Le journalisme trouve de nouveaux défenseurs


La nouvelle équipe dirigeante de l'AJP (photo René Smeets)

Avec un peu de retard, j’ai le plaisir de saluer la nouvelle équipe dirigeante de l’Association des Journalistes Professionnels francophones et germanophones, élue samedi à l’issue d’une assemblée générale, dont l’assistance, toujours trop maigre, était plus nombreuse que d’habitude.

Cette équipe sera dirigée, pendant les quatre années à venir, par un nouveau président, notre excellent confrère François Ryckmans (RTBF), un de ces rares rédacteurs en chef restés premier des rédacteurs plutôt que de devenir dernier des directeurs. Il ne sera pas le seul dans le cas dans la nouvelle équipe dirigeante, puisque Daniel Nokin, désormais rédacteur en chef de Canal C, a décidé de «rempiler», et, surtout, a été réélu à une très large majorité.

Ce conseil de direction est essentiellement marqué par une féminisation et un rajeunissement des cadres. Et c’est une bonne chose, même si le travail réalisé par les «sortants», et notamment Daniel Conraads, ou Dominique Nahoé, avec l’action en faveur des indépendants qui a été menée, il y a quelques années, de manière remarquée en Europe, mérite d’être salué. Cela place la barre d’autant plus haut pour la nouvelle équipe, mais avec le subtil équilibre d’expérience (Mehmet Koksal, Albert Jallet, Gabrielle Lefevre, Ricardo Gutierrez, Christophe Cordier, Marc Simon, Roger Pint,Éric Lekane, Éric Van Duyse, Michèle Michiels) d’idées nouvelles (Alain Dewez, Camille Perotti, Adrienne Nizet, Anne-Sophie Leurquin, Jean-Christophe Adnet, Philippe Bodeux, Merjeme Parliaku, Myriam Leroy) qui vont s’y côtoyer, avec un secrétariat général égal à lui-même, on peut dire avec une quasi-certitude que les journalistes francophones et germanophones seront bien défendus dans les quatre années qui s’ouvrent.

Le journalisme critique en ligne de mire

Mais c’est le moment aussi de rappeler que les mandataires de l’AJP-AGJPB ne peuvent rien, si les journalistes ne commencent pas par se prendre en charge eux-mêmes et elles-mêmes. Et il n’est pas mauvais de rappeler ce principe, en ces jours où le journalisme critique est rudement mis à l’épreuve dans notre pays. Je n’en veux pour preuve que le boycott intolérable exercé par la N-VA à l’égard de certains médias francophones trop critiques à leurs yeux: après le boycott officiellement annoncé à Jean Quatremer, le correspondant de «Libération» dans notre pays, c’est un de nos confrères du «Soir», parti au Pays basque accompagner une délégation du parti nationaliste flamand à un congrès du parti nationaliste basque, qui s’est vu signifier pour des raisons identiques une même fin de non-recevoir à une demande d’interview. Et pour mieux retourner le couteau dans la plaie, Mme Frieda Brepoels, députée européenne N-VA, s’est confiée, dans la foulée, au journaliste de «La Libre Belgique», envoyé également sur place pour couvrir le même événement.

Avec beaucoup de naïveté, en pareille situation, je persiste à penser que le meilleur réflexe à opposer à pareil obscurantisme est celui de la solidarité professionnelle. Entre médias francophones, en l’espèce; entre médias francophones et néerlandophones au besoin. Car il ne faut pas se leurrer: si, à court terme, on peut se réjouir ainsi de bénéficier des «faveurs» d’un interlocuteur, il faut bien être conscient qu’en entrant ainsi dans sa logique, on se dépouille progressivement de sa liberté de pensée. Au moindre «écart», en effet, l’interlocuteur enverra la balle vers quelqu’un d’autre. En l’occurrence, on peut supposer que la N-VA, au bout du compte, ne s’adressera plus qu’aux médias flamands de droite. Triés sur le volet.

