Mort d’une journaliste d’al-Jazeera: Israël revêt le crime d’hypocrisie


Ainsi donc, selon un rapport de l’armée israélienne, il y a «une forte possibilité» que Shireen Abu Akleh, journaliste vedette d’al-Jazeera, ait été, le 11 mai dernier, «touchée accidentellement par un tir de l’armée israélienne qui visait des suspects identifiés comme des hommes armés palestiniens».

Cette conclusion lénifiante fait suite à une étude «chronologique» de la séquence des événements qui ont conduit à la mort de la journaliste de la chaîne qatarie; à une analyse «des sons» et «des vidéos» enregistrées sur place; et à une analyse balistique de la balle mortelle, menée en présence de représentants du «Comité de coordination sécuritaire des Etats-Unis pour Israël et l’Autorité palestinienne».

Tuée accidentellement?

Tout ce verbiage a pour but de noyer le mot essentiel de cette communication: Shireen Abu Baker a été tuée ac-ci-dent-elle-ment! Personne n’est donc responsable de sa mort. Et le soldat qui l’a descendue ne sera donc pas poursuivi!

Si ce n’était tragique, pareille construction serait parfaitement risible. Elle fait surtout honte à l’État d’Israël, qui, après avoir tout fait pour échapper à la responsabilité de ce meurtre et de ce crime contre la liberté de la presse, se vautre aujourd’hui dans l’hypocrisie, en espérant s’en tirer à très bon compte.

Pour rappel, au départ, les autorités israéliennes avaient affimé que Shireen Abu Akleh était décédée au cours d’un échange de tirs entre une faction palestinienne et des soldats de Tsahal. Mais pas de chance, la multitude de témoins sur place, et les premiers éléments de l’enquête avaient montré qu’il n’y avait pas eu de tir palestinien: c’est délibérément que les soldats israéliens avaient fait feu sur une foule désarmée au camp de réfugiés de Jenine. Reparler aujourd’hui «d’hommes armés palestiniens» relève donc de la désinformation.

Les suites de l’enquête, qu’Israël a refusé de voir menée par une instance internationale, allaient montrer ensuite que Shireen Abu Akleh a bel et bien été tuée par une balle israélienne. Non seulement, il n’y avait pas eu d’échange de tirs, mais elle n’a pas été atteinte par un tir palestinien éventuel, comme l’armée israélienne tentait de le faire entendre au départ.

Les images tragiques de la journaliste d’al-Jazeera montraient par ailleurs qu’elle portait un casque et un gilet pare-balles portant clairement l’indication «Press».

Alors aujourd’hui tenter de faire croire au monde qu’un sniper israélien l’aurait abattue «accidentellement» relève du plus parfait cynisme: toute cette logorrhée vise à cacher le fait qu’une témoin gênante a été volontairement éliminée, le 11 mai dernier.

Pour rappel aussi, les obsèques de la malheureuse Shireen Abu Akleh ont donné lieu à une intervention musclée des forces de l’ordre israéliennes, qui n’ont pas eu la décence de laisser se dérouler la cérémonie dans la douleur de la famille et dans l’indignation légitime de celles et ceux qui l’accompagnaient dans son dernier voyage.

Dès les jours qui ont suivi la mort tragique de la journaliste vedette d’al-Jazeera, des voix s’étaient élevées pour réclamer une enquête internationale sur cet événement. Israël l’avait refusée avant de tenter, pied à pied, d’éluder sa responsabilité dans le drame.

Au fil des semaines, il lui est apparu qu’il ne lui serait pas possible d’éluder la responsabilité de l’armée israélienne: le rapport d’aujourd’hui est son ultime tentative pour éviter qu’un assassin de journaliste soit traduit devant des juges.

Le meurtre de Shireen Abu Akleh va ainsi rejoindre la longue liste des assassinats impunis de journalistes: pour rappel, neuf assassinats de journalistes sur dix restent impunis dans le monde, selon les rapports de l’Unesco. Journalistes anonymes, pour journalistes célèbres qui ont noms Ana Politkovskaïa, Daphne Caruana Galizia, Jamal Kashoggi et désormais Shireen Abu Akleh.

Pour éviter que des États puissent échapper à leurs responsabilités, comme Israël tente de le faire avec ce rapport lénifiant et mensonger, la Fédération Internationale des Journalistes a suggéré un texte de résolution à faire voter par l’assemblée générale des Nations-Unies, qui considérerait tout assassinat de journaliste comme un crime contre la liberté de la presse, et créerait un organe international susceptible d’enquêter, ou de demander aux États de rendre compte sur les enquêtes diligentées dans le cas de meurtres de journalistes. On attend toujours que les grandes démocraties, notamment européennes, soutiennent ce texte…

Baris Terkoglu et ses collègues risquent leur vie derrière les barreaux!


Depuis quelques jours, Baris Terkoglu, son collègue Baris Pehlivan, et une troisième collaboratrice du site turc Oda TV ont retrouvé les sinistres murs de la méga-prison de Silivri, à une quarantaine de kilomètres d’Istanbul.

Ils ne sont pas être les seuls à être détenus à cet endroit. D’autres journalistes, travaillant pour des quotidiens, dont des journalistes pro-kurdes, ont été également arrêtés en même temps qu’eux. Et à Silivri, des journalistes croupissent depuis des mois.

Baris Terkoglu et Baris Pehlivan connaissent bien les lieux: ce n’est pas un hasard, la répression de la liberté de la Presse n’est pas neuve en Turquie.

Cette fois, ils sont poursuivis pour infraction à la loi sur les services de renseignement. Leur crime? Avoir évoqué les obsèques d’un agent des services de renseignement turcs, mort en service commandé en Libye. Le nom de cet agent avait été mentionné au Parlement, dans un débat sur l’engagement de la Turquie en Libye; et il avait été repris dans des quotidiens qui avaient relaté ces débats. Qu’importe: les journalistes du site Oda tv ont été incarcérés.

