De grâce, défendons la langue française!


Eh bien non, ce n’est pas des Francophones de Fourons ou de la périphérie bruxelloise dont je vais parler dans ce billet d’humeur. Même si, hier, à la Fête du Peuple fouronnais, la venue de Damien Thiéry, ex-bourgmestre non-nommé de Linkebeek, a rappelé bien des souvenirs à toutes celles et tous ceux qui y ont vécu, il y a maintenant près de trente ans, la saga du «carrousel» qui suivait invariablement les arrêts du Conseil d’État cassant la nomination de José Happart, alors ennemi public de la Flandre, au poste de bourgmestre.

Non, ce que je vise, c’est l’utilisation correcte de la langue française par nos décideurs politiques. «Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément», écrivait Boileau, il y a trois siècles et demi.

Tout au long du week-end, les responsables gouvernementaux, ou des partis qui composent la majorité gouvernementale, se sont répandus pour expliquer que le virage fiscal sur lequel ils étaient tombés d’accord samedi, vaudrait à tous les salariés une augmentation nette du salaire poche, qui sortirait ses pleins effets à l’horizon 2019 (une année électorale, comme par hasard?). Ils se sont fort peu répandus, par contre, et c’est de bonne guerre, sur les augmentations de taxes qui, 11_08_30_chatel-olivier_163-538x333dès l’an prochain, grèveront ce bénéfice annoncé. Une taxe de 0,03 € la bouteille de soda, par exemple, paraît anodine, mais pour une famille moyenne qui en consomme 6 par semaine, l’addition finale, au bout de l’année, sera de 9,36 euros. Quant à l’impact de la hausse de 25 à 27% du précompte mobilier, impossible de la chiffrer puisqu’elle dépend du montant de l’épargne de chacun. Mais la présenter comme une attaque contre «le capital», comme l’a fait le président du MR, Olivier Chastel, ce matin, sur Bel RTL, c’est tromper l’auditeur:  les grandes fortunes sont à l’abri de ce type d’épargne, qui touchera essentiellement les épargnants les plus modestes. Passons.

Mais si l’intervention d’Olivier Chastel m’a fait mal aux oreilles ce matin, pour reprendre l’expression d’un de mes défunts amis, instituteur primaire à six classes tout au long de sa carrière, c’est parce que j’ai entendu le président du MR expliquer que l’augmentation salariale serait bien de «cen euros» (sic) à l’horizon 2019, mais que dès l’an prochain, chaque salarié toucherait une part de «ce qu’il aura droit» (re-sic).

Que celui à qui la langue n’a jamais fourché lui jette le premier micro, d’accord. Olivier Chastel n’a pas, comme tant d’autres le font, parlé de «cen-z’euros», c’est vrai. Mais tout de même, à chaque fois que j’entends prononcer ce montant comme il l’a fait, et non «cen-t-euros» comme il aurait dû le faire, je me dis que la personne qui le mentionne n’est pas trop sûre de son orthographe. Par contre, le «ce qu’il aura droit» est une erreur grammaticale, impardonnable chez un homme politique de premier plan en Communauté française de Belgique.

Intransigeance grammaticale d’un autre âge, me direz-vous? Peut-être. Mais, pour paraphraser Boileau, si les choses sont mal dites, c’est peut-être qu’elles ne sont pas trop bien conçues. Et puis, peut-on vouloir défendre la langue française (pour rappel: le MR affirme et réaffirme son soutien à Damien Thiéry… mais le laisse se démerder), si on ne la respecte pas soi-même?

Il m’est arrivé plus d’une fois de déplorer que nos mandataires politiques francophones maîtrisent mal d’autres langues, à commencer par le néerlandais. Sur ce plan, il reste du travail à faire! Faudra-t-il maintenant leur demander de d’abord maîtriser leur propre langue?

Marchands de papier et non plus hommes de presse…


Bernard Marchand«Autrefois, un journal s’achetait; aujourd’hui, il faut le vendre…»: la phrase de Bernard Marchant, administrateur-délégué du groupe Rossel, au micro du «Question à la une» consacré à la « presse populaire» résume bien le drame de la presse quotidienne francophone belge: jadis, elle était dirigée par des hommes de presse, aujourd’hui, elle est managée par des marchands de papier. C’est peut-être là une explication de son déclin: comme je l’ai plusieurs fois exprimé sur ce blog, et ailleurs, la presse écrite quotidienne francophone doit être le seul secteur économique en difficultés qui a désinvesti massivement, ces dernières années, de son cœur d’activité, la production d’informations. Avec le résultat que l’on sait.

