Une délégation de journalistes français de Nice-Matin a tenté, ce mardi, de s’initier aux arcanes du système politique belge.
Il n’est pas sûr qu’ils ont pu en saisir toute les subtilités en une courte visite, et qu’ils peuvent désormais distinguer le Parlement wallon du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, où ils ont assisté à un débat sur les violations de la liberté de la Presse dont la direction s’est rendue coupable, en début de mois, à l’égard des journalistes de L’Avenir, auxquels ils étaient venus témoigner de leur solidarité.
Ce qu’ils ont constaté, par contre, c’est que l’opacité de la gestion de Nethys, dont ils se plaignent en bordure de Méditerranée, est identique au confluent de la Sambre et de la Meuse. Quand Jos Donvil, l’administrateur-délégué de L’Avenir, et Yves Berlize, son directeur général, ignorant volontairement l’ordre du jour de la réunion, sont revenus sur la nécessité à leurs yeux absolue d’un plan social qui décime la rédaction, tout en affichant l’objectif illusoire de faire de L’Avenir le «numéro 1 (sic) en Belgique» francophone, mon excellent confrère, Albert Jallet, délégué de l’Association des Journalistes Professionnels (AJP) a résumé qu’avec Nethys « On va…; on va…; on va…» mais surtout, depuis 2013, on ne voit rien venir. À Namur pas plus qu’à Nice. L’appel à rebâtir la confiance lancé par plusieurs élus, mettra encore longtemps à se concrétiser…
Sans surprise, la direction des Éditions de l’Avenir a réaffirmé son attachement à la liberté de la Presse, et s’est défendue becs et ongles contre toute forme de «lock-out» ou de censure, avec la condition imposée, le mercredi 6 mars, à l’impression du quotidien.
«Il suffit de regarder la définition de « lock-out » au dictionnaire», ont notamment invité Jos Donvil et Yves Berlize.
L’argument est court. Le dictionnaire enregistre la signification des mots à un moment «M», mais la modifie dès que l’usage en élargit l’extension. Pensons par exemple au glissement de sens du verbe «bluffer», qu’on entend plus aujourd’hui au sens d’«impressionner», que de «tromper»….
Lock-out ou non, la réaction de la direction des Éditions de l’Avenir a été «disproportionnée», ont constaté tant le ministre des Médias, Jean-Claude Marcourt, que le député MR Olivier Maroy, qui n’a pas oublié son passé de journaliste.
La volonté d’éviter une répétition du «journal pirate» (sic) du 16 février –«l’information appartient aux lecteurs», a rappelé le secrétaire général de la Fédération Européenne des Journalistes; «L’enquête était rigoureuse et fouillée» a insisté Martine Simonis, secrétaire générale de l’AJP; la publication des pages de ce «collector» a suivi un processus normal, avec validation à plusieurs étages, mais en laissant le directeur des rédations «réputé rapporter à Stéphane Moreau» dans l’ignorance de l’opération, a précisé votre serviteur – ne justifiait pas la fermeture de l’accès au site Web et aux réseaux sociaux du journal du lundi 4 au mercredi 6 mars inclus. Une fermeture que ne pouvait expliquer une pseudo opération de maintenance, opérée par un technicien de Nethys, appelé sur place, mais qui était là, aux dires d’Yves Berlize, par hasard, parce qu’il était justement de passage ce jour-là, pour tout autre chose… dont on ne saura rien.
En l’occurrence, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, la direction des Éditions de l’Avenir a pratiqué ces jours-là une forme de lock-out sans s’en rendre compte. Et qui pourrait dans les mois à venir avoir pour conséquence d’élargir la portée même du terme. De toute manière, a conclu Fabian Culot, un élu MR qui n’a pas oublié être administrateur d’Enodia, l’ex-Publifin, «seul un juge pourrait dire s’il y a eu ou non lock-out». Et par essence, la commission des Médias du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles n’est pas un tribunal.
Il a aussi été question des licenciements ciblés opérés par la direction, en début de congé de carnaval. Les demandes d’explication de Stéphane Hazée (Ecolo) ou de Benoît Drèze (cdH) sur les motivations de ces licenciements, en l’absence de tout nouvel organigramme de la rédaction, qui laissent notamment sans responsable un service central comme celui de l’info générale du journal (une première, sans aucun doute, dans la Presse belge), n’ont amené dans le chef d’Yves Berlize, que des explications très générales, du style «critères opérationnels, simplification, mutualisation au sein de Voo». Tout de même, Jos Donvil a affirmé que les trois confrères ainsi éjectés avaient refusé les réinsertions-sanctions acceptées par les syndicats sans la moindre concertation avec les intéressés. Deux de ces derniers contestent la véracité de cette assertion. La stratégie d’intimidation, décrite notamment par votre serviteur, ne s’en déploie pas moins.
«Comment en sortir par le haut?» ont demandé plusieurs membres de la Commission. Comment rebâtir la confiance?
Comme l’a exprimé Albert Jallet, la tâche est bien difficile quand les représentants de la rédaction, invités à une réunion par la direction pour discuter réorganisation -un souci bien tardif des dirigeants des Éditions de l’Avenir, qui se sont rendu compte du risque, qui leur avait été signalé, de perdre l’aide à la Presse de la Fédération Wallonie-Bruxelles: tous deux néerlandophones, ils ne sont sans doute pas bien au fait d’un système que la Flandre a supprimé il y a lonlgtemps, au profit d’encarts publicitaires de la Région dans les quotidiens flamands- ils se retrouvent face à leurs interlocuteurs… accompagnés de leur avocat.
Ce mardi, en commission, Jos Donvil et Yves Berlize ont remis cela. C’est en compagnie de deux (éminents) juristes, avec lesquels ils avaient apparemment travaillé leur prestation la veille, durant toute la journée, qu’ils se sont présentés devant les députés.
Nous n’avons rien contre les avocat, surtout quand l’un d’entre eux, préside un club de football où l’on parle encore wallon, sponsorisé par… Voo, qui en accorde toutefois bien plus à l’autre club (honni) de la ville. Mais leur audition n’était pas prévue par la commission. Malgré la plaidoirie vigoureuse de Fabian Culot, lui-même avocat, en leur faveur, la seule voix de Stéphane Hazée a suffi pour que la parole ne leur soit pas accordée. Car, comme l’avait indiqué Isabelle Moinet, la présidente de la commission, l’unanimité était requise pour modifier la liste des personnes entendues.
Stéphane Hazée a eu raison de s’opposer à ce qu’on donne la parole à l’un des deux avocats de la direction des Éditions de l’Avenir. Non qu’il y avait à redouter d’un exposé qu’on devine brillant, et dont le propos était, sans aucun doute, de dénier le moindre «lock-out», les 4, 5, et 6 mars dernier. On aurait juste curieux d’entendre s’il abordait la censure préalable imposée par l’actionnaire avant de donner le feu vert à l’impression du journal du 6.
Ce qui choque surtout, dans la démarche, c’est à nouveau l’inélégance de la direction des Éditions de l’Avenir qui n’avait pas fait part à ses contradicteurs de sa volonté de donner la parole à l’un de ses avocats.
Comment voudrait-on que, devant pareille duplicité; devant l’obstination à ne pas prendre en considération les motions unanimes, non de la rédaction mais de l’ensemble du personnel des Éditions de l’Avenir, contre le directeur des rédactions; et devant l’inertie d’un actionnaire qui ne se manifeste pas seulement à Namur, mais à Nice, la confiance puisse se reconstruire?
Comme l’a dit à plusieurs reprises Martine Simonis, au cours de cet après-midi tendu, «les faits sont têtus»….