Cette inculpation est évidemment un prétexte: c’est le journalisme d’investigation qui est visé à travers eux. Le Baris Terkoglu que nous avons connu il y a neuf ans n’est en effet plus un journaliste inconnu en Turquie. La publication, avec Baris Pehlivan, de livres, «Mahrem» et surtout «Metastaz», sur le devenir des membres des réseau «gulllenistes» en Turquie, a fait d’eux des journalistes qui comptent en Turquie, et leur site Oda TV est devenu un rendez-vous des citoyens en quête d’information indépendante. Et si leur arrestation était à mettre en perspective avec la prochaine publication d’une suite à «Metastaz», dont les épreuves venaient d’être relues?

La procédure, en cas de violation de la loi sur les services secrets est en principe rapide, nul ne sait combien de temps elle durera. Cela avait déjà été le cas il y a neuf ans. Mais il y a neuf ans, le Covid-19 ne s’était pas répandu dans le monde. Et dans les prisons turques, surpeuplées comme la plupart des prisons européennes, il fait craindre l’expansion rapide d’une pandémie mortelle.

Les autorités turques en sont conscientes, qui envisageraient de libérer anticipativement une série de détenus… sauf les journalistes. En clair, elles sont prêts à mettre en cause la vie de journalistes qui ne devraient pas être derrières les barreaux!

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L’appel est lancé aux autorités belges et européennes. Et aussi aux journalistes de Belgique et d’ailleurs. Ces journalistes doivent sortir de prison. LE JOURNALISME N’EST PAS UN CRIME!

Un combat à reprendre pour la liberté de la Presse


Il est des combats dont il ne faut jamais croire qu’ils sont définitivement gagnés: le combat pour la liberté de la Presse est de ceux-là! Paradoxe dans un pays qui, depuis l’origine, proclame dans sa Constitution que «la presse est libre» et que «la censure ne pourra jamais être établie»? Hélas, hélas, hélas, comme le disait Charles de Gaulle en évoquant le putsch des généraux félons à Alger, en 1962, il faut bien constater, ces derniers temps, que, y compris chez nous, l’année 2019 a été marquée par un recul de la liberté de la presse.

Péril pour la liberté de la presseLe signe le plus évident en est la nécessité ressentie par nos collègues flamands de la Vlaamse Vereniging van Journalisten (VVJ) de créer, sur leur site, un point d’alerte pour toute violence faite aux journalistes.

En six mois, c’est une douzaine de faits qui ont été signalés à l’union professionnelle des journalistes flamands. On n’en est, pour l’instant, qu’à des menaces physiques ou de l’intimidation, comme lors d’une manifestation d’extrême-droite contre le Pacte de Marrakech sur l’immigration, en début d’année. Ou lors d’un procès de Hells Angels devant un tribunal correctionnel limbourgeois. Mais il y a aussi ce fermier qui détruit l’appareil photo d’un correspondant de presse qui, à distance, venait de prendre des images de l’incendie d’une de ses étables. Ou la police qui menace de saisir les images d’un cameraman de télévision, qui filmait les lieux d’un accident de circulation, en respectant le périmètre de sécurité imposé.

L’Europe a connu quelques cas tristement célèbres d’assassinats de journalistes. Sur l’île de Malte, plus de deux ans après l’explosion de sa voiture qui lui a coûté la vie, les assassins présumés de Daphné Caruna-Galizia ne sont pas encore jugés, et leurs commanditaires ne sont pas connus. En Slovaquie, l’assassinat de Jan Kuciak et de sa fiancée a déclenché une vive réaction populaire qui a conduit à la démission du Premier ministre et à un renversement de majorité. Leurs assassins ont été démasqués, et les commanditaires mafieux de leurs assassinats sont connus. En Roumanie par contre, la précipitation avec laquelle l’assassinat de Viktoria Marinovna a été qualifié de crime purement sexuels laisse subsister bien des soupçons.

En Italie, j’ai eu le privilège douloureux de rencontrer des journalistes qui vivent sous protection policière permanente, après les menaces de morts proférées contre eux par la Mafia. Et le monde entier a appris avec horreur, il y a quelques semaines, les détails de l’assassinat de Jamal Kashoggi, au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul.

Rien de tout cela chez nous et dans les pays voisins, me direz-vous? Il y a un an, rappelez-vous, des journalistes belges et des journalistes français étaient menacés, et parfois molestés, par des «gilets jaunes» qui les jugeaient par définition hostiles. En Catalogne, des journalistes ont été victimes de violences policières, et d’autres ont été attaqués par des militants indépendantistes.

En Allemagne, où j’ai assissté récemment au congrès d’un des deux grands syndicats de journalistes, le Deutscher Journalisten Verband (DJV), le rapport annuel a évoqué le refus opposé par l’Alternativ für Deutschland à la présence de journalistes au congrès ce ce parti d’extrême-droite. Tandis que d’autres voix réclamaient une meilleure protection des sources journalistiques. Une protection des sources, qui, comme l’a posé la Cour européenne des Droits de l’Homme, est la «pierre angulaire de la liberté de la presse».

Presse locale, non merci!

Les médias locaux exclus de la visite du Secrtaire d'EtatUn autre cas flagrant de censure a été dénoncé ce week-end par la section bavaroise du DJV, le BJV (Bayerischer Journalisten Verband) après le véto opposé par les autorités (états-unienne? allemandes? états-uniennes et allemandes?) à la présence de journalistes du quotidien régional Der Frankenpost, lors de la visite, à Mödlareuth, du secrétaire d’État états-unien, Mike Pompeo, et du ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD). Seul était autorisé, dans le sillage des deux excellences, un pool télévisé, composé de représentants de la ZDF (chaîne publique), et de RT L (chaîne privée). L’idée étant, on l’imagine, de diffuser des images de cette visite, mais de ne donner à personne l’occasion de poser des questions au secrétaire d’État et à son hôte. Et aussi sans doute une forme de mépris à l’égard de la presse locale? L’incident a en tout cas suscité une réaction d’un député SPD de la région. Klaus Adelt s’est dit choqué par le fait que cette mise à l’écart s’est produite «le jour même où on célèbre la liberté d’opinion et la liberté de la Presse» et qu’en plus, «elle est incompatible avec la Constitution qui proclame la liberté de la Presse et la liberté d’informer».

