Grâce à Paul Magnette, une extrême -droite inexistante peut rêver à Verviers


 

Hôtel_de_ville_de_Verviers_12C’était le 15 octobre 2012, et la toute jeune élue au conseil communal de Verviers ne tournait pas autour du pot. «Cette élection à un goût amer. Loin d’une victoire personnelle, c’est sur un sentiment de défaite que je me suis endormie hier soir» écrivait Dugyu Çelik sur sa page Facebook. «Le résultat des urnes montre en termes de voix de préférence que le vote ethnique a joué de manière importante. Et pas n’importe quel vote ethnique!» ajoutait-elle. «Il s’est cristallisé autour des mosquées, encouragé et prôné par un électorat souvent de droite, appartenant à la nouvelle bourgeoisie musulmane, celle qui roule en 4×4, et qui fait porter le voile à ses femmes, celle qui n’a que faire des idées et des valeurs du PS, et qui a mobilisé en masse pour soutenir son/ses candidats, pendant que nos électeurs laïques se détournaient de nous, et ce sont les mosquées qui ont triomphé au Parti socialiste à Verviers».

La lucidité de Dugyu Çelik confirmait son brillant trajet d’étudiante en sciences politiques à l’université de Liège.

1292857201paul-magnettePaul Magnette, président actuel du PS, ancien professeur à l’Université Libre de Bruxelles, aurait peut-être dû lire cette analyse écrite par une jeune femme fraîche élue au conseil communal de Verviers, avant de prendre la décision de mettre le PS de Verviers et sa fédération régionale sous tutelle pour une durée indéterminée afin de sauver le mandat de Hasan Aydin, président du CPAS de Verviers, menacé par une procédure de destitution prévue dans le Code wallon de démocratie locale. Car c’est de Hasan Aydin que Dugyu Çelik parlait il y a huit ans. Depuis lors, elle a quitté Verviers. Mais les événements des dernières semaines ne sont que la dernière conséquence de la situation qu’elle décrivait.

Des actes illégaux couverts

La bourgmestre de Verviers, Muriel Targnion, et celles et ceux qui l’ont propulsée à l’Hôtel de ville de Verviers portent une responsabilité évidente dans la dégradation de la situation. Manifestement, elle n’était pas taillée pour le rôle. Et la présidence de Publifin, d’Enodia ensuite, qu’elle a occupée trop longtemps pour défendre envers et contre tout les pratiques mafieuses de Stéphane Moreau et consorts ne l’a que trop distraite d’une tâche qui la dépassait peut-être.

Il n’empêche, elle a été réélue au mayorat de manière incontestable. Et par surcroît, le collège communal et elle sont confrontés depuis des mois à un président de CPAS qui se comporte en grand vizir n’ayant de comptes à rendre à personne, et qui a multiplié les actes illégaux, annulés par le ministre wallon des Pouvoirs locaux. Paul Magnette va-t-il par extension étendre la tutelle à Pierre-Yves Dermagne, ministre socialiste? L’homme, par ailleurs, s’est signalé d par la violence de ses paroles, dont certaines d’un sexisme primaire, a l’égard de ses collègues du collège communal.

En choisissant de geler la motion prise à l’égard de Hasan Aydin, le PS wallon, à l’initiative de son président, couvre donc les actes illégaux que celui-ci a commis, comprenne qui pourra! Les pressions exercées sur les élus PS qui sont revenus sur la signature qu’ils avaient apposée sur la motion de destitution du président du CPAS ne plaident pas pour la moralisation de la vie politique.

En plaçant l’union socialiste communale de Verviers et la fédération verviétoise du PS sous tutelle pour une durée indéterminée, il risquait aussi de paralyser pour des mois une ville de Verviers en pleine déliquescence, dont le délabrement aurait dû lui parler à lui, bourgmestre de Charleroi.

En décidant d’exclure la bourgmestre de Verviers et celles et ceux qui la soutiennent au sein du PS, parmi lesquels un ancien président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles tout de même, le président du PS apporte son appui à un mandataire qui s’est appuyé sur le vote ethnique décrit par Dugyu Çelik en 2012, et qui joue toujours la carte turquissime. En témoigne la récente manifestation de soutien organisée en sa faveur, au sein de laquelle des cris antisémites ont retenti. Pour la séance finalement annulée du conseil communal de ce soir où sa destitution aurait dû être décidée, une mobilisation aurait été déclenché sur des médias turcophones dans toute la Wallonie et à Bruxelles. Comme si son origine était à la base de sa mise à l’écart!

«Ce sont les mosquées qui ont triomphé au Parti socialiste de Verviers» écrivait Dugyu Çelik en 2012. Paul Magnette leur assure aujourd’hui une victoire plus grande encore, et met leur candidat sur orbite pour octobre 2024. Mais le risque est grand, alors, de voir une liste d’extrême-droite, aussi médiocre soit-elle, surgir du néant et tailler des croupières au PS verviétois divisé ou rabiboché. Alors le président du PS dira-t-il tel l’empereur allemand Guillaume II après la Première guerre mondiale «Das habe ich nicht gewollt». «Ce n’est pas cela que j’ai voulu»?

Divide ut imperes

La nuit aurait-elle porté conseil au Boulevard de l’Empereur? Y aurait-on considéré qu’effectivement, exclure une majorité du groupe socialiste, dont un ancien président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, était aller un pas trop loin? Ou tenterait-on de manière insidieuse de désolidariser les élus qui ont signé une motion pour écarter le président du CPAS de sa fonction d’abord, une motion de défiance constructive ensuite, de la bourgmestre, en application du vieux principe latin « Divide ut imperes », diviser pour régner?