La presse populaire est-elle l’exception qui confirme la règle? «Questions à la une», le magazine d’enquête de La Une, a tenté de répondre à la question, et après avoir loupé l’émission en direct, je l’ai visionnée ce matin aux aurores, afin de me faire une opinion.

3980f93Les interventions de Bernard Marchant et de son homologue d’IPM, Denis Pierrard, pour défendre les titres populaires de leur groupe respectif m’ont beaucoup amusé. D’habitude, on les voit plutôt se présenter en patrons de leurs «quality papers», comme ils aiment à le proclamer, «Le Soir» et «La Libre», et on n’est pas sûr, soit dit au passage, qu’ils se plongent régulièrement dans «Sud Presse» ou dans «La Dernière Heure». Mais qu’importe, il leur fallait assumer ces quotidiens. Et, de manière on suppose involontaire, Bernard Marchant, a égratigné les journalistes du « Soir», en insistant sur «l’audace» de leurs consœurs et confrères de «Sud Presse», qui ne sont pas, a-t-il insisté, «des journalistes ran-plan-plan» (sic). Sous-entendant donc que les autres le sont, à commencer par les journalistes du «Soir»?

Revenons à l’émission en elle-même: descendant de sa tour Reyers, la RTBF allait une nouvelle fois, en se pinçant le nez, à la recherche de la presse populaire. Avec une double question: est-elle accrocheuse ou racoleuse? Pour arriver à la conclusion qu’elle est… accrocheuse et racoleuse. Fallait-il donc toute «une enquête pendant un laps de temps important», comme on l’explique à la RTBF, pour arriver de cette question à cette conclusion? Les uns diront que le constat étant posé à l’avance, il n’y avait pas lieu d’enquêter. Les autres que, la séquence n’ayant pas réussi à trancher, c’est qu’elle n’est pas allée au fond des choses.

La démarche partait apparemment d’une forme de dédain pour le journalisme «de caniveau»: au bilan, les journalistes et rédacteurs en chef de «Sud Presse» et de «La Dernière Heure» en sont sortis grandis. Car le travail qu’ils font est incontestablement journalistique. Un journalisme qui n’est pas le mien, mais qui est du journalisme. Qui joue la carte «populo» et donc est à la fois accrocheur et racoleur. Le «Bild Zeitung», en Allemagne, ne fait rien d’autre, dont l’argument de vente principal est la taille des seins des pin-ups qu’il exhibe à longueur de page. Ses méthodes sont beaucoup plus critiquables, ainsi que Günther Wallraf les avait décrites, il y a longtemps déjà, dans son livre «Le journaliste indésirable». Mais tout responsable politique allemand sait que, pour toucher le grand public, il faut passer par le «Bild». Ce qui ne suppose pas approuver sa ligne rédactionnelle. L’attaché de presse de la ministre wallonne Éliane Tillieux, qui a connu une vie de journaliste chez «Sud Presse», n’a rien dit d’autre.
L’enquête (?) de «Question à la une» a manqué singulièrement de biscuits. Elle n’avait pas le mordant d’une émission, déjà lointaine, de Jean-Claude Defossé, qui mettait «Les pieds dans le plat», et dans un numéro consacré à «La Presse», avait affronté feu Wally Meurens, alors rédacteur en chef de «La Meuse» avec un dossier déontologique (déjà) en béton, où il avait même lu, à la grande surprise de votre serviteur et de Martine Simonis, secrétaire générale de l’AJP, un projet d’avis alors en cours de discussion au Conseil de déontologie de l’Association des Journalistes Professionnels. Ce conseil était l’ancêPQ people 1tre de l’actuel Conseil de Journalisme, qui, ces derniers mois, a lui aussi eu à connaître d’un (grand) nombre de dossiers relatifs à «Sud Presse».