Des notions également ignorées des autorités turques,  qui maintiennent en détention des dizaines de jouralistes turcs , sous l’accusation fallacieuse d’appartenance à une mouvance subversive: depuis près de dix ans, la Turquie se révèle la plus grande prison pour journalistes d’Europe, voire du monde!

De son côté, la Maison-Blanche a retiré leurs accréditations à des journalistes russes travaillant pour des médias que le président français, Emmanuel Macron, a qualifiés d’officines de propagande. Et dans la foulée le président russe, Vladimir Poutine, a pris une mesure similaire à l’égarde de journalistes étrangers, qualifés «d’agents de l’étranger». Quant aux journalistes russes travaillant en Ukraine ou aux journalistes ukrainiens actifs en Russie, on devine le sort qui leur est réservé.

Je rappellerai enfin le combat mené depuis plus d’un an par la rédaction d’un journal qui m’emploie et ne me rémunère pas assez à mon goût, pour garantir son indépendance par rapport à une direction qui n’a pas hésité à procéder à des licenciements ciblés et à procéder à un lock-out, pour tenter de la faire plier.

Et que dire, dans le même ordre d’idées, des pressions exercées par le nouveau ministre-président flamand, Jan Jambon (N-VA) sur la VRT, pour que la chaîne publique de radio-télévision cesse sa «propagande» sur le réchauffement climatique et qu’elle offre la parole à des «climato-sceptiques»? Et la suppression, évoquée dans un autre billet de ce blog, des subsides à l’investigation journalistique indépendante?

La piqûre de rappel est sérieuse, et tou(te)s les journalistes doivent en être conscient(e)s: la défense de leur liberté est leur affaire, en tout premier lieu. Et s’ils/elles ne la défendent pas eux/elles-mêmes, personne ne le fera à leur place!

 

Et par qui l’article 25 de la Constitution est-il violé? Hélas, hélas, hélas, par de prétendus patrons de presse….


Etal vide«La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. Lorsque l’auteur est connu et domicilié en Belgique, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi»: dès mes déjà lointains débuts dans la défense du journalisme libre, à l’échelon international, j’ai cité l’article 25 de la Constitution belge. En soulignant à la fois l’incroyable liberté qu’il proclamait à l’époque où il a été rédigé – en 1831! – et l’optimisme indécrottable de ses rédacteurs qui osaient croire que jamais, un gouvernement, quelle que soit sa composition, ne remettrait en cause cette liberté et ne se risquerait à établir la censure.

Sur le plan politique, cet optimisme s’est avéré: à l’exception des périodes d’occupation, pendant les deux guerres mondiales, la presse belge n’a pas eu à subir les affres de la censure. Et si la Constitution belge a fait l’objet de multiples révisions depuis sa rédaction, et plus particulièrement au cours du dernier demi-siècle, l’article 25, lui, a gardé sa forme originelle voire désuète, quand elle fait référence au «cautionnement».

Qu’une presse libre soit bénéfique même aux autorités auxquelles elle apparaît par essence suspecte, parce que si la presse est libre, elle sera crédible quand elle saluera l’action de ces autorités: c’est un message que j’ai délivré à plusieurs reprises, notamment depuis mon élection, il y aura bientôt trois ans, à la présidence de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ). Une pensée magistralement expriBeaumarchaismée par Beaumarchais dans une sentence, extraite du Barbier de Séville, dont le quotidien français Le Figaro a fait sa devise: «Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur». La citation m’a été souvent utile pour me défendre d’accusations de parti-pris formulées avec plus ou moins de bonne foi contre moi, dans ma pratique journalistique. J’ai développé ce plaidoyer notamment face à des chefs d’État ou de gouvernement dont le respect de la liberté de la presse ne constitue pas le principal motif de notoriété. Partant du principe que parler de liberté de la presse avec des autorités qui la respectent revient à prêcher à des convaincus…

Ce que le constituant de 1831 ne pouvait pas anticiper, c’est qu’un jour, journalistes et patrons de presse se retrouveraient peut-être toujours unis pour défendre ensemble des enjeux essentiels pour la presse, comme cela fut le cas avec la loi sur la protection des sources, au début de ce siècle, mais qu’ils s’affronteraient plus souvent sur les conditions de travail et de rémunération des journalistes: l’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique n’a vu le jour, en tant que telle, qu’en 1978, alors que la création des associations de presse, qui l’ont précédée, datait de la fin du XIXeme siècle.

Ce que les parlementaires de 1831, parmi lesquels de nombreux journalistes (autres temps, autres mœurs) pouvaient encore moins imaginer, c’est qu’un jour, les médias se trouveraient intégrés dans des groupes industriels ou économiques dont l’activité principale est très éloignée de l’édition, et qui ne considèrent les médias que comme des instruments de propagande, pas comme des éléments essentiels de la démocratie. Et qu’une censure économique insidieuse supplanterait la censure politique.

Lock outEt c’est précisément alors que se profile la fin de mon mandat, à la présidence de la FIJ, que l’impensable se produit, avec la manifestation publique et impudente de cette censure insidieuse par de prétendus éditeurs de presse!

Et où cela se produit-il? Hélas, hélas, hélas, comme s’exclamait feu le général de Gaulle, en annonçant à la télévision française le putsch des généraux à Alger, c’est au sein même du journal qui m’emploie et qui (air connu) ne me rémunère pas assez à mon goût.

