L’Argentine méritoirement sacrée au terme d’un Mondial toujours contestable


La finale a sacré le meilleur joueur, Lionel Messi, qui inscrit ici son deuxième but, le troisième de l’équipe argentine

La «meilleure Coupe du monde de tous les temps» a osé Gianni Infantino, le très contestable président de la FIFA, citoyen du Qatar, après la finale à rebondissements du stade de Lusail. L’affirmation est d’autant plus à prendre avec des pincettes que, comme l’a écrit mon ancien collègue Frédéric Bleus, aujourd’hui, dans «L’Avenir», ce personnage avait déjà prononcé le même jugement après la finale de 2018, qui avait vu le sacre de la France face à la Croatie. Au moins aura-t-elle sacré, Lionel Messi, le meilleur joueur de cette fin de XXeme et de ce début de XXIeme siècle, au grand dam des Français et de Kylian Mbappé, dont le rêve de troisième étoile s’est fracassé à l’épreuve des tirs au but, que l’équipe coachée par Didier Deschamps avait, il faut bien le dire, miraculeusement atteinte.

Du côté français, on insiste sur le caractère exceptionnel de cette finale, où six buts ont été marqués, dont la moitié, il faut le dire, sur des coups de réparation justifiés.

Avant la France, les Pays-Bas avaient déjà remonté un handicap de deux buts face à l’Argentine.

Et on souligne l’invraisemblable retour de l’équipe française qui a remonté un handicap de deux buts… en oubliant un peu vite qu’en quarts-de-finale, le 9 décembre dernier, les Pays-Bas avaient réussi la même performance, après que l’entraîneur des Oranje, Louis van Gaal, eut joué le tout pour le tout, en plaçant ses grands formats devant. Et en profitant de la baisse de régime de l’Albiceleste, qui s’est peut-être à nouveau produite face à la France.

La pseudo-analyse oublie le fait que la première période s’est déroulée quasiment à sens unique, et que l’équipe française s’est fait «manger» par son adversaire. Comme elle l’avait été en deuxième période par le le Maroc, en demi-finale. Et comme elle avait souffert face à l’Angleterre, en quart-de-finale.

Le deuxième but argentin, inscrit par Angel Di Maria, au terme d’une contre-attaque modèle

À chaque fois, elle s’en était sortie miraculeusement, ou grâce au talent de son génial attaquant, Kylian Mbappé, triple buteur en finale,meilleur buteur de cette Coupe du monde, mais avec un seul petit but inscrit de plus que Leo Messi, son coéquipier du Paris-Saint-Germain, qui, lui, a marqué en quart-de-finale, en demi-finale, et en finale, à deux reprises.

Le deuxième but inscrit par Angel Di Maria, un ancien du… Paris-Saint-Germain, dont la sélection a surpris Didier Deschamps sur le plan tactique, venait concrétisait cette domination absolue de l’équipe argentine, qui aurait pu alourdir le score encore en début de reprise.

Un but de classe mondiale, à la Mbappé, n’a pas suffi à la France pour émerger

L’absence de recul de ces analyses, au lendemain de cette finale perdue, et les commentaires qui entouraient l’équipe de France avant cette finale, permettent de poser la question: les Bleus n’ont-ils pas péché par présomption, sachant que l’Argentine avait sué sang et eau pour éliminer les Pays-Bas?

Ou alors, Didier Deschamps a-t-il trop compté sur les éclairs de génie de Mbappé, tenu hors de la partie ce dimanche… jusqu’au coup de réparation providentiel (et justifié) qui lui a permis d’instiller le doute dans les esprits argentins, juste avant, la minute suivante, d’inscrire un but de classe mondiale, comme peu de joueurs, sans doute, sont capables d’en réaliser.

Une attitude qui ne respire pas forcément la modestie

Mais à nouveau, les joueurs français, et Kylian Mbappé en particulier, n’ont-ils pas alors déjà vendu la proie pour l’ombre. S’il est impossible de s’en rendre compte devant un téléviseur, l’attitude de l’attaquant du Paris-Saint-Germain laisse parfois penser qu’il ne pèche pas par un excès de modestie. Ni par un sens aigu du collectif, comme le montre son comportement dans son club.