Il serait peut-être bon, pourtant, de rappeler à Mme Brepoels que le Parlement européen, dont elle fait partie, a mis la liberté de la presse et la liberté d’expression au premier rang de ses priorités. Et à M. Bart De Wever, que l’article 25 de la Constitution garantit la liberté de la presse. Et si même Beaumarchais n’a pas écrit en latin, le président de la N-VA, qui maîtrise remarquablement le français, comprendra aisément ce principe cardinal du journalisme libre: «Sans la liberté de blâmer, il n’est d’éloge flatteur».

De tout cela, je l’espère, journalistes francophones et flamands auront l’occasion de discuter ensemble, dans les deux à trois mois qui viennent, sous les auspices de l’AGJPB. L’occasion, pourquoi pas, de mettre au point une riposte commune et coordonnée, des deux côtés de la frontière linguistique? Décidément, je ne peux jamais m’empêcher de rêver…

La trahison d’un roi


Depuis la révélation, par un auteur flamand, de l’existence, réelle ou supposée, d’une demi-sœur du roi Albert II, que son père, feu le roi Léopold III aurait eue de son aventure avec une patineuse d’origine autrichienne, la presse flamande consacre des pages entières aux frasques des princes qui nous ont gouvernés, n’épargnant que le défunt roi Baudouin, tout en rappelant, sans avoir l’air d’y toucher, les rumeurs sur l’attachement très fort qui le liaient à Lilian Baels, sa belle-mère, seconde épouse de son père.

Là aussi, la différence de réaction entre la presse quotidienne flamande et la presse quotidienne francophone ne manque pas d’interpeller. Faut-il voir dans la discrétion des journaux francophones sur le sujet une autre manifestation de ce curieux renversement d’opinion qui, en six décennies, a transformé en région monarchiste la Wallonie républicaine de 1950, et mué la Flandre attachée au trône en (non-)État-nation hostile à la dynastie? Ou alors une autre expression de la « pipolisation » de la vie publique en Flandre, puisque, tandis qu’il détaille dans deux pages les frasques sexuelles de cinq de nos six souverains, le « Nieuwsblad » en consacre une à la maternité d’une des filles du ministre de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V), qui a décidé de faire un bébé toute seule?

L’occasion est pourtant belle de faire un retour historique sur la trahison de Léopold III, au moment où vient de paraître une deuxième biographie de Hubert Pierlot, l’homme politique sans doute le plus injustement traité du XXeme siècle dans notre pays. Je ne vise évidemment pas là les coups de canif donnés par le successeur d’Albert Ier dans divers contrats matrimoniaux. Ni non plus la capitulation en rase campagne du 28 mai 1940, qui a provoqué la rupture avec son gouvernement d’alors, non: quelques semaines plus tard, ses ministres, réfugiés en France et convaincus de la victoire finale de l’armée française, la plus forte du monde, partageaient sa conviction que l’Allemagne nazie avait gagné la guerre, et lui offraient leur démission.  Et pas, enfin, son « testament politique » de 1944, qui a plus tard démontré qu’il n’avait, selon le mot de Churchill, citant Talleyrand à propos des Bourbons à la Restauration, « rien oublié et rien appris ». Mais sa trahison envers ses soldats, à qui il avait promis de partager leur sort, au moment où il décidait de leur faire déposer les armes. Quand, derrière les barbelés d’Allemagne, les prisonniers de guerre, essentiellement wallons, ont appris le remariage de Léopold, en décembre 1941, un an et demi à peine après le début de leur captivité, des portraits du roi ont traversé les fenêtres des baraquements de nombre d’oflags et de stalags. Prisonnier en Bavière, mon défunt père a raconté plus d’une fois qu’un de ses compagnons, prénommés Léopold, avait, à l’annonce de cette nouvelle, défendu qu’on l’appelle – qu’on l’appelât, devrais-je écrire – désormais de la sorte.

Tout cela appartient désormais à l’Histoire, c’est vrai. Mais il n’est pas inutile de rappeler ces événements. Si la guerre semble désormais, et c’est heureux, hypothèse bien improbable dans l’Europe unie, il reste dangereux de se fier à la parole d’un roi, dès lors qu’il est du type psychorigide…