L’impensable s’est même produit trois fois: d’abord avec le licenciement ciblé de journalistes perçus comme trop critiques; ensuite avec la coupure de l’accès au site Web du journal et à ses réseaux sociaux à tous les journalistes du groupe; et enfin, ce mercredi 6 mars, avec la décision surréaliste (mais même dans un pays réputé pour son surréalisme, c’est de l’inédit!) prise par la direction de ne pas publier un journal que les journalistes avaient bouclé, après avoir décidé la reprise conditionnelle du travail!  L’Avenir s’est  tout de même retrouvé en librairies et dans les boîtes à lettres ce jeudi 7, après un compromis tardif, mais quoi qu’il en soit, la rupture de confiance entre la rédaction et sa direction, téléguidée par son actionnaire, ne peut être plus manifeste!

Ces dernières manœuvres ont été conduites avec la complicité d’un pseudo directeur des rédactions qui s’est encore couvert de honte en tentant de camoufler les barrières mises aux journalistes à l’accès au site web et aux réseaux sociaux du quotidien derrière une prétendue maintenance informatique, opération toujours annoncée par avance et de préférence effectuée de nuit ou en tout début de journée, manière de ne pas interrompre trop longtemps le flux de l’information. Le prétendu directeur des rédactions a par là, si besoin en était encore, confirmé le soupcon qui fait de lui le serviteur docile de ceux qui l’ont imposé à ce poste.

Ces épisodes démontrent combien la dénonciation, faite d’abord par le magazine Le Vif, de l’existence d’une «liste noire» de journalistes, coupables de trop d’indépendance par rapport à l’actionnaire Nethys, n’était pas la simple répétition d’une rumeur régulièrement répandue en cas de restructuration d’entreprises, comme me le disait encore récemment le vice-président de la Centrale Nationale des Employés.

Le conflit en cours aux Éditions de l’Avenir est un conflit social, mais il est bien plus que cela. Raison pour laquelle les syndicats, habitués à régler des problèmes sociaux, n’ont pas compris que la réticence des journalistes à accepter les conditions de départ offertes aux candidat(e)s à une préretraite qui ne veut plus dire son nom ou au départ volontaire, ne portait pas seulement sur des conditions financières ignorant leur convention de travail et de rémunération propre, mais surtout sur le respect de leur statut et de leur indépendance.

C’est sans doute faute d’avoir suffisamment pris la mesure de cet enjeu que les organisations syndicales ont rompu unilatéralement une convention de collaboration vieille d’une dizaine d’années, qui les liait à l’Association des Journalistes Professionnels et à la Société des Rédacteurs, restées seules pour défendre les droits matériels et l’indépendance des journalistes. Ce qui leur vaut l’appui massif des journalistes de L’Avenir. La direction du groupe l’a bien compris, qui refuse désormais de négocier avec les représentants légitimes de la rédaction, et tente de contourner l’obstacle en se remettant à table avec les syndicats: à eux, cette fois, de ne plus se laisser abuser!

Les dénégations maladroites encore opposées par l’administrateur-délégué des Éditions de l’Avenir, Jos Donvil, notamment dans Le Soir de ce mercredi, sur l’existence de cette «liste noire» de journalistes à éliminer, n’abusent donc plus personne. Notamment quand il se contente de dire qu’il ne «connaît pas» les journalistes prêts au départ à la préretraite ou au départ volontaire qui se sont fait connaître après le week-end d’ultimes négociations du 17 février, et dont le nombre suffisait à réduire à néant la nécessité de quatre licenciements secs pour atteindre le nombre exigé par le plan social en cours d’application.

On se souviendra qu’il y a quelques mois à peine, alors qu’il n’était encore «que» l’administrateur-délégué en charge du pôle TelCo de Nethys, le même Jos Donvil avouait n’avoir aucune compétence en matière de presse. Il l’a solidement démontré ensuite, par exemple en défendant mordicus devant une commission réunie du Parlement wallon et du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le choix d’un grand format du journal, opéré par le conseil d’administration contre l’avis de la rédaction et de la grande majorité des lecteurs de L’Avenir. Jos Donvil, aujourd’hui, prétend avoir toujours été partisan du petit format, plébiscité par les lecteurs: on sait quel poids accorder à ses affirmations à géométie variable.

L’enjeu de tout ce qui se joue depuis quelques jours aux Éditions de l’Avenir dépasse, de loin, la nécessité d’appliquer un plan social pour redresser la situation financière d’une entreprise de presse.

Les réactions de solidarité exprimées par les société de journalistes des autres médias francophones, les témoignages d’encouragement prodigués par de nombreux lecteurs l’indiquent clairement: c’est l’existence d’une presse libre et critique, qui est en cause.

Il appartient au pouvoir politique d’en tirer les conséquences avec d’autant plus de vigueur que, dans le cas de l’actionnaire de L’Avenir, Nethys, et de son intercommunale faîtière Publifin, dont le changement de nom en Enodia n’a pas effacé le souvenir des dérives, le pouvoir wallon avait pris une série de recommandations, dont bien peu ont été respectées. À commencer par celle qui voulait imposer des conseils d’administration indépendants, aux filiales privées de Publifin, pardon, d’Enodia. La composition du conseil d’administration des Éditions de l’Avenir (et la manière dont il se réunit et prend ses décisions) montre qu’on est loin du compte.

Si toutes ces possibilités de faire échec à la volonté déclarée de l’actionnaire des Éditions de l’Avenir échouent, il me restera toujours une ultime ressource: en qualité d’ancien président de la Fédération Internationale des Journalistes, je pourrai presser celle ou celui qui me succédera en juin à cette fonction d’interpeller les autorités belges, communautaires et wallonnes, pour leur expliquer qu’une presse libre peut bénéficier aux autorités en place dans la mesure où elle est libre de les critiquer. Et donc de gagner en crédibilité, même quand elle approuve leur action…

Le bout du tunnel reste lointain…

Le déroulement des événements, depuis la rédaction de ce billet, n’a guère permis de faire évoluer les choses. D’abord parce que les syndicats, une nouvelle fois, non seulement se sont engouffrés tête baissée dans le piège qui leur était tendu, et n’ont négocié que le volet social d’un problème bien plus large , mais qu’en plus, ils ignoré leur propre pratique en signant un accord sur la réintégration, à des conditions très discutables, des trois journalistes injustement licenciés, avant de le soumettre à une assemblée générale du personnel. Ils auraient été mieux inspirés, en l’occurrence, de se souvenir de la manière dont leurs dirigeants procèdent, avec le projet d’AIP négocié au sein du « Groupe des Dix »….

