Sur le métier, remettez votre ouvrage…


La décision était attendue, mais il faut la mentionner: Xavier Gonay et l’AGJPB, l’assocation nationale des journalistes professionnels se sont pourvus en appel du jugement incroyable du tribunal correctionnel de Tongres, relatif à l’agression du cameraman par un Fouronnais flamand. Comme le disait un ami avocat, ce jugement confirme, si besoin en était, que la pseudo dépolitisation de la justice, effectuée dans la foulée de l’affaire Dutroux, n’empêche pas qu’on ait à faire à des juges ô combien politiques!
Mais les pressions sur un journalisme libre ne sont pas que judiciaires ou politiques: la firme Universal, qui s’est déjà rendue tristement célèbre avec ce contrat inique imposant des amendes pharamineuses aux journalistes qui ne respecteraient pas un embargo aux visées strictement commerciales, entend dicter à certains médias quel(le)s journalistes ils doivent leur déléguer pour interviewer l’une ou l’autre de leurs vedettes ou réputées telles.
À cela, une seule réponse: le black-out pour les artistes (du moins selon les goûts) de l’écurie Universal. Il serait peut-être urgent de rappeler à ces messieurs-dames qu’à l’instar de ces footballeurs qui jouent aux chochottes après une défaite qui leur a valu des critiques, c’est eux qui ont besoin des médias. Pas l’inverse!

La liberté de la presse en péril: chez nous aussi!


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Depuis plusieurs années, le 3 mai a été institué journée mondiale de la liberté de la presse. Et samedi dernier, dans ce cadre, de nombreux médias belges ont évoqué les atteintes à cette précieuse liberté, constatées dans le monde entier par des organisations comme la Fédération Internationale des Journalistes, ou Reporters sans Frontières.

La démarche mérite d’être saluée. Elle risque pourtant d’accréditer le fait que, chez nous, la liberté de la presse serait une valeur acquise. Et pour cause puisque, dès la fondation de notre pays, le constituant a, en 1831, rédigé un article 25 tout à fait remarquable, selon lequel «la Presse est libre, la censure ne pourra jamais être établie». Emballé, c’est pesé? Deux événements indépendants l’un de l’autre, viennent, l’un à l’approche, l’autre au surlendemain de sa célébration, de nous rappeler que, même chez nous, la liberté de la presse doit être défendue pied à pied.

Premier épisode: vendredi, se rendant au centre d’entraînement du Standard de Liège, pour y réaliser les interviewes habituels de présentation de la rencontre du week-end, des journalistes de la RTBF se voient signifier que, sur ordre du directeur général, M. Pierre François, toute interview leur est désormais interdite. Le lendemain, jour de la partie entre le Standard et Dender, les journalistes de la RTBF se voient garantir l’accès à la tribune de presse – gérée par l’association des journalistes sportifs – et autorisés à rejoindre la conférence de presse d’après-match. Mais l’entraîneur, Michel Preud’homme, refusera de répondre à leurs questions. Et il leur sera de même impossible d’interroger des joueurs.
La raison de ce boycott? Au milieu des célébrations du titre des «Rouches» par la chaîne publique, une séquence du JT a rappelé le passé judiciaire de leur vice-président, M. Luciano D’Onofrio. Cette séquence n’a pas eu l’heur de plaire à la direction du club liégeois: une banderole vengeresse cible même son auteur dans l’enceinte du stade. Banderole spontanée? On peut en douter, surtout en raison du mot «faquin» qui y figurait, et qui n’a pas vraiment cours dan les tribunes! En tout cas, les stewards du Standard n’ont pas fait enlever cette banderole: la mise en cause est donc bien réelle.
Aussitôt, en ma qualité de vice-président de la Fédération Européenne des Journalistes, j’ai fait parvenir à M. François un courriel de protestation. «L’interdit professionnel qui frappe ainsi les journalistes de la RTBF s’assimile rien moins qu’à une forme de censure (…)
Que la direction du Standard de Liège n’ait pas apprécié (la) séquence (du JT de la RTBF, est son droit. Ce droit ne lui confère pourtant pas celui de mettre en cause la liberté éditoriale des journalistes de la RTBF. Si la séquence qui a été diffusée véhiculait des informations fausses ou erronées, la direction du club avait à sa disposition tous les moyens utiles pour les faire rectifier. À ma connaissance, pareille démarche n’a pas été entreprise: c’est donc bien la liberté d’expression des journalistes de la RTBF qui est visée par votre démarche.
J’ajoute qu’une banderole déployée par des supporters s’en prenait nommément au journaliste qui avait pris cette séquence en charge. Je m’insurge également avec force contre cette attaque personnelle, dont je ne peux imaginer qu’elle n’a pas été cautionnée, voire inspirée, par le club. On a à cet égard suffisamment épinglé la direction du Paris Saint-Germain, dernièrement, dans le déploiement d\’une banderole « anti ch’tis », à l\’occasion de la récente finale de la coupe de la Ligue française, pour ne pouvoir incriminer la direction du Standard dans ce cas parallèle.
Cette mise en cause personnelle n’est pas vierge de menaces physiques: la mise à sac d’un café de Lincent par des supporters du Standard, ce week-end, ne manque pas d’inquiéter à ce propos» écrivais-je.

