La plainte de l’Excelsior Virton contre la licence accordée au SKLommel ébranlera-t-elle le football européen, voire mondial, à l’instar de l’action entreprise, il y a plus de trois décennies, par un joueur belge inconnu sur le plan international, Jean-Marc Bosman, qui a mis par terre l’enchaînement des footballeurs à leur club? Bien malin qui pourrait le dire, car le bras-de-fer engagé par le club gaumais est gigantesque, en ceci qu’il vise des clubs européens de premier plan comme le Paris Saint-Germain, ou Manchester City? Et puis, dans une affaire qui oppose un club wallon à un club flamand, il ne faut pas être grand clerc pour deviner dans quel sens pencheront et l’Union belge et la Ligue professionnelle, dont le directeur, faut-il encore le rappeler, est l’ancien président de la N-VA…
Il n’empêche, les Virtonais ont de quoi faire réfléchir les juges, sinon belges, du moins européens puisqu’ils annoncent déjà, s’ils étaient déboutés, qu’ils s’adresseraient à la Cour de Justice de l’Union Européenne, qui a son siège à Luxembourg. Au moins, si leur dossier y aboutit, ne seront-ils pas astreints à un très long déplacement.
C’est là que le parallèle avec le dossier Bosman prend toute sa dimension, car à l’époque, c’est à la fois à la non-conformité du système de transferts en vigueur avec les règles européennes sur la libre circulation des travailleurs et à la pseudo-autonomie juridique des fédérations sportives que les avocats du joueur liégeois s’étaient attaqués. Avec, en apparence, aussi peu de chances de s’imposer que l’Excelsior Virton aujourd’hui.
Nous avons déjà eu l’occasion, dans ce bloc, d’épingler la main-mise sur le football mondial, sur le football européen, et donc sur le football belge, par des pouvoir qui n’ont rien de sportifs, et qui pèsent sur des décisions sportives.
C’est ainsi que le Paris-Saint-Germain est passé sous pavillon qatari, pas pour le pire mais pas non plus pour le meilleur, dans la foulée du soutien de la France à l’attribution au Qatar du récent Mondial qui a couronné l’Argentine.
L’émirat n’est certainement pas le seul à pratiquer de la sorte: ce sont les Émirats Arabes Unis qui contrôlent Manchester City, et l’Arabie Saoudite Newscastle. L’oligarque russe Roman Abramovich avait acquis Chelsea avant de le céder au groupe du milliardaire américain Todd Boelhy, par suite de la guerre en Ukraine.
La situation en Belgique n’est pas plus rose: si le Club Brugeois, Anderlecht, le Sporting de Charleroi, Malins, le RC Genk, ou La Gantoise et l’Antwerp restent contrôlés par des propriétaires belges plus ou moins fortunés, l’AS Eupen est toujours financée, elle aussi, par le Qatar (qui semble toutefois se retirer progressivement du club); le Standard de Liège est aux mains d’un consortium international, 777 Partners, qui achète des équipes de football dans le monde entier; le Cercle de Bruges est un satellite de l’AS Monaco. Courtrai est propriété d’un milliardaire malaisien qui possède déjà Cardiff City et le FK Sarajevo; et Saint-Trond est aux mains d’une entreprise japonaise d’e-commerce.
Westerlo, pour sa part, est sous la coupe d’un entrepreneur turc, dont l’usine, installée au Soudan, produit du matériel militaire. Le KV Ostende, relégué à l’issue de la présente saison, est toujours, mais pour combien de temps encore, dans le giron du Pacific Media Club, lui aussi spécialisé dans l’achat de clubs de football. Le partenariat entre le FC Seraing et le FC Metz n’a pas empêché le club liégeois, lui aussi, de basculer en seconde division.
Pour l’Union Saint-Gilloise, le partenariat avec Brighton & Hove-Albion est, depuis quelques années, marqué du sceau de la réussite, mais là aussi, il y a le risque qu’un jour, le propriétaire du club britannique change d’humeur.
