Bart De Wever, satrape et talon d’Achille de la N-VA


La nouvelle n’a pas fait la «une» de la Presse quotidienne: Bart De Wever a été réélu ce week-end président de la N-VA, avec un score de 98,6% des suffrages, propre à faire se retourner Staline dans sa tombe, et à faire pâlir d’envie Kim Jong-un, le leader nord-coréen.

Le bourgmestre d’Anvers et ministre-président flamand ne risquait rien dans l’aventure, puisqu’il était le seul candidat en lice: personne ne pouvait donc lui faire de l’ombre.

Le seul obstacle qui aurait pu se mettre sur sa route était statutaire: les règles internes du parti nationaliste flamingant limitent en effet à deux le nombre de mandats présidentiels possibles. Sauf dérogation. Bart De Wever en a bénéficié pour la quatrième fois: aux commandes de sa formation depuis 2004, il y restera jusqu’en 2023… au moins. Car rien n’interdit de penser qu’alors, pour répondre aux vœux de ses affidés, le président de la N-VA ne se résignera pas à demander une dérogation supplémentaire, et repartir ainsi pour un, ou deux, ou trois, ou…. tours.

Et dire qu’en Afrique, on vilipende à juste titre les présidents qui contournent la limitation constitutionnelle du nombre de mandats, comme vient de le faire encore Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, ou comme l’ont notamment fait Paul Kagame au Rwanda et feu Pierre Nkurunziza au Burundi, Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville ou feu Robert Mugabe au Zimbabwe. Joseph Kabila, empêché de répéter l’opération au Congo-Kinshasa doit se dire qu’il aurait été mieux inspiré de présider la N-VA plutôt que notre ancienne colonie!

Plus sérieusement, la N-VA se rendrait déjà plus crédible si elle levait cette limitation du nombre de mandats dans ses statuts. Quand une dérogation est accordée, pareille limitation peut se concevoir. Mais quand elle est systématiquement contournée, la maintenir relève à la fois de l’hypocrisie et du ridicule.

La longévité de Bart De Wever à la tête du parti nationaliste flamingant témoigne d’abord de la qualité et de la durée de son engagement.

L’homme politique ventripotent du début du XXIeme siècle a d’abord fait preuve de sa grande volonté en s’imposant un apprentissage prononcé du français… même s’il répugne depuis longtemps à répondre en profondeur aux demandes des médias francophones. Il a manifesté la même endurance en suivant un régime strict qui a refait de lui une espèce de star en Flandre, image qu’il a cultivée ensuite en remportant un célèbre jeu télévisé sur la chaîne publique, pompeusement baptisé «De slimste mens ter wereld», «L’être humain le plus intelligent du monde».

Ce n’est pas faire injure à Bart De Wever de dire que pareil titre est usurpé. Mais dans le jardin extraordinaire de la politique belge, comme aurait dit feu Gaston Eyskens, il a fortement marqué son empreinte. D’abord en se jouant d’Yves Leterme, qui avait cru étouffer la N-VA dans son cartel avec le CD&V, dont Bart De Wever a tiré profit pour propulser son parti au sommet, et reléguer les démocrates-chrétiens flamands à un niveau dont ils ne se sont toujours pas remis.

Bart De Wever a ensuite réussi à phagocyter les voix du Vlaams Belang, dont les électeurs, racistes et autres, se sont lassés de voter pour un parti tenu à l’écart de toute coalition par un «cordon sanitaire» qui a tenu, envers et contre tout, depuis le «dimanche noir» du 24 novembre 1991.

Il a réussi enfin à propulser son parti au gouvernement fédéral, dans une improbable coalition avec un MR qui s’y est retrouvé comme seul parti francophone pendant une législature, et dont le président de la N-VA a tiré la prise au bon moment, pensait-il, pour ressortir le communautaire du frigo où il avait dû l’enfermer, et peser ainsi encore plus sur la politique fédérale et flamande.

Et c’est là que le bât a blessé. Car, contre toute attente, les élections du 26 mai 2019 ont vu pour la première fois depuis l’arrivée à sa tête de son «homme providentiel», la N-VA refluer, tandis que la Vlaams Belang opérait une remontée aussi spectaculaire qu’inquiétante et inattendue, sous la houlette d’un jeune président, gendre idéal de la Flandre, qui a compris comment utiliser les médias sociaux au bénéfice des ses thèses ultra-nationalistes et racistes.