Muriel Targnion n’est plus en odeur de sainteté au PS depuis un certain temps. Sa faute, quand elle présidait l’intercommunale Enodia, est de n’avoir pas compris que le moment de ne plus soutenir la gestion calamiteuse de Stéphane Moreau était venu.

On aurait compris que, pour sortir du blocage actuel, le PS invite et la bourgmestre, et le président du CPAS, à faire un pas de côté.

Le paradoxe est qu’il apparaît que les tenants de la discipline du parti ont tenté, eux aussi, de « débaucher » le cdH, mais pour installer Hasan Aydin au mayorat! Donc d’avoir tenté la manœuvre dont ils font reproche aujourd’hui à la majorité des élus socialistes verviétois!

Ils donnent ainsi l’impression de jouer la femme, ce qui n’est pas de la plus grande élégance, on en conviendra. Reste à voir si les cosignataires de la bourgmestre verviétoise tomberont dans un panneau aussi grossier. Et au même moment, les comportements irréguliers du président du CPAS ne sont toujours pas remis en cause par le PS à Bruxelles. Cela ne renforce pas sa crédibilité…

Baris Terkoglu et ses collègues risquent leur vie derrière les barreaux!


Depuis quelques jours, Baris Terkoglu, son collègue Baris Pehlivan, et une troisième collaboratrice du site turc Oda TV ont retrouvé les sinistres murs de la méga-prison de Silivri, à une quarantaine de kilomètres d’Istanbul.

Ils ne sont pas être les seuls à être détenus à cet endroit. D’autres journalistes, travaillant pour des quotidiens, dont des journalistes pro-kurdes, ont été également arrêtés en même temps qu’eux. Et à Silivri, des journalistes croupissent depuis des mois.

Baris Terkoglu et Baris Pehlivan connaissent bien les lieux: ce n’est pas un hasard, la répression de la liberté de la Presse n’est pas neuve en Turquie.

Cette fois, ils sont poursuivis pour infraction à la loi sur les services de renseignement. Leur crime? Avoir évoqué les obsèques d’un agent des services de renseignement turcs, mort en service commandé en Libye. Le nom de cet agent avait été mentionné au Parlement, dans un débat sur l’engagement de la Turquie en Libye; et il avait été repris dans des quotidiens qui avaient relaté ces débats. Qu’importe: les journalistes du site Oda tv ont été incarcérés.

Cette inculpation est évidemment un prétexte: c’est le journalisme d’investigation qui est visé à travers eux. Le Baris Terkoglu que nous avons connu il y a neuf ans n’est en effet plus un journaliste inconnu en Turquie. La publication, avec Baris Pehlivan, de livres, «Mahrem» et surtout «Metastaz», sur le devenir des membres des réseau «gulllenistes» en Turquie, a fait d’eux des journalistes qui comptent en Turquie, et leur site Oda TV est devenu un rendez-vous des citoyens en quête d’information indépendante. Et si leur arrestation était à mettre en perspective avec la prochaine publication d’une suite à «Metastaz», dont les épreuves venaient d’être relues?

La procédure, en cas de violation de la loi sur les services secrets est en principe rapide, nul ne sait combien de temps elle durera. Cela avait déjà été le cas il y a neuf ans. Mais il y a neuf ans, le Covid-19 ne s’était pas répandu dans le monde. Et dans les prisons turques, surpeuplées comme la plupart des prisons européennes, il fait craindre l’expansion rapide d’une pandémie mortelle.

Les autorités turques en sont conscientes, qui envisageraient de libérer anticipativement une série de détenus… sauf les journalistes. En clair, elles sont prêts à mettre en cause la vie de journalistes qui ne devraient pas être derrières les barreaux!

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L’appel est lancé aux autorités belges et européennes. Et aussi aux journalistes de Belgique et d’ailleurs. Ces journalistes doivent sortir de prison. LE JOURNALISME N’EST PAS UN CRIME!

Tous pour la liberté de la presse? Toujours et partout, alors…


L’Europe a rendez-vous à Paris, ce dimanche, pour exprimer sa solidarité à toutes les victimes, cette semaine, des assassins nazislamistes, et surtout pour clamer son refus de l’obscurantisme et son attachement à la liberté d’expression, à la liberté de la presse, et à la démocratie. Les polémiques politicardes qui avaient démarré en France alors même que les tueurs étaient toujours en cavale passent désormais à l’arrière-plan, et c’est très bien comme cela: elles n’ont pas leur place en ce moment.

L’initiative du mouvement est venue du président du Parlement européen, Martin Schulz, qui devait rencontrer François Hollande, le président français, et Angela Merkel, la chancelière allemande ce dimanche, et qui, en annulant le rendez-vous, a proposé que tous trois participent à la manifestation parisienne. Le mouvement était lancé, et l’Europe entière va s’y exprimer à travers ses représentants. Dans le même temps, dans de nombreuses villes européennes, des rassemblements, petits ou grands, se dérouleront dans le même esprit. Ce sera peut-être là la plus grande défaite des nazislamistes, qui ont finalement renforcé la conviction et la détermination démocratiques de tous les Européens et même, au-delà, de nombreux citoyens dans le monde

On a déjà noté le paradoxe qu’il y a à voir des personnalités et des institutions qui constituaient les cibles habituelles de Charlie Hebdo rendre ainsi hommage à Cabu, Wolinski, Charb, et Tignous. Comme les quatre compères n’étaient toujours pas inhumés, ils n’ont pu se retourner dans leur tombe en entendant sonner le glas de Notre-Dame, ou les hommages du pape, de Sarko, de la police, etc. Et même de Philippe et Mathilde, pas rancuniers du tout, qui ont pardonné au magazine qui, à la mort de Baudouin, avait titré dans son n° 58, du 4 août 1993, sur la mort du «roi des cons» (on était en pleine époque des histoires belges en France). Le magazine avait à l’époque, été bloqué à la frontière, dans une parfaite illustration du principe de la responsabilité en cascade, prévu par le constituant de 1831 pour garantir la liberté de la presse.

