Adore ce que tu as brûlé, et brûle ce que tu as adoré


Sur son blog, Huub Broers, bourgmestre Voerbelangen, jusqu’ici étiqueté CVP puis CD&V de Fourons, confie qu’aux sympathisants qui lui demandent s’ils peuvent voter N-VA le 13 juin prochain (étrange, tout de même, le réflexe qui pousse à demander à un mandataire élu si on a le droit de voter pour un parti plutôt que pour un autre. Le mayeur fouronnais réincarnerait-il les curés ou les châtelains de jadis?), il répond positivement. Parce que c’est le moyen de «ne pas gaspiller son vote flamand».

C’est, dans son chef, un aboutissement logique. En septembre 2008, avec trois autres collègues bourgmestres CD&V, Huub Broers s’était en effet fendu d’une critique sévère à l’endroit de la direction de son parti — la «bande des quatre» ainsi stigmatisée se composait de Marianne Thyssen, présidente du parti, aujourd’hui tête de liste CD&V au Sénat; du Premier ministre démissionnaire, Yves Leterme; du ministre-président flamand, Kris Peeters; et de l’ancien président du CD&V, alors ministre de la Justice, Jo Vandeurzen, aujourd’hui ministre flamand — pour la rupture du cartel qu’il formait jusqu’alors avec le parti nationaliste, voire séparatiste, de Bart De Wever.

Le ton de Huub Broers reste cinglant, aujourd’hui, pour dénoncer, au sein du CD&V, les «vieux crocodiles du CVP, qui ont un langage menaçant, notamment en comparant la Belgique à la Grèce». «Cela fait mal aux membres du CD&V. Et chez nombre d’électeurs, cela soulève des doutes sur l’attitude à adopter le 13 juin de cette année. J’appartiens à cette catégorie. Ou plutôt, je n’y appartiens plus, depuis peu…» poursuit-il.

Seuls les imbéciles ne changent jamais d’avis… c’est ce que j’ai toujours pensé ;-). Huub Broers n’étant pas un imbécile, il est donc en droit de tourner casaque, même si, explique-t-il, il est resté «jusqu’ici fidèle à (son) parti». Il aurait même pu passer à la N-VA, poursuit-il, en expliquant notamment qu’un ancien membre gantois du CD&V, qui lui a fait parvenir sa carte de parti déchirée, regrette qu’il ne figure pas sur la liste sénatoriale du parti nationaliste, car il aurait voté pour lui. Seules des circonstances personnelles l’obligent à se limiter à sa commune, précise-t-il. Une référence au drame vécu par son épouse. On ne saura donc jamais s’il aurait pu, sous la bannière de la N-VA, obtenir ce mandat parlementaire que le CVP puis le CD&V ne lui ont jamais proposé.

Ce qui surprend, par contre, c’est une des  justifications que Huub Broers donne à son revirement: la mise à l’écart d’un «homme honnête jusqu’à la mort comme Jo Vandeurzen. (Qui) n’a pu « rien faire d’autre » que de quitter le gouvernement fédéral. À mes yeux, on l’a mis tout simplement dehors». Le visiteur de son blog, qui reviendrait d’un long séjour de la planète Mars, pourrait croire que l’ancien ministre de la Justice a été invité à faire un pas de côté en raison de son opposition à la rupture du cartel avec la N-VA. Heureusement, il reste des observateurs de la vie politique qui ont de la mémoire, et qui se souviennent que trois mois après la diatribe du mayeur fouronnais contre la «bande des quatre», dont….  faisait partie ce «Jo» pour qui il dit avoir aujourd’hui un «respect éternel», le ministre de la Justice, puis le Premier ministre, Yves Leterme lui-même, «sautaient» sur leur gestion du volet judiciaire du dossier Fortis, marqué par des contacts discutables entre les cabinets ministériels —les leurs, et celui du ministre des Finances, Didier Reynders— et la Justice. La commission parlementaire d’enquête, depuis lors, a fait une lumière partielle sur ce dossier. Et il est vrai que le comportement de Jo Vandeurzen est apparu plus net qu’on ne le pensait à l’époque. Mais ce qu’on peut retenir aussi, c’est que les torpilles fatales au ministre limbourgeois, et au Premier ministre à nouveau démissionnaire aujourd’hui ont été envoyées par un certain… Herman Van Rompuy, membre éminent du CD&V, alors président de la Chambre, et aujourd’hui président de l’Union Européenne, après avoir été Premier ministre entre-temps, en remplacement d’Yves Leterme. Tandis que le portefeuille de la Justice revenait à Stefaan De Clerck, ancien… président du CD&V, et ancien titulaire de la Justice, qui n’avait pas caché son dépit de voir Jo Vandeurzen le lui «souffler», lors de la formation du gouvernement Leterme I. Et on ne se souvient pas d’avoir lu ou entendu le bourgmestre Voerbelangen, étiqueté CD&V, de Fourons, protester vigoureusement, à l’époque…

