Une vague d’indignation soulève (enfin) la France, en réaction aux attaques racistes répétées qui ciblent, depuis des semaines, la ministre de la Justice, Christiane Taubira.
C’est la «une» puante de l’hebdomadaire d’extrême-droite «Minute» qui provoque cette réaction de salut public. Ses «journalistes» ont tenté de se défendre en argumentant que des expressions comme «maligne comme un singe» ou «retrouver la banane» font partie du langage courant. Ils n’ont évidemment abusé personne. Ils n’ont heureusement pas osé plaider la liberté d’expression, ou le droit à l’insolence dont se prévalent les journalistes satiriques. C’est que la presse satirique se réclame de valeurs aux antipodes de celles de l’extrême-droite. Et que ses journalistes souscrivent à la «Déclaration des devoirs et des droits des journalistes» (je souligne à chaque fois l’ordre des termes) par laquelle ils s’obligent au respect de la vie privée des personnes, et s’interdisent toute forme de calomnie ou de diffamation. Dans le cas de «Minute», on est loin du compte!
Christiane Taubira a fait preuve d’une très grande sagesse, en refusant de porter plainte contre ce torchon, soulignant que cela lui ferait une publicité malvenue. Et cela aurait sans doute donné l’occasion à ses rédacteurs de jouer aux martyrs, victimes d’une forme d’intolérance.
L’opprobre professionnelle dont ils font l’objet constitue la meilleure des réponses.
On évaluera leur attitude à l’aune de celle de leurs prédécesseurs, qui, dans l’Entre-deux-Guerres, se sont rendus coupables d’une campagne de diffamation semblable à l’égard de Roger Salengro. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement populaire de Léon Blum a fait, en 1936, l’objet d’attaques continuelles menées par l’«Action française» et par l’hebdomadaire «Gringoire» qui l’accusaient d’avoir déserté pendant la Première guerre mondiale. Faisant mine de donner dans le calembour, «Gringoire» réclamait à sa place un ministre… «Propre en gros». Jeu de mots très commun, aurait sans doute dit son auteur, si on l’avait fustigé comme on fustige aujourd’hui «Minute».
Même le jugement d’une commission militaire, spécialement constituée à cet effet, qui le lavera de cette accusation infamante à l’époque, ni le soutien massif de la Chambre des députés, ne parviendront à mettre fin à cette campagne de calomnie. Et Roger Salengro se suicidera dans la nuit du 17 au 18 novembre 1936, jetant dans une lettre d’adieu, adressée à Léon Blum, «S’ils n’ont pu réussir à me déshonorer, du moins porteront-ils la responsabilité de ma mort».
À près de quatre-vingts ans de distance, l’extrême-droite française, et pas seulement française d’ailleurs, n’a pas changé dans ses pratiques. Elles restent toujours aussi nauséabondes!