Le scénario concocté par Bart De Wever, qui voyait Jan Jambon présider le gouvernement flamand, tandis que lui prendrait le gouvernail au 16 de la rue de la Loi, ne s’est pas concrétisé. Le bourgmestre d’Anvers, du coup, s’est rabattu sur le Vlaamse Regering, et a espéré pendant longtemps réimposer son parti au niveau fédéral. Les injures qu’il a proférées à l’égard de Paul Magnette, le président du PS, incontournable au niveau francophone, ont d’abord témoigné de son désarroi. Puis quand il a vu que d’autres partis flamands semblaient prêts à monter sans la N-VA dans une coalition fédérale, il s’est lancé dans une surenchère auprès de son alter ego de Charleroi, en concédant au PS des avancées dont certains socialistes ont eu la nostalgie, au moment de souscrire à la coalition Vivaldi.

N’est-ce que partie remise pour la N-VA? C’est ce qu’elle paraît croire, en ayant reconduit pour trois ans son leader maximo. Mais pareille dépendance est peut-être aussi le talon d’Achille du parti nationaliste flamingant. Car elle semble indiquer que sans Bart De Wever, elle sera condamnée au reflux. Tandis que, en dehors de ses rangs, l’image du «slimste mens ter wereld» commence sans doute à pâlir. Depuis 2004, la composition du corps électoral a singulièrement évolué, et pour de nombreux électeurs, Bart De Wever est désormais déjà un peu un homme politique du passé.

Chez les Romains anciens, une maxime le rappelait aux empereurs couronnés: la Roche Tarpéienne est proche du Capitole…

La démocratie n’est pas impuissante face au fascisme


L’installation des députés élus le 26 mai dernier s’annonçait comme une grande journée pour Dries Van Langenhove, la dernière recrue du Vlaams Belang. La tradition imposant au doyen de l’assemblée de présider la séance, avec l’apport de deux plus jeunes devait installer le fondateur de la tristement célèbre association Schild&Vrienden, inculpé pour racisme, xénophobie, et port d’arme à la tribune, avec la jeune députée socialiste Mélissa Hanus – qui avait déjà annoncé son refus d’y côtoyer un authentique fasciste – et celui-ci espérait bien profiter des incidents provoqués par divers parlementaires, essentiellement francophones, pour s’assurer une publicité politique douteuse.

Patrick Dewael, le député-bourgmestre Open vld de Tongres, en a décidé autrement. Ancien président de la Chambre, il en connaissait déjà le règlement par coeur. Et pour être bien sûr de lui, il l’a repotassé. Et a découvert que si la tradition prévoyait que la séance inaugurale, en début de chaque législature, attribue au plus ancien élu la tâche de présider les débats et de se faire assister des deux plus jeunes, aucune disposition du règlement n’impose une manière de sacrifier à cette décision.

Il a donc annoncé en début de séance qu’il présiderait les débats depuis son siège «le seul que les électeurs m’ont attribué». Et il a donc privé Dries Van Langenhove, incapable de lui opposer le moindre argument, de l’exposition espérée.

Que Patrick Dewael se montre intransigeant face à l’extrême-droite n’a rien d’étonnant: comme sa cousine Marleen Vanderpoorten, ancienne présidente du Vlaams Parlement, il a été imprégné dès son enfance du souvenir de son grand-père, Arthur Vanderpoorten, ministre de l’Intérieur en mai 1940, arrêté dans la France de Vichy en janvier 1943 sous l’accusation d’avoir organisé des filières d’évasion vers le Royaume-Uni, déporté en Allemagne et décédé au camp de concentration de Bergen-Belgsen. Sous l’impulsion de feu Herman Vandepoorten, ancien ministre et bourgmestre de Lierre, fils d’Arthur, père de Marleen, et oncle de Patrick Dewael, la famille en a gardé une aversion naturelle pour le fascisme, représenté aujourd’hui en Flandre par le Vlaams Belang.

Mais, fidèle à ses principes, Patrick Dewael a surtout montré que la démocratie peut résister efficacement à l’extrême-droite en utilisant les armes qui sont les siennes. À commencer par le respect des règles qu’elle se donne. Et en affirmant sa détermination à débattre avec les élus du Vlaams Belang dès que l’occasion s’en présentera. Pour défendre les valeurs qui sont les siennes.

Son attitude est aussi celle de son parti. Le vétéran Herman De Croo a retardé sa démission du Parlement flamand pour en occuper le perchoir, lors de l’installation de ses nouveaux députés, et en priver ainsi la figure de proue anversoise du Vlaams Belang, Filip De Winter, de s’y installer. C’est aussi la présidente de l’Open VLD, Gwendolyn Rutten, qui a appelé Bart De Wever, le «formateur» flamand, à clarifier son attitude à l’égard du parti d’extrême-droite.