À l’inverse, on peut saluer un sursaut démocratique dans une société où même ceux dont «Charlie Hebdo» faisait son menu habituel placent la défense de la liberté de la presse et de la liberté d’expression par-dessus tout, et notamment par-dessus leurs différends avec l’hebdomadaire. Avec des nuances regrettables parfois: un évêque français, ancien porte-parole de la conférence des évêques de l’Hexagone, revenait, un jour de cette semaine, avec la notion du souci de «ne pas blesser les convictions intimes» des lecteurs dans une caricature. Cette limitation même n’est pas tolérable, car avec la variété des convictions, il deviendrait impossible aux caricaturistes de se moquer de qui que ce soit, s’ils et elles devaient avoir constamment cette préoccupation à l’esprit. Les dessinateurs de «Charlie Hebdo» n’ont pas toujours été des mieux inspirés: en voulant être à la fois bêtes et méchants, ils ont été à plus d’une reprise plus bêtes que méchants, voire plus méchants que bêtes. Mais personne n’a jamais été tenu de les acheter. Personne n’a jamais été empêché de penser que, décidément, ils étaient à côté de la plaque. Et il n’a jamais été interdit à qui que ce soit de dire tout le mal qu’il ou elle en pensait.

Journalistes tunisiens assassinésEn honorant Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, c’est donc la liberté de la presse que les manifestants défendront ce dimanche. Et en honorant également Sofiane Chourabi et Nadhir Guetari?

«Sofiane qui? Nadhir qui?» vous demandez-vous sans doute. C’est vrai, notre grande presse d’héroïsme n’en a pas beaucoup parlé cette semaine, mais tandis que les courageux combattants d’al-Qaïda au Yemen abattaient des dessinateurs armés de leur seul crayon, des flics pris au dépourvus, des employés et des visiteurs qui avaient simplement le tort d’être là où il ne fallait pas être, et tandis que leur petit camarade tirait dans le dos d’une policière puis, ce vendredi, abattait avec un courage remarquable des clients d’une épicerie kasher, d’autres assassins, se réclamant, eux, de l’État islamique en Libye, qui détenaient ces deux journalistes tunisiens, les exécutaient après plus de 120 jours de détention. Leur crime? Travailler pour des médias «ennemis de l’EI». Entendez, des médias prônant des valeurs démocratiques: Sofiane Chourabi était, en 2011, du nombre des «blogueurs de la révolution». Une révolution que la population tunisienne n’avait pas menée pour substituer une tyrannie islamiste à la dictature en place depuis l’indépendance.

Le nom de Sofiane Chourabi et de Nadhir Guetari n’a guère été cité dans la presse européenne cette semaine. Et pour cause, nous dira-t-on: les événements de Paris occultaient ce qui se passaient dans le reste du monde. Objection non recevable: les deux journalistes tunisiens, comme les dessinateurs de «Charlie Hebdo» sont morts pour la liberté d’informer. Comme l’ont été, il y a une vingtaine d’années, des dizaines de journalistes algériens, égorgés par les tueurs du FIS (Front Islamique du Salut) puis du GIA (Groupe Islamique Armé). Comme le sont, chaque mois, des journalistes pakistanais, victimes des talibans, quand ils échappent aux foudres de leur gouvernement. Même quand rien de tel ne se passe chez nous, de tels assassinats ne font plus l’objet d’une brève, ni dans un JT, ni dans un JP, ni dans le moindre média écrit…

La fameuse règle du «mort-kilomètre», alors, qui veut qu’un mort au coin de votre rue «pèse» plus qu’un millier de morts à mille kilomètres? Possible. Mais, même si la polémique n’avait peut-être pas lieu d’être, dans le contexte dramatique des jours derniers, entendre le ministre turc de l’Information s’indigner de l’attentat contre la liberté de la presse à Paris avait quelque chose d’assez choquant. Et la présence d’un représentant du gouvernement turc (le Premier ministre?) à la manifestation de ce dimanche m’apparaît incongrue. Car il y a très peu de temps, en Turquie, une quarantaine de journalistes, à l’œuvre cette fois dans les médias islamistes, et notamment le quotidien «Zaman» ont été arrêtés. Comme l’ont été, ces dernières années, des journalistes kurdes, des journalistes d’extrême-gauche, des journalistes «kemalistes», et des journalistes d’investigation… (http://www.spiegel.de/politik/ausland/pressefreiheit-in-der-tuerkei-festnahmen-verhoere-einschuechterungen-a-1011724.html)

Sur ce blog, et à travers diverses initiatives, menées par la Fédération Européenne des Journalistes, j’ai à plus d’une reprise dénoncé cette situation. Et cette dénonciation a été relayée au plan politique, notamment par Jean-Claude Defossé, André du Bus, et Fatoumata Sidibé, à la Fédération Wallonie-Bruxelles. On sait comment la proposition de résolution à ce propos qu’ils avaient déposée au Parlement communautaire, a été «émasculée» pour d’obscure raisons politiciennes. On sait aussi, et notre ancien confrère de la RTBF s’en est plus d’une fois étonné, combien ce problème a été largement ignoré par les médias belges, francophones et flamands…

Alors, si je me réjouis, comme tant d’autre, du sursaut politique et citoyen autour de la liberté d’expression et de la liberté de la presse de ce dimanche, à Paris, j’aimerais qu’il soit aussi dédié à Sofiane Chourabi et Nadhir Guetari. Et surtout, qu’une fois l’émotion retombée, il ne se relâche pas. Car la liberté de la presse doit se défendre toujours. Et partout.

