Tirez(-vous) les premiers, messieurs les Anglais!


Brexit illustréLe marathon européen de la fin de semaine a donc permis à David Cameron de rentrer au Royaume-Uni en fanfaronnant qu’il avait obtenu «le meilleur des deux mondes». D’annoncer dans la foulée le référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union Européenne, ou du moins avec un pied dans l’Union Européenne pour en retirer tous les bénéfices, et un pied en dehors pour ne pas en assumer toutes les obligations. Et d’entamer une campagne pour le «oui» en soulignant tous les dangers que représenterait pour son pays le Brexit, autrement dit, la sortie de l’Union Européenne.

Christophe BarbierEt bien pour paraphraser Thierry Chopin, directeur des études de la Fondation Robert Schuman, dans la dernière émission C dans l’air de la semaine dernière, j’aurais tendance à dire «Tirez… vous les premiers, messieurs les Anglais!», mais plus dans le sens de
Christophe Barbier, éditorialiste de L’Express, que dans celui de Thierry Chopin lui-même.

Car si David Cameron dit vrai, quand il pose qu’il a obtenu «le meilleur des deux mondes», on doit bien en conclure que ses vingt-sept partenaires européens, eux, doivent payer le beurre, mais que la crémière, qui leur pend la gueule, ne le leur donne pas mais l’offre aux Britanniques!

Le Premier ministre de sa Gracieuse majesté, lui, révèle pour l’occasion son manque d’envergure politique: il suffit donc de changer les conditions d’adhésion du Royaume-Uni à l’Union Européenne, notamment en réduisant les prestations sociales pour les travailleurs migrants en provenance d’autres pays de l’Union, pour que le Brexit devienne dangereux pour son pays? Que son économie risque de partir en quenouille? Que la City risque de se désagréger? Ah, qu’il est loin le temps de Winston (Churchill) et de la vision à long terme qu’il avait pour gérer la politique!

Les Britanniques ne s’y trompent pas, d’ailleurs: en dépit des rodomontades de leur Premier, l’écart entre partisans de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne et partisans de son maintien reste significatif. Pour le plus grand bonheur de l’UKIP et de son leader, Nigel Farrage, dont, soit dit au passage, un Brexit aurait le mérite de nous débarrasser définitivement!

L’Union Européenne souffrirait de la perte du Royaume-Uni, peut-être autant que le Royaume-Uni lui-même du Brexit. Mais gagnerait-elle à conserver un État-membre dont la seule fonction est de pomper ses ressources sans rien lui apporter en retour?

Pour ne plus revivre le psychodrame grec, une Europe plus intégrée, tout simplement


La semaine a été terriblement difficile pour le gouvernement d’Alexis Tsipras, mais il a fait finalement passer en deux temps les réformes qui lui étaient imposées par l’Union Européenne, pour bénéficier de l’aide financière qui permettra à son pays de faire face à ses obligations financières, et de rester dans l’euro.

n001-150716-005On glosera sans doute à l’infini sur le psychodrame que l’Union Européenne vient de vivre, avec le dossier grec. Certains ne manqueront pas de souligner l’intransigeance des créanciers de la Grèce, tandis que d’autres rappelleront l’incurie des différents gouvernements grecs successifs qui n’ont jamais fait face à leurs responsabilités en la matière. Les premiers rappelleront qu’Alexis Tsipras n’a aucune responsabilité dans la gestion passée de la Grèce; les seconds dénonceront le caractère démagogique des propositions extrêmes sur lesquelles il s’est fait élire. Les défenseurs du leader de Syriza se mueront en procureurs, en l’accusant maintenant de trahir ses engagements électoraux et de faire approuver des mesures auxquelles il ne croit pas et contre lesquelles il avait demandé au peuple grec de voter lors du récent référendum; ses contempteurs se transformeront en ses défenseurs, en soulignant les responsabilités qu’il endosse désormais, et en rappelant que si les Grecs s’étaient prononcés à 60% contre l’austérité, ils étaient à  plus de 75% favorables au maintien de la Grèce dans l’euro. En veillant à ce que son pays conserve la monnaie unique, ils répond donc à l’attente du peuple grec. Et au risque de provoquer une fracture dans la coalition hétéroclite qu’il dirige; fracture mouvante d’ailleurs: Iannis Varoufakis, le ministre des Finances qu’il a sacrifié à l’Europe avait voté contre le premier train de mesure, se posant en icône de la gauche extrême grecque et européenne; puis ce jeudi, il a voté en faveur du deuxième train…

flags-european-union-greece-28690170Le tout, maintenant, est de tirer les leçons de ces événements, afin qu’ils ne se reproduisent plus dans l’avenir. Mettre les économistes d’accord entre eux se révélerait, sur de plan, encore plus compliqué que de faire s’accorder des juristes sur la solution d’un problème posé. La réponse doit donc venir du politique. Pas de la politique politicienne, de gauche ou de droite, non, mais de la «grande politique».

Car tous les économistes sont au moins d’accord sur un point: l’union monétaire européenne est fragile, parce qu’elle ne s’est pas accompagnée d’une union économique et fiscale, et, ajouterais-je, sociale. Faute de quoi, la Grèce, pour rester dans l’euro, a été obligée d’adopter les mêmes règles budgétaires que celles qui prévalent au sein de la zone. Pour qu’elle bénéficie de compensations fiscales, notamment, comme ce serait le cas pour un État en difficultés des États-Unis (rappelons-nous la Californie, naguère), il faudrait, somme toute… des États-Unis d’Europe.

Cela tombe bien: c’était le rêve des fondateurs de l’Europe, il y a six décennies. Depuis lors, il est vrai, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, et les tendances, pour l’heure, sont beaucoup plus au repli nationaliste, voire sous-nationaliste, qu’à une plus grande intégration européenne. L’influence du Royaume-Uni, à cet égard, est particulièrement contre-productive: au moins le référendum annoncé par David Cameron clarifiera-t-il les choses: si les Britannique veulent rester dans l’Union, il faudra leur rappeler que cette Union ne peut se limiter à un «grand marché». Et s’ils décident d’en sortir, un obstacle important à l’intégration sera levé.

Resteront tous les mouvements de droite extrême et d’extrême-droite qui ont relevé la tête un peu partout sur le continent: la meilleure arme pour les combattre ne consiste pas à leur courir après, car l’électeur préfère toujours l’original à la copie, mais à leur opposer une alternative qui offre de bien meilleures perspectives. Et proposer une véritable Union européenne, c’est définitivement jouer dans une division supérieure!

La résolution du problème grec pour douloureuse qu’elle ait été, constitue paradoxalement peut-être un premier pas dans cette direction. Car cette résolution, qu’on l’apprécie ou non, a été… européenne.

L’Organisation Internationale de la Francophonie n’est pas réservée aux seuls Francophones


«Le français, rien que pour les Francophones»: c’est, à peine caricaturée, la position de Geert Bourgeois. La présence de la Belgique, État trilingue, à l’Organisation Internationale de la Francophonie donne apparemment des boutons au ministre-président N-VA flamand, qui entend qu’à l’avenir, ce soit la Communauté française de Belgique qui y siège. «Communauté française de Belgique», et pas «Fédération Wallonie-Bruxelles»: cette dénomination, elle, lui donne de l’urticaire et il veut la faire proscrire. En rappelant, à juste titre-là, que seule la première appellation est constitutionnelle et légale.

bourgeois-300x218Si l’on suit donc le raisonnement de Geert Bourgeois, l’OIF ne peut donc s’adresser qu’aux seuls 270 millions de Francophones dans le monde. Parmi lesquels, donc, les Wallons, et comme le disait Julos Beaucarne, «volà pouqwê no s’tons fîrs d’èsse Walons».

La prise de position de Geert Bourgeois témoigne, à tout le moins d’un certain culot: à quel titre pourrait-il imposer à une organisation son mode de fonctionnement et son périmètre d’activité?

L’Organisation Internationale de la Francophonie regroupe, pour rappel, 80 États et gouvernements dans le monde (57 États-membres et 23 observateurs) «qui procèdent du partage d’une langue, le français, et de valeurs universelles».

Tous ces États, loin s’en faut, ne sont pas exclusivement francophones. La présence de certains d’entre eux au sein de l’OIF peut même étonner, je le concède: la population francophone du Qatar, le dernier arrivé, doit être assez limitée. Mais la promotion de la langue française «et de la diversité culturelle et linguistique» ne peut, par définition, se limiter aux territoires exclusivement francophones. La nouvelle secrétaire générale de l’Organisation, Michaelle Jean, ne vient-elle pas du Canada, pays bilingue par excellence? Le Rwanda, où l’anglais occupe une place prépondérante dans l’administration depuis l’instauration du pouvoir actuel, y a tout autant sa place. Et tant d’autres. Pour tous ces pays, faire partie de la Francophonie est à la fois un atout et une chance de diversité linguistique: ils sont heureux du soutien que l’Organisation internationale peut apporter aux initiatives francophones sur leur territoire.

La remarque de Geert Bourgeois est donc particulièrement inappropriée. Elle ne surprend pas: la promotion de la diversité linguistique ne figure en effet pas au programme de la N-VA. Sa vision d’une Région, qu’il espère voir devenir un pays, linguistiquement homogène, est par ailleurs particulièrement irréaliste: hors le français que les flamingants abhorrent, bien d’autres langues sont parlées sur le territoire flamand. Au fait, si le rêve d’une Flandre indépendante, que la N-VA caresse, devait se réaliser un jour, il lui faudrait bien, pour adhérer à l’Union Européenne et entrer au Conseil de l’Europe, adopter la convention-cadre sur la protection des minorités, car elle ne pourrait plus invoquer, comme elle le fait actuellement pour la Belgique, les protections particulières dont bénéficie  la minorité francophone. Et donc, par là, autoriser la Communauté française de Belgique à soutenir des initiatives culturelles en Flandre, comme elle peut le faire actuellement sur toute la planète… sauf au nord de la frontière linguistique.

Une réaction à nouveau désastreuse pour l’image de la Flandre

Si Geert Bourgeois avait suggéré qu’à l’avenir