Il est d’impossibles réinsertions


Christian Panier s’est dit désolé pour son voisinage de la manifestation imbécile organisée ce dimanche à Floriffoux, par un groupe de poujadistes emmenés par cet hurluberlu de Laurent Louis, et un autre de néo-fachos au petit pied, venus réclamer la mort pour Michelle Martin, l’ex-femme de Marc Dutroux en quête de réinsertion sociale. L’ancien président du tribunal namurois a eu parfaitement raison. Réclamer la mort pour Michelle Martin, jugée par la cour d’assises d’Arlon, est indécent et stupide. On doit craindre pourtant pour lui et pour ses voisins que ce genre de manifestation se répète dans les semaines à venir. Avant, peut-être, de s’estomper. Ce qui ne veut pas dire que Michelle Martin sera réinsérée socialement.

Panier 2Christian Panier devait savoir qu’il déclencherait une tempête médiatique et sociétale, en annonçant son intention d’héberger une des femmes les plus haïes de Belgique. Il a sans doute lui-même entretenu le brasier par des commentaires mal venus, notamment à l’égard de Gino Russo, qui, un jour avant Jean-Denis Lejeune, avait exprimé sur les réseaux sociaux sa colère envers une mesure qui lui apparaît d’une clémence insupportable en faveur de celle qui a laissé mourir sa fillette Mélissa, et sa copine Julie, il y a plus de vingt ans, dans des conditions atroces. Christian Panier aurait dû s’abstenir de répondre, car, sauf à avoir perdu un enfant soi-même, on ne peut comprendre l’état d’esprit de Gino Russo, de Jean-Denis Lejeune et de leurs proches. Et leur réaction actuelle n’enlève rien à la dignité qui a été la leur au moment du drame qui les a frappés.

La réponse de Christian Panier a choqué une large frange de la population belge. Parfois même des milieux qu’on lui aurait supposés naturellement plus favorables: son exclusion du PTB a surpris, parce qu’on n’attendait pas forcément cette réaction de nature populiste dans le chef de l’extrême-gauche belge et francophone. Le fait même montre que le traumatisme sociétal laissé par l’affaire Dutroux reste profond.

C’est ce traumatisme, précisément qui rend la réinsertion de Michelle Martin pratiquement impossible. Malgré les efforts des bénévoles qui, autour d’elle, s’efforcent de remplir cette mission de justice. Car la réinsertion ne suppose pas uniquement un effort de la personne qui doit se réinsérer, elle implique son acceptation par le milieu où elle évolue. Et, quoi qu’en disent tous ces bénévoles, l’ex-femme de Marc Dutroux n’est pas une justiciable «comme les autres» en quête de réinsertion. Aux yeux d’un grand nombre de Belges qui n’ont rien de poujadiste ni de néo-nazis, les faits dont elle s’est rendue complice ne justifient pas la mesure de libération conditionnelle dont elle bénéficie. Dire qu’elle «a purgé» sa peine ne leur apparaît pas juste, dès lors qu’elle n’est pas allée «à fond» de peine.

Michelle MartinLa réinsertion est une forme achevée de Justice, personne n’en disconvient. Mais il est tout aussi patent que certains détenus ne pourront jamais être réinsérés socialement: personne, un jour, n’imagine Marc Dutroux, ou Michel Fourniret, sortir de prison. Et la récente mort du pasteur Pandy derrière les barreaux n’a ému personne. Car, aussi élevée qu’elle soit, la peine qui les a frappés tous paraît insuffisante, à l’aune de l’horreur de leurs crimes.

La même sévérité doit-elle s’appliquer à leurs complices? Michelle Martin, l’ex-femme de Dutroux; Monique Olivier, l’ex-épouse de Michel Fourniret, et Michel Lelièvre, le complice de Dutroux notamment dans les enlèvements d’An et Eefje, assassinées dans des circonstances inhumaines, n’ont pas écopé de condamnations aussi sévères que leurs sinistres coaccusés. Agnès Pandy, par contre, a été libérée dernièrement. Et elle vit à l’écart du monde.