L’élection présidentielle turque: la couleur de la démocratie, le goût de la démocratie…


Grande journée, ce dimanche, en Turquie: pour la toute première fois, les Turcs de Turquie et les Turcs de l’étranger vont élire le président de la République au suffrage universelle. Sur le modèle de la Cinquième République en France.

Belle avancée démocratique? On se souvient comment, chez nos voisins français, la réforme proposée par feu le général de Gaulle et approuvée par référendum, avait suscité des réticences à gauche. Feu François Mitterrand avait même dénoncé un «Coup d’État permanent», et la réminiscence au coup d’État du 2 décembre 1851, qui avait transformé Louis-Napoléon Bonaparte en Napoléon III, approuvé ensuite par un référendum à dire vrai bien peu démocratique, était sans doute présente à l’esprit de beaucoup. Ce à quoi «Mongénéral» comme l’appelle toujours le «Canard Enchaîné» avait répondu de cette manière qui n’appartenait qu’à lui, à son retour au pouvoir: «Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques? Je les ai rétablies! Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, j’entame une carrière de dictateur? » La suite montrera que ces réticences étaient mal placées et… François Mitterrand lui-même profitera du suffrage universel pour se faire porter à deux reprises à la présidence de la République.

On aimerait faire preuve du même optimisme en Turquie. Mais à dire vrai, on ne peut qu’être inquiet à la perspective très probable d’élection triomphale du Premier ministre actuel, Recep Tayyip Erdoğan, à la magistrature suprême. D’abord parce qu’il a son passé de chef de gouvernement: sur ce blog et ailleurs, j’ai dénoncé à de multiples reprises les atteintes à la liberté de la presse et à la liberté d’expression en Turquie; mais il y a eu aussi les atteintes à la liberté syndicale; les épurations au sein des universités; la répression brutale des manifestations citoyennes au Parc Gezi à Istanbul, l’an dernier. Sans oublier la réflexion d’un de ces vice-Premiers qui, il y a quelques jours, estimait indécent que les femmes rient en public…

L’élection présidentielle est aussi l’occasion d’un tour de passe-passe à la russe: empêché de briguer un nouveau mandat à la tête du gouvernement, Recep Tayyip Erdoğan se fait élire à la présidence de la République, jusqu’ici occupée par son camarade (?) de parti Abdullal Gül. En Russie, les échanges de mandat entre Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev n’ont pas vraiment fait avancer la cause de la démocratie; en Turquie, on parle déjà d’une modification de la Constitution, qui accordera plus de pouvoir au président d la République.

erdogan-ihsanoglu-demirtasEt puis il y a eu le déroulement de la campagne électorale, notamment sur la TRT, la télé publique turque! En zappant, ces derniers jours, je m’y suis attardé à plusieurs reprises ces derniers jours. Je ne comprends toujours pas le turc, mais le seul candidat que j’ai vu, très longuement même, avant-hier, était… Recep Tayyip Erdoğan. Il n’y ena avait manifestement que pour l’AKP.

Les deux autres candidats? Inconnus au bataillon apparemment! Et d’ailleurs, en Europe, qui a entendu parler d’eux? Ni Ekmeleddin Ihsanoğlu, candidat commun du CHP (Parti Républicain du Peuple) et du MHP (Parti d’Action Nationaliste), ni Selahattin Demirtaş, candidat du BDP (Parti Pour la Paix et la Démocratie) n’ont eu l’occasion, comme le Premier ministre l’a fait ces derniers mois, fort de son aura de chef du gouvernement, parcourir l’Europe pour mobiliser l’électorat turc de l’étranger, invité, pour la première fois, à participer au scrutin.

De là à imaginer que les candidats de l’opposition, sur la TRT, n’ont eu droit qu’à l’équivalent des minutes concédées et soigneusement mesurées au compte-gouttes sur la télé française, par exemple, à l’occasion des européennes, il n’y a qu’un pas…

Pour paraphraser un slogan publicitaire célèbre et déjà ancien, vantant les mérites d’une boisson soda, l’élection présidentielle turque a la couleur de la démocratie, elle a le goût de la démocratie, mais ce n’est pas (vraiment) de la démocratie. Sauf, pour Recep Tayyip Erdoğan, dont la large victoire est annoncée dès avant le scrutin, à surprendre tout son monde, une fois élu. Mais, à dire vrai, je n’y crois pas vraiment.

Un ambassadeur peu diplomatique


Expérience insolite que celle que j’ai vécue, cette semaine, en commission des Relations internationales du Parlement flamand: les députés qui en font partie débattaient de deux projets de motions condamnant la répression violente des manifestations du parc Gezi, à Istanbul, en juin dernier, et ils avaient décidé d’élargir le débat à la question des droits de l’homme en Turquie, et plus particulièrement à la liberté de la presse. J’étais donc parmi les invités de la commission, au même titre que Dirk Rochtus, professeur de sciences politiques internationales à la KUL et sur le site anversois de l’université catholique de Leuven; Ria Oomen-Ruijten, députée européenne du CDA/PPE; et last but not least, Son Excellence M. Mehmet Hakan Olcay, ambassadeur extraordinaire de la République de Turquie à Bruxelles.

