Ce délai extraordinaire ne ressort pas, cette fois, des traditionnelles lenteurs de la Justice. Bien sûr, il y a eu le transfert du dossier de Liège à Tongres, qui n’a pas hâté son cheminement. Mais surtout, il y a eu l’évidente mauvaise volonté des autorités judiciaires tongroises à visionner les images, accablantes pour le riche mécène du club de football moulanais, tournées par Manu Bonmariage à Fourons ce jour-là. On a été jusqu’à invoquer le manque de moyens techniques (magnétoscope+écran ou téléviseur) pour visionner ces images: c’est dire!
Les manœuvres dilatoire de la défense ont également tenté de soustraire Valentin Theunissen à la comparution en Justice. Pas plus tard que vendredi dernier, son avocat, Me Van Buul, affirmait à l’avocate de Xavier Gonay et de l’association nationale des journalistes professionnels, Me Zagheden, que ces images avaient disparu du greffe!
Ce matin, pourtant, le tribunal a visionné quantité d’images, sur l’écran installé dans la salle d’assises du Palais de Justice tongrois. Celles de la police fédérale, d’abord… qui ne montrent rien, du moins sur la question posée: Valentin Theunissen est-il l’agresseur de Xavier Gonay? Celles tournées par ce dernier, ensuite, mais, évidemment, il n’a pas filmé le bras qui le frappait. Celles de Manu Bonmariage enfin, mais, sur le grand écran, elles désignaient moins nettement le prévenu que sur le petit écran. Qu’importe: Me Zagheden a capté l’image litigieuse, et trois d’entre elles montre clairement la pièce de bois qui frappe Xavier Gonay à la tête; la main de Valentin Theunissen tenant cette pièce de bois; et le visage presque souriant de l’homme, toujours en possession de l’arme de l’agression.
Piquant: les images superflues, largement réclamées par Me Van Buul pour faire valoir que Xavier Gonay, malgré le sang qui coulait d’abondance (photo), n’était pas si gravement blessé, puisqu’on le voit, ensuite, reprendre sa caméra, puis fumer une cigarette et rigoler en compagnie de consœurs et de confrères, confirment les charges pensant sur son client. Le caméraman dit en effet ne pas savoir qui l’a frappé, mais savoir que ce n’était pas une matraque (donc pas la gendarmerie comme on l’avait cru de prime abord) mais «une pièce de bois». Comme celle que brandissait Valentin Theunissen…
Me Van Buul s’est également largement étendu sur le fait que Bonmariage n’avait pas voulu livrer ses images immédiatement après les faits, et que son film – un portrait de Huub Broers qui, soit dit au passage, avait fortement irrité les Fouronnais francophone, qui le jugeaient beaucoup trop complaisant – n’avait été présenté, après montage, qu’un an et sept mois après les faits. S’il s’était quelque peu renseigné, le plaideur aurait su que les télévisions et les agences photos ne remettent jamais aux policiers des images qui ne sont pas diffusées. Le faire serait exposer les cameramen et les photographes encore plus à la pression des participants aux grandes manifestations de masse, en les assimilant à des auxiliaires de police. Il saurait aussi les protestations qu\’avait suscitées, à l’époque, la ruse des policiers luxembourgeois qui s’étaient fait passer pour des journalistes pour mettre fin, de manière sanglante, à la prise d’otages de Wasserbillig.
Me Van Buul contestera aussi la gravité des blessures de Xavier Gonay, et il accusera Bonmariage d’avoir truqué ses images. Faudrait-il encore, bien sûr, qu’il explique alors l’intérêt qu’aurait eu le cinéaste à mettre ainsi en cause son client.
Valentin Theunissen n’est apparemment pas aussi sûr que cela de la stratégie de défense de son avocat: auprès de nos confrères flamands, il s’est longuement épanché sur les dégâts occasionnés à la pelouse du SK Moelingen et à sa buvette, à l’occasion des incidents évoqués. La facture totale a été de 12500 euros, a-t-il expliqué. On ignore s’il a porté plainte, et contre qui, pour ces dégradations. Cela ne l’autorisait pas pour autant à frapper un cameraman à la tête, alors qu’il exerçait sa mission d’information. Le geste fait de lui un prédateur de la liberté de la presse. Pas un Staline, un Pol Pot, un Pinochet, ou un Kim Jong Il, bien entendu, mais un prédateur de la liberté de la presse quand même. Car la liberté de la presse n’est pas divisible, et il n’y a pas de petite ou de grande atteinte à la liberté de la presse. C’est la raison pour laquelle, juste après les faits, le conseil de direction de l’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique (AGJPB), que je présidais, avait décidé de se joindre à la plainte de Xavier Gonay, comme il l’a fait à chaque fois que des journalistes ont été pris à partie en tant que tels. La précision méritera d’être rappelée au tribunal correctionnel de Tongres, car la dépêche Belga relative à cette première audience dérape une nouvelle fois, en affirmant que la plainte émane uniquement de l’aile francophone de l’association. Désolé, chère consœur, c’est une erreur: l’association se préoccupe également de la défense de la liberté des journalistes flamands. Raison pour laquelle elle postule la condamnation de Valentin Theunissen…