Un combat à reprendre pour la liberté de la Presse


Il est des combats dont il ne faut jamais croire qu’ils sont définitivement gagnés: le combat pour la liberté de la Presse est de ceux-là! Paradoxe dans un pays qui, depuis l’origine, proclame dans sa Constitution que «la presse est libre» et que «la censure ne pourra jamais être établie»? Hélas, hélas, hélas, comme le disait Charles de Gaulle en évoquant le putsch des généraux félons à Alger, en 1962, il faut bien constater, ces derniers temps, que, y compris chez nous, l’année 2019 a été marquée par un recul de la liberté de la presse.

Péril pour la liberté de la presseLe signe le plus évident en est la nécessité ressentie par nos collègues flamands de la Vlaamse Vereniging van Journalisten (VVJ) de créer, sur leur site, un point d’alerte pour toute violence faite aux journalistes.

En six mois, c’est une douzaine de faits qui ont été signalés à l’union professionnelle des journalistes flamands. On n’en est, pour l’instant, qu’à des menaces physiques ou de l’intimidation, comme lors d’une manifestation d’extrême-droite contre le Pacte de Marrakech sur l’immigration, en début d’année. Ou lors d’un procès de Hells Angels devant un tribunal correctionnel limbourgeois. Mais il y a aussi ce fermier qui détruit l’appareil photo d’un correspondant de presse qui, à distance, venait de prendre des images de l’incendie d’une de ses étables. Ou la police qui menace de saisir les images d’un cameraman de télévision, qui filmait les lieux d’un accident de circulation, en respectant le périmètre de sécurité imposé.

L’Europe a connu quelques cas tristement célèbres d’assassinats de journalistes. Sur l’île de Malte, plus de deux ans après l’explosion de sa voiture qui lui a coûté la vie, les assassins présumés de Daphné Caruna-Galizia ne sont pas encore jugés, et leurs commanditaires ne sont pas connus. En Slovaquie, l’assassinat de Jan Kuciak et de sa fiancée a déclenché une vive réaction populaire qui a conduit à la démission du Premier ministre et à un renversement de majorité. Leurs assassins ont été démasqués, et les commanditaires mafieux de leurs assassinats sont connus. En Roumanie par contre, la précipitation avec laquelle l’assassinat de Viktoria Marinovna a été qualifié de crime purement sexuels laisse subsister bien des soupçons.

En Italie, j’ai eu le privilège douloureux de rencontrer des journalistes qui vivent sous protection policière permanente, après les menaces de morts proférées contre eux par la Mafia. Et le monde entier a appris avec horreur, il y a quelques semaines, les détails de l’assassinat de Jamal Kashoggi, au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul.

Rien de tout cela chez nous et dans les pays voisins, me direz-vous? Il y a un an, rappelez-vous, des journalistes belges et des journalistes français étaient menacés, et parfois molestés, par des «gilets jaunes» qui les jugeaient par définition hostiles. En Catalogne, des journalistes ont été victimes de violences policières, et d’autres ont été attaqués par des militants indépendantistes.

En Allemagne, où j’ai assissté récemment au congrès d’un des deux grands syndicats de journalistes, le Deutscher Journalisten Verband (DJV), le rapport annuel a évoqué le refus opposé par l’Alternativ für Deutschland à la présence de journalistes au congrès ce ce parti d’extrême-droite. Tandis que d’autres voix réclamaient une meilleure protection des sources journalistiques. Une protection des sources, qui, comme l’a posé la Cour européenne des Droits de l’Homme, est la «pierre angulaire de la liberté de la presse».

Presse locale, non merci!

Les médias locaux exclus de la visite du Secrtaire d'EtatUn autre cas flagrant de censure a été dénoncé ce week-end par la section bavaroise du DJV, le BJV (Bayerischer Journalisten Verband) après le véto opposé par les autorités (états-unienne? allemandes? états-uniennes et allemandes?) à la présence de journalistes du quotidien régional Der Frankenpost, lors de la visite, à Mödlareuth, du secrétaire d’État états-unien, Mike Pompeo, et du ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD). Seul était autorisé, dans le sillage des deux excellences, un pool télévisé, composé de représentants de la ZDF (chaîne publique), et de RT L (chaîne privée). L’idée étant, on l’imagine, de diffuser des images de cette visite, mais de ne donner à personne l’occasion de poser des questions au secrétaire d’État et à son hôte. Et aussi sans doute une forme de mépris à l’égard de la presse locale? L’incident a en tout cas suscité une réaction d’un député SPD de la région. Klaus Adelt s’est dit choqué par le fait que cette mise à l’écart s’est produite «le jour même où on célèbre la liberté d’opinion et la liberté de la Presse» et qu’en plus, «elle est incompatible avec la Constitution qui proclame la liberté de la Presse et la liberté d’informer».

Des notions également ignorées des autorités turques,  qui maintiennent en détention des dizaines de jouralistes turcs , sous l’accusation fallacieuse d’appartenance à une mouvance subversive: depuis près de dix ans, la Turquie se révèle la plus grande prison pour journalistes d’Europe, voire du monde!

De son côté, la Maison-Blanche a retiré leurs accréditations à des journalistes russes travaillant pour des médias que le président français, Emmanuel Macron, a qualifiés d’officines de propagande. Et dans la foulée le président russe, Vladimir Poutine, a pris une mesure similaire à l’égarde de journalistes étrangers, qualifés «d’agents de l’étranger». Quant aux journalistes russes travaillant en Ukraine ou aux journalistes ukrainiens actifs en Russie, on devine le sort qui leur est réservé.

