Des Congolais(es) qui ne baissent pas les bras


"Maman Caro" (à g.) donne un coup de main, au propre comme au figuré, à toutes les "Mamans Malewa" de Kinshasa

Le sourire de «Maman Caro» en dit long: elle voit l’avenir avec optimisme. Pourtant, lorsque nous avons entamé notre balade dans les rues de la commune de Kasa-Vubu, à Kinshasa, la première chose qu’elle m’a demandée c’est: «Papa, tu vois la misère, ici?». Il aurait fallu être aveugle pour ne pas la voir, la sentir, et l’entendre, cette misère. Mais il aurait fallu aussi être frappé de cécité pour ne pas relever l’action de l’association «Debout Maman Malewa», dont «Maman Caro» est la vice-présidente. Un «malewa», en lingala, c’est un petit point de restauration très rudimentaire, comme celui qu’on voit sur la photo. Ce sont des femmes qui les tiennent: elles font vivre leur famille, en nourrissant des millions de Kinois pour trois fois rien, chaque jour. L’association dont «Maman Caro» est la vice-présidente est née à l’initiative de la chaire de dynamique sociale de l’université de Kinshasa. Au départ d’une étude, des formations ont été mises sur pied (hygiène, conservation des aliments, gestion des «stocks», gestion financière) à l’intention de ces femmes, qui se sont fédérées. Et cela marche.

Au cours de cette visite d’une semaine dans la capitale congolaise, les mots que j’ai entendus le plus souvent sont ceux de «mauvaise gouvernance». Et c’est vrai que rien ne paraît fonctionner dans ce pays immense. Rien sauf la bonne volonté des citoyens, qui veulent s’en sortir, et qui affichent un éternel sourire. Les «Mamans Malewa» sont de celles-là. Mais il y a aussi les délégués de mutuelles de santé, qui ont tenu une réunion de trois jours de très haut niveau, en début de semaine dernière. Ils deviennent petit à petit des partenaires crédibles dans l’établissement d’un système de santé décent… que l’État devra compléter.

On est loin du compte: les services étatiques ne fonctionnent simplement pas en RDC. Pas de transports publics efficaces, pas de postes, hôpitaux, écoles et prisons qui ne sont pas gérés: on cherche en vain des signes d’émergence d’un État dominé par les pays partenaires étrangers, Chine et Inde en tête, mais sans oublier les pays européens dont la Belgique. Faute de sursaut, ce pays risque de devenir un immense Haïti à l’échelle africaine. Les élections présidentielles et législatives de 2011 peuvent marquer l’amorce de ce sursaut. Mais je fais personnellement plus confiance à ces «Mamans» et ces «Papas», sans lesquel(le)s la catastrophe se serait déjà produite depuis longtemps. Leur courage a de quoi inspirer!

Le roi des faux derches


C’est lors d’un débat organisé au Parlement européen par le groupe de «Verts» à propos des caricatures de Mahomet publiées par un quotidien danois que j’avais rencontré Philippe Val, alors directeur de l’hebdomadaire satirique français «Charlie Hebdo». Une rencontre pas vraiment des plus sympathiques, il faut bien l’avouer, mais j’avais alors mis sur le compte d’une indéfectible volonté de défendre la liberté de la presse la manière assez abrupte dont il avait écarté un bémol que j’avais apporté à la publication de ces caricatures, et qui était relatif au risque de stigmatiser un groupe, religieux en l’occurrence, sous prétexte de combattre l’intégrisme religieux. Le droit au blasphème est partie intégrante de la liberté de la presse, avait-il martelé.

Tout cela n’était que du vent! On s’en doutait déjà un peu, en juin dernier, lorsque les humoristes Stéphane Guillon et Didier Porte avaient été virés de France Inter, la radio publique française, dont Val, entre-temps, avait pris la direction. Confirmation nous en a été donnée cette semaine, avec le «lourdage» de Gérald Dahan, qui avait depuis l’été pris le relais des deux impertinents. Gérald Dahan, il faut le préciser, avait été recruté par… Philippe Val, qui n’est plus monté au feu pour expliquer ce nouveau licenciement: il a laissé à un de ses adjoints expliquer que, bien sûr, ce nouveau dégagement n’avait évidemment aucune motivation politique, mais procédait de l’incapacité de l’imitateur à trouver le ton juste pour faire rire l’auditeur moyen de France Inter.

Comment comprendre, alors, qu’il y a peu, la direction de la radio publique française, ait demandé à Gérald Dahan d’assurer deux chroniques hebdomadaires plutôt qu’une? Incapable de faire rire, vraiment? Une qu’il n’a pas fait rire, manifestement, c’est Michèle Alliot-Marie, la ministre française de la Justice, dont, par la grâce des Web cams désormais installées dans les studios de radio, on a pu voir le visage se décomposer, vendredi dernier, à mesure que Dahan, dans une imitation de Patrick Timsit, lui taillait un costard à sa mesure. Le licenciement de l’humoriste est, comme par hasard, intervenu 48 heures plus tard. Mais il n’a pas de motivation politique, répétons-le. «Il ne faudrait pas, désormais, que toute personne licenciée de France Inter invoque une raison politique» a lancé l’adjoint que Philippe Val avait chargé de justifier la mesure. Ce n’est pas la motivation politique qui fait office de cache-sexe de la médiocrité, c’est plutôt la médiocrité qui sert de cache-sexe à la mesure politique, a répliqué Gérald Dahan, ce lundi, sur France 5. Une parole contre une autre? L’humoriste, qui avait répondu à une interview de «Libération» sur son départ brutal de l’antenne, a révélé que Val l’avait appelé, pour lui demander de démentir ce qu’il avait affirmé. Faute de quoi, on lui règlerait son compte. L’ancien directeur de Charlie Hebdo a tenu parole. Et démontré qu’il est surtout le roi des faux derches!

