Et l’indépendance de la Justice, bordel?


Jan JambonJan Jambon, aurait sans doute été fort aise d’entendre un commentaire qui m’est venu aux oreilles, ce midi, où dans une conversation entre voisins de table, quelqu’un a lancé «qu’il (entendez: Salah Abdeslam) aurait mérité une balle dans la tête».  On suppose que l’auteur de la réflexion partageait la réflexion émise ce dimanche par le ministre de l’Intérieur, qui trouvait anormal que l’avocat du seul survivant des attentats de Paris, Me Sven Mary, ait osé invoquer un argument de procédure dans la défense de son client. Et ajouté que le rôle de l’avocat était de veiller «à ce que son client écope d’une peine juste». Peut-on en déduire que, pour le ministre N-VA de l’Intérieur, aucun accusé, ni aucun prévenu ne peut envisager un acquittement devant le tribunal appelé à le juger?

L’homme a par ailleurs fait preuve, là, d’un singulier manque de flair politique, inhabituel dans son chef. Car, qu’un vice de procédure reconnu annule tous les actes d’enquête visant Salah Abdeslam dans l’affaire de la fusillade de la rue du Dries, ou que l’individu soit finalement acquitté des préventions telles que libellées à son encontre, un des arguments éculés qu’il a brandis pour dire son mépris du tribunal correctionnel qui doit le juger, se retrouverait vidé de sens: la démonstration serait faite, si besoin en était, que les prévenus musulmans sont jugés exactement de la même manière que les prévenus non-musulmans par les tribunaux belges.

Du côté du Syndicat de la magistrature, et des Ordres des Barreaux francophone et germanophone d’une part, flamand d’autre part, la réaction aux déclarations du ministre a été tout autre, et ses oreilles ont dû tinter à de nombreuses reprises ce lundi.

L’affaire est d’importance, car Jan Jambon, vice-Premier ministre, est un des porte-parole majeur du pouvoir exécutif, et sa réflexion, populiste s’il en est, pourrait être de nature à influer sur la décision de juges qu’on estime, heureusement, imperméables à toute forme de pression.

Ce n’est par ailleurs pas la première fois, ont noté des observateurs, que des ministres N-VA mettent en cause la justice et les décisions de justice.

Interviewée par «La Première», dans l’émission CQFD («Ce qui fait débat») entre 18h et 18h30 -avant que le porte-parole de l’Odre des Barreaux francophone et germanophone soit interviewé sur le même thème quarante minutes plus tard par Eddy Caeckelberberghs, dans son émission «Au bout du jour» sur… «La Première»!- la présidente du Syndicat national de la magistrature, Manuela Cadelli, rappelait l’annonce faite par Theo Francken, secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, de ne pas appeler les décisions de justice où l’État avait été condamné. Mais aussi le non-respect, par son ministre de tutelle, Koen Geens (CD&V) des cadres légalement fixés pour l’administration de la justice.

thémisEt c’est vrai que, depuis le début de la présente législature, la justice a été singulièrement malmenée!

S’il est vrai qu’un effort a été entrepris pour résorber l’incroyable retard dans les rémunérations des experts de justice, on rejoindra la présidente du Syndicat de la magistrature dans son constat que la justice, elle-même, dispose de trop peu, voire de moins en moins, de moyens. Et on rappellera notamment  la désastreuse réforme de la cour d’assises, qui a eu pour effet que, selon les cas, des justiciables auteurs des mêmes faits homicides, ont comparu, les uns, classiquement, devant un jury populaire, les autres devant un tribunal correctionnel, dont les jugements ont, en général, été bien plus sévères que les arrêts d’assises: bonjour l’égalité de tous devant Thémis!

Koen Geens se rendrait tellement compte des dégâts qu’il nourrirait maintenant le projet de proposer une… réforme de la réforme de la cour d’assises, pour, sur le modèle français, prévoir un jury réduit qui délibérerait sur la culpabilité… ou l’innocence de l’accusé, n’en déplaise à M. Jambon, avec les magistrats professionnels (ce qui réduirait le temps nécessaire à la motivation du verdict), et créer, enfin, une instance d’appel pour la cour d’assises. Si on peut souhaiter que le ministre de la Justice ait, là, le temps d’arriver au bout de ses idées, il n’est pas sot d’envisager qu’ensuite, des recours à la cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg se succèdent, envoyés par des condamnés à de lourdes peines par des tribunaux correctionnels chargés des dossiers criminels. Et que les condamnations de la Belgique s’y succèdent…

Tout ceci nous éloigne des déclarations intempestives du ministre de l’Intérieur.. qui ne subira évidemment pas de rappel à l’ordre, ni, vraisemblablement, d’un recadrage, du Premier ministre, trop anxieux de ne pas mettre sa majorité en péril.

Cela posé, il en faut plus pour impressionner Sven Mary, un des ténors du Barreau en Belgique, tant, d’ailleurs, du côté francophone que du côté néerlandophone. Le plaideur a, il est vrai, de qui tenir: son père, Tony Mary, qui est sorti du silence de sa retraite pour exprimer sa solidarité avec lui, a, au cours d’une carrière variée, essuyé, en tant qu’administrateur de la VRT, essuyé l’hostilité d’un certain… Geert Bourgeois, aujourd’hui ministre-président flamand… N-VA. Débarqué, l’homme avait pris le chemin de la France, se disant fatigué de l’esprit nationalisme étriqué qui régnait au nord du pays. On voit de qui Sven Mary a hérité de son franc-parler et de son esprit critique!