Cette assemblée s’est déroulée de manière très fraîche pour eux: journalistes et non-journalisets ont rappelé aux négociateurs syndicaux que, habituellement, un projet d’accord est soumis à l’approbation du personnel. Et que, quel que soit le résultat du vote, c’est forts de la confiance de leurs mandants que les délégués et permanents peuvent retourner auprès de la direction pour signer l’accord… ou s’atteler à le renouveler.

Et puis manque toujours un engagement ferme sur l’indépendance rédactionnelle, sérieusement mise à mal par le « lock-out » opéré par la direction, une grande et triste première pour la presse belge. Dans la foulée, l’assemblée générale a mandaté à la quasi unanimité l’Association des Journalistes Professionels (AJP) et la Société des Rédacteurs (SDR) pour aller négocier ce volet de leurs revendications.

A priori, tout semblait s’engager favorablement: la direction générale avait accueilli les représentants de la rédaction, pris note de leurs remarques, et annoncé un nouveau rendez-vous pour ce vendredi 8 mars dans la matinée. Puis, comme il y a quelques semaines, la mécanique s’est grippée. Le rendez-vous a été reporté à lundi, au-delà du week-end. Officiellement parce que tous les acteurs étaient fatigués? Ou bien parce qu’il faut laisser le temps à Liège de dicter ses conditions?

Et puis une interview, à paraître ce samedi, de l’administrateur-délégué, Jos Donvil, dans les colonnes du journal, ne laisse rien présager de bon. Une fois de plus – on se demande bien dans quelle école de formation des cadres ont peut bien enseigner que pour résoudre un problème, ce n’est pas avec ceux qui l’ont posé qu’on doit chercher une solution, mais avec d’autres interlocuteurs – il y annonce refuser toute négociation avec l’AJP « qui n’est pas un syndicat » et avec laquelle il n’entend donc que « discuter ».

L’expérience du plan social, qui ne s’est désembourbé qu’après un dimanche de négociation avec les représentants des journalistes, ou celle, toute fraîche, des licenciements brutaux opérés (Jos Donvil dénonce une « grève sauvage », sans envisager que semer le vent amène souvent à récolter la tempête!) ne lui auraient donc rien enseigné?

Quant au « lock-out », dénoncé par la Fédération Européenne des Journalistes devant le conseil de l’Europe, Jos Donvil le… nie tout simplement.

« Quand un chauffeur des camion est en grève, il n’a pas besoin des clés du véhicule », explique-t-il. Mais l’accès au site web et aux réseaux sociaux du journal ont été coupés pendant deux jours, y compris ce mercredi quand les journalistes avaient décidé de la reprise du travail, sous la menace d’une nouvelle grève le vendredi, si rien ne changeait. Raison pour laquelle la direction n’a pas rouvert les robinets, argumente l’administrateur-délégué de L’Avenir.

C’est bien cela l’objet de l’alerte lancée au Conseil de l’Europe: au moment où les journalistes voulaient reprendre leur travail, c’est bien la direction qui les en a empêchés. C’est ce qu’on appelle un lock-out, tout simplement.

Tel M. Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, Jos Donvil aurait-il mis en oeuvre le premier lock-out de l’histoire de la presse belge sans s’en rendre compte?

Jusqu’à quand les assassins de journalistes resteront-ils impunis?


Le journalisme d’investigation a une nouvelle fois payé un lourd tribut à son indépendance d’esprit et à la liberté d’expression ce week-end: le corps de la journaliste bulgare Victoria Marinova (TVN), violée et étranglée, a été retrouvé ce samedi soir à Roussé, tandis qu’en Turquie, tout indique que Jamal Khashoggi, journaliste saoudien critique qui collabore notamment avec le Washington Post, à lui aussi été assassiné. Entré mardi dernier au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, il n’a plus réapparu depuis lors, et sa mort a publiquement été évoquée par les autorités judiciaires turques qui enquêtent sur sa disparition et laissent entendre qu’il aurait été tué dans l’enceinte même du consulat. L’Arabie Saoudite dément et affirme que Jamal Khashoggi est ressorti libre de son consulat à Istanbul mais n’a pu fournir la preuve de cette assertion. Le consulat doit pourtant enregistrer entrées et sorties, et s’il est équipé de caméras de surveillance, il ne serait pas difficile de démontrer ce qui est affirmé.

Les noms de Victoria Marinova, à coup sûr, et de Jamal Khashoggi plus que probablement vont ainsi s’ajouter à la sinistre liste des 72 journalistes et collaborateurs de presse répertoriés par la Fédération Internationale des Journalistes depuis le début de cette année, et au scandale de leur mort violente s’ajoutera sans doute le scandale de l’impunité dont bénéficient leurs assassins. Les récents progrès faits en Slovaquie dans l’enquête sur l’assassinat de Jan Kuciak et de sa fiancée n’est en effet que l’arbre qui cache la forêt. Selon des chiffres dévoilés par la FIJ lors d’un colloque sur l’impunité il y aura bientôt deux ans, neuf assassinats de journalistes sur dix restent impunis dans le monde. À Malte, par exemple, les commanditaires de l’assassinat de Daphné Caruana restent inconnus, et on n’est pas certains que ce sont bien ses meurtriers qui sous les verrous.

Une des raisons qui expliquent cette situation scandaleuse tient sans doute dans le fait que des assassinats de journalistes ne sont pas considérés d’office comme une atteinte à la liberté de la presse, à laquelle tant d’États se disent attachés, du moins en théorie. Si des enquêteurs doivent travailler au départ sur toutes les hypothèses possibles, pourquoi ne pas privilégier l’attaque contre la journaliste critique plutôt que l’agression sexuelle dans un cas comme celui de Victoria Marinova?