 

Une facture qu’il ne faudra pas oublier de présenter


C’est avec un retard dû à diverses priorités professionnelles que j’ai pu visionner ce week-end le numéro du 16 octobre de «Questions à la une», consacré aux divers scénarios de séparation de la Belgique.

Premier constat: l’actualité rend vite un tel débat dépassé. Depuis la mi-octobre, même si les négociations communautaires sont sans doute encore très loin de leur conclusion, certaines choses ont changé dans notre petite terre d’héroïsme, à commencer par l’isolement de la N-VA en Flandre, qui a forcé le parti de Bart De Wever à revenir sur son intention de déposer en urgence, jeudi dernier, une proposition de loi de scission de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

Une autre séquence interpellante, celle relative à la SNCB, a, à mon sens, loupé son objectif. Le propos, si on l’a bien compris, était de démontrer le manque de prospective wallon en matière ferroviaire. Le cheminement de Marie-Pierre Deghaye, dans les couloirs de l’administration wallonne, à la recherche d’une fantomatique cellule ferroviaire, joyeusement composée de… deux fonctionnaires, était suffisamment éloquent à cet égard. Et pourtant, deux propos diffusés montraient bien que le problème du sous-équipement ferroviaire wallon est ailleurs. L’actuel conciliateur royal, et ancien ministre fédéral… et flamand des Communications, Johan Vande Lanotte, ne dissimulait pas que c’est bien lui qui s’est opposé, en son temps, à la modernisation de la ligne Bruxelles-Namur-Luxembourg (et Strasbourg au-delà), en arguant que cette ligne était plus nationale qu’internationale. Nous, on veut bien, mais sur Brussel-Antwerpen, ou Brussel-Gent, le même genre de raisonnement n’a pas joué, de toute évidence. Le deuxième propos était celui de Gérard Gelmini, le président du syndicat socialiste des cheminots. Parlant du transport de marchandises, «tout est fait pour faire d’Anvers le seul nœud ferroviaire moderne du pays, et de ne plus rien laisser en Wallonie» a-t-il expliqué.

La SNCB n’est en effet pas (encore) régionalisée, il faut le rappeler. Et les Régions n’interviennent pas en tant que telles dans l’investissement dans les infrastructures ferroviaires: le gouvernement flamand l’a assez martelé, en 2007, en réclamant que la Flandre puisse investir les moyens dont elle dispose dans l’équipement ferroviaire du port d’Anvers.

Mais la Flandre n’a pas attendu la régionalisation de la SNCB pour faire essentiellement réaliser sur son territoire les gros investissements dans le rail, compte non tenu, évidemment, de la gare TGV de Liège, pharaonique aux yeux de certains. Un signe? Les patrons de ses diverses filiales sont… tous flamands. On peut donc a priori supposer qu’ils sont plus sensibles aux problèmes qui se posent dans leur région, qu’à ceux vécus quotidiennement par les malheureux navetteurs venant de Liège ou de Namur, via Ottignies, à Bruxelles.

Mais ce ne sont évidemment pas ces trois dirigeants, sur la sellette depuis l’accident de Buizingen, qui sont en cause: il suffit de visualiser une carte du réseau pour voir où se sont, depuis longtemps, concentré les investissements ferroviaires en Belgique. 

L’évidence saute aux yeux: le sud du sillon Sambre-et-Meuse est largement sous-équipé, et les axes Brussel-Gent et Brussel-Antwerpen sont privilégiés. C’est, répétons-le, le résultat d’une politique planifiée de longue date: depuis 1945, le poste de ministre (ou de secrétaire d’État) des Communications, des Transports, ou de la Mobilité, a été détenu à 28 reprises par des excellences flamandes, pour 17 ministres, ou secrétaires d’État francophones. L’«occupation» de ce ministère stratégique a donc été efficace, et des hommes comme P-W Segers, Jos Chabert, Herman De Croo et plus récemment Etienne Schouppe, ancien grand patron de la SNCB rappelons-le, y ont assuré, au fil des décennies, une continuité certaine.

La consultation de la carte du réseau autoroutier belge présente de fortes similitudes avec la carte du réseau ferroviaire, et là aussi, un déséquilibre flagrant se manifeste en faveur du nord du pays.

Pourtant, là, l’étude de la composition des différents gouvernements belges depuis 1945 révèle qu’avant la régionalisation des Travaux publics, ce portefeuille a été détenu à 22 reprises par des francophones (ou des Wallons) pour 14 fois seulement aux Flamands. Mais on doit quand même se souvenir que la réalisation de l’autoroute de Wallonie, de Welkenraedt à Tournai, réclamée dès la fin de la Seconde guerre mondiale, n’a été achevée qu’au milieu des années 70. Et le plus long règne aux Travaux publics a été celui de feu Jos De Saeger, figure éminente du monde politique flamand….

Ce cartes devraient figurer dans la documentation des négociateurs francophones du prochain accord communautaire… ou des futures négociateurs du grand divorce belge.  Car il y aura là, incontestablement, une facture à présenter, qui devra être honorée d’une manière ou l’autre…