La motorisation croissante et l’ère de la numérisation ont rendu à la radio des couleurs qu’elle craignait de perdre, il y a six décennies, au moment de l’avènement de la télévision, et c’est tant mieux! À l’égard de la télé, et surtout de la presse écrite, elle conserve l’avantage de la rapidité; et par rapport au Web et à son immédiateté, elle offre celui d’un certain recul. Avec les émissions de débat notamment. Mais l’exercice est difficile: il exige de savoir parler, c’est-à-dire de savoir de quoi on parle; et aussi de savoir écouter.
Ces deux réflexions me sont venues cette semaine d’«On refait le monde» sur Bel-RTL, et «Face à l’Info» sur la Première (RTBF). Deux émissions fondamentalement différentes, soit dit au passage, tant la première donne (de plus en plus) dans le verbiage, alors que la deuxième va dans l’analyse en profondeur, au risque, parfois de friser le pédantisme.
Chronologiquement, c’est l’évocation par «On refait le monde» des revendications des Francophones de Flandre qui m’a rappelé cette vérité élémentaire: on ne peut refaire le monde que si on en assure les bases. Et malgré la présence en studio, ce jour-là, de mon excellent confrère du «Soir», Marc Metdepenningen, qui a émis dans ce débat la seule réflexion pertinente sur la solidarité qui est surtout de circonstance entre les Francophones de Fourons et ceux de la périphérie, les lieux communs se sont succédé à une cadence encore plus accélérée que d’habitude sur la chaîne privée. On a eu droit au témoignage de la Francophone lassée des brimades en périphérie bruxelloise (mais dont on avait compris qu’elle était parfaitement bilingue???) et à celui de la Francophone vivant à Turnhout, où elle a suivi son conjoint, et pour qui tout est pour le mieux dans le meilleur du monde, et au poncif, énoncé par l’animateur, que dans des communes à facilités, les politiques locaux défendraient publiquement des points de vue extrêmes, parce qu’ils sont «tenus» par les représentants nationaux de leurs partis respectifs, mais que cela ne les empêcherait pas d’aller boire un pot ensemble, une fois que les caméras sont parties.
Ah, ben tiens, il aurait intérêt à passer de temps à autre à Fourons, le Patrick Weber: il verrait si les conseillers Voerbelangen et R@L font souvent la fête ensemble! Il aurait su comment se passe la flamandisation rampante des Francophones de Flandre, invités, par exemple, à remplir des documents en néerlandais, en vérifiant sur le document en français qui leur est remis… à titre de spécimen, l’endroit où il faut cocher ou inscrire des réponses. Il vérifierait que dans toutes les communes à facilité, l’usage de leur langue est interdit en réunion aux mandataires francophones.
À l’inverse, sa réflexion pour dire que «pour les Flamands en Wallonie, c’est la même chose!» témoigne aussi de sa méconnaissance du problème. Sauf dans quelques communes, les Flamands n’ont pas bénéficié de facilités linguistiques en Wallonie, où ils ont immigré bien longtemps avant l’adoption de la législation linguistique de 1932. Celle-là même qui a vu les Wallons exiger l’unilinguisme de l’administration, de part et d’autre de la frontière linguistique, parce qu’ils craignaient qu’une administration bilingue sur tout le territoire soit «colonisées» par les fonctionnaires flamands, les seuls à être bilingues à l’époque. Ce qui ipso facto, signifiait l’abandon des Flamands de Wallonie par la Flandre: ces Flamands se sont progressivement intégrés et certain(e)s de leurs descendant(e)s ont fait carrière politique en Wallonie, parfois dans des courants furieusement régionalistes. Et l’abandon des Francophones de Flandre, dont le problème est posé aujourd’hui, par la Wallonie.
Depuis lors, la roue a tourné. Et ce que visait peut-être Patrick Weber, c’était l’usage exclusif du néerlandais dans certains villages ardennais, où les vacanciers du nord du pays louent ou achètent des secondes résidences. Sans que, à l’instar de ce qui se fait en Flandre, les autorités publiques n’interviennent pour faire respecter la législation linguistique.
Bref, l’auditeur d’«On refait le monde» n’en a pas plus appris que sur bien d’autres sujets traités dans cette émission, dont le propos, sans doute, n’est que de faire le «buzz». Un tout petit »buzz», soit dit au passage…
Sur «La Première», le lendemain, Eddy Caeckelberghs avait réussi un très joli coup, en invitant le président équatorien, Rafael Correa, à l’occasion du Sommet bisannuel entre l’Union Européenne et la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC).
La pioche était bonne: Rafael Correa, étudiant en Belgique dans un passé déjà lointain, n’a pas oublié le français, qu’il pratique toujours avec bonheur.
Surtout, ce président qui a survécu à une tentative de coup d’État en 2010, véhicule un message fort et original. Fortement marqué à gauche, il situe son engagement, sa «révolution citoyenne» dans la droite ligne de l’Évangile. «J’apprends beaucoup de la doctrine sociale de l’Église» a-t-il posé, en citant notamment les grands prélats latino-américains, «ces personnages extraordinaires de l’Église», qui se sont fait les champions de la justice social: feu Dom Helder Camara au Brésil, feu Oscar Arnolfo Romero (récemment béatifié) au Salvador, et, dans son propre pays, feu Leonidas Proaño Villlabla, l’évêque de Riobamba.
La réaction instantanée d’Eddy Caeckelberghs ‑autant laïque engagée que journalistique?‑ a alors été de lui opposer que «l’Église officielle n’a pas toujours apprécié ces voix-là». Réflexion étonnante: cardinal, évêque, ne sont-ce pas des fonctions… officielles dans l’Église? Le président équatorien n’a pas relevé. Mais il a très finement rétorqué que si la théologie de la libération n’a plus eu la cote sous le pontificat de Jean-Paul II, cela pouvait s’expliquer, «parce qu’il venait d’un pays communiste». Mais que le message social de l’Église est à nouveau porté au plus haut niveau, par le pape «Francisco», latino-américain, qui se veut aux côtés des plus pauvres. L’entreprise n’est pas sans risque, sans doute; elle se heurte à des résistances en interne, c’est évident, mais l’Église elle-même n’est qu’une institution humaine. Rafael Correa a magistralement rappelé, lui, le caractère radical du message évangélique qu’il s’efforce de prolonger sur le plan politique.
Pour une fois renvoyé dans les cordes, Eddy Caeckelberghs a tenté une diversion, en glissant sur l’opposition de son interlocuteur à l’avortement. Puis il en est heureusement revenu à l’engagement de Rafael Correa. Un engagement à gauche, qui ne s’oppose pas au «capital privé, dont on a besoin». Mais qui invite à rendre la priorité à l’humain sur le capital. Magistral exposé!