La reprise en main de la rédaction de «L’Avenir» s’annonce

La reprise en main de la rédaction de «L’Avenir» s’annonce


À la fin juillet dernière, l’administrateur-délégué des Éditions de l’Avenir réaffirmait sa conviction que Nethys, l’actionnaire du quotidien, «tiendrait tous ses engagements» à son égard.

Tous? Les promesses d’investissement qui ont convaincu les permanents syndicaux, il y a quelques mois, à marquer leur accord sur un plan social drastique, en cours d’application, tardent à se matérialiser. Par contre, les craintes exprimées par la rédaction, d’une reprise en main destinée à la priver de son indépendance rédactionnelle, viennent de prenre une nouvelle dimension avec le recrutement, annoncé en ce début août, par le conseil d’administration du journal.

Annonce recrutement (1)A priori, cette annonce rencontre une revendication fondamentale de la rédaction, répétée à de nombreuses reprises depuis le début du conflit qui l’oppose à son actionnaire.

Ce conflit, pour rappel, a débuté il y a plus d’un an, avec la désignation d’un directeur des rédactions, qui était apparue comme une manière, pour Nethys, de contourner un accord sur l’indépendance rédactionnelle, qui l’obligeait à consulter la rédaction, pour assurer le remplacement de Thierry Dupiéreux. Le rédacteur en chef, lassé des pressions dont il faisait l’objet et qui avaient eu des conséquences négatifs sur sa santé, avait fini en effet par jeter l’éponge…

 

Les représentants légitimes des journalistes – délégués de l’Association des Journalistes Professionnels (AJP) et mandataires de la Société des Rédacteurs (SDR), dont les mandats respectifs avaient été reconduits l’année précédente- avaient vainement protesté cette dérive, et réclamé le retour à une direction de la rédaction execée par un(e) rédacteur/trice en chef qui bénéfie de leur confiance.

S’en est alors suivie une très longue négociation avec la direction, qui voulait baliser les fonctions du/de la rédacteur/trice en chef et du directeur des rédactions, ce à quoi la SDR et l’AJP n’étaient pas opposées, pourvu que les prérogatives de la rédaction en chef soient maintenues.

Cette négociation a été émaillée d’incidents majeurs, comme, récemment, l’interdiction faite aux délégués de l’AJP et de la SDR de se réunir durant leurs heures de services; d’utiliser les outils de l’entreprise pour s’adresser à leurs membres, ou encore les entraves mises à l’intervention de la secrétaire générale de l’AJP dans les locaux de la rédaction. D’où la grève qui a empêché la parution du journal pendant une journée en juillet, puis une nouvelle manifestation des journalistes auprès des politiques wallons, lors de l’inauguration de la dernière Foire de Libramont.

Au début août, on croyait possible le retour de la sérénité, prôné par la direction mais démenti par ses actes, avec un quasi accord sur les définitions de fonction, et l’annonce du recrutement imminent du/de la rédacteur/trice en chef.

Annonce recrutement (2)Las, à peine l’annonce publiée, il faut bien le constater: le but de la manœuvre est de remettre au pas une rédaction de «L’Avenir», coupable d’avoir couvert avec trop d’indépendance les débats suscités au Parlement wallon par les dérives de la gestion de Nethys.

Si la desciption de fonction mentionne effectivement le rôle de «garant de l’indépendance de la rédaction des Éditions de l’Avenir», de la future ou du futur rédacteur/trice en chef de «L’Avenir», la demande qui lui est faite de «revoir les conventions rédactionnelles existantes» limite la portée de cet engagement.

Car en fait de «conventions rédactionnelles», on pense immédiatement à la convention sur l’indépendance rédactionnelle, dont on devine que l’actionnaire voudrait se débarrasser au plus tôt. Ou la convention salariale, qu’il s’est efforcé en vain d’ignorer lors de la négociation du récent plan social. Sachant bien que des journalistes moins bien rémunéré(e)s sont plus exposé(e)s à la pression.

Autre critère interpellant: la limitation de l’accès à la fonction à des candidat(e)s qui peuvent «faire valoir une expérience réussie de minimum 10 années dans une fonction identique dans le milieu de la presse» restreint singulièrement le champ de recrutement dans le paysage médiatique francophone. Car on imagine mal une rédactrice en chef ou un rédacteur en chef flamand débarquer à la tête d’un groupe de presse wallon, quand bien même son administrateur-délégué et son directeur général soient issus tous deux du nord du pays, avec les méthodes de gestion qui y président.

