Vérité en-deçà de l’Atlantique, mensonge par-delà


Hasard du calendrier: c’est au moment où, en Belgique, les instances parlementaires diverses se saisissent de propositions de loi relatives au voile islamique, au Québec, Gérard Bouchard, un souverainiste convaincu, qui a coprésidé une commission qui a donné naissance au concept des «accommodements raisonnables» pourfend la proposition de loi présentée par le Parti Québécois visant à interdire tout signe religieux distinctif dans la fonction publique. «Pareille loi vaudrait au Québec une mise à l’index dans le monde entier, parce qu’elle violerait les libertés fondamentales» explique-t-il en substance. Cela n’a pas empêché le gouvernement Charest de tenter de régler la question, en proscrivant au moins le voile intégral dans l’administration: la solution ne satisfait ni les tenants de la liberté de religion, ni ceux d’une laïcité affirmée au Québec.

Revenons aux propos de M. Bouchard: la Belgique et la Communauté Wallonie-Bruxelles sont-elles elles aussi menacées du pilori, si elles légifèrent dans le même sens?

Étrangement, les concepts semblent diamétralement opposés, de part et d’autre de l’Atlantique: ce sont précisément les «accommodements raisonnables» québécois qui sont dénoncés chez nous, comme conduisant tout droit au communautarisme. Et la législation envisagée s’inscrit à contre-courant de ces principes.

Qu’en tirer comme leçon? Que le problème est malaisé à résoudre, bien sûr: il y a à concilier à la fois le respect des libertés individuelles fondamentales, et la nécessaire adhésion à des valeurs démocratiques communes, qu’un certain port du voile imposé, ou certains types de voiles veulent nier. Et que ce qui était vrai jadis pour les Pyrénées l’est aujourd’hui pour l’Atlantique: vérité en-deçà, mensonge par-delà…

(photo François Brunelle)

Ces murs qui subsistent ou s’érigent


Berlin, où je suis passé en début de semaine, vivra donc ce lundi une grande journée festive, pour rappeler la chute du Mur, le 9 novembre 1989. L’événement a transformé la vie de millions d’Allemands, dont certains, que j’ai rencontrés, se rappellent ce jour avec beaucoup d’émotion. Pour la plupart, le changement s’est fait en bien, même si les «Ostalgiques» sont encore nombreux. Ils ne souhaitent pas retourner à l’ordre ancien, mais ils ne veulent pas non plus oublier leur passé, et on peut les comprendre.15857619La chute du Mur annonçait la transformation que le monde a subie, il y a une vingtaine d’années. Transformation positive? Globalement, sans doute, même si on ne peut pas passer l’éponge sur tout. L’Union Européenne en a profité pour s’élargir à l’Est,  ce qui est une bonne chose; mais elle n’a toujours pas trouvé une structure qui lui permette de fonctionner efficacement à Vingt-sept aujourd’hui, plus encore peut-être demain. Le traité de Lisbonne lui permettra-t-il de rebondir? Difficile à dire. Mais il en sera abondamment question, la semaine prochaine, avec la désignation du président du Conseil européen, dont le nom devrait être connu avant samedi prochain. Herman Van Rompuy sera-t-il l’élu? Le nom du Premier ministre belge est dans toutes les bouches pour l’instant, et la voie semble toute tracée pour lui. Il a la discrétion voulue – certains parlent de son manque de charisme – et la manière dont il a «pacifié» la Belgique impressionne, dit-on…

Ah bon? Herman Van Rompuy a pacifié la Belgique? Depuis son arrivée au 16 rue de la Loi, les problèmes communautaires ont été mis au frigo, c’est vrai. Ils ne sont pas résolus pour la cause, et les récentes manifestations flamingantes à Eupen, pour dissuader le Parlement germanophone de lancer une procédure en conflits d’intérêts sur le projet de scission de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde en portent témoignage. Au fait, un départ à l’Europe permettrait au Premier ministre d’échapper à une contradiction, car il est lui-même signataire de la proposition flamande de scission, votée au Parlement majorité flamande contre minorité francophone, et qui est à l’origine des procédures de conflit d’intérêt en cascade. Difficile dès lors pour lui de piloter une négociation sur le sujet…

Passons sur le dilemme épouvantable que poserait le départ de Herman Van Rompuy pour son prédécesseur (et successeur?) Yves Leterme: on verra d’ici à quelques jours si la question se pose. Constatons tout de même qu’alors qu’il fêtera à Berlin, ce lundi, l’anniversaire de la chute du Mur, le Premier ministre a contribué à renforcer le mur d’incompréhension qui existe, en périphérie bruxelloise et par ricochet à Fourons, entre Flamands et francophones? Non que ces derniers, en périphérie, soient sans responsabilités en la matière, faut-il le préciser. Ce mur pourrait tomber, en Belgique, si la Flandre se résolvait à adopter, enfin, la convention-cadre sur la protection des minorités, comme le lui demande le Conseil de l’Europe, mais on sait que le gouvernement Peeters a explicitement déclaré qu’il n’en ferait rien…

Ce mur d’incompréhension n’est pas le seul, loin de là, qui subsiste, 20 ans après la chute du Mur: Chypre reste divisée; un rideau de fer sépare les États-Unis du Mexique; la barrière entre les deux Corée est infranchissable; et Israël construit une muraille le long de sa frontière avec l’embryon d’État palestinien. Israël dont il ne fait pas bon critiquer la politique, sous peine de se voir taxer d’antisémitisme: André Flahaut, l’ancien ministre de la Défense nationale, l’a appris à ses dépens; il a contre-attaqué avec succès sur le plan judiciaire. Au moins, cette fois, le terrorisme (intellectuel en l’occurrence) ne l’a pas emporté….