La jacquerie néerlandaise s’est traduite dans les urnes


Les Français avaient connu les «Bonnets rouges» avant les «Gilets jaunes» sans pouvoir traduire cette colère populaire dans les urnes: les Néerlandais ont transformé l’essai, en faisant du BoerBurgerbeweging (le Mouvement Paysans-Citoyens) le grand vainqueur des élections provinciales cette semaine. Ce qui leur a valu les félicitations du Premier ministre libéral, Mark Rutte, même si le nouveau-venu a pris des voix à son parti, à son partenaire de coalition démocrate-chrétien (CDA), et surtout au parti d’extrême-droite, Forum voor Democratie, de Thierry Baudet.

Le succès de l’ancien «Parti des fermiers» n’est pas tout à fait inattendu: aux Pays-Bas comme en Flandre récemment, les agriculteurs ont massivement manifesté pour rejeter les dispositions d’un plan de réduction des rejets d’azote que, comme chez nous, ils estimaient trop massivement dirigé contre le secteur agricole.

Caroline Van der Plas illustre l’adage selon lequel le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir…

Les électeurs néerlandais sont par ailleurs coutumiers du vote en faveur de partis nouveaux, qui ne se sont pas encore frottés à l’exercice du pouvoir. Dans les années 60-70, c’est le parti D66, libertaire à ses débuts, qui a recueilli les voix des mécontents. Trente ans plus tard, c’est un leader d’extrême-droite décomplexé, Pim Fortuyn, qui a opéré une percée spectaculaire, avec un anti-islamisme forcené, qui a conduit à son assassinat. Sa succession a été prise avec un succès certain par Geert Wilders, le chef aux cheveux peroxydés d’un parti hypocritement baptisé « de la Liberté» (PVV). Avant que Thierry Baudet, et son Forum pour la démocratie, ne prenne le relais au cours des derniers scrutins. Jusqu’à cette semaine, où, victime d’une dissidence, il a surtout vu le BBB, conduit par une ancienne journaliste, Caroline Van der Plas (soucieuse de confirmer l’adage selon lequel le journalisme mène à tout à condition d’en sortir?), lui damer le pion.

Au vu des exemples ci-dessus, le Mouvement Paysans-Citoyens est-il appelé à… ne pas durer?

Dans la foulée de ce succès électoral inattendu, les Néerlandais veulent y croire. «Il leur suffit qu’ils placent des gens compétents aux postes à responsabilités pour qu’ils s’installent dans la durée» confiait un de ses électeurs au micro de la télé flamande, partie à la découverte de ce phénomène politique nouveau.

La chance du BoerBurgerBeweging pourrait venir d’une invitation à se joindre à la coalition gouvernementale, peut-être à la place d’un des partenaires affaiblis, le CDA (dont Caroline Van der Plas a fait partie naguère), ou la Christen Unie, le petit parti confessionnel cramponné sur des positions assez rétrogrades.

Le BBB, nous dit-on, ne se contente pas d’une seul problématique, les règles en matière de rejet d’azote, ou d’un seul secteur, le secteur agricole. Son programme est plus large que cela, et il présente à la fois des aspects de gauche, en matière sociale, et de droite, en matière d’immigration notamment, susceptibles de balayer large.

Un coup d’œil sur son programme laisse tout d’abord apparaître des propositions plutôt.. écolos: un sol sain, des plantations saines, des animaux sains, des paysans, des jeunes et des citoyens sains. Tout comme l’économie, l’enseignement, et la société. Des Pays-Bas en pleine santé, en quelque sorte!

Tout de même, si le parti rejette toute forme de discrimination, et veut des Pays-Bas ouverts à une immigration en provenance de pays en guerre, pour tous les autres migrants, il exige qu’ils puissent prouver qu’ils ont un métier pour pouvoir rester chez nos voisins. Ce qui revient à dire, en fait, qu’ils ne seront guère à obtenir un titre de séjour!

Le BBB propose aussi notamment un Fonds, alimenté par les supermarchés, pour récompenser les agriculteurs soucieux du bien-être animal. Au vu de l’attitude de l’actionnaire néerlandais du groupe Delhaize, ce n’est pas gagné d’avance! Il veut également renforcer le droit qui protège l’agriculture, et notamment la transmission agricole. Une loi doit prévoir des compensations, qui empêcheront les frais de transmission de se répercuter sur le consommateur, explique-t-il. Et ils entendent assouplir le plan de réduction des rejets d’azote…

La multiplicité des partis politiques aux Pays-Bas rendant la négociation de chaque coalition gouvernementale fort longue entre partenaires obligés de signer des compromis, le BBB, s’il s’installe dans la durée, risquera de se trouver un jour associé aux partis au pouvoir… que les électeurs néerlandais sanctionnent ensuite, en accordant leurs voix à un nouveau-venu.