C’est à ce dernier que les députés flamands ont adressé le plus de questions. Et pour cause: il est rare de voir un ambassadeur d’un pays étranger solliciter lui-même son audition par une commission parlementaire, afin d’y commenter un texte qui y sera débattu. Mais ce qui a sans doute le plus surpris les membres de la commission des Relations internationales du Parlement flamand, c’est la manière fort peu… diplomatique dont le diplomate leur a demandé de retirer les projets de motions dont ils discutaient.

b73eab56-1bf0-4e19-b5a3-7626a451c0a0L’argumentation de  M. Mehmet Hakan Olcay était d’abord classique: les contestataires du parc Gezi, pacifiques au départ, avaient été débordés par des manifestants venus pour perturber l’ordre public; et l’État turc, comme n’importe quel État démocratique, doit assurer à la fois la liberté de manifester et la sécurité de ses citoyens. La répression de ces éléments perturbateurs s’est faite selon les règles en vigueur dans les pays européens, a plaidé Son Excellence, images, notamment, de la manifestation des sidérurgistes liégeois d’ArcelorMittal à Namur, il y a quelques mois.

Mais c’est surtout sa péroraison en forme d’avertissement qui a suscité une vive réaction des parlementaires. Ce genre de motion, au Parlement européen, au Parlement fédéral, ou dans un Parlement régional, envenime les relations entre la Turquie, l’Union Européenne, ou le pays ou la région concernés, a-t-il plaidé. Et en Belgique, a-t-il menacé, pareil texte pourrait… provoquer la colère de la communauté turque de Belgique.

L’effet produit par sa déclaration a été sans doute exactement l’inverse de celui que l’ambassadeur extraordinaire espérait: les députés flamands n’en ont été que plus résolus à pousser en avant les projets de motions qui leur étaient soumis.

L’attitude de M. Mehmet Hakan Olcay n’en est pas moins interpellante. Avant sa désignation à Bruxelles, il a en effet exercé pendant cinq ans la fonction de chef de département au cabinet du Premier ministre turc, M. Recep Tayip Erdogan, et ce avec le titre de ministre plénipotentiaire les trois dernières années. C’est donc un fidèle du pouvoir, et un très proche du Premier ministre, qui s’est exprimé cette semaine à Bruxelles. On peut donc estimer que les menaces qu’il a exprimées reflètent parfaitement le point de vue du gouvernement turc. À l’inverse, on pourra estimer que cette nervosité résulte des campagnes menées pour le respect des droits de l’homme en Turquie, et notamment de la campagne de la Fédération Européenne des Journalistes pour le respect de la liberté de la presse dans ce pays. Mais si tel est l’état d’esprit qui règne à Ankara, ces campagnes devront se poursuivre un certain temps encore, avant que la démocratie turque soit vraiment exemplaire…

La liberté de la presse attendra en Turquie…


2013-06-20 12.23.29La chose qu’on concèdera à Kenan Özdemir, c’est que son ministre titulaire, Sadullah Ergin, l’avait envoyé au casse-pipe, en lui confiant la mission de venir s’exprimer, au nom du gouvernement turc, à la conférence «SpeakUp2», organisée par le commissaire européen à l’Élargissement, Štefan Füle, sur le thème de «La Liberté d’expression dans les Balkans Occidentaux et en Turquie»

BNNeLrACYAAw47fLe sous-secrétaire d’État à la Justice a donc, à la place du titulaire, dû subir la manifestation d’une série de participants à la conférence, parmi lesquels votre serviteur, qui se sont levés durant son exposé. Manière de rappeler le soulèvement citoyen pacifique brutalement réprimé, il y a quelques jours, sur la place Taksim à Istanbul.

Il faut dire par ailleurs que Kenan Özdemir n’avait pas grand chose à annoncer: il s’est cantonné dans la langue de bois, affirmant sans sourciller que, dans la foulée du «troisième paquet» de la législation, et dans l’attente du «quatrième» – dans le plus strict respect, a-t-il insisté, des critères du Conseil de l’Europe en la matière – de «nombreuses poursuites ont été abandonnées contre des journalistes» (sic). On suppose qu’il ne visait pas, là, les journalistes du site Odatv, dont le procès a repris discrètement cette semaine, et a vu la réincarcération de Yalcin Küçük, 76 ans. Ni du procès KCK, dont une nouvelle audience, le lendemain, s’est conclue par la remise en liberté provisoire de Selahattin Aslan et d’Ömer Çelik, mais où 22 journalistes restent néanmoins détenus. Si bien qu’à ce jour, 61 journalistes sont emprisonnés en Turquie, ce qui lui vaut un triste record européen et classe cette démocratie qui se veut exemplaire parmi les plus grands prédateurs de la liberté de la presse au monde…

2013-06-20 17.24.43Kenan Özdemir faisait peut-être allusion au  récent «toilettage» de la loi anti-terroriste qui ne vise plus désormais que «l’incitation directe à la violence» et plus simplement «l’incitation à la violence».

Il y a là une nuance, mais le sous-secrétaire d’État à la Justice turc s’est empressé de préciser que la législation continuerait à faire la distinction entre «la liberté d’expression et le crime de terrorisme». Un crime contre lequel la Turquie lutte sans discontinuer depuis 30 ans, a-t-il plaidé.

L’affaire est donc cousue de câble blanc: la criminalisation du travail des journalistes turcs continuera à passer par des inculpations pour «appartenance à» ou pour «propagande en faveur d’» une organisation terroriste: interrogé par mes soins, pour savoir si l’abrogation des articles 6 et 7 de la législation anti-terroriste, et des articles 220 et 314 du Code pénal était envisagée, Kenan Özdemir a très nettement répondu par la négative. Or la suppression de ces articles est réclamée par la Plate-forme turque pour la liberté d’expression. Et dans son rapport intermédiaire sur les progrès de la Turquie sur la route de l’adhésion à l’Union Européenne, la Commission Européenne soulignait en octobre dernier que la combinaison de ces articles «conduit à des abus: écrire un article ou prononcer un discours peuvent donner lieu à un procès et déboucher sur une longue peine de prison pour appartenance ou pour direction d’une organisation terroriste».

