L’élection présidentielle turque: la couleur de la démocratie, le goût de la démocratie…


Grande journée, ce dimanche, en Turquie: pour la toute première fois, les Turcs de Turquie et les Turcs de l’étranger vont élire le président de la République au suffrage universelle. Sur le modèle de la Cinquième République en France.

Belle avancée démocratique? On se souvient comment, chez nos voisins français, la réforme proposée par feu le général de Gaulle et approuvée par référendum, avait suscité des réticences à gauche. Feu François Mitterrand avait même dénoncé un «Coup d’État permanent», et la réminiscence au coup d’État du 2 décembre 1851, qui avait transformé Louis-Napoléon Bonaparte en Napoléon III, approuvé ensuite par un référendum à dire vrai bien peu démocratique, était sans doute présente à l’esprit de beaucoup. Ce à quoi «Mongénéral» comme l’appelle toujours le «Canard Enchaîné» avait répondu de cette manière qui n’appartenait qu’à lui, à son retour au pouvoir: «Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques? Je les ai rétablies! Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, j’entame une carrière de dictateur? » La suite montrera que ces réticences étaient mal placées et… François Mitterrand lui-même profitera du suffrage universel pour se faire porter à deux reprises à la présidence de la République.

On aimerait faire preuve du même optimisme en Turquie. Mais à dire vrai, on ne peut qu’être inquiet à la perspective très probable d’élection triomphale du Premier ministre actuel, Recep Tayyip Erdoğan, à la magistrature suprême. D’abord parce qu’il a son passé de chef de gouvernement: sur ce blog et ailleurs, j’ai dénoncé à de multiples reprises les atteintes à la liberté de la presse et à la liberté d’expression en Turquie; mais il y a eu aussi les atteintes à la liberté syndicale; les épurations au sein des universités; la répression brutale des manifestations citoyennes au Parc Gezi à Istanbul, l’an dernier. Sans oublier la réflexion d’un de ces vice-Premiers qui, il y a quelques jours, estimait indécent que les femmes rient en public…

L’élection présidentielle est aussi l’occasion d’un tour de passe-passe à la russe: empêché de briguer un nouveau mandat à la tête du gouvernement, Recep Tayyip Erdoğan se fait élire à la présidence de la République, jusqu’ici occupée par son camarade (?) de parti Abdullal Gül. En Russie, les échanges de mandat entre Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev n’ont pas vraiment fait avancer la cause de la démocratie; en Turquie, on parle déjà d’une modification de la Constitution, qui accordera plus de pouvoir au président d la République.

erdogan-ihsanoglu-demirtasEt puis il y a eu le déroulement de la campagne électorale, notamment sur la TRT, la télé publique turque! En zappant, ces derniers jours, je m’y suis attardé à plusieurs reprises ces derniers jours. Je ne comprends toujours pas le turc, mais le seul candidat que j’ai vu, très longuement même, avant-hier, était… Recep Tayyip Erdoğan. Il n’y ena avait manifestement que pour l’AKP.

Les deux autres candidats? Inconnus au bataillon apparemment! Et d’ailleurs, en Europe, qui a entendu parler d’eux? Ni Ekmeleddin Ihsanoğlu, candidat commun du CHP (Parti Républicain du Peuple) et du MHP (Parti d’Action Nationaliste), ni Selahattin Demirtaş, candidat du BDP (Parti Pour la Paix et la Démocratie) n’ont eu l’occasion, comme le Premier ministre l’a fait ces derniers mois, fort de son aura de chef du gouvernement, parcourir l’Europe pour mobiliser l’électorat turc de l’étranger, invité, pour la première fois, à participer au scrutin.

De là à imaginer que les candidats de l’opposition, sur la TRT, n’ont eu droit qu’à l’équivalent des minutes concédées et soigneusement mesurées au compte-gouttes sur la télé française, par exemple, à l’occasion des européennes, il n’y a qu’un pas…

Pour paraphraser un slogan publicitaire célèbre et déjà ancien, vantant les mérites d’une boisson soda, l’élection présidentielle turque a la couleur de la démocratie, elle a le goût de la démocratie, mais ce n’est pas (vraiment) de la démocratie. Sauf, pour Recep Tayyip Erdoğan, dont la large victoire est annoncée dès avant le scrutin, à surprendre tout son monde, une fois élu. Mais, à dire vrai, je n’y crois pas vraiment.