S’ils comptaient en tout cas sur un effondrement de l‘Albiceleste, les Français avaient fait un mauvais calcul, puisque Lionel Messi, à nouveau, a frappé. Et que les Bleus ne sont revenus à la hauteur des Argentins, qu’à la faveur d’un coup de réparation aussi miraculeux qu’indiscutable, qui a parmis à Mbappé d’égaler Geoffrey Hurst, l’avant-centre anglais, auteur de trois buts, dont l’un très contesté, lors de la finale de la Coupe du monde de 1966, entre l’Angleterre et la République fédérale allemande, au stade de Wembley.

Il a donc fallu, une nouvelle fois, passer par la loterie des tirs au buts pour décider le vainqueur final d’une coupe du monde de football.

Ce n’est pas la première fois que le titre était décerné de cette manière. Et l’on se souvient de ratés des plus grands joueurs au monde, qui ont fait peser la balance en défaveur de leur équipe.

Le coup de réparation manqué par Coman a sonné le glas des espoirs français

Ce dimanche, c’est Coman qui a vu son tir arrêté par le gardien argentin. Et puis Tchouaméni qui a expédié le ballon à côté du but. Reste la question sans réponse: les Français s’étaient-ils suffisamment préparés à cette épreuve, ou avaient-ils cru qu’ils y échapperaient par leur talent?

La loterie s’est ainsi révélée équitable: elle a couronné l’équipe qui avait été la meilleure dans cette finale.

Munie de sa troisième étoile, l’Argentine va devoir maintenant rebâtir une équipe. Mais c’est aussi vrai de la France, qui ne pourra plus compter longtemps sur des joueurs de base comme Lloris; Pogba; Benzema ou Giroud, tous proches de la retraite. Avec la question en suspens: Didier Deschamps va-t-il rempiler après cet échec?

Le «show» d’Emmanuel Macron a tourné court

Indifférent aux critiques qui s’étaient abattues sur le Qatar avant le début de ce Mondial, le président français, Emmanuel Macron, a fait deux fois le voyage de Doha, pour assister à la demi-finale victorieuse des Bleus face au Maroc, en demi-finale, puis à leur défaite en finale, face à l’Argentine. On a vu ensuite le locataire de l’Élysée se précipiter sur la pelouse, pour réconforter notamment Mbappé, qui n’avait sans doute pas besoin de cette sollicitude présidentielle, puis faire irruption dans le vestiaire des battus et s’adresser à deux à la manière d’un… entraîneur. Non sans quelques approximations de langage, comme lorsqu’il a salué «celles et ceux qui vont mettre fin» à leur carrière internationale. Comme le faisait remarquer un chroniqueur, ce matin, sur une des chaînes françaises d’information (?) continue, dans un vestiaire uniquement peuplé d’homme, ces paroles étaient un peu incongrues.

Plus largement, la présence d’Emmanuel Macron à Doha a largement contredit sa thèse de séparation stricte entre le sport et la politique. Comme si l’attribution de ce Mondial à l’émirat n’avait pas été concoctée… à l’Élysée par un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, en connivence avec le président français de l’UEFA (Union européenne de football association) de l’époque, Michel Platini. Le soutien français au Qatar, on s’en souvient, devait être compensé par le rachat du Paris-Saint-Germain, alors en situation de virtuelle faillite, et par des investissements qataris en France. On ignore si la victoire finale des Bleus était également prévue, mais si c’était le cas, la glorieuse (?)  incertitude du sport s’y est opposée.

Pour le Qatar, globalement, ce Mondial se solde par un lourd échec sur le plan de l’image de marque. 

Il y avait eu, d’abord, l’interdiction de la vente d’alcool, prononcée juste avant le début de la compétition. La mesure a sans doute contribué à l’absence de troubles, mais si l’organisation de la compétition n’a souffert aucune critique, son impact environnemental a été plus d’une fois dénoncé. Et la manière dont la FIFA s’est couchée devant les autorités qataries pour interdire à sept fédérations européennes (mais pas la française, tiens, tiens..) de promouvoir les droits de la communauté LGBTI au travers du simple port d’un brassard par leur capitaine d’équipe, marquera à jamais cette édition de la compétition. Comme le geste des joueurs allemands, posant la main sur la bouche, pour une photo officielle de l’équipe, afin de dénoncer le bâillon qui leur était imposé.

Et comme si tout cela ne suffisait, c’est en pleine coupe du monde qu’une enquête des autorités belges a entraîné un scandale au Parlement européen, où des élu(e)s sont soupçonné(e)s d’avoir touché des pots-de-vin impressionnants, pour faire la promotion du… Qatar au sein de l’assemblée. Laquelle a du coup reporté aux calendes grecques une proposition de facilitation de l’octroi de visas pour les citoyens de l’émirat. En matière de communication, on ne pouvait… rêver pire!