La création au niveau de chaque État d’équipes de magistrats spécialisés dans les attaques de journalistes aiderait aussi à systématiser des enquêtes qui pourraient conduire plus souvent à l’arrestation d’assassins et de leurs donneurs d’ordres.

L’indifférence favorise aussi cette impunité, à commencer par celle des journalistes eux-mêmes : hors les médias bulgares et peut- être de la région, hors les médias turcs et quelques médias arabes dont Al Jazeera, victime, il faut s’en souvenir, d’une demande de fermeture formulée par une coalition menée par… l’Arabie Saoudite, AUCUN des multiples journaux télévisés que j’ai vus ce week-end (France, Belgique, Allemagne, USA, Espagne) n’ont mentionné ou fait un gros titres des « affaires » Marinova ou Khashoggi! Comme si cela ne nous concernait pas, nous, journalistes qui avons la chance de vivre dans un monde où la principale menace sur notre liberté ne venait que d’actionnaires ou de gros clients publicitaires plus que de politiques. Personne ne peut pourtant se croire vraiment à l’abri, et la solidarité professionnelle doit être notre outil essentiel de résistance.

À la fin de ce mois, par ailleurs, la FIJ ramènera le scandale de l’impunité devant l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York en invitant les États à appuyer un projet de texte contraignant en la matière. Là aussi, il y aura de l’indifférence voire de la réticence à surmonter. Certains pays, heureusement, ont déjà annoncé leur appui, j’ose espérer que la Belgique, qui a fait dès le début de la liberté de la presse une valeur fondamentale de sa démocratie, se joindra à eux. Les contacts pris sont prometteurs…

Le plus difficile commence maintenant


Après les télévisions hier, tous les médias écrits d’Europe, voire du monde, reviennent aujourd’hui sur le colossal succès des manifestations pour la liberté d’expression et la liberté de presse qui se sont déroulées hier, principalement à Paris et dans les grandes villes françaises, mais aussi à Bruxelles et dans de multiples villes européennes, et au-delà, en Amérique, en Afrique, en Asie, et aux antipodes.

manif-charlie-hebdo-11012015-paris-MV-1L’unanimisme de tous ces manifestants fait chaud au cœur, il pose aussi un fameux défi. Car si tous se sont joints pour défendre les principes mêmes de notre société démocratique, les avis seront forcément partagés sur la suite à donner aux événéments de la semaine dernière à Paris. Et, outre l’auteur de ce blog, nombreux ont été ceux qui ont souligné aussi l’incongruité de la présence de certains responsables politiques, aux côtés de François Hollande, le président français: du ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, au Premier ministre Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu; du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, à son homologue turc, Ahmet Davutoglu; du président gabonais, Ali Bongo Ondima, au ministre des Affaires étrangères des émirats arabes unis, Abdallah Bin Zayed, tous, loin s’en faut, ne sont pas des parangons de la défense de la liberté de la presse. Et ce n’est pas leur faire un procès d’intention indécent que de dire que leur présence était sans doute surtout motivée par la nécessité d’être présent à Paris, à ce moment précis. Et qu’elle se fondait beaucoup plus sur la nécessité de lutter contre le terrorisme que sur la volonté de promouvoir une information libre et indépendante.

Les optimistes diront qu’il faut exploiter la faille, et les interpeller, désormais, sur leur attachement à la liberté d’expression et de la presse, qu’exprimait leur présence à cette manifestation, pour exiger d’eux qu’ils la respectent enfin chez eux. La carte est à jouer, dans l’esprit de la maxime invoquée par Guillaume le Taciturne, «point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, de réussir pour persévérer».

bruxelles-marche-blanche-1996-460x287Les pays démocratiques, la France en particulier, doivent eux aussi répondre à l’appel qui leur est ainsi lancé. Ce sera très difficile. Comme le rappelait excellemment Jean-Pierre Martin, ce matin, sur Bel RTL, la Belgique a connu une situation semblable, en 1996, avec la grande «Marche blanche» de Bruxelles, au lendemain de la découverte des crimes horribles de Marc Dutroux. Là aussi, tous les participants étaient réunis pour réclamer que plus jamais, de pareils drames se produisent. Quant il a fallu traduire cette demande dans les actes (réforme de la justice, réforme de la police…), les résultats n’ont pas répondu à l’attente des centaines de milliers de marcheurs. Qui tous avaient leur idée propre sur ce qu’il fallait faire pour répondre à la demande. Où la mis en œuvre de la peine de mort figurait sans doute en tête de liste…

Demain, la suite qui sera donnée à la grande journée d’unanimisme du 11 janvier 2015 apparaîtra forcément dérisoire. Pour ne pas passer à côté, elle devra concilier diverses exigences: efficacité des services de renseignement et de police; respect des libertés fondamentales; promotion de la liberté d’expression et de la liberté d’opinion. Et rejet de toute forme de racisme dans l’esprit de ce message impressionnant, diffusé par la famille d’Ahmet Merabet, l’agent de police froidement assassiné par les frères Kouachi, au mépris même des valeurs qu’ils prétendaient défendre (https://www.youtube.com/watch?v=ZQ_BS5jB6vw). C’est l’affaire des politiques, français et européens. C’est aussi notre affaire à tou(te)s. Cela commence peut-être par l’envoi directement à la poubelle des courriels racistes qui nous parviennent chaque jour….

L’Europe s’est exprimée, à ses responsables de répondre!


L’Europe a répondu en masse dans la rue ce dimanche aux intégristes qui espéraient lui faire peur et lui imposer le silence. Le nombre des manifestants était particulièrement imposant à Paris, mais ce qui est peut-être surtout significatif, ce sont les défilés qui se sont déroulés simultanément dans d’autres villes françaises, et surtout, en même temps, dans de multiples villes européennes, grandes, moyennes, et petites.

Manifestation ParisC’est la première fois, sans doute, que l’opinion européenne s’exprime de manière aussi claire, sur tout le continent: l’événement, en soi, est un démenti fort à tous les «eurosceptiques» qui, du Front National de Marine Le Pen à l’Ukip de Nigel Farage et à l’Alternativ für Deutschland ne jurent que par le repli nationaliste frileux.