Ces précisions données rétablissent la vérité des faits. Elles n’enlèvent rien au droit, pour Huub Broers, d’effectuer le changement de cap, dont il a fait le «coming out» sur son blog. Il n’est, cela dit, pas vraiment original dans la démarche, si on doit en croire les sondages publiés par le journal qui m’emploie, et ne me rémunère, vous le savez, pas assez à mon goût.. Mais il n’en illustre pas moins l’ordre de saint Remi, lors du baptême de Clovis: il en est toujours pour adorer ce qu’ils ont brûlé, après avoir brûlé ce qu’ils ont adoré. Même s’il faut bien avouer que, jamais dans sa carrière, le mayeur fouronnais n’a jamais incendié le camp ultra flamingant…

Addendum

Le masque est finalement tombé ce dimanche 6 juin, avec la lettre de Huub Broers exhibée au congrès de la N-VA à Gand, où le mayeur fouronnais annonçait son intention de voter pour le parti de Bart De Wever à l’élection de dimanche prochain. Là, le « Belang van Limburg »‘ s’en est ému, et lui a donné la parole, ce mardi 8: sans surprise, Huub Broers confirme son propos: il en veut au CD&V « qui ne fait rien pour Fourons » (si ça, ce n’est pas de l’ingratitude, alors on ne comprend plus rien!!!) mais il affirme en même temps qu’il en reste membre (il ne passe pas – encore? – à la N-VA) et proteste de son amitié pour Jo Vandeurzen. Ce dernier, qui doit se souvenir d’Oscar Wilde (« Seigneur, protégez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge ») ne l’en contredit pas moins, en rappelant que le CD&V reste partisan d’une réforme de l’Etat. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose que sa séparation, prônée par Bart De Wever et ses petits camarades, dont, désormais, Huub Broers….

Point final

Ce revirement a permis en tout cas à Huub Broers de retrouver l’attention des médias flamands qui, il est vrai, ne parlent plus guère de Fourons depuis son arrivée au pouvoir. Le «Belang van Limburg» lui a même accordé une large place, au lendemain de l’élection, et même Bel RTL a interrogé le mayeur fouronnais. Qui s’est défendu d’avoir tourné sa veste en posant que «à Fourons, il n’y a jamais eu de différence entre le CD&V et la N-VA, et il n’y en a toujours pas». L’habile pirouette, qui fait croire que, parmi les partis flamands, les anciens partenaires de cartel, c’est bonnet blanc et blanc bonnet! Il suffisait pourtant d’entendre les sifflets des membres de la N-VA, présents à Brussel le dimanche soir, pour fêter la victoire historique des leurs, au moment où Marianne Thyssen, la présidente du CD&V, est apparue sur les écrans, pour se rendre compte que, décidément, l’heure n’était plus à la fraternisation, comme l’an dernier, quand les deux partis se congratulaient pour leurs résultats électoraux respectifs. Ou bien les Fouronnais flamands ont une guerre de retard. Ou bien Huub Broers a bien «habillé» son explication, pour estomper ce qui est ni plus ni moins qu’un revirement politique, à l’effet tout de même très relatif. Car si le parti de Bart De Wever a été crédité de 50% des votes à Voeren, on n’a généralement pas souligné que la moitié des électeurs fouronnais, à quelques poussières de pour cent près, étaient allés voter à Aubel. La N-VA a donc au maximum récolté 25% des voix en terre fouronnaise. Soit moins que son résultat global en Flandre….

