Le ministre CD&V de la Justice, Koen Geens, ne manque pas de culot: il ose parler de «meilleure efficience pour une meilleure Justice» avec son plan de réforme des codes de procédure pénale et criminelle. Mais ce que Koen Geens se garde bien de dire, c’est qu’avec cette réforme, c’est à une transformation complète de l’institution judiciaire qu’il veut procéder: jusqu’ici un des socles de notre démocratie, la Justice va se transformer en service commercial avec l’exigence de rentabilité qui y est liée. La preuve par la mesure la plus symbolique de son plan: la suppression de la cour d’assises, au motif que… les procès coûtent trop cher. Si le ministre arrive à ses fins, demain, un assassinat crapuleux sera jugé de la même manière qu’un refus de priorité, qui a conduit à un accident de la route avec blessés légers!
Première remarque à ce propos: une nouvelle fois, le gouvernement Michel prépare ainsi une réforme fondamentale, qu’il n’avait pas du tout annoncée dans les programmes électoraux des partis qui composent sa majorité. La manœuvre a beau se répéter, on ne s’y habitue pas.
En supprimant de fait la cour d’assises, le ministre va faire des heureux: le jury populaire a depuis longtemps de farouches adversaires dans les milieux judiciaires, où certains, qui ne rêvent sans doute que de «gouvernement des juges», ont tenté d’en venir à bout, sous les différents ministres de la Justice qui se sont succédé ces dernières années, à commencer par Laurette Onkelinx, qui avait lancé une grande réflexion sur l’avenir de la cour d’assises. La cour d’assises qui est une «institution moyennâgeuse» commente Benoît Dejemeppe, ancien procureur du roi et conseiller à la cour de cassation, aujourd’hui, dans le journal qui (air connu) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût. M. Dejemeppe souhaite-t-il, dans la foulée, faire disparaître l’autonomie communale, dont l’origine, elle aussi, remontre au Moyen Âge?
Tous les magistrats ne partagent pas ce point de vue radical. Patrick Boyen, procureur général en province de Limbourg, qui compte des centaines de procès d’assises à son actif, confiait, ce vendredi, au Belang van Limburg, que le jury populaire rend des jugements «souvent beaucoup plus nuancés» que les juges professionnels.
Et puis une cour d’assises prend le temps d’examiner un dossier en profondeur. Imagine-t-on demain un tribunal correctionnel consacrer une semaine ou plus à un dossier d’homicide volontaire? Quand on connaît l’encombrement des rôles qui paralyse actuellement les tribunaux correctionnels du pays, la réponse à cette question coule de source. Et elle est d’autant plus vraisemblable qu’avec notamment la procédure «guilty plea» ou la transaction pénale, même modifiée, les tribunaux correctionnels vont eux aussi être priés de «faire du chiffre». Dans l’intérêt d’une bonne Justice? Qui pourrait le croire?
«La cour d’assises n’est pas supprimée», invoquera encore Koen Geens: elle vaudra encore pour les crimes commis contre des policiers ou contre des mineurs. Courageux, mais pas téméraire, le ministre de la Justice n’a pas voulu affronter de face les membres des forces de l’ordre, surtout dans le climat actuel où, pour des raisons compréhensibles, la préoccupation sécuritaire prime tout. Mais il n’empêche: elle introduira ainsi une différenciation de traitement difficilement justifiable entre les justiciables, selon, par exemple, qu’ils auront à répondre du meurtre d’une personne de 17 ou de 18 ans…
Dernier point, enfin, qui concerne plus particulièrement les journalistes: sans doute parce que plus aucun procès de presse ne s’est déroulé devant une cour d’assises depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Koen Geens a oublié que le jury populaire est compétent pour les dossiers de presse. Là aussi, la disposition dérange de nombreux juristes, dont certains ont même été jusqu’à mettre en cause la présence de journalistes, chargés de relater les procès, dans les salles d’audience! Malheureusement pour eux, le constituant de 1831 l’a voulu ainsi, et s’il veut également modifier cela (tant qu’à faire de restreindre nos libertés, pourquoi s’arrêter en si bon chemin?), le ministre devra passer par une révision de la Constitution. Cela, ce ne pourra être avant 2019. Il nous reste quatre ans de sursis!