Je rappellerai enfin le combat mené depuis plus d’un an par la rédaction d’un journal qui m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût, pour garantir son indépendance par rapport à une direction qui n’a pas hésité à procéder à des licenciements ciblés et à procéder à un lock-out, pour tenter de la faire plier.

Et que dire, dans le même ordre d’idées, des pressions exercées par le nouveau ministre-président flamand, Jan Jambon (N-VA) sur la VRT, pour que la chaîne publique de radio-télévision cesse sa «propagande» sur le réchauffement climatique et qu’elle offre la parole à des «climato-sceptiques»? Et la suppression, évoquée dans un autre billet de ce blog, des subsides à l’investigation journalistique indépendante?

La piqûre de rappel est sérieuse, et tou(te)s les journalistes doivent en être conscient(e)s: la défense de leur liberté est leur affaire, en tout premier lieu. Et s’ils/elles ne la défendent pas eux/elles-mêmes, personne ne le fera à leur place!

 

Paradoxe: le gouvernement flamand s’en prend à sa propre Culture


Loin de nous l’idée de comparer Jan Jambon au leader des Jeunesses hitlériennes, Baldur von Schirach. Mais de même que ce triste sire avait paraphrasé une réplique de la pièce Schlageter, créée en 1933, où un étudiant nazi s’écriait « Quand j’entends le mot Culture, j’enlève le cran d’arrêt de mon Browning », se référant à l’inanité de promotion culturelle dans un pays occupé, le nouveau ministre-président (N-VA) flamand pourrait déclarer que quand il entend le mot Culture, il «sort son « croc à phynances » » (Alfred Jarry).

Jan Jambon champion au jeuC’est que les dernières nouvelles venues du nord du pays font douter que la Culture figure bien parmi les attributions de l’ancien ministre fédéral de l’Intérieur, grand amateur de vidéo comme l’a démontré le débat sur sa déclaration de politique régionale au Vlaams Parlement (cf. un billet antérieur sur ce blog): l’annonce de la réduction de 8,47 à 3,39 millions (-60%) des subsides culturels flamands a mis en ébullition tout le secteur culturel flamand.

Jan Jambon n’est pas le seul ministre à sabrer de la sorte dans des subsides culturels: juste avant cette annonce forte, c’est le tout frais émoulu ministre flamand des Benjamin DalleMédias, Benjamin Dalle (CD&V), qui ava!t annoncé la suppression pure et simple du soutien public au Vlaams Journalistiek Fonds, une initiative lancée l’année dernière par son prédécesseur libéral et bruxellois Sven Gatz, qui l’avait dotée de 550000 euros, pour promouvoir l’enquête journalistique.

Le Vlaams Journalistiek Fonds était (est) une initiative commune du Département flamand de la Culture, de la Jeunesse et des Médias, de la Vlaamse Vereniging van Journalisten (VVJ) et de l’asbl Journalismfund.eu.

Cette dernière asbl est une initiative privée vieille d’une vingtaine d’années: elle portait à l’origine le nom de Fonds Pascal Decroos pour l’investigation journalistique. Elle avait été créée en souvenir d’un journaliste flamand décédé le 2 décembre 1997 à l’âge de 33 ans.  Depuis 1998, elle a distribué 3304987 euros en soutien à 671 projets, menés par 852 journalistes. Elle a sans doute inspiré le Fonds créé plus tard en Communauté française pour stimuler une investigation journalistique de plus en plus délaissée par les directions des médias, au sud comme au nord du pays.

Auparavant aussi, il y avait eu l’annonce d’une réduction drastique des moyens attribués à la VRT, doublées d’une injonction faite à la radio-télévision publique flamande de promouvoir le «canon flamand», entendez l’identité flamande.

Il y a donc un singulier paradoxe, dans le chef du nouveau gouvernement flamand, d’exiger une promotion de la Culture flamande, en lui retirant l’essentiel de son soutien financier. Comme s’il était possible de faire plus en en faisant moins?

À moins que le propos ne soit de concentrer les  maigres subsides restants sur des projets bien précis, comme l’a laissé entendre Jan Jambon? Tout cela paraît décidément cousu de câble blanc: on devine déjà quels projets et quelles institutions culturelles bénéficieront du soutien de ce gouvernement hyper-nationaliste. D’autant que l’investigation journalistique indépendante, elle, s’est simultanément vu pratiquement couper les ailes.

Cette situation relève aussi d’une certaine  ironie, si l’on s’en réfère à l’histoire du mouvement flamand, soutenu par des Fonds, d’inspiration chrétienne, libérale, et socialiste (Davidsfonds, Vermeleynfonds, Willemsfonds), dont l’activité principale était de soutenir la Culture flamande menacée par l’expansion du français. Pour rappel, la réforme constitutionnelle de 1970, qui a lancé le processus de fédéralisation du pays, satisfaisait la revendication flamande de création de Communautés culturelles. Et elle avait été précédée de la campagne flamingante contre l’université catholique francophone de Louvain, coupable de répandre et d’illustrer la Culture française, sur le Heilige Vlaamse grond.

Près de cinq décennies plus tard, c’est l’autorité flamande elle-même qui rompt le cou à cette autonomie culturelle. Ce n’est pas forcément rassurant, car la Culture, par essence, favorise la diversité des opinions. Et les milieux culutrels sont souvent contestataires. Est-ce cela qui inquiète tant Jan Jambon?