L’attitude du président de la N-VA tranche en effet singulièrement avec celle de Patrick Dewael sur le sujet. Ses rendez-vous répétés avec le président du Vlaams Belang semblent indiquer sa volonté de rompre le cordon sanitaire – à laquelle son parti n’a d’ailleurs pas souscrit, a-t-il insisté – voire de conclure avec l’extrême-droite flamande un accord de gouvernement, pourvu qu’elle lisse son discours. Quitte à présider un gouvernement minoritaire? Les autres partis flamands, unanimes jusqu’ici, ont répété leur refus de s’associer au Vlaams Belang.

Peut-être Bart De Wever espère-t-il mouiller l’extrême-droite au pouvoir, et lui faire subir ainsi la sanction de l’électeur au scrutin suivant. L’exemple autrichien devrait pourtant démontrer à cet amoureux du monde germanophone que le calcul est vicié à la base. Les succès actuels de Matteo Salvini et de la Ligue, en Italie, en fournissent une autre preuve.

Quel que soit le soutien électoral dont bénéficie l’extrême-droite, la seule attitude démocratique cohérente qui s’impose, c’est de la laisser dans son coin nauséabond.

Avec Bart De Wever, les Flamands ont leur Poutine. Ou leur Kabila?


L’insoutenable suspense a donc pris fin: avant de s’envoler pour Shanghaï, Bart De Wever a envoyé la demande de dérogation indispensable pour pouvoir briguer un quatrième mandat à la présidence de la N-VA.
zoveel-viel-bart-de-wever-echt-af_667x1000La veille encore, le bourgmestre d’Anvers jouait la comédie: il ignorait s’il allait franchir le pas; il fallait qu’il en parle avec quelques personnes… Depuis des semaines, pourtant, on sait qu’il «rempilera» en 2015. À la fois parce que le succès électoral du parti nationaliste flamand de droite extrême et sa participation aux gouvernements flamand et fédéral a exigé la montée dans les exécutifs d’un grand nombre de responsables, dont Jan Jambon et Ben Weyts, qui, sans avoir l’aura du gourou de Deurne, auraient pu prétendre à sa succession. Ensuite, comme me l’ont expliqué cette semaine les politologues gantois, Carl Devos, et bruxellois, Dave Sinardet, il y aura d’ici à 2019, date des prochaines élections, quelques couleuvres à faire avaler à l’électorat, spécialement nationaliste, de la N-VA. Et les talents oratoires de Bart De Wever seront sans doute grandement nécessaires pour calmer le dépit de celles et ceux qui espéraient voir la cause de l’indépendance flamande faire un grand bond en avant avec l’arrivée au pouvoir du parti indépendant(r)iste.
Il n’y aura d’ailleurs peut-être pas que la base nationaliste de la N-VA à calmer ainsi. La Flandre de droite a voté massivement N-VA, en croyant le mythe selon lequel sa prospérité reviendrait à tire d’ailes dès que les liens avec la Wallonie sclérosée seraient rompus. Mais dans l’attente, la N-VA au gouvernement flamand, ce sont des études supérieures nettement plus chères; ce sont des associations culturelles privées de subsides; c’est une VRT obligée de tailler dans le vif (et qui doit se demander si elle a bien eu raison de consacrer De Wever «slimste mens ter wereld», l’homme le plus intelligent du monde, il y a quelques années…) et c’est un accès durci aux logements sociaux. Tout cela pour commencer!
Bart De Wever est donc bien parti pour entamer un… quatrième mandat à la présidence de la N-VA, dont les statuts limitent pourtant à deux le nombre maximum de mandats possibles à ce post: c’est le sens de la dérogation qu’il a sollicitée, et qu’il obtiendra sans aucun doute sans coup férir. Il avait pourtant juré ses grands dieux, en devenant bourgmestre d’Anvers, le 14 octobre 2012, qu’il quitterait la présidence du parti à l’issue de son troisième mandat. En arguant que la cité portuaire mérite un mayeur à part entière…
L’homme fort du parti se justifiera sans doute en disant qu’il répond ainsi aux sollicitations qui viennent de toutes parts. On lui en donnera acte.
Vladimir_Putin_-_2006Il ne fait en l’occurrence que reproduire le comportement d’un Vladimir Poutine, qui a toutefois fait preuve de plus de subtilité que lui (mais ils ne jouent évidemment pas dans la même cour). Limité par la Constitution russe à deux mandats, le président russe a changé de fauteuil avec son président, Dmitri Medvedev, et, pendant la durée des deux mandats de ce dernier, il a inversé le rapport de forces politique entre la présidence russe et la direction du gouvernement. Puis il est gentiment revenu pour un nouveau cycle de deux mandats, en rendant à la présidence tout son éclat. Pour sans doute ensuite, inverser à nouveau les rôles… jusqu’à ce que mort s’en suive?
Joseph KabilaJoseph Kabila n’en est pas là. Mais le président congolais ne pourra, en principe, pas, au terme de son mandat (contesté), se représenter à la présidence de la République Démocratique du Congo.Mais, à son âge (43 ans), le président congolais se voit mal accéder bientôt à la retraite… et ce n’est pas Bart De Wever qui le contredira, puisque le gouvernement fédéral dont la N-VA fait partie vient de rehausser à 66 puis à 67 ans, à l’horizon 2030, l’âge de la retraite en Belgique. Joseph Kabila songe donc à une modification de la Constitution congolaise, qui lui permettrait de rempiler. Et malgré l’opposition démocratique, il serait bien capable d’arriver à ses fins.
L’opposition bolivienne ne dit rien d’autre d’Evo Morales, qui va être élu ce dimanche pour la troisième et en principe dernière fois à la tête de son pays.
Les mauvaises pratiques, décidément, sont contagieuses. Curieusement, elles semblent rarement rendre heureux ceux qui les mettent en œuvre. Et tout auréolé qu’il soit de ses succès électoraux répétés, Bart De Wever n’aura jamais l’envergure d’un Winston Churchill, qui s’est incliné devant l’impitoyable et invraisemblable verdict des urnes qui l’a renvoyé dans l’opposition, en 1945.Le vieux lion y a trouvé au contraire une nouvelle énergie pour tenter de renverser la vapeur. Et rappelé que «la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres». Dont celui de la démocratie dirigée, à la sauce N-VA, russe, congolaise, bolivienne, etc.