2013-06-20 18.11.37Les journalistes turcs n’en ont donc pas fini avec la répression. La manifestation silencieuse qui a accompagné la prise de parole du sous-secrétaire d’État à la Justice, était opportune. Štefan Füle n’en a que plus de mérite de continuer à se battre pour la liberté de la presse dans les Balkans Occidentaux et en Turquie. Il a publié le tableau de bord de la mise en œuvre des conclusions de la première conférence «SpeakUp» et a déjà balisé la réalisation des conclusions de la deuxième. Les journalistes européens, et leur Fédération, apprécient.

La répression aveugle a une nouvelle fois frappé en Turquie


Le Premier ministre turc, Recep Tayip Erdogan, est sans doute content de lui: l’ordre règne à nouveau en Turquie. Avec brutalité, sa police a évacué les manifestants qui occupaient depuis trois semaines la place Taksim, lieu traditionnel de contestation dans le centre d’Istanbul, et lui a pu parader devant la foule de partisans qu’il avait conviés à approuver sa politique de la main de fer dans un gant de fer. Pour prendre une comparaison que les Belges comprendront peut-être, son discours était de la trempe de celui proféré par Bart De Wever devant ses troupes, au soir de sa conquête de l’Hôtel de ville d’Anvers, mais à un exposant dix.

Le TGS, le syndicat turc des journalistes, a condamné dans les termes les plus fermes cette «attaque brutale contre des civils, y compris des femmes et des enfants, qui étaient paisiblement assis dans leurs tentes» sur la place. Pour le TGS, il y a là rien moins qu’un «crime contre l’humanité». Sans aller aussi loin, je parlerais plutôt d’une atteinte manifeste à la liberté de manifester, et la liberté d’expression, consacrées par la Convention européenne des Droits de l’homme. Une Convention que la Turquie, très régulièrement condamnée par la Cour européenne des Droits de l’homme de Strasbourg, a malheureusement coutume de violer. Notamment en ne respectant pas la liberté de la presse.

Recep Tayip Erdogan s’en est d’ailleurs une nouvelle fois pris à la presse, à l’occasion de ces manifestations. Il a notamment accusé les grands médias internationaux (en citant la BBC, CNN, et l’agence Reuters) de privilégier la couverture des manifestations, plutôt que les meetings de l’AKP, son propre parti. Il a annoncé ensuite des poursuites contre les médias étrangers qui avaient couvert les manifestations de ses opposants: la dénonciation du complot extérieur est une arme favorite des gouvernements autoritaires.

Et puis, des journalistes ont, à nouveau, été  ciblés. Dimanche, à Ankara, la police a empêché des caméramen de prendre des images des funérailles du manifestant Ethem Sarısülük, tué par les balles de plastique des policiers anti-émeutes. Dimanche toujours, à Istanbul, les policiers ont arrêté, sur la place Taksim, les journalistes Okan Altunkara (MC Tv), Ferhat Uludağlar et Gökhan Biçici (de l’agence de presse Doğan, qui réalisait des reportages télé pour plusieurs stations). Uğur Can, qui travaille pour la même agence, a, lui, été brièvement détenu, toujours dimanche. L’arrestation de Gökhan Biçici, notamment, s’est déroulée dans des conditions choquantes, que l’on peut découvrir sur ces images:

Plus inquiétant, le TGS signale que des médias turcs pro-gouvernementaux ont caché à leur public une partie des informations décrites ci-dessus. Le code de conduite de la Fédération Internationale des Journalistes, rappelle-t-il, postule, dans le chef des journalistes, le «respect de la vérité et du droit du public à la vérité». Il leur impose aussi de combattre «toute discrimination, basée sur la race, le sexe, l’orientation sexuelle, la langue, la religion, les opinions philosophiques ou politiques,  l’origine nationale ou sociale». L’autocensure, que les organisations internationales de défense des journalistes et des médias, annonçaient dès novembre 2011, dicterait-elle sa loi à une série de médias turcs?taksim22_0

Dans ce contexte, c’est dans l’indifférence la plus générale que, le 13 juin, après une nouvelle audience de l’interminable procès dit «Odatv», l’incarcération de Yalcin Küçük, 76 ans a été prolongée par le tribunal. Il est accusé, comme tant d’autres journalistes, d’appartenance à la nébuleuse «Ergenekon». La libération de deux autres journalistes, Selahattin Aslan and Ömer Çelik, le lendemain, dans le procès KCK, n’y change rien, la roue de la répression continue à tourner en Turquie. Une fois de plus, il faut se mobiliser pour y défendre la liberté de la presse!

Austérité et liberté de la presse ont été au menu verviétois des journalistes européens


Par un hasard heureux, c’est à Verviers que je suis arrivé au terme de mes trois mandats successifs à la vice-présidence de la Fédération Européenne des Journalistes. Une aventure a pris fin sur les rives de Vesdre, en attendant, peut-être, une autre qui pourrait démarrer dans quelques semaines en terre irlandaise…

Le rassemblement, à Verviers, de 88 délégués, journalistes et permanents de syndicats ou d’associations de journalistes européens, venus de 29 pays, était une «première», et ne se reproduira plus dans le futur. Tout le monde n’a peut-être pas pris la mesure de l’événement, mais qu’importe: l’essentiel est dans le travail fourni au cours des deux journées de réunion, de lundi à mercredi, et de la mise en place d’une nouvelle équipe qui conduira les travaux de la FEJ dans les trois années à venir.

Que retenir de cette assemblée générale?