Et, au-delà de l’hommage qu’ils voulaient exprimer aux victimes des actes criminels de la semaine, les citoyens européens se sont ainsi exprimés sans équivoque pour la liberté d’opinion, la liberté de la presse, et la volonté de vivre ensemble.

Tous les politiques qui défilaient en tête de cortège aux côtés du président français, François Hollande, ne sont pas des parangons de respect de la liberté de la presse: en Hongrie, en Russie, ou, comme déjà dit ici, en Turquie, les journalistes ont la vie dure.

Mais, justement, le succès de ces manifestations diverses imposent aujourd’hui aux dirigeants européens de répondre à l’affirmation ainsi fermement posée. La répression nécessaire du terrorisme obscurantiste, qui ne sévit pas qu’en Europe (cf. les assassinats de masse de ce week-end au Nigeria) ne peut se faire au détriment de la liberté d’expression. Et la réponse doit nécessairement être apportée au niveau européen. Car le terrorisme n’a pas de frontière. Et parce que, depuis ce dimanche, c’est l’opinion européenne qui la réclame.

Sauver Charlie!


«On a tué Charlie Hebdo» auraient lancé les «nazislamistes» (néologisme créé ou repris par le bloggeur Marcel Sel) en quittant hier les locaux de l’hebdomadaire où ils avaient courageusement massacré à l’arme lourde des personnes qui n’avaient que leurs idées pour se défendre. Il faut absolument leur donner tort. D’abord en combattant l’autocensure insidieuse qui risque de paralyser le crayon d’un certain nombre de caricaturistes, pas les plus grands bien sûr, mais pas nécessairement les moindres non plus, qui ne se rendront pas forcément compte de cette limitation inconsciente de leur liberté d’expression.

CharlieMais il faut surtout sauver Charlie parce que, privé de ses dessinateurs emblématiques, l’hebdo, qui était déjà en délicatesse financière, risque de disparaître du paysage médiatique. Bien sûr, ce ne serait pas la première fois dans son histoire mouvementée. Mais sa disparition, ici, consacrerait une victoire des salauds qui y ont semé la mort.

Alors, achetons tous le prochain numéro de «Charlie Hebdo», surtout si nous n’en sommes pas spécialement amateurs. Faisons de ce prochain numéro un «collector» qui explosera ses chiffres de vente, et lui apportera un répit financier, pour lui permettre de survivre, difficilement, sans ses têtes d’affiche. D’autres talents viendront les remplacer. Pour que l’impertinence subsiste!

Politiques et journalistes: un débat de luxe? Politicians and journalists: luxury debate?


My comments on this blog about the former Flemish minister of Economy’s complaint, Fientje Moerman, about the media’s behiavour towards the politicians drew to my surprise the attention of an estimated colleague from Pakistan.

My first reaction was a surprized one. My second was kind of an ashamed one: I wondered how we, Belgian politicians and journalists could complain, while other politicians and journalists in the world live in far more difficult and dangerous conditions as we do in our country? Don’t we, journalists, realize how lucky we are to live in a country where from the very beginning the Constitution states that « the press is free. Censorship may never be introduced« , and where from the very beginning press freedom was respected? Are we aware enough that around the globe, journalists can’t live from their profession, receiving money from politicians they interview (to go on with the relation between politicians and journalists) but nevertheless maintaining their independence? Do we remember that in many countries, and notably in Pakistan, journalists are jailed, assaulted or murdered, just because they want to tell the truth and play their societal role? And the very same way, don’t our politicians, and notably Mrs Moerman, remember that in many countries, being an opposition’s member means risking his/her liberty or his/her life?

journauxIn this context, one could think that the questioning of practices like joined interviews of politicians; imposed political interlocutors or themes; or interviews’ refusals tends to look like a luxury debate in a country where journalists and politicians forget the liberty they enjoy.

On the second hand, nevertheless, I had to review my questioning. Of course, we, journalists, enjoy press freedom in Belgium. But the problems we face recall us that press freedom is never granted. Even though respecting press freedom from the very beginning of its existence, Belgium was condemned  in 1999 by the European Court of Human Rights for violating it: as a result, the Belgian Parliament adopted a very liberal and exemplary law protecting the journalistic sources. But the fight for press freedom is a never ending fight. First, you have to secure the journalists’ life and safety. Then to protect their freedom of expression by law. But don’t think the goal is reached by then. Still, you have to be attent. If the political pressure is lifted (or supposed to be lifted), the economic pressure is there. The auto-censorship has to be fought against. And then come the « new form » of « censorship », like imposing an interlocutor or an interview’s theme or preventing journalists to ask all questions they want during an interview.

This may sound pessimistic; the Pakistani colleague’s interest for this blog shows that journalists can be found everywhere in the world who want to fight for press freedom. My conclusion is on the contrary resolutely optimistic!

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Mon précédent billet, sur les plaintes de l’ancienne ministre flamande de l’Economie, Fientje Moerman, relatives à l’attitude des médias à l’égard des mandataires politiques, a retenu, à ma grande surprise, l’attention d’un confrère pakistanais.