Tiens, José H. a retrouvé son nom en Flandre


Il faut laisser à José Happart qu’il est et reste conséquent. Régionaliste, il est; régionaliste, il restera. Et quelle que soit l’opinion qu’on ait de sa gestion comme ministre wallon de l’Agriculture, puis, plus tard, de sa posture comme président du Parlement wallon, il a toujours été très explicite, en ne cessant de répéter que les Wallons, et les francophones « doivent voir les Flamands comme ils sont, et non comme ils voudraient qu’ils soient« .

L’ancien bourgmestre de Fourons parle en connaissance de cause: bien avant les bourgmestres non-nommés de la périphérie bruxelloise, il a été en butte à la volonté affichée de la Flandre de ne pas lui laisser exercer son mandat mayoral, au motif, à l’époque, qu’il ne parlait pas le néerlandais. Le « ‘hérisson » a perturbé à plus d’une reprise, dans les années 80, le jardin extraordinaire de la politique belge: le célèbre « carrousel fouronnais » a provoqué la démission d’un ministre de l’Intérieur, Charles-Ferdinand Nothomb, et la chute d’un gouvernement Martens.

C’était le « temps des gourdins » dans les Fourons. C’était l’époque où la Flandre avait décidé de nier l’existence de José Happart, en le privant de son nom: dans les médias, on ne l’appelait plus que « José H. »!

200_200_ce9b635ed7c419e9c0f9a82f4f42d13e-1364995023Ce temps-là est bien révolu: José Happart était avant-hier l’invité de l’émission « Terzake », sur Canvas, la deuxième chaîne publique flamande. Et le « Standaard », à qui il donnait jadis des boutons, lui a offert aujourd’hui une photo en première page, et une page en rubrique politique. Et plus question de « JoséH. » désormais, c’est bien de « José Happart » que nos confrère parlent. Avec même, à la « une » du « Standaard », la reproduction du panneau aux couleurs wallonnes, rouge et jaun,e qu’il a fait apposer au Centre culturel et sportif de Fourons, né, avec la Région bruxelloise, de son renoncement, en 1988, au fauteuil maoyral de Fourons.

Mais par quel miracle les médias flamands s’ouvrent-ils ainsi aujourd’hui à celui qu’ils abhorraient hier? Sa retraite politique y est sans doute pour quelque chose: comme on sait son influence désormais très limitée dans un PS qui a réduit au silence ou quasi son courant régionaliste, que le Liégeois Jean-Claude Marcourt s’efforce de maintenir en vie, le moment est venu pour eux de se montrer magnanime.

Et puis le credo politique de José H. n’a pas changé: il est toujours le chantre de l’Europe des régions. Et, en régionaliste convaincu, il se dit prêt à la discussion avec tout le monde « sauf le Vlaams Belang, qui n’est toujours pas fréquentable« , et d’abord et avant tout avec Bart De Wever.

Voilà sans doute la clé: on mesure donc peut-être surtout, à cette restitution de son nom au « hérisson fouronnais », combien les médias flamands sont désormais sous l’emprise (résistible) du mayeur anversois…