On est impatient de connaître la suite…

Au nord comme au sud de la frontière linguistique, les mêmes maux frappent les politiques


Après l’affaire Nethys, l’affaire du greffier du Parlement wallon: il semble bien difficile de moraliser la vie politique en Wallonie. En Wallonie uniquement? Un peu au-delà de la frontière linguistique, les «affaires» se succèdent à Saint-Trond, où le dernier épisode en date a vu Jelle Engelbosch, une des figures de proue de la N-VA locale et limbourgeoise, annoncer son retrait de la politique. L’homme, l’année passée, avait été proposé par son parti au poste de bourgmestre de la cité fruitière, en remplacement de Veerle Heeren (CD&V), obligée de démissionner après plusieurs affaires embarrassantes. En Flandre aussi, la Roche Tarpéienne est décidément fort près du Capitole.

Veerle Heeren s’était arrogé une priorité vaccinale avant d’accorder un prêt illégal à un de ses prédécesseurs

Les première péripéties des «affaires Heeren» avaient transpiré quelque peu de ce côté de la frontière linguistique. Parce qu’elles touchaient à la pandémie de coronavirus. Celle qui était alors la bourgmestre trudonnaire s’était accordé, à elle et à son entourage, une priorité vaccinale qui n’avait pas lieu d’être. Lorsque ces faits avaient été rendus publics, une suspension de six mois de sa fonction mayorale lui avaient été imposée. Au passage, l’épisode l’avait privée d’une promotion dans les Ordres nationaux, que son passé de parlementaire lui aurait en principe automatiquement value.

Le souci pour Veerle Heeren, c’est qu’à peine rentrée en fonction, elle était convaincue d’avoir accordé un prêt illégal de 65000 euros à un de ses prédécesseurs, le fantasque Jef Cleeren (CD&V) lui aussi, dont on se souvient qu’il avait présidé le club de football local alors qu’il occupait l’Hôtel de ville de la cité hesbignonne.

Cette fois, c’en était trop: Veerle Heeren a dû démissionner de son poste, et parmi les candidats à sa succession figurait Jelle Engelbosch. C’est néanmoins une autre CD&V, Inge Kempeneers, qui a hérité de l’écharpe mayorale.

Encore heureux, finalement, que cette étoile montante de la N-VA, qui avait recueilli, en 2014, pas moins de 15000 voix de préférence sur la liste N-VA pour le Parlement flamand, n’ait pas accédé au poste de bourgmestre. Sans quoi, Saint-Trond se serait à nouveau retrouvée sans mayeur en ce printemps 2023.

Après son passage au Vlaams Parlement, Jelle Engelbosch était revenu sur la scène trudonnaire en 2019, pour y occuper le poste d’échevin d’Aménagement du territoire. Ce qui n’était pas précisément compatible avec son métier d’agent immobilier, selon l’opposition trudonnaire. Comme l’expliquait le Belang van Limburg, ce jeudi, il mettra fin à cette activité… deux ans plus tard.

Conflits d’intérêts, activités commerciale incompatibles avec sa fonction scabinale, utilisation d’informations à des fins privées: la barque de Jelle Engebosch s’est sérieusement chargée au fil des mois

Entre-temps, dans le village de Velm, qui fait partie de la ville de Saint-Trond, des agriculteurs avaient remarqué qu’une parcelle lui avait été vendue au prix de 90000 euros par la fabrique d’église locale. Une parcelle située en zone d’extension d’habitat! En conseil communal, l’homme expliquera qu’il s’agissait d’une extension de son jardin, et qu’il avait l’intention d’y faire paître des chèvres. Mais l’opposition, essentiellement socialiste, parlera de conflit d’intérêts, de fautes de procédure et de délit d’initié, rappelait le Belang van Limburg.

L’affaire qui lui a été politiquement fatale, rapporte le quotidien limbourgeois, portait sur une fermette, que le couple qui l’occupait ne pouvait plus modifier, en raison de difficultés financières. Ils devaient notamment des milliers d’impôts en matière d’immeubles inoccupés.

L’échevin trudonnaire rachète alors le bien, pour 30000 euros, alors qu’une estimation menée par un audit public en fixera plus tard la valeur à 144000 euros!

Il ne peut en principe rien en faire, dans la mesure où la démolition du bâtiment est interdite par la ville, dans le cadre de la préservation du paysage rural. Mais trois ans plus tard, cette disposition est prescrite, et l’homme peut alors disposer du terrain, et il fait disparaître la fermette.

Un audit se saisira du dossier en 2022, ce qui n’empêchera pas Jelle Engelbosch, quelques mois plus tard, d’être candidat au fauteuil mayoral. «Ce que je n’aurais pas accepté si je n’étais pas certain de mon innocence» dira-t-il alors.

Le rapport final des auditeurs a conclu au conflit d’intérêts, à l’exercice d’activité lucratives incompatibles avec sa fonction scabinale, et de l’utilisation d’informations à son profit personnel. Le Belang van Limburg signalait, en conclusion de son article, que le parquet mène par surcroît une enquête pour faux en écriture: Jelle Engelbosch a beau avoir pris ses distances avec la politique, il n’en a pas forcément fini avec les ennuis.

«Ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux» proclamait, il y a une vingtaine d’années, le ministre-président flamand Luk Vanden Brande (CD&V). En la matière, on dirait qu’ils font aussi pire que les autres!