D’abord, en ouverture, la prestation de la ministre de la Culture et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles: Fadila Laanan n’a pas seulement prononcé un discours qui est allé au cœur des préoccupations des journalistes (http://europe.ifj.org/fr/articles/le-journalisme-en-tant-que-bien-public-selon-mme-laanan), elle a aussi répondu à une interpellation directe de l’assemblée,montrant ainsi, si besoin en était, qu’elle connaît les problèmes auxquels les journalistes sont confrontés. Des confrères français en ont d’ailleurs immédiatement twitté qu’ils échangeraient bien leur ministre contre la nôtre: on aura apprécié, chez Aurélie Filipetti!

Ensuite, la qualité des débats, qui ont porté sur les deux grands volets de l’action de la FEJ: la précarisation croissante du métier, dans toute l’Europe, et la défense de la liberté de la presse, comme l’illustrait la séquence tournée en début d’assemblée par Televesdre

Précarisation croissante, illustrée par une excellente interview de ma consœur et amie chypriote, Androula Georgiadou, réalisée par un jeune confrère de la «Meuse-Verviers», Jean-Philippe Embrechts: les motions adoptées par l’assemblée (http://europe.ifj.org/assets/docs/088/226/9ccbd58-37259e2.pdf) et aussi la Déclaration sur  Chypre (http://europe.ifj.org/assets/docs/084/178/2a17054-0fd8cb2.pdf) ont souligné que l’austérité aveugle ne constitue pas une réponse à la crise économique, et que si les journalistes ne veulent pas être exemptés des mesures générales qui touchent la population, leur rôle dans une société démocratique est encore plus menacé par cette austérité à tous crins.

Liberté de la presse: une motion belge sur la liberté de la presse en Turquie, l’exposé fait par Mehmet Koksal sur la situation actuelle dans ce pays, et la résolution de poursuivre, avec le nouveau comité directeur de la FEJ, l’action entreprise en la matière par le comité directeur sortant ont remis une nouvelle fois la situation dramatique des journalistes turcs emprisonnés à l’ordre du jour. Mais une déclaration, aussi, sur les nouvelles attaques subies par le grand journalistes franco-israélien Charles Enderlin, soumis à des attaques sournoises en raison de sa couverture du conflit israélo-palestinien, a voulu exprimer le soutien sans faille de la FEJ au journalisme libre et critique.

Nouveau SCLe travail reste à mener par la nouvelle équipe mise en place lors de cette assemblée générale, mais les délégués sont repartis de Verviers, gonflés à bloc. Pour la plupart d’entre eux cette visite en province de Liège, complétée mardi soir par une balade dans la Cité Ardente, était une première: toutes et tous sont repartis enchantés de leur séjour. Il y a là peut-être comme un signe encourageant pour l’ancienne cité lainière….

Et la liberté de la presse en Turquie, bordel?


Ahmet Davutoğlu, Sadullah Ergin, et Idris Naim Şahin ont de la chance: les ministres turcs des Affaires étrangères, de la Justice et de l’Intérieur seront à Bruxelles ce mardi, et ils seront repartis deux jours plus tard. Ils n’auront donc pas le temps de prendre connaissance de la résolution sur la liberté de la presse en Turquie, qui figure à l’ordre du jour de la séance plénière du Sénat, ce prochain jeudi.

C’est bien regrettable, car le texte, malgré les nouvelles manœuvres de retardement et tentatives d’étouffement du PS (surtout) et du cdH, qu’on a déjà connus mieux inspirés, cible clairement la Turquie pour ses atteintes à la liberté de la presse, contrairement à la résolution sur le même sujet que le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a récemment édulcorée sous la pression des mêmes partis.

Certes, la résolution qui sera soumise au vote des sénateurs, ce jeudi, s’intitule « Proposition de résolution visant au respect de la liberté de la presse en Turquie, ainsi que dans les autres pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, l’Ancienne République yougoslave Macédoine (ARYM), Monténégro, Bosnie-Herzégovine et Serbie». Mais c’est de toute évidence la Turquie que le texte vise. Le premier considérant rappelle en effet que, sur une échelle de 1 à 5, Reporters Sans Frontières a classé le Monténégro et les pays de l’ex-Yougoslavie au niveau 3 (problème sensible), et la Turquie au niveau 4 (situation difficile). Le considérant D rappelle «la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est prononcée dans de nombreuses affaires concernant diverses mesures prises par les autorités turques à l’encontre de journalistes, rédacteurs en chef et éditeurs, qui a souligné « qu’il incombe à la presse de communiquer des informations et des idées sur des questions politiques, y compris sur celles qui divisent l’opinion » et qui a considéré « les ingérences dans le droit à la liberté d’expression disproportionnées au but poursuivi et constitutives d’une violation de l’article dix de la Convention » ». Le considérant J évoque «les appels du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme et de la représentante de l’OSCE pour la liberté de la presse et la garantie de la liberté d’expression et de la presse auprès des autorités turques». Le considérant K fait explicitement référence à «la campagne de la Fédération européenne des journalistes qui, depuis plus d’un an, vise à soutenir les journalistes turcs emprisonnés du simple fait de l’exercice de leur profession». Le considérant O rappelle «que la Commission européenne a reconnu une amélioration de la situation de la liberté de presse et de la liberté d’expression dans les pays candidats à l’adhésion à l’Union Européenne en octobre 2012 à l’exception de la Turquie où la situation semble empirer (communication de la Commission européenne au Parlement Européen et au Conseil  intitulée « Stratégie d’élargissement et principaux défis 2012-2013 » (COM (2012) 600) du 10 octobre 2012)». Et le considérant Q signale «l’ouverture d’un procès important le 4 février dans l’enceinte de la prison de Silivri et dès lors l’urgence qu’il ya à se prononcer sur les problèmes de liberté de la presse et à adopter la présente résolution». Et si les trois premières mesures réclamées du gouvernement par la motion soumise au vote du Sénat mentionnent… la Turquie et les autres pays candidats à l’adhésion à l’Union Européenne, la quatrième, dans son dernier alinéa, y fait clairement référence: nos ministres sont invités à «faire pression sur les autorités turques afin que les journalistes incarcérés soient libérés dans les plus brefs délais». DSC_5050

