Entre la droite extrême et l’extrême-droite, il y a parfois plus de similitudes que de différences, notamment en matière de justice, que des événements récents viennent de démontrer, en France comme en Région flamande.
En France, le meurtre, ou l’assassinat de la jeune Lola a provoqué une émotion et une indignation nationales parfaitement compréhensibles. Elle a aussi donné lieu à une récupération politique de la part du Rassemblement, ex-Front, National, dont la leader, Marine Le Pen, s’est répandue en critiques contre le gouvernement, parce qu’un ordre de quitter le territoire français, frappant la meurtrière présumée, de nationalité algérienne, n’avait pas été appliqué. Quelques jours auparavant, le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, qui, en matière de droit, en connaît nettement plus que l’ancienne candidate à la présidence de la République, elle-même pourtant avocate, avait expliqué qu’un ordre de quitter le territoire peut difficilement s’appliquer à des nationaux dont le pays refuse de les recevoir. Et c’est précisément le cas de l’Algérie. Comment dès lors appliquer cet ordre? En plaçant celles et ceux qui en font l’objet dans des zodiaques qu’on laissera indéfiniment flotter dans les eaux internationales au milieu de la Méditerranée?
Le ministre de la Justice français, dont la longue carrière au Barreau lui a valu le surnom d’«Acquittator» aurait pu aussi expliquer qu’appliquer un ordre de quitter le territoire n’a une efficacité que théorique, car souvent, celles et ceux qui en font l’objet, hors les cas où on les embarque de force dans des avions pour les ramener dans des pays où leurs droits fondamentaux, voire leur vie, sont menacés, reviennent souvent par la fenêtre, après avoir été expulsés par la porte…
Les obsèques de la jeune Lola se sont heureusement passées dans la dignité, après que sa famille, dans l’affliction que l’on devine, eut appelé à éviter toute récupération politique.
Cela n’a pas empêché Jordan Bardella, candidat à la présidence du Rassemblement National, revenir à la charge hier soir, accusant les autorités françaises de se coucher devant les autorités algériennes et citant notamment en exemple la phrase d’Emmanuel Macron, le président de la République, qui avait qualifié la colonisation de «crime contre l’Humanité» lors d’une visite à Alger. Phrase que l’homme politique a évidemment récusée: il est vrai que parmi les électeurs du RN dont il sollicitera les suffrages, se trouvent notamment des nostalgiques du régime de Vichy…
En Flandre, c’est la ministre de la Justice et de l’Application des lois, de l’Énergie, de l’Environnement et du Tourisme, Zuhal Demir (N-VA) qui s’est signalée par une réaction inappropriée à un jugement, quand elle a décidé de priver la KUL, l’université catholique flamande de Leuven, d’un subside de 1,3 million, pour la punir de sa «passivité» face au viol, en 2016, d’une étudiante par un professeur.
Première bizarrerie: l’octroi de ce subside, en matière d’Enseignement, ne relèverait-il pas plutôt de son collègue de parti et de gouvernement, Ben Weyts, vice-président du gouvernement flamand, et titulaire de ce département?
Si, au niveau européen, on s’efforce de mettre en cause le versement de subsides à des pays comme la Hongrie ou la Pologne, dont le comportement n’est pas conforme aux valeurs européennes communes, pareille pratique n’a pas cours en Belgique ni dans ses entités fédérées. Et la question qui se pose est à la fois de savoir si la KUL était habilitée à recevoir ce subside ou non, et surtout à quoi ce subside était destiné. S’il s’agissait de financer une recherche scientifique, l’attitude de Zuhal Demir est inexcusable!
D’autant qu’il est vite apparu que la ministre entre autres de la «Justice» (car la Justice, jusqu’à preuve du contraire, reste une matière fédérale) a réagi sans discernement. Car la KUL a bien précisé que si elle ne s’était pas manifestée jusqu’ici, c’était à la demande… des autorités judiciaires, saisies du dossier en 2018 après que… les autorités académiques eurent conseillé à l’étudiante et à sa famille de porter plainte. Les enquêteurs souhaitaient la discrétion, pour ne pas alerter le professeur visé par cette plainte. Et la victime elle-même, manifestement, ne souhaitait pas que son dossier devienne public.
Le jugement dans cette affaire est intervenu récemment, et dès lors qu’un jugement est public, la presse en a parlé. Le professeur visé a été sanctionné par l’université catholique flamande de Leuven. Et dans la foulée, Zuhal Demir s’est manifestée par une décision impulsive, qui visait peut-être avant tout à montrer qu’elle se préoccupe aussi de Justice, parmi ses nombreuses attributions.
La ministre limbourgeoise d’origine turque (qui, pour rappel, a un jour estimé qu’il y a trop de personnes d’origine étrangère en Flandre!) va devoir maintenant effectuer un forme de rétropédalage, pour avoir agi sans discernement.
Sur le fond, car le dossier est toujours susceptible d’appel, elle aurait d’autant plus faire preuve de retenue qu’un principe de droit fondamental, qu’elle en tant que ministre de la «Justice» et Marine Le Pen en tant qu’avocate ne peuvent ignorer, énonce qu’une personne accusée est présumée innocente aussi longtemps que sa culpabilité n’est pas prouvée.
À l’heure où les réseaux sociaux fourmillent d’accusations publiques, ce principe est quasi quotidiennement bafoué: son respect par les autorités judiciaires et par le pouvoir politique qui en a, en apparence du moins, la responsabilité, s’impose d’autant plus.
La régionalisation de la Justice figurera au nombre des revendications flamandes après les prochaines échéances électorales, Zuhal Demir l’a confirmé en ce début de semaine en listant déjà un cahier de revendication. Si la Justice est effectivement régionalisée, on plaint déjà nos compatriotes du Nord du pays si elle se voit confier cette attribution dans le futur: ils auront intérêt à s’accrocher à leurs droits fondamentaux!
Entre-temps, la ministre multi-casquettes N-VA a encore bien d’autres chats à fouetter. Notamment celui qu’elle a voulu imposer à la hussarde en matière agricole, en imposant une série de fermetures de fermes, afin d’atteindre les objectifs d’un plan de réduction des épandages d’azote qui hérisse toujours le monde agricole!