Théoriquement, Michelle Martin ou Monique Olivier devraient donc bénéficier de l’effacement du temps. C’est le contraire qui se produit, sans doute parce que, pour le commun des mortels, l’enlèvement et l’assassinat d’enfants de manière aussi inhumaine dépassent la qualification judiciaire des faits: ils s’apparentent à des crimes contre l’humanité. Des crimes imprescriptibles. Pour lesquels il n’y a pas de pardon? Les familles des victimes du génocide rwandais qui acceptent de cohabiter aujourd’hui avec les descendants des assassins des leurs montrent que la voie de la réconciliation est possible. Mais elle est longue et tortueuse. Et on continue à traîner en Justice les derniers auxiliaires du génocide nazi. Aussi pitoyables vieillards qu’ils soient devenus…

L’Organisation Internationale de la Francophonie n’est pas réservée aux seuls Francophones


«Le français, rien que pour les Francophones»: c’est, à peine caricaturée, la position de Geert Bourgeois. La présence de la Belgique, État trilingue, à l’Organisation Internationale de la Francophonie donne apparemment des boutons au ministre-président N-VA flamand, qui entend qu’à l’avenir, ce soit la Communauté française de Belgique qui y siège. «Communauté française de Belgique», et pas «Fédération Wallonie-Bruxelles»: cette dénomination, elle, lui donne de l’urticaire et il veut la faire proscrire. En rappelant, à juste titre-là, que seule la première appellation est constitutionnelle et légale.

bourgeois-300x218Si l’on suit donc le raisonnement de Geert Bourgeois, l’OIF ne peut donc s’adresser qu’aux seuls 270 millions de Francophones dans le monde. Parmi lesquels, donc, les Wallons, et comme le disait Julos Beaucarne, «volà pouqwê no s’tons fîrs d’èsse Walons».

La prise de position de Geert Bourgeois témoigne, à tout le moins d’un certain culot: à quel titre pourrait-il imposer à une organisation son mode de fonctionnement et son périmètre d’activité?

L’Organisation Internationale de la Francophonie regroupe, pour rappel, 80 États et gouvernements dans le monde (57 États-membres et 23 observateurs) «qui procèdent du partage d’une langue, le français, et de valeurs universelles».

Tous ces États, loin s’en faut, ne sont pas exclusivement francophones. La présence de certains d’entre eux au sein de l’OIF peut même étonner, je le concède: la population francophone du Qatar, le dernier arrivé, doit être assez limitée. Mais la promotion de la langue française «et de la diversité culturelle et linguistique» ne peut, par définition, se limiter aux territoires exclusivement francophones. La nouvelle secrétaire générale de l’Organisation, Michaelle Jean, ne vient-elle pas du Canada, pays bilingue par excellence? Le Rwanda, où l’anglais occupe une place prépondérante dans l’administration depuis l’instauration du pouvoir actuel, y a tout autant sa place. Et tant d’autres. Pour tous ces pays, faire partie de la Francophonie est à la fois un atout et une chance de diversité linguistique: ils sont heureux du soutien que l’Organisation internationale peut apporter aux initiatives francophones sur leur territoire.

La remarque de Geert Bourgeois est donc particulièrement inappropriée. Elle ne surprend pas: la promotion de la diversité linguistique ne figure en effet pas au programme de la N-VA. Sa vision d’une Région, qu’il espère voir devenir un pays, linguistiquement homogène, est par ailleurs particulièrement irréaliste: hors le français que les flamingants abhorrent, bien d’autres langues sont parlées sur le territoire flamand. Au fait, si le rêve d’une Flandre indépendante, que la N-VA caresse, devait se réaliser un jour, il lui faudrait bien, pour adhérer à l’Union Européenne et entrer au Conseil de l’Europe, adopter la convention-cadre sur la protection des minorités, car elle ne pourrait plus invoquer, comme elle le fait actuellement pour la Belgique, les protections particulières dont bénéficie  la minorité francophone. Et donc, par là, autoriser la Communauté française de Belgique à soutenir des initiatives culturelles en Flandre, comme elle peut le faire actuellement sur toute la planète… sauf au nord de la frontière linguistique.

Une réaction à nouveau désastreuse pour l’image de la Flandre

Si Geert Bourgeois avait suggéré qu’à l’avenir, un vice-Premier francophone assiste d’office aux assemblées de l’OIF, on l’aurait bien volontiers suivi. Comme on suppose que les Québécois en ont assez de voir un Stephen Harper, qui, lui, baragouine plutôt qu’il ne parle le français, y représente le Canada, il m’est arrivé, sur ce blog, de fustiger la présence à un sommet de la Francophonie d’un Premier ministre flamand s’exprimant en français sans maîtriser les subtilités de la langue.

Mais sur un plan plus général, la sortie de son ministre-président donne une nouvelle fois l’image d’une Flandre racrapotée sur elle-même, hostile à toute ouverture sur le monde. Pareille attitude, bien plus qu’une prétendue influence francophone sur les instances internationales et européennes ont fait à la Flandre une réputation extrêmement négative en Europe. Elle a conduit le Conseil de l’Europe à condamner plusieurs fois sont attitude à l’égard des Francophones de Flandre. Dans tout le monde francophone, cette perception négative, désormais, est encore plus ancrée.