Les ministres turcs ont donc de la chance: ils échapperont… peut-être aux questions des journalistes sur les atteintes répétées à la liberté de la presse dans leur pays. Les défenseurs belges des journalistes turcs emprisonnés, eux, ont moins de chance: ils ne pourront inviter leurs homologues Didier Reynders, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères; Joëlle Milquet, vice-Première ministre et ministre de l’Intérieur; Annemie Turtelboom, ministre de la Justice, et Maggie De Block, secrétaire d’État à l’Asile et à l’Immigration comment ils peuvent concilier le «Memorandum of understanding» qu’ils s’apprêtent à signer avec leurs invités avec cette invitation pressante à exiger d’eux une liberté de la presse reconnue dans notre pays depuis sa création, en 1830. Nos ministres auraient en effet trop beau jeu de s’abriter derrière un texte qui doit toujours être débattu au Sénat, et pourrait donc, ce qui est peu probable, encore être amendé.

Il n’empêche, Didier Reynders avait répondu sans équivoque, il y a quelques semaines, à un courrier que la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ) et l’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique (AGJPB) lui avaient adressé il y a quelques semaines, pour leur dire qu’il partageait leurs inquiétudes pour la liberté de la presse en Turquie, qu’une délégation du MR allait ensuite visiter pour en revenir avec les mêmes conclusions. Nous ne pouvons donc qu’être inquiets quand le but déclaré de la rencontre de ce mardi est de «nouer un dialogue entre les autorités politiques des deux pays sur des sujets d’intérêt commun, tels que la lutte contre le terrorisme, la coopération policière et judiciaire, la coopération consulaire, et les dossiers d’asile et de l’immigration».

Doit-on entendre par là que la répression visant les journalistes turcs d’origine kurde, déjà lourdement réprimés en Turquie, va s’étendre à la Belgique? Et les journalistes belges qui dénoncent les multiples atteintes à la liberté de la presse en Turquie seront-ils invités à modérer leur propos? En ce qui nous concerne, en tout cas, nous ne relâcherons pas la pression. Et tant pis pour la diplomatie! Il est des principes avec lesquels on ne peut transiger! Encore heureux que le Parlement européen, lui, l’a bien compris…

Bariș Terkoǧlu sort de prison mais le combat pour la liberté de la presse se poursuit en Turquie


Pourquoi ne pas le dire, c’est une excellente nouvelle qui nous est parvenue d’Istanbul hier: après 578 jours de détention, Bariş Terkoǧlu, le journaliste turc «adopté» par l’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique (AGJPB) est enfin sorti de prison!

Tenant compte de la longueur de leur incarcération, et des charges retenues contre eux, le tribunal devant lequel ils comparaissaient à nouveau a ordonné de manière assez inattendue ordonné la libération de Bariş Terkoǧlu et de son collègue Bariş Pehlivan. Tous deux restent cependant inculpés, avec treize autres journalistes, dont trois restent incarcérés, dans cette affaire extrêmement nébuleuse.Commentant les imprécisions du récent rapport de la Tubitak (agence gouvernementale de recherches scientifiques) -cf. notre précédent article: ce rapport confirmait l’injection par virus de documents litigieux (soutien à un coup d’État militaire contre l’actuel gouvernement islamo-conversateur en Turquie) dans les ordinateurs sans se prononcer sur le mode d’infection – le tribunal a décidé de commander un nouveau rapport complémentaire au même organisme, en ajoutant une échéance de vingt jours pour sa remise (le précédent rapport avait été remis en sept mois).

Séparés depuis le 14 février 2011, Bariş Terkoǧlu et son épouse Özge sont donc enfin réunis. Les efforts incessants menés par Özge et ses proches pour obtenir la libération de son époux -au même titre que les efforts menés par toutes les épouses, ou sœurs de journalistes actuellement détenus en Turquie- ont donc enfin été récompensés, et, pourquoi ne pas le dire, cette nouvelle nous fait chaud au cœur.

Mais Özge Terkoǧlu l’a déclaré elle-même, à la sortie du tribunal: « une épreuve se termine peut-être pour mon époux et son ami Bariş mais il faudrait que tous les journalistes actuellement en détention soient remis en liberté ! Jusqu’à ce qu’ils soient tous libérés, on ne sera pas totalement content mais je suis évidemment très contente de pouvoir retrouver mon mari aujourd’hui. Notre joie est et restera limitée aussi longtemps que la justice ne sera pas au rendez-vous. Nous ne serons pas tranquille aussi longtemps que la justice ne trouvera pas son chemin ! ».

Car le combat pour la liberté de la presse est loin d’être terminé en Turquie: Soner Yalçin, l’écrivain Yalçin Küçük et l’ex-policier Hanefi Avci, poursuivis dans la même affaire que Bariş Terkoǧlu, sont toujours détenus. Et tous se retrouveront, le 16 novembre, devant le tribunal d’Istanbul, pour la poursuite du procès. Et il ne faut pas oublier le méga-procès qui s’est encore ouvert en début de semaine, contre 44 journalistes kurdes, dont 35 sont détenus. Ni la centaine de journalistes turcs toujours incarcérés.

La libération de Bariş Terkoǧlu et de Bariş Pehlivan n’en est donc qu’un encouragement supplémentaire à poursuivre le combat, jusqu’à ce que la presse turque retrouve sa pleine et entière liberté!