Elle n’avait pas non plus l’ironie d’un «Écran témoin» bien plus ancien (quarante ans au moins), dont le présentateur avait mis le défunt patron de la rédaction du «Monde» dans un cruel embarras: le directeur de la rédaction d’«Ici Paris», un journal de caniveau de l’époque, ayant affirmé qu’il se tenait informé de l’actualité, notamment en lisant «Le Monde», et qu’il n’écrirait donc pas n’importe quoi, le présentateur, avec un sourire ironique, avait demandé à Fauvet s’il lui «rendait la politesse». Embarrassé, le mythique directeur du «Monde» s’était lancé dans de très longues explications pour dire qu’il n’avait pas vraiment le temps de lire «Ici Paris» et bien d’autres publications.

Presse populaire 2Ici, rien de tout cela. Quand l’émission a par exemple abordé le titre de «Sud Presse» qui proclamait «Justice est faite» après la mort violente des frères Kouachi, auteurs du massacre de Charlie-Hebdo, le 7 janvier dernier, et d’Amedy Coulibaly, auteur d’une prise d’otages, le même jour, dans une superette kasher à Paris, elle ignorait, ou n’a pas voulu aborder, l’incident qui a suivi, quand un chef d’édition du groupe n’a dû qu’à la solidarité professionnelle de ne pas être viré, pour avoir osé critiquer le titre en interne. Interroger le rédacteur en chef sur cette ouverture très particulière à la critique interne aurait éclairé d’une lumière particulière sa gestion de la rédaction. Il aurait peut-être aussi été significatif de s’interroger sur le nombre très restreint de témoignages de journalistes dans ce dossier…

Et puis, quand on veut laver plus blanc que blanc, il faut aussi veiller à être soi-même impeccable. Mon collègue Martial Dumont, dans le canard qui (air connu) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût, a déjà souligné la négligence de la journaliste, qui a présenté Me Jean-Philippe Mayence comme un avocat pénaliste, mais pas comme le défenseur de Bernard Wesphael, quand il exprimait ses critiques sur un titre de «une» de «Sud Presse» qualifiant d’«assassinat» les fait qui vaudront bientôt à l’ancien élu «vert» de se retrouver devant une cour d’assises.

Était-il opportun aussi, de demander l’avis d’un analyste universitaire éminent… qui a été en charge, il y a quelques années, d’un travail pour Sud Presse? Il ne manque pas, en Belgique, d’analystes du secteur, en choisir un autre aurait été plus prudent.

Enfin, il aura échappé à beaucoup de monde, mais pas aux professionnels de l’information, que le tableau statistique qui présentait l’évolution de vente des quotidiens belges, pour montrer que la presse populaire souffre moins que la grande (?) presse nationale… omettait celles du groupe qui (air connu, bis) m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût. «Choix éditorial indépendant» se défend la RTBF. La chaîne publique aime se draper dans sa dignité outragée, pour défendre une mauvaise cause. L’information était tout simplement tronquée. Et si elle l’était volontairement, le cas est grave: il y avait alors volonté délibérée de montrer qu’une troisième voie est possible entre journalisme élitiste et journalisme de proximité!

Un thème de réflexion pour un prochain «Question à la une»?

La cour d’assises mise au placard: gare au gouvernement des juges!


Le ministre CD&V de la Justice, Koen Geens, doit avoir fait ses études chez les jésuites. Car la manière dont il veut supprimer la cour d’assises tout en la maintenant est une manœuvre politique en deux temps de premier choix, en même temps qu’un chef-d’œuvre d’hypocrisie.

koen-geensHypocrisie, d’abord, parce que le projet de Koen Geens qui a été examiné au Conseil d’État et qui va revenir au conseil n’a évidemment pas pour but d’assurer une meilleure justice aux justiciables. Le fondement de la manœuvre est économique: une cour d’assises a un coût particulièrement élevé, et la multiplication des procès d’assises a un impact budgétaire sévère pour la Justice. Supprimons la cour d’assises, et voilà des économies réalisées sans coup férir. Et tant pis pour les justiciables!