Mais si ma première réaction a été une réaction de surprise, ma deuxième a été une réaction de honte: je me suis demandé comment nous, responsables politiques et journalistes belges, nous osons nous plaindre, alors que, partout dans le monde, des politiques et des journalistes évoluent dans un contexte bien plus difficiles et dangereuses que dans notre propre pays? En particulier, nous, journalistes, nous rendons-nous compte de la chance que nous avons de vivre dans un pays où, depuis l’origine, la Constitution énonce que «la presse est libre. La censure ne pourra jamais être établie» et qui, depuis lors, a toujours respecté la liberté de la presse? Nous souvenons-nous que, dans de nombreuses régions du globe, les journalistes ne peuvent pas vivre de leur métier, et acceptent donc de l’argent des mandataires politiques qu’ils ou elles interviewent (pour rester dans le thème des relations entre journalistes et politiques), sans pour autant abdiquer leur indépendance? N’oublions-nous pas que dans de nombreux pays, dont le Pakistan, des journalistes sont agressés, emprisonnés, ou assassinés, simplement parce qu’ils veulent dire la vérité, et jouer leur rôle sociétal? Et Mme Moerman, elle, ne sait-elle pas que, dans de nombreux pays, être membre de l’opposition conduit tout droit en prison? Voire constitue une menace pour la vie?

images Dans ce contexte, il y a de quoi se dire que s’interroger sur des pratiques comme l’imposition d’interlocuteurs ou de thèmes d’interviews; le refus de demandes d’interviewes; ou l’octroi d’interviewes nécessairement à quatre mains, voire plus s’apparente à un débat de luxe dans un pays où les journalistes, et les politiques, jouissent d’une liberté dont ils et elles n’ont plus conscience.

A bien y réfléchir, cependant, je suis revenu sur cette première impression. Bien sûr, en Belgique, la liberté de la presse a cours. Mais les problèmes auxquels nous sommes confrontés montrent bien que la liberté de la presse n’est jamais acquise une fois pour toutes. Même si elle respecte la liberté de la presse depuis sa fondation, la Belgique a ainsi été condamnée en 1999 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour l’avoir violée. à la suite de quoi, elle s’est dotée d’une loi très libérale et exemplaire sur la protection des sources journalistiques. Mais le combat pour la liberté de la presse ne se termine jamais. D’abord, bien sûr, il faut garantir la vie et la sécurité des journalistes. Puis garantir par la loi leur liberté d’expression. Mais une fois cela fait, tout n’est pas dit! Il faut au contraire redoubler d’attention. Car une fois les pressions politiques éliminées (ou réputées telles), il faut faire face aux pressions économiques. S’attaquer à l’autocensure. Puis faire face à ces «nouvelles formes» de «censure», comme le choix imposé d’interlocuteurs ou de thèmes d’interviewes, ou la limitation du choix des questions d’interviews.

Toutes ces réflexions peuvent apparaître bien pessimistes; l’intérêt (immérité) porté par un confrère pakistanais à un billet de ce blog démontre le contraire. Il prouve qu’il se trouvera toujours, dans le monde, des journalistes mobilisés pour défendre leur liberté. Et cela, c’est une conclusion optimiste!

Un ambassadeur peu diplomatique


Expérience insolite que celle que j’ai vécue, cette semaine, en commission des Relations internationales du Parlement flamand: les députés qui en font partie débattaient de deux projets de motions condamnant la répression violente des manifestations du parc Gezi, à Istanbul, en juin dernier, et ils avaient décidé d’élargir le débat à la question des droits de l’homme en Turquie, et plus particulièrement à la liberté de la presse. J’étais donc parmi les invités de la commission, au même titre que Dirk Rochtus, professeur de sciences politiques internationales à la KUL et sur le site anversois de l’université catholique de Leuven; Ria Oomen-Ruijten, députée européenne du CDA/PPE; et last but not least, Son Excellence M. Mehmet Hakan Olcay, ambassadeur extraordinaire de la République de Turquie à Bruxelles.

C’est à ce dernier que les députés flamands ont adressé le plus de questions. Et pour cause: il est rare de voir un ambassadeur d’un pays étranger solliciter lui-même son audition par une commission parlementaire, afin d’y commenter un texte qui y sera débattu. Mais ce qui a sans doute le plus surpris les membres de la commission des Relations internationales du Parlement flamand, c’est la manière fort peu… diplomatique dont le diplomate leur a demandé de retirer les projets de motions dont ils discutaient.

b73eab56-1bf0-4e19-b5a3-7626a451c0a0L’argumentation de  M. Mehmet Hakan Olcay était d’abord classique: les contestataires du parc Gezi, pacifiques au départ, avaient été débordés par des manifestants venus pour perturber l’ordre public; et l’État turc, comme n’importe quel État démocratique, doit assurer à la fois la liberté de manifester et la sécurité de ses citoyens. La répression de ces éléments perturbateurs s’est faite selon les règles en vigueur dans les pays européens, a plaidé Son Excellence, images, notamment, de la manifestation des sidérurgistes liégeois d’ArcelorMittal à Namur, il y a quelques mois.

Mais c’est surtout sa péroraison en forme d’avertissement qui a suscité une vive réaction des parlementaires. Ce genre de motion, au Parlement européen, au Parlement fédéral, ou dans un Parlement régional, envenime les relations entre la Turquie, l’Union Européenne, ou le pays ou la région concernés, a-t-il plaidé. Et en Belgique, a-t-il menacé, pareil texte pourrait… provoquer la colère de la communauté turque de Belgique.

L’effet produit par sa déclaration a été sans doute exactement l’inverse de celui que l’ambassadeur extraordinaire espérait: les députés flamands n’en ont été que plus résolus à pousser en avant les projets de motions qui leur étaient soumis.

L’attitude de M. Mehmet Hakan Olcay n’en est pas moins interpellante. Avant sa désignation à Bruxelles, il a en effet exercé pendant cinq ans la fonction de chef de département au cabinet du Premier ministre turc, M. Recep Tayip Erdogan, et ce avec le titre de ministre plénipotentiaire les trois dernières années. C’est donc un fidèle du pouvoir, et un très proche du Premier ministre, qui s’est exprimé cette semaine à Bruxelles. On peut donc estimer que les menaces qu’il a exprimées reflètent parfaitement le point de vue du gouvernement turc. À l’inverse, on pourra estimer que cette nervosité résulte des campagnes menées pour le respect des droits de l’homme en Turquie, et notamment de la campagne de la Fédération Européenne des Journalistes pour le respect de la liberté de la presse dans ce pays. Mais si tel est l’état d’esprit qui règne à Ankara, ces campagnes devront se poursuivre un certain temps encore, avant que la démocratie turque soit vraiment exemplaire…