Les masques sont tombés au Qatar


«Humour qatari»

Les «humoristes» qataris ont fait dans la «groβe» dentelle, après l’élimination de l’équipe allemande de football du Mondial dans leur pays. En parodiant le geste des joueurs de la Mannschaft, ils ont surtout fait la démonstration de leur stupidité : le «onze» allemand, en se mettant la main devant la bouche, lors de la photo d’équipe précédant son tout premier match, ne voulait pas dénoncer en premier l’absence de droits humains dans le pays organisateur de la compétition, mais la lâcheté de la FIFA.

Un geste symbolique fort des joueurs allemands

La Fédération Internationale de Football Association avait en effet accepté au départ que les capitaines sept nations européens (Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Pays-Bas, Pays de Galles, et Suisse) arborent un brassard rappelant les droits des personnes LGBTI. Puis, à la dernière minute, son président italo-suisse, Gianni Infantino, résidant au… Qatar, a menacé d’un carton jaune les joueurs qui oseraient ainsi se faire les porte-parole d’une minorité oppressée dans son pays d’adoption.

Les fédérations concernées ont obtempéré, tout en dénonçant l’initiative. Les joueurs allemands, eux, ont jugé que la coupe était pleine.

Gianni Infantino seul candidat à sa propre succession…

Les absents ont toujours tort: Allemands, Belges, Danois, Gallois, et Suisses rentrés prématurément dans leur pays, il ne reste donc plus que les Anglais et les Néerlandais pour éventuellement faire preuve de la même audace que les footballeurs d’Outre-Rhin. On craint toutefois qu’ils n’osent pas affronter le courroux du président par accident de la FIFA, seul candidat, par ailleurs à sa prochaine réélection (où les «achats de votes» du passé se répéteront-ils?).

L’excellent européduté socialiste belge Marc Tarabella se prononçait contre tout boycott de ce Mondial, avant le début de la compétition, au motif que les progrès insuffisants en matière de droits humains ne seraient ainsi pas encouragés. Et que donc, cet exemple ne pourrait faire ensuite tache d’huile. Cet optimisme raisonné est aujourd’hui battu en brèche: avec la complicité active de la FIFA, ce championnat du monde de football au Qatar ne changera rien à la situation des femmes, des homosexuels, et des travailleuses et travailleurs immigrés qui ont été nombreux à payer de leur vie la construction des stades où se produisent les vedettes du ballon rond.

Mutatis mutandis, la FIFA fait ainsi moins bien que la Comité International Olympique, qui avait obtenu de l’Allemagne nazie, en 1936, qu’elle suspende, au moins durant la durée des Jeux de Berlin, la persécution des Juifs, qui allait hélas reprendre, et de quelle manière dégueulasse, par la suite!

Futur meilleur buteur et futur champion du Monde?

Entre-temps, la France, avec son joueur-vedette Kylian Mbappé, semble bien partie pour renouveler son bail. À moins que les Anglais, en quarts-de-finale, ou les Brésiliens, voire les Néerlandais, à un stade ultérieur, ramènent les Coqs à la raison?

La perspective paraît peu vraisemblable, tant l’attaquant-vedette du Paris-Saint-Germain éclabousse les terrains de sa classe. Son ambition proclamée, est de conquérir un titre mondial. Avant, au prochain mercato hivernal, de monnayer encore plus son immense talent, soit en partant pour le Real Madrid, pour troquer les millions qataris contres des millions émiratis, soit en obtenant une sérieuse augmentation, et en renforçant encore sa position au sein du club parisien, où il décide apparemment déjà de tout ou quasi.

Kylian Mbappé, actuellement en tête du classement des buteurs de ce Mondial, continuera sûrement à affoler les défenses, pour se parer, au moins, du titre de capo canoniere au terme de la compétition.

Le record de Just Fontaine tiendra sans doute toujours

Cette performance, un autre joueurs français, largement oublié aujourd’hui, l’avait réalisée en 1958 en Suède, au cours d’un Mondial nettement moins critiqué, qui avait vu éclore une autre star mondiale, le Brésilien Pelé.

Il est douteux que Kylian Mbappé égale, en 2022, le record de treize buts inscrits par Just Fontaine sous les latitudes scandinaves. À une époque où les équipes qualifiées étaient nettement moins nombreuses, et par conséquent le nombre de rencontres disputées également.