Hypocrisie, ensuite, parce que sachant bien que la suppression pure et simple de la cour d’assises, réclamée depuis longtemps par une partie de la magistrature, et par un certain nombre d’avocats, rencontrerait une opposition forte des tenants du jury populaire, le ministre a choisi de la mettre au placard: en donnant aux tribunaux correctionnels la faculté de prononcer des peines jusqu’à 40 années de détention, et en réservant les «crimes exceptionnels» (mais qui décidera de leur caractère exceptionnel? Sur quelle base? La voie est déjà ouverte à des recours devant la Cour européenne des Droits de l’homme) à la cour d’assises, Koen Geens espère bien qu’à terme, plus aucun procès d’assises ne se déroulera dans le pays. Ce qui, par voie de conséquence, entraînera, soit dit au passage, la correctionnalisation des délits de presse, réclamée depuis longtemps dans certains milieux.

Hypocrisie, enfin, quand les tenants de la réforme glissent benoîtement qu’ainsi, des justiciables accusés des faits les plus graves bénéficieront enfin d’une possibilité d’appel: depuis longtemps, la France a introduit la possibilité d’une cour d’assises d’appel, et la procédure y est devenue monnaie courante. «C’est donc qu’on se méfie du jury populaire!», ironisent certains beaux esprits. C’est tout le contraire: on lui fait confiance deux fois. Et il arrive, effectivement, que des affaires rejugées en un autre lieu, dans un autre état de l’opinion, livrent un verdict différent. Et alors? Suppose-t-on que les magistrats, eux, sont des êtres désincarnés, insensibles à l’opinion publique? Ils ont certes leur jurisprudence, qui leur permet de se prémunir contre leur subjectivité. Mais cette jurisprudence elle-même est une arme à double tranchant pour les justiciables: en correctionnalisant les crimes, le ministre de la Justice prend le risque de voir instaurer un «tarif» pour ces affaires les plus graves, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils ont été commis.

Procédant de la sorte, c’est au caractère public de la Justice que Koen Geens s’attaque. Bien sûr, les procès correctionnels, hors exceptions légales, ne se déroulent pas à huis clos. Mais ils se déroulent souvent des salles bien plus exiguës que celles qui accueillent les cours d’assises. On pourrait néanmoins s’y faire dérouler les procès criminels? Quelle dérision: les débats se dérouleraient devant des places vides, habituellement réservées aux jurés.

15.-LE-FRONTON-DE-L’HÔTEL-DE-VILLELe renvoi au rôle correctionnels des affaires criminelles risque aussi de les noyer dans le flot des affaires judiciaires, et d’en détourner l’attention de la presse. Cela réjouira sans doute ceux, on s’en souvient, qui voulaient interdire aux journalistes de couvrir des procès d’assises, invoquant les dérives, réelles ou prétendues, déontologiques de la presse, et qui voulaient leur imposer de ne parler que des affaires jugées.

La publicité des débats, assurée par la présence du public, et élargie par leur couverture médiatique, est pourtant une garantie de justice équitable pour les justiciables: c’est ce que proclame le fronton de l’Hôtel de ville de Verviers, pour rappeler, à l’époque, le droit encore tout frais à une Justice équitable. Je ne dirai pas, loin de là, que les jugements des magistrats professionnels ne sont pas équitables. Mais, dans un système où les pouvoirs se contrôlent mutuellement, ce «gouvernement des juges» ne m’apparaît pas opportun, sur le plan médiatique.

Le jury populaire n’est pourtant pas parfait: il peut arriver qu’il se laisse égarer par l’opinion ambiante. «Confier une affaire à un jury, c’est comme la confier à la loterie» me glissait, il y a des années déjà, un défunt collègue, qui avait suivi nombre de procès d’assises. Mais des magistrats professionnels peuvent eux aussi se rendre coupables d’erreurs judiciaires. Mais, dans de grandes affaires, de Pandy à Marc Dutroux notamment, les jurés populaires ont fait la preuve de leur grand sérieux et d’un sens aigu de leurs responsabilités. Mais, enfin, si le législateur, dès l’origine, a confié aux jurés populaires le soin de juger les crimes, c’est parce qu’il avait le sentiment que des faits aussi graves ne pouvaient être banalisés. Aujourd’hui, Koen Geens veut les confier à des tribunaux en charge, aussi, des accidents de la circulation sans blessés, ou des faits de grivèlerie. Et ne garder que les plus extrêmes de ces faits graves pour d’hypothétiques cours d’assises. Pauvre Justice…