Le moment est venu de tirer le bilan du congrès de Dublin de la FIJ, et, pour la Fédération Internationale des Journalistes, il est très préoccupant. Je ne vise pas par là, prioritairement, l’irrégularité qui a marqué l’élection à sa présidence, mais bien le déroulement de la réunion, impeccablement organisée par la NUJ Irlande, mais encore plus chaotique que le congrès de Cadix, en 2010.
À l’époque, un bouc émissaire avait été tout désigné: le secrétaire général, qui, en se braquant sur certains points de procédure, avait largement contribué au blocage des débats, et la nouvelle direction mise en place à l’époque, n’a pas tardé à le licencier. Trois ans plus tard, Aidan White n’est plus là, et l’incapacité de la FIJ à organiser son deuxième véritable scrutin – mais en fait sa première vraie élection: en 2007, les chances du président sortant, Christopher Warren, qui sollicitait un quatrième mandat (!) étaient nulles ou quasi; ici, apparemment, le président sortant pensait ne faire qu’une bouchée de son opposant, et il est tombé sur un bec de gaz! – a ralenti considérablement les travaux de l’assemblée. Mais la responsabilité du comité administratif et du comité exécutif sortants, qui ont préparé l’ordre du jour du congrès de Dublin est écrasante. Et plus avant, c’est sans aucun doute le mode de fonctionnement de ces congrès de la FIJ, et, partant, des assemblées générales ou annuelles de la FEJ, qui devrait être revu: calqué sur le modèle anglo-saxon, il a fait long feu.
Est-il normal, ainsi, que le programme de travail 2013-2016 de la FIJ ait été adopté en quelques secondes, dans un brouhaha indescriptible, sans le moindre débat, sans le moindre amendement, et par une majorité impossible à déterminer, tout en fin de congrès, alors que les difficultés de dépouillement du scrutin avaient déjà provoqué un report de l’heure de clôture de la réunion?
Est-il normal qu’une motion tout aussi cruciale, déposée par onze syndicats-membres, pour baliser les futures stratégies de la FIJ, ait été placée tout en fin de liste? Et sa discussion était à peine commencée qu’on a vu le vice-président sortant de la FIJ présenter à la tribune une batterie d’amendements, que les participants n’avaient pas reçu sous forme écrite, et qu’ils étaient censés évaluer à l’écran! Puis, dans une certaine confusion, le promoteur des amendements (français), et les initiateurs de la motion ont tenu un conciliabule de type table de bistrot, d’où ils sont sortis avec un consensus dont l’assemblée n’a pas été informée, ce qui ne l’a pas empêché d’approuver la motion dans son ensemble! On peut imaginer les critiques féroces qu’on retrouverait dans la presse, si une assemblée élue, d’un Parlement national au plus petit conseil municipal, procédait de la sorte sur des documents aussi essentiels que ceux-là!
Où la Fédération Internationale des Journalistes pèche aussi, c’est par son manque de cohérence. Ainsi, si elle affirme se battre pour l’égalité des genres, en interne, elle ne la défend guère: dans le nouveau comité exécutif élu, on ne retrouve plus que trois femmes face à dix-huit hommes! Et certains de mettre cela sans vergogne sur le compte du manque d’engagement des femmes! C’est un peu vite oublier que des consignes de vote, visant à «punir» les syndicats et associations-membres de journalistes de leur soutien à ma candidature, avaient été données (en dépit des dénégations qui nous sont faites sur ce point), qui ont eu pour résultat d’éjecter du comité exécutif de la FIJ la candidate norvégienne à sa vice-présidence: belle récompense pour le travail qu’elle a mené pendant des années au bénéfice des journalistes, hommes et femmes, du monde entier!
Et puis il y a les dégâts provoqués par l’irrégularité du scrutin présidentiel. Dans son discours de clôture (où il a «oublié» de saluer son opposant) le président irrégulièrement réélu de la FIJ a annoncé son intention de reprendre contact avec les syndicats qui ont claqué la porte du congrès: il n’a manifestement pas compris que cette irrégularité n’était, pour nombre de syndicats et associations-membres de la FIJ que la goutte d’eau d’un tonneau déjà bien rempli, et qu’il a définitivement perdu, s’il ne l’avait déjà encore fait, la confiance d’un grand nombre de membres de la Fédération. Il aura obtenu sa réélection au terme d’une campagne peu reluisante, mais son succès électoral s’apparente à une victoire à la Pyrrhus. Pas pour lui, mais, malheureusement pour la Fédération Internationale des Journalistes elle-même. Car la satisfaction de son appétit de pouvoir et/ou de reconnaissance sociale conduit celle-ci au bord de l’implosion. Et l’absence de visibilité, l’opacité financière, le manque de transparence démocratique qui la caractérisent, et qui ont été dénoncées pendant le débat électoral, perdureront.
La situation peut-être elle rétablie? Pour l’instant, on voit mal comment. Un pas de côté du président, voire l’organisation, mais sous quelle forme, du deuxième scrutin refusé à Dublin, et sans la pression cette fois de la National Union of Journalists, permettraient, peut-être, de faire tomber la pression. Mais rien n’indique pour l’heure qu’on aille dans ce sens. Et pendant ce temps, dans de nombreux pays du monde, des journalistes sont assassinés, enlevés, détenus ou réprimés. Il en a été question dans des résolutions adoptées à Dublin. Mais c’est une FIJ bien affaiblie, désormais, qui doit faire face à ces défis.