La récompense au bout du chemin

Huub Broers continuera-t-il demain à prétendre que CD&V et N-VA, à Fourons, c’est bonnet blanc et blanc bonnet? Il lui sera pourtant difficile de nier son ralliement au parti nationaliste flamand, maintenant qu’il vient d’être coopté comme sénateur par la formation de Bart De Wever. Le mayeur fouronnais réalise ainsi sur le tard ce qui a été longtemps un rêve. Malheureusement pour lui, son parti, le CVP, à l’époque, avait plus un trop-plein qu’un manque de candidats, et si on appréciait à Hasselt le combat inlassable qu’il menait contre la majorité fouronnaise francophone, on ne lui a jamais fait de place éligible que sur les listes provinciales. Et encore, le seul mandat qu’il ait pu décrocher sous les couleurs démocrates-chrétiennes était un mandat de conseiller provincial. Il y semblait résigné, le voilà maintenant propulsé dans l’enceinte du Sénat. C’est dire si son appel à voter N-VA, le 13 juin dernier, a été apprécié. Sa désignation n’est donc qu’une demi-surprise, mais une surprise quand même: après tout, avec Jan Peumans, le président du Parlement flamand, le parti nationaliste a déjà une figure de proue très forte dans l’est de la province du Limbourg, et Peumans lui-même avait récolté pas mal de voix dans le canton de Fourons, le 13 juin.

Quelles conséquences cette cooptation aura-t-elle pour le mayeur fouronnais et pour sa commune, où les circonstances personnelles qu’il invoquait il y a deux mois ne semblent désormais plus lui commander de se limiter? Il  est trop tôt pour le dire, mais il sera sans aucun doute amusant de le voir retrouver ses anciens amis politiques du CD&V, à la Haute assemblée, dans les prochaines semaines. Huub Broers a maintenant quatre ans devant lui, en principe du moins, pour défendre ses idées et faire progresser ses dossiers. Au niveau fédéral et au niveau flamand, où la N-VA participe au pouvoir, cela ne devrait guère lui causer de problèmes. Au niveau provincial, il risque désormais de bénéficier de moins de compréhension. Et sur le plan local, s’il tient toujours ses troupes bien en mains, qui sait si, dans deux ans, le CD&V se résignera à abandonner sans combattre à la N-VA un mayorat aussi symbolique en Flandre?

Le baiser qui tue la crédibilité journalistique


Précautions liminaires: le football, noyé sous le fric, ne m’intéresse plus autant qu’il ne ne faisait jadis, ce qui ne m’a pas empêché de regarder deux ou trois rencontres du «Mondial» sud-africain, et notamment une finale méritoirement remportée par l’Espagne. Je ne suis pas non plus un spécialiste des potins des stars, et jusqu’à ce qu’un ancien confrère aujourd’hui à la préretraite m’alerte sur la vision du baiser donné par Iker Casillas, le gardien espagnol, à la journaliste Sara Carbonero, j’ignorais tout à fait que la «bimba» de la chaîne privée espagnole Telecinco était, en fait, la nouvelle petite amie du portier du Real.

Cela posé, rien que la vision de cette charmante consœur interviewant le gardien de but champion du monde, les joues peintes aux couleurs du drapeau espagnol me paraissait déjà choquante: bien sûr, l’Espagne vivait, avant-hier soir, une soirée sportive exceptionnelle, mais cela autorisait-il une (pseudo?) journaliste sportive à s’afficher ainsi résolument aux antipodes de la sacro-sainte objectivité, qui devrait être la règle cardinale de notre métier?