Visé par la plainte de l’Excelsior Virton, leSK Lommel, lui, fait patrie du City Football Gropup,et reçoit donc des fonds d’Abu Dhabi. De quoi violer les règles en matière de concurrence, souligne le club gaumais, avec une pertinence apparente.
Les Allemands, eux, ont depuis longtemps réglé le problème: leurs clubs doivent avoir des propriétaires majoritairement allemands. Cela n’empêche pas le Bayern de Munich d’être champion pratiquement avant que le championnat ne débute. Mais au moins, cela évite-t-il, en principe, des écroulement sspectactulaires.
Retour au football dans notre petite terre d’héroïsme. Un football pas très ragoutant, si on se rappelle les magouilles mises au jour par notre ancien confrère Thierry Luthers, qui avouait n’avoir pu les dévoiler que parce qu’il arrivait en fin de carrière.
Les dossiers de corruption ainsi établis, et confirmés par les aveux d’un repenti n’ont rien changé: la plupart d’entre eux se sont terminés par des transactions financières (ben, tiens), et on peut supposer qu’en coulisses, bien peu de choses ont changé. Une preuve? La finale de la coupe de Belgique se joue toujours avant la fin du championnat. Manière de favoriser tous les arrangements pour la distribution des tickets européens…
Cette année, le nombre de clubs plus haut niveau de notre football va se réduire, et la deuxième division, que je me refuse à baptiser du nom publicitaire qu’on lui donne, sera renforcée.
De quoi renforcer nos clubs? Soyons sérieux, là n’est pas le propos! Nous ne serions que moyennement étonnés si les «play-offs», qui étonne tous les observateurs étrangers, résistaient encore longtemps à l’absence, cette année, du Standard et d’Anderlecht dans le dernier carré.
Surtout, il faudrait se rendre compte que le nombre de clubs professionnels est trop élevé en Belgique, et que la manière dont le football professionnel étouffe le football amateur ne fera qu’amplifier le marasme.
Passons rapidement sur la désaffection du public autour des terrains de toutes les séries provinciales: qui voudrait aller voir se disputer une rencontre sous la pluie et dans le froid, un dimanche après-midi, alors que la télévision payante offre deux rencontres de la pseudo-élite de notre football, tranquilles, au coin du feu?
Et puis il y a ces règles absurdes pour empêcher des clubs amateurs de damer le pion à des clubs professionnels.
Pas question, par exemple, d’obliger, dans le cadre de la coupe de Belgique, le club le plus haut classé d’aller disputer un match éliminatoire sur le terrain du club le plus modeste. La formule marche bien en Franche, mais chez nous, pas question d’autoriser un club amateur à atteindre le stade des quarts, voire des demi-finales!
Et puis il y a cette règle absurde qui empêche un club amateur de monter, même s’il est champion, et respecte les règles éthiques.
Il y a un an, j’épinglais le cas du RFC Liégeois, champion de sa série, mais empêché de monter dans un absurde tour final à quatre, avec trois équipes flamandes dont deux n’avaient pas le sésame indispensable pour atteindre la division Ib.
Cette année, le club de Warnant a été sacré largement champion de division II amateur, devant des clubs nettement plus huppés, qui n’ont pas manqué de dénigrer et ses installations et ses «paysans» de joueurs, car en Hesbaye évidemment, il n’y a que des bouseux.
Tout cela n’a pas empêché les «Verts» de s’emparer du titre, pour le plus grand plaisir de leur président-mécène depuis plus de 30 ans, mais ils ne monteront pas. À la fois parce que ce président ne peut se permettre d’engager un nombre requis de footballeurs professionnels. Et aussi parce que le terrain du club pourrait être trop étroit de quelques mètres.
Les joueurs du FC Warnant garderont en mémoire ce titre gagné de haute lutte, mais le promu sera un club classé… en cinquième ou sixième position. Plus professionnel, sur papier du moins.
À force de continuer à scier la branche sur laquelle il est assis, en étouffant le football amateur, le football professionnel belge ne se ménage pas un bel avenir.
Une génération dorée comme celle qui passe la main au niveau national ne sera plus là pour masquer cette vérité.