y a à peine plus d’un mois, j’avais pu, avec d’autres journalistes belges, rencontrer le conservateur du Parc naturel de Virunga, au Nord-Kivu, lors de la visite sur place du ministre belge de la Coopération, Jean-Pascal Labille, et du commissaire européen au Développement, Anders Piebalgs.

Emmanuel de MérodeL’essentiel, bien sûr, est qu’Emmanuel de Mérode a pu être secouru à temps, et que les balles qui l’ont frappé à l’abdomen et au thorax ont pu être extraites. Et que les nouvelles diffusées par l’hôpital Heal Africa, de Goma, soient rassurantes: on parle d’espoir de guérison. Et le transfert en Belgique du conservateur du Parc naturel est déjà envisagé, pour lui permettre de poursuivre sa convalescence.

Cet attentat n’en est pas moins hautement significatif, et particulièrement inquiétant. Le Parc naturel de Virunga, le plus grand du monde, classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979, est en effet particulièrement convoité: les groupes armés y braconnent et s’y approvisionnent en bois, mais surtout, les gisements pétroliers qui y ont été découverts attisent la convoitise.

Lors de notre visite sur place, au début mars, les défenseurs de l’environnement avaient longuement décrit les manœuvres de la société britannique Soco, détentrice d’un mystérieux permis gouvernemental, qui a décidé, manifestement de se lancer dans l’exploitation du pétrole dans le périmètre du Parc, au risque (vraisemblable) d’entraîner sa déclassification. Ils nous avaient expliqué les menaces de mort dont certains d’entre eux avaient été victimes, qui les avaient contraint à un exil temporaire. Ils avaient fait part de l’attitude ambiguë des autorités congolaises: des soldats en armes «encadraient» des «séances d’information» à la population sur l’intérêt de l’exploitation pétrolière. Ils avaient rappelé que la pêche dans le lac Édouard rapporte quelque 38 millions de dollars par an à l’économie et à la population congolaises.

Après les avoir entendus, Anders Piebalgs avait dénoncé le «double langage» des autorités à ce propos, et postulé un «pacte environnemental et un pacte avec la population locale» si on voulait aller de l’avant.

Entre-temps, en Ouganda, les plans sont prêts pour la construction d’une raffinerie de pétrole, et personne, sans doute, n’est enclin à écouter les paroles équilibrées du commissaire européen. Soit dit au passage, le Royaume-Uni fait (toujours) partie de l’Union Européenne, et la Commission serait fondée à lui demander des comptes sur le comportement de la société britannique Soco, même s’il s’agit d’un opérateur privé. Et la Belgique pourrait, elle aussi, l’interpeller, en réclamant une enquête sur l’attentat dont a été victime le conservateur, qui, selon le député MR François-Xavier de Donnéa, venait de déposer un dossier «compromettant» pour la compagnie pétrolière auprès du procureur de la République à Goma. Rien n’a décidément bien changé depuis l’époque où des milieux britanniques dénonçaient à juste titre les exactions prêtées aux colons de Léopold II, dans le but inavoué de tenter de faire passer sous bannière britannique une colonie dont la richesse ne leur avait pas échappé…

En visant Emmanuel de Mérode, les commanditaires de cet attentat, quels qu’ils soient, ont voulu manifester à la société civile du Nord-Kivu qu’ils ne reculeraient devant rien pour satisfaire leur appât du gain. Raison de plus pour l’Union Européenne de s’impliquer à ce niveau. On peut comprendre qu’un pays comme la République Démocratique du Congo ait besoin d’exploiter ses ressources naturelles, même si on a déjà eu plus d’une fois l’occasion de vérifier, spécialement au Nord et au Sud-Kivu, qu’elle ne bénéficie en rien du pillage de ses ressources, par des compagnies et pays étrangers. Faut-il donc que cette exploitation des gisements pétroliers potentiels (pas nécessairement dans le périmètre du Parc) s’exerce sous stricte surveillance. La population de la RDC, et spécialement celle des Nord et Sud-Kivu, a le droit de l’exiger. Et nous, le devoir de la soutenir.