Disant cela, j’ai conscience de ramer largement à contre-courant. Les grandes compétitions sportives voient de plus en plus les journalistes sportifs (sportives), et spécialement les journalistes sportifs (sportives) de la télévision se muer en partisans plutôt qu’en observateurs. La dérive est générale, même en Belgique, où on n’oubliera pas la manière dont la rédaction sportive de la chaîne publique francophone, la RTBF, s’est naguère désolidarisée d’un journaliste du journal télévisé, qui avait eu le grand tort de rappeler les casseroles judiciaires attachées aux basques du vice-président du Standard de Liège, le jour où ce club avait renoué avec un titre qui se dérobait à lui depuis un quart de siècle. L’Allemagne fait encore exception à la règle: les journalistes sportifs y font toujours preuve d’une (relative) sérénité de bon aloi. Mais c’est bien là une exception, qui se vérifie peut-être aussi dans les pays scandinaves: partout ailleurs, la passion nationaliste pollue le journalisme sportif, et d’abord le journalisme sportif télévisé. D’ailleurs, dimanche soir, c’est revêtus du… maillot de la «Roja» que les journalistes espagnols de la… chaîne publique (RTVE) ont couvert la finale. C’est dire s’ils avaient à l’esprit leur devoir d’impertinence!!!

Dans le cas de Sara Carbonero, il y a pire: c’est la relation qu’elle entretient avec le gardien de l’équipe espagnole. Un fait qui relève de sa vie privée… aussi longtemps que, comme ce dimanche, la chaîne commerciale qui l’emploie —et dont elle est tout de même directrice-adjointe, à 25 ans: sur base de sa seule compétence, on n’en doute pas un seul instant! — ne lui fasse interviewer son partenaire! L’interview, soit dit au passage, était d’une indigence crasse: Sara Carbonero — que d’excellents confrères espagnols me décrivent pourtant comme une bonne journaliste — n’a fait que bredouiller quelques «Bueno!», «Bueno!», pendant que son interlocuteur remerciait pour leur soutien ses parents, ses entraineurs, ses équipiers, saint Nicolas, le roi d’Espagne, le père Noël, et tutti quanti. Avant de lui clouer définitivement le bec d’une manière radicale, mais qui n’a pas dû lui déplaire. Elle n’a retrouvé la voix que  lundi, pour interviewer les stars espagnoles pendant leur interminable triomphe madrilène. Ses interviewes, disponibles en ligne (http://www.telecinco.es/informativos/mundial_2010/VideoViewer/VideoViewer.shtml?videoURL=20454) sont d’une acuité tout aussi affligeante. Et pour les visionner, il faut d’abord subir un intermède publicitaire. On touche le fond!

L’épisode a peut-être fait pleurer dans des chaumières espagnoles et même étrangères. Il devrait faire pleurer surtout dans les rédactions. Car c’est la crédibilité journalistique qui a été tuée par ce baiser. Définitivement. Si des questions s’étaient posées en Espagne, avant ce «Mondial», sur la relation entre M. Casillas et Mme Carbonero, elles ne l’avaient en effet pas spécialement été sous l’angle de l’éthique professionnelle: de nombreux observateurs s’étaient plutôt interrogés sur le risque de déconcentration du dernier rempart espagnol, ainsi observé en permanence par sa petite amie. La défaite de l’Espagne dans son match initial contre la Suisse avait même réveillé quelques critiques à ce propos. Seul, le président de l’Association des Journalistes Madrilènes at un tant soit peu sauvé l’honneur de la presse en posant la question de la crédibilité professionnelle de la belle  sur l’événement: vox clamans in deserto

Aujourd’hui, bien rares seront ceux qui oseront reposer cette question de l’éthique professionnelle, et de la dérive du journalisme sportif. La question est pourtant grave: le sport professionnel mérite en effet une vigilance toute particulière. Et il n’est peut-être pas indifférent qu’il soit si difficile d’y faire la lumière sur des dossiers de corruption, de tricherie, de dopage, etc… qui sont pourtant légion. L’omertà qui règne dans ces milieux fait que ces scandales sont souvent révélés par des journalistes d’information générale, comme on en avait eu l’exemple, en Belgique, lors de la révélation du fameux scandale des matches truqués par la mafia chinoise…

La question devrait interpeller les journalistes sportifs (sportives) encore dignes de ce nom. Elle devrait inquiéter l’ensemble des journalistes. Car elle se résume à une interrogation terrible: le journalisme est-il soluble dans le sport? Mme Sara Carbonero a apporté, à sa manière, une réponse positive à cette question. Hélas.