En conquérant sa troisième étoile, l’équipe française pourrait hériter des dividendes du honteux arrangement de 2010, conclu sous les lambris du Palais de l’Élysée, dont le locataire de l’époque, recevant l’émir du Qatar, avait fait convoquer le président français de l’UEFA, Michel Platini, pas encore emporté par l’affaire financière qui lui a coûté son mandat.

L’objet de la rencontre était de monnayer le soutien de l’UEFA à l’octroi à l’émirat de l’édition 2022 du Mondial de football, et d’obtenir en contrepartie le rachat du Paris-Saint-Germain, alors à la dérive, par des fonds qataris, et des investissements substantiels de l’émirat en France.

C’est finalement ce qui arrivera, au terme d’un congrès où, pour rappel, Belgique et Pays-Bas avaient déposé une candidature commune qui tenait la route… mais n’avait aucune chance face aux manœuvres de coulisse de ce type.

Les engagements qataris pris ce jour-là ont été parfaitement remplis, une fois l’attribution du Mondial 2022 conclue. Emmanuel Macron, le successeur lointain de Nicolas Sarkozy, y a ajouté récemment l’odieux, en recevant le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane, commanditaire présumé du massacre et du démembrement du journaliste contestataire Jamal Kashogghi, et en lui octroyant la Légion d’honneur. Le geste a choqué un certain nombre de récipiendaires, qui ont dans la foulée retourné leur décoration au Palais de l’Élysée.

On comprend, dans ces conditions, que la Fédération française de football, mouillée jusqu’au cou dans ce marchandage peu glorieux, ne s’est pas associée aux sept fédérations européennes sus-nommées, et n’ait pas osé afficher le moindre geste de contestation du régime!

Ne reste plus aux Bleus qu’à apposer le paraphe final sur ce dossier. S’ils y arrivent, leur troisième étoile sera teintée du sang des travailleurs qui ont construit les stades où se sera construit leur triomphe. Cela n’ébranlera sans doute pas ces joueurs aux talents immenses, mais au cœur apparemment de pierre et aux convictions politiques et sociales qui paraissent inversement proportionnelles à leurs qualités footballistiques.

Une fois cette consécration sportive acquise, on espère, sans trop y croire, que les autorités françaises, président de la République en tête, mettront un bémol à leurs discours en faveur des droits humains et pour la propagation de la «laïcité à la française». Car ce qui se passe au Qatar montre que, dans leur chef, ce ne sont que des paroles creuses!

Ne cachez pas ces seins que nous voulons voir!

Si la FIFA a eu soin d’empêcher des fédérations européennes de manifester un simple geste de contestation à l’égard du régime qatari, que ce soit à l’égard des femmes, des travailleurs immigrés, ou de la communauté LBGTI, les amateurs qataris de football n’en sont pas moins des hommes. Et à chaque apparition dans les tribunes d’une «influence» croate, ils n’ont pas assez de leurs yeux pour la croquer des yeux. La cocotte, elle, se réjouit de faire le buzz sur les réseaux sociaux, et d’accroître sans cesse le nombre de ces «followers». Ce serait sans doute trop lui demander de faire preuve d’un minimum de réserve, par solidarité avec les femmes de l’émirat. On ne peut pas passer des journées à préparer ses toilettes les plus sexys, et en même temps réfléchir!

Rien de tel que le pétrole pour effacer toute trace de sang


Un hôte particulier est reçu à dîner à l’Élysée, ce jeudi soir, par le président de la République française, Emmanuel Macron: avec le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane, la conversation roulera sans doute sur la demande des pays occidentaux, États-Unis en tête, formulée à ce pays gros exportateur de pétrole, pour qu’il augmente la production, et contribue ainsi à faire chuter les prix du baril de brut. Manière de faire baisser les prix de l’essence, du gaz, et du pétrole à la pompe, qui contribuent lourdement à la hausse des prix et à l’envol de l’inflation actuels.

Emmanuel Macron avait été l’hôte de Mohammed ben Salmane en décembre; il lui rend la «politesse» ce jeudi soir à l’Élysée

Ce n’est pas la première rencontre entre le chef de l’État français et le prince héritier saoudien: en décembre dernier, le locataire de l’Élysée s’était rendu à Djeddah, où il avait déjà chaleureusement serré la main de son hôte, encore dégoulinante du sang du journaliste saoudien dissident Jamal Khashoggi, assassiné et dépecé dans le bâtiment du consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, le 2 octobre 2018.