La réponse de M. François n’a pas tardé: «notre club n’est pas intervenu pour empêcher la diffusion d’une séquence au journal télévisé de la RTBF et a laissé aux journalistes en charge de ce programme la totale responsabilité de cette séquence sans vouloir contredire leurs propos d’une quelque manière que ce soit, pas même en demandant la diffusion d’un droit de réponse.
Les journalistes de la RTBF bénéficient au Standard de Liège des prérogatives qui leur sont reconnues par la convention liant les clubs de la Ligue Professionnelle de Football et l’APBJS.
La liberté que vous entendez défendre pour les journalistes de la RTBF va évidemment de paire
(sic) avec la liberté des autres acteurs. Pour des raisons qui lui sont propres, notre club n’entend pas pour l’heure participer activement aux émissions que la chaîne consacre au Standard de Liège. Il ne s’agit nullement de censure mais tout au plus de retenue.
Permettez-moi en revanche d’être particulièrement choqué par les amalgames que votre email contient. Ainsi, vous imaginez que j’aurais inspiré ou cautionné une attaque personnelle dirigée contre un journaliste de la RTBF. Vous ne manquez pas par ailleurs d’imputer à des supporters du Standard la mise à sac d’un café de Lincent en reliant ce fait à ceux que vous entendez dénoncer. Vous me paraissez particulièrement aller vite en besogne et je regrette ce qui apparaît d’emblée comme un manque d’objectivité de la part d’un journaliste de votre rang
».
Du message découle une constatation évidente: jusqu’à nouvel ordre, les journalistes de la RTBF devront se contenter de tendre leur micro aux joueurs, entraîneurs et dirigeants du Standard de Liège. Mais ceux-ci ne répondront plus à leurs questions. Suffisant pour parler de censure, par omission!

L’enquête judiciaire, menée à la suite du saccage du bistrot de Lincent, s’oriente par ailleurs clairement vers les membres du club de supporters du Standard le « Public hystérique ». Tout un programme…

Le fait, hélas, est coutumier dans les milieux du football: le Sporting de Charleroi s’est tristement illustré sur ce plan dans le passé. Le jugement ahurissant rendu, lundi, par le tribunal correctionnel de Tongres, dans l’affaire, déjà évoquée sur ce blog, des coups et blessures infligés, le 9 juin 2001, à un cameraman de RTL-TVI, à Fourons, jette, lui, une forme de discrédit sur l’institution judiciaire.
Certes, la culpabilité de Valentin Theunissen est affirmée, par le biais de la suspension du prononcé dont il bénéficie. L’homme s’est donc bel et bien rendu coupable d’une atteinte à la liberté de la presse, le jour des faits. On pourrait le croire du moins. Si ce n’est que… le juge tongrois dénie la qualité de journaliste au cameraman, qui, à l’en croire, s’est comporté le jour des faits «en macho désireux de faire l’actualité à tout prix, se coulant dans le rôle de metteur en scène d’une mauvaise série télévisée» (sic). Le cameraman se serait aussi rangé dans le camp des manifestants, dérogeant à son devoir d’informer. La réaction de son agresseur est donc «compréhensible et excusable». D’autant, rappelle le juge, que les installations du club de football dont il est propriétaire avaient fait l’objet de déprédations, quelques jours auparavant. Déprédations auxquelles le cameraman était évidemment étranger mais qu’importe!
Quant aux blessures à la tête qu’il a subies le jour des faits, elles pourraient, dit le juge, avoir été provoquées par des cailloux jetés par des manifestants. Cailloux qui, on le suppose, auront miraculeusement atterri sur le crâne du cameraman juste au moment où le bâton tenu par son agresseur le touchait. Et exactement au même endroit!

Les optimistes diront que la justice tongroise a quand même franchi un pas: elle avait d’abord prononcé, en chambre du conseil, un non-lieu en faveur de Valentin Theunissen. On ne nous empêchera pas d’y voir une espèce de blanc-seing donné à un prédateur de la liberté de la presse!

Le 3 mai 2008 mérite décidément d’être marqué d’une pierre noire en Belgique!