On se gardera bien de préjuger le choix qui sera finalement opéré, mais si l’on considère  les candidat(e)s potentiel(le)s dans notre petite presse d’héroïsme, il en est un qui remplit les critères, Thierry Dupiéreux, dont on devine d’emblée qu’il n’aura pas spécialement envie de se replonger dans le marasme qu’il a connu. Du côté de La Libre, ou du Soir, il existe peut-être l’un(e) ou l’autre candidat(e) qui pourrait correspondre au profil, mais à la réticence, peut-être de se perdre «en province», s’ajoutera-t-il sans doute une hésitation à se jeter dans pareille pétaudière, sans aucune assurance… d’avenir, puisque la revente du pôle TelCo de Nethys, dont font partie les Éditions de l’Avenir, font partie.

Annonce recrutement (3)À cela s’ajoute le fait que le délai laissé pour poser sa candidature (la fin de ce mois, alors que l’offre de recrutement est publiée en plein milieu des vacances d’été!), et les responsables à qui les actes de candidature doivent être adressés.

L’administrateur-délégué et le président du conseil d’administration, quoi de plus normal, nous direz-vous? Rien, sans doute. Mais alors, pourquoi avoir laissé au directeur général le soin de négocier pied à pied le contenu des définitions de fonction, si ce n’est pour enfumer la rédaction? Et surtout, pourquoi avoir limité au 30 août la validité de l’annonce?

De tout cela, il semble clairement ressortir que l’annonce est taillée sur mesure pour Michel Marteau, administrateur de L’Avenir Hebdo, conseiller de Stéphane Moreau (qui a, mais en vain, tenté naguère de l’imposer à la tête de Nice Matin) et surtout ancien rédacteur en chef de La Dernière Heure-Les Sports, puis du Soir Magazine, puis, plus récemment de Sud-Presse. Ce qui, par un «heureux hasard», lui fait plus de dix ans d’exercice de la fonction requis par l’annonce.

Seul petits bémols: c’est d’une «expérience réussie» qu’il est question. Et on demande au/à la candidat(e), de privilégier le «travail en équipe» et la « concertation».

Ce n’est pas vraiment en ces termes que nous avons entendu parler de la gestion des rédactions que Michel Marteau a dirigées au cours de ces dernières années.

Au contraire, c’est plutôt le soulagement des consœurs et des confrères concerné(e)s qui nous est parvenu, au moment où leur rédacteur en chef leur annonçait son départ.

À titre personnel, je me souviens par exemple de la réaction énergique qu’avait dû avoir l’AJP, que Je présidais encore, pour l’empêcher de procéder au licenciement pour faute grave du chef d’édition de La Dernière Heure-Les Sports à Liège, simplement parce que ce dernier lui avait objecté, que seul à la rédaction en fin d’année, il ne lui était pas possible de partir au débotté pour la Suisse, pour enquêter sur la chute en montagne d’une jeune gamine flamande qui s’était gravement blessée.

Pour la période où il a dirigé Sud-Presse, le bilan est statistique: entre 2012 et 2018,  101 des 239 plaintes adressées au conseil de déontologie journalistique ciblaient le groupe dirigé par Michel Marteau.

Nethys massacre L'Avenir à coups de marteauQue l’on ne se méprenne pas: chaque plainte n’a pas débouché sur un avis négatif de l’instance de régulation de la presse belge.

Mais la fréquence même des plaintes, ou leur nature (respect de la vérité; respect de la vie privée; méthodes loyales pour obtenir l’information, etc.) , et la liste des avis négatifs qui ont été rendus témoignent à suffisance du manque d’égard manifesté, alors, par Michel Marteau pour les prescrits déontologiques de la presse belge et internationale.

En ces temps où n’importe qui se prétend journaliste sur le Web, et où la seule chance pour les journalistes professionnel(le)s est de défendre la qualité de l’information qu’ils/elles fournissent, pour assurer leur avenir (ce n’est pas pour rien que le récent congrès de la FIJ à Tunis, que j’ai eu l’honneur de présider, a actualisé l’antique «Déclaration des devoirs et des droits» des journalistes), il y a là, si notre soupçon que l’offre de recrutement a été rédigée pour ne pouvoir correspondre qu’à une seule candidature, de quoi encore plus s’inquiéter pour le devenir des Éditions de l’Avenir, et pour l’indépendance de leur rédaction.

Et le dessin publié à la une du 16 février dernier – celle du «numéro pirate» (sic) qui a tant irrité l’actionnaire – pourrait se révéler ainsi… doublement prophétique.

La rentrée risque donc, une nouvelle fois, d’être chaude à «L’Avenir», où on observera avec intérêt l’évolution des négociations entre PS, Ecolo, et MR pour la formation d’une nouvelle majorité wallonne. En leur rappelant la motion unanime du Parlement, qui, en novembre 2018, postulait la sortie des Éditions de l’Avenir du giron de Nethys.

Il serait urgent de la concrétiser, car la confiance des lecteurs risque de s’éroder de plus en plus. Surtout s’ils sont témoins de la remise au pas redoutée…