À l’issue de cette rencontre tout de même interpellante, Emmanuel Macron avait déclaré que «tous les sujets (avaient été) abordés, y compris le respect des droits de l’Homme». Ben voyons… et aussi peut-être l’impunité scandaleuse dont bénéficient les assassins de journalistes?

Entre-temps, cinq personnes ont été condamnées à mort pour cet horrible assassinat en Arabie Saoudite, mais la sentence a ensuite été commuée en une peine de vingt ans de prison, là où la perpétuité s’impose généralement. L’un des membres du commando de tueurs est par ailleurs décédé, officiellement dans un accident de voiture.

Des lampistes, une fois de plus, ont été châtiés pour l’assassinat d’un journaliste, tandis que les commanditaires, ou plutôt le commanditaire, restaient, eux, impunis.

L’Arabie Saoudite a, il est vrai, refusé la demande d’enquête internationale sur l’assassinat de Jamal Kashoggi. Et il y avait sans doute une raison à cela: la CIA a démontré que dans les heures qui ont précédé et qui ont suivi le massacre du journaliste saoudien, le prince héritier Mohamed ben Salmane avait adressé au moins onze messages à à son proche conseiller Saoud al-Qahtani, qui supervisait «l’opération». Même si le contenu de ces messages est resté inconnu, ils trahissent l’implication directe plus que probable du prince héritier dans l’assassinat de Jamal Kashoggi, critique de ses initiatives de modernisation cosmétiques de son pays ainsi que de la guerre meurtrière que mène l’Arabie Saoudite au Yémen, dans l’indifférence générale.

En juin 2019, l’Organisation des Nations-Unies (ONU) a, elle, indiqué avoir «des preuves crédibles» de l’implication de Mohammed ben Salmane dans le forfait.

À l’époque, l’héritier du trône saoudien avait été placé au ban des nations. Mais depuis lors, bien de l’eau a coulé sous les ponts, et le pétrole ne coule plus suffisamment dans les pipelines.

Alors, toute honte bue, les chefs d’État de nos belles démocraties oublient leurs grands principes, et s’en vont, les unes après les autres, serrer la main princière, couverte du sang du journaliste. Emmanuel Macron s’y était exercé en décembre de l’année dernière; le président états-unien, Joe Biden, vient de lui emboîter le pas lors de sa récente tournée au Proche-Orient, dont le but avéré était de persuader les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) d’ouvrir plus larges les vannes.

Mais la réception de ce soir à l’Élysée est une «première»: c’est la toute première fois que le commanditaire (fortement) présumé de l’assassinat de Jamal Kashoggi est l’hôte d’un pays européen.

Sans doute, «tous les sujets y compris le respect des droits de l’homme» y seront-ils à nouveau brièvement abordés, entre la poire et le fromage?

Il en est un autre qui pourrait aussi être envisagé: le pouvoir de nettoyage du sang des produits pétroliers!

Bientôt une Saint Tonton le 10 mai?


Les documentaires se sont multipliés ces derniers jours et vont encore se multiplier d’ici à dimanche prochain sur les chaînes françaises et sur les chaînes historiques pour commémorer l’élection à la présidence de la République de François Mitterrand, le 10 mai 1981, il y a eu tout juste quarante ans ce dernier lundi.

Ce qui est gênant dans tous ces documentaires c’est leur ton généralement largement hagiographique. On n’a que très rarement évoqué le Mitterrand d’avant 1981: le résistant de la Seconde guerre mondiale passé d’abord dans les cercles du pouvoir à Vichy où il a noué des amitiés discutables auxquelles il est resté fidèle jusqu’au bout; ou le ministre de l’Intérieur partisan d’une répression musclée face aux insurgés algériens dans les années 1950. Sans compter cette nébuleuse affaire de «l’attentat» de la rue de l’Observatoire.

«Florentin»

Rien ou pratiquement rien non plus sur sa conquête du pouvoir au sein du Parti socialiste qui ne portait pas encore ce nom en 1971, au congrès d’Épinay.

Par contre sa haine corse pour un Michel Rocard, opposant de l’époque, Premier ministre méprisé, nommé le 10 mai 1988 et congédié le 15 mai 1991, après trois années de mandat particulièrement réussies, pour l’empêcher de briguer la succession à l’Élysée a bien été décrite: petitesse fréquente chez les hommes politiques d’envergure, poussée à son paroxysme chez un dirigeant, à qui sa duplicité avait valu le surnom de « florentin ». Le résultat de cette obstruction est peut-être l’effondrement, aujourd’hui, du Parti socialiste français et l’explosion de la gauche, désormais plus éloignée que jamais du pouvoir suprême…

On a par contre bien pu prendre la mesure de sa capacité extraordinaire à rebondir, pour avoir réussi en 1974 et encore plus en 1981 à se présenter comme un « homme nouveau », lui qui était dans le bain politique depuis plus de trois décennies. Ou qui, après avoir accusé le général de Gaulle de pratiquer un « Coup d’État permanent » avec sa Constitution de la Ve République, a par la suite exercé avec délectation les pouvoirs exorbitants accordés au chef de l’État.

Le choc salutaire de l’alternance

Ces commémorations de son élection à la présidence de la République ont par contre bien souligné le choc que ce scrutin a représenté pour une France où la droite semblait éternellement vouée au pouvoir, qui a joué vainement la menace d’une arrivée des chars soviétiques à Paris si la gauche se l’appropriait, et où le personnel de l’Élysée, selon les mots d’un acteur de l’époque semblait étonné de voir ses représentants manger… avec des fourchettes. Un choc décrit aujourd’hui par un de ses opposants d’alors comme le choc salutaire de l’alternance pour la démocratie française.

Elles traduisent aussi la nostalgie des Français pour un président qui a osé imposer des réformes sociales fortes dès son arrivée au pouvoir; qui s’est fourvoyé dans une politique économique dont une partie de ses proches annonçait la faillite dès le départ, puis en est revenu deux ans plus tard tout en maintenant les réformes sociales engagées… dont certaines pèsent toujours sur les finances publiques françaises, ou qui, par exemple avec l’abolition de la peine de mort, n’a pas hésité à imposer un choix politique et éthique à l’encontre de l’opinion largement majoritaire.

C’est aussi le souvenir d’un chef de l’État plus pénétré de Culture que d’économie, et qui a laissé sa trace dans le paysage parisien (Pyramide du Louvre, Arc de La Défense, Opéra de La Bastille, Colonnes de Buren), à la manière d’un monarque absolu non couronné, dont les Français sont périodiquement en quête, pratiquement depuis qu’ils ont coupé la tête de Louis XVI, le 21 janvier 1793.

Bizarrement par contre, son engagement européen, notamment à travers une proximité renforcée avec l’Allemagne, mise à l’épreuve au moment du processus de réunification en 1989, n’a été que très furtivement évoqué.

Plus prosaïquement, cette commémoration souligne en creux la médiocrité de la classe politique qui a succédé à François Mitterrand. En partie par sa faute, à la fois parce qu’il a étouffé au Parti socialiste les successeurs d’envergure (Jacques Delors, Michel Rocard) qui auraient pu faire de l’ombre à son bilan, et parce que par calcul politicien, il a favorisé l’expansion du cancer du Front national dans le paysage politique français.

Deux présidents d’envergure

La tentation est effectivement toujours grande d’idéaliser le passé. Mais à l’analyse, il faut bien convenir que seuls le général de Gaulle, qui s’est donné une République à la mesure de son ambition, et François Mitterrand, qui a joué à fond de ses institutions, ont présidé avec brio la Veme République. Tous deux en ayant bénéficié d’un fort soutien populaire au départ, puis subi la désillusion d’un peuple qui croit peut-être naïvement qu’un homme seul peut décider de l’évolution du pays.

Georges Pompidou n’a pas eu le temps d’assumer la succession du premier, et avant le second, l’illusion Giscard d’Estaing s’est progressivement dissipée au cours de son septennat.

Ensuite, si Jacques Chirac a été (et reste) un président très populaire, il a surtout brillé par ses gaffes politiques et son incapacité à exercer le pouvoir après l’avoir brillamment conquis.

Puis sont venus Nicolas Sarkozy, manifestement trop court pour la fonction; et François Hollande qui a très maladroitement tenté de reproduire le modèle Mitterrand. Jusque dans ses écarts amoureux avec l’épisode humiliant du scooter qu’il utilisait pour se rendre à son rendez-vous galant…

Reste Emmanuel Macron, sorti du néant politique, dont le parcours actuel n’est pas loin de rappeler la parenthèse Giscard d’Estaing des années 1970. Peut-être dans sa quasi-certitude d’aller tout droit vers la réélection, performance qu’à l’heure présente, seul François Mitterrand a effectivement réalisée.

Décidément, on comprend cette nostalgie de l’époque de « Tonton ». Même si, pour les Françaises et les Français, il serait peut-être préférable, l’an prochain, de pouvoir revenir les pieds sur terre….