Trente ans de guerres avec des fous de Dieu


SI vous n’avez pas eu l’occasion de regarder le remarquable documentaire intitulé «Trente ans de guerre au nom de Dieu», qu’Arte a diffusé récemment, il n’est pas trop tard: sur Youtube, les deux épisodes sont toujours disponibles (premier épisode, 1979-1989: https://www.youtube.com/watch?v=QZH4pJDtDpg). Et ils méritent d’être vus, par la prise de distance qu’ils offrent à l’égard d’événements que nous avons vécus, sans toujours, peut-être, en percevoir les implications. Le plus inquiétant étant que ceux qui avaient la responsabilité de gouverner divers États n’ont manifestement pas eu plus de clairvoyance. Ou pire, se sont laissé guider par une conception dévoyée de leur religion. Et nous en payons toujours les conséquences aujourd’hui, avec les crimes innommables des islamistes de l’État du même nom; avec l’attentat contre le Musée juif à Bruxelles; et avec les deux attentats qui ont frappé cette semaine Ottawa.

Tous ces événements nourrissent une méfiance latente, pour ne pas dire plus, à l’égard des musulmans. Comme si l’immense majorité des musulmans que nous croisons dans notre vie quotidienne étaient responsable des crimes commis abusivement au nom de la religion qui est la leur. Et comme si, depuis que le terrorisme islamiste existe, il n’avait pas fait bien plus de victimes chez les musulmans que chez les non-musulmans: il suffit, pour s’en souvenir, de se rappeler la guerre civile innommable qui a ensanglanté l’Algérie au début des années 1990.

Mais le monde occidental ferait bien de balayer devant sa porte, avant d’incriminer ainsi l’islam. Et ce n’est pas le moindre mérite de ces documentaires que de replacer chacun devant ses responsabilités.

Capture d'écran 2014-10-25 21.01.48Nous considérons absurde le vocable de «croisés» que les intégristes islamistes utilisent pour nous désigner? Il suffit de réentendre, pourtant, la rhétorique de Ronald Reagan, au moment de sa résistible ascension, pour voir que lui-même revendiquait le terme, pour partir à l’assaut du monde communiste, qu’il qualifiait d’«empire du mal», dans une autre métaphore religieuse.

C’est l’époque où, aussi, Jean-Paul II, le pape polonais, apporte publiquement son soutien à Solidarnosč, jouant un rôle non négligeable, et largement salué par ailleurs, dans la transition démocratique en Pologne, et dans l’ébranlement du système soviétique.

La guerre à outrance menée par l’Amérique reaganienne à l’URSS passera, on le sait, par le financement et l’armement massif des opposants musulmans à l’Armée Rouge en Afghanistan. Et un des bénéficiaires de ce large soutien sera Oussama Ben Laden.

Les évangélistes états-uniens, qui ont occupé la Maison-Blanche avec successivement Reagan, Bush père et Bush fils, partagent avec les intégristes juifs la conviction que le temple de Salomon sera finalement reconstruit à Jérusalem. Et fera donc disparaître la mosquée Al-Aqsa. Ils n’ont donc pas désavoué Ariel Sharon, quand il est venu s’exhiber sur l’esplanade d’Al-Aqsa, déclenchant une révolution des pierres. Surtout, ils ont soutenu, et continuent à soutenir les extrémistes israéliens au pouvoir, notamment quand ces derniers, pour affaiblir Yasser Arafat, ont nourri le mouvement Hamas. Avec le même aveuglement que leurs soutiens américains en Afghanistan. La réaction, là aussi, a été à la hauteur de l’énorme erreur politique commise, par aveuglement intégriste religieux…

Depuis lors, l’idéologie, qui avait fait tant de morts au XXᵉ siècle, a cédé la place à Dieu dans les guerres qui ensanglantent la planète. Un Dieu abusivement invoqué, dans les trois mondes, musulman, juif et chrétien, qui s’affrontent, et où la grande, sinon l’immense majorité des croyants sincères ne se reconnaissent pas dans les politiques agressives menées au nom de la religion. Un peu comme pour donner raison à Malraux quand il avait annoncé que le XXIᵉ siècle serait religieux.

Le drame, c’est que ces extrémistes sont aux commandes. Et qu’ils enveniment chaque jour la situation. La politique d’expulsion des citoyens arabes de Jérusalem se déroule ainsi impunément, ruinant chaque jour un peu plus l’hypothèse de moins en moins vraisemblable de la coexistence de deux Ḗtats, juif et palestinien, en Palestine. Au contraire, et les récentes attaques meurtrières de l’armée israélienne contre la bande de Gaza, en réplique disproportionnée à des tirs de roquette n’en sont que la dernière manifestation, en multipliant des obstacles de plus en plus grands sur la voie d’un règlement pacifique du conflit qui l’oppose aux Palestiniens, le gouvernement israélien donne lui-même du grain à moudre aux islamistes de tous poils, d’autant plus ardents à réclamer la destruction de l’Ḗtat d’Israël.

Tout cela n’incite guère à l’optimisme. Le monde laïc, ou les mouvements athées, y trouveront de quoi nourrir encore plus leur argumentation. Mais outre le fait qu’ils ne pourraient en tout état de cause pas faire disparaître les religions, ils ne peuvent effacer le fait que le plus grand conflit du XXeme siècle a opposé principalement deux systèmes qui n’avaient rien de religieux… même si tous deux empruntaient leur dramaturgie à la religion. Quant à la lueur d’espoir née dans la foulée du «printemps arabe», où la contestation des dictatures en place se nourrissait plus de l’appel démocratique que de l’inspiration religieuse, elle s’est progressivement éteinte au fil de la dérive égyptienne vers l’islamisme puis de son brutal retour sous la dictature militaire; de l’effondrement de la Libye; et de la sanglante guerre qui a mis le feu à la Syrie, avant de déborder à nouveau sur l’Irak. Encore que: ce printemps arabe a démarré en Tunisie, où, ce dimanche, un scrutin législatif se déroulera. Les Tunisiens ont tout pour prouver au monde que même dans une société où la religion occupe toujours une grande place, une évolution démocratique est possible. Bien sûr, l’hirondelle tunisienne ne peut refaire le printemps arabe. Mais ce serait, en tout cas, un premier pas à contre-courant. Inch’ Allah!

Avec Bart De Wever, les Flamands ont leur Poutine. Ou leur Kabila?


L’insoutenable suspense a donc pris fin: avant de s’envoler pour Shanghaï, Bart De Wever a envoyé la demande de dérogation indispensable pour pouvoir briguer un quatrième mandat à la présidence de la N-VA.
zoveel-viel-bart-de-wever-echt-af_667x1000La veille encore, le bourgmestre d’Anvers jouait la comédie: il ignorait s’il allait franchir le pas; il fallait qu’il en parle avec quelques personnes… Depuis des semaines, pourtant, on sait qu’il «rempilera» en 2015. À la fois parce que le succès électoral du parti nationaliste flamand de droite extrême et sa participation aux gouvernements flamand et fédéral a exigé la montée dans les exécutifs d’un grand nombre de responsables, dont Jan Jambon et Ben Weyts, qui, sans avoir l’aura du gourou de Deurne, auraient pu prétendre à sa succession. Ensuite, comme me l’ont expliqué cette semaine les politologues gantois, Carl Devos, et bruxellois, Dave Sinardet, il y aura d’ici à 2019, date des prochaines élections, quelques couleuvres à faire avaler à l’électorat, spécialement nationaliste, de la N-VA. Et les talents oratoires de Bart De Wever seront sans doute grandement nécessaires pour calmer le dépit de celles et ceux qui espéraient voir la cause de l’indépendance flamande faire un grand bond en avant avec l’arrivée au pouvoir du parti indépendant(r)iste.
Il n’y aura d’ailleurs peut-être pas que la base nationaliste de la N-VA à calmer ainsi. La Flandre de droite a voté massivement N-VA, en croyant le mythe selon lequel sa prospérité reviendrait à tire d’ailes dès que les liens avec la Wallonie sclérosée seraient rompus. Mais dans l’attente, la N-VA au gouvernement flamand, ce sont des études supérieures nettement plus chères; ce sont des associations culturelles privées de subsides; c’est une VRT obligée de tailler dans le vif (et qui doit se demander si elle a bien eu raison de consacrer De Wever «slimste mens ter wereld», l’homme le plus intelligent du monde, il y a quelques années…) et c’est un accès durci aux logements sociaux. Tout cela pour commencer!
Bart De Wever est donc bien parti pour entamer un… quatrième mandat à la présidence de la N-VA, dont les statuts limitent pourtant à deux le nombre maximum de mandats possibles à ce post: c’est le sens de la dérogation qu’il a sollicitée, et qu’il obtiendra sans aucun doute sans coup férir. Il avait pourtant juré ses grands dieux, en devenant bourgmestre d’Anvers, le 14 octobre 2012, qu’il quitterait la présidence du parti à l’issue de son troisième mandat. En arguant que la cité portuaire mérite un mayeur à part entière…
L’homme fort du parti se justifiera sans doute en disant qu’il répond ainsi aux sollicitations qui viennent de toutes parts. On lui en donnera acte.
Vladimir_Putin_-_2006Il ne fait en l’occurrence que reproduire le comportement d’un Vladimir Poutine, qui a toutefois fait preuve de plus de subtilité que lui (mais ils ne jouent évidemment pas dans la même cour). Limité par la Constitution russe à deux mandats, le président russe a changé de fauteuil avec son président, Dmitri Medvedev, et, pendant la durée des deux mandats de ce dernier, il a inversé le rapport de forces politique entre la présidence russe et la direction du gouvernement. Puis il est gentiment revenu pour un nouveau cycle de deux mandats, en rendant à la présidence tout son éclat. Pour sans doute ensuite, inverser à nouveau les rôles… jusqu’à ce que mort s’en suive?
Joseph KabilaJoseph Kabila n’en est pas là. Mais le président congolais ne pourra, en principe, pas, au terme de son mandat (contesté), se représenter à la présidence de la République Démocratique du Congo.Mais, à son âge (43 ans), le président congolais se voit mal accéder bientôt à la retraite… et ce n’est pas Bart De Wever qui le contredira, puisque le gouvernement fédéral dont la N-VA fait partie vient de rehausser à 66 puis à 67 ans, à l’horizon 2030, l’âge de la retraite en Belgique. Joseph Kabila songe donc à une modification de la Constitution congolaise, qui lui permettrait de rempiler. Et malgré l’opposition démocratique, il serait bien capable d’arriver à ses fins.
L’opposition bolivienne ne dit rien d’autre d’Evo Morales, qui va être élu ce dimanche pour la troisième et en principe dernière fois à la tête de son pays.
Les mauvaises pratiques, décidément, sont contagieuses. Curieusement, elles semblent rarement rendre heureux ceux qui les mettent en œuvre. Et tout auréolé qu’il soit de ses succès électoraux répétés, Bart De Wever n’aura jamais l’envergure d’un Winston Churchill, qui s’est incliné devant l’impitoyable et invraisemblable verdict des urnes qui l’a renvoyé dans l’opposition, en 1945.Le vieux lion y a trouvé au contraire une nouvelle énergie pour tenter de renverser la vapeur. Et rappelé que «la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres». Dont celui de la démocratie dirigée, à la sauce N-VA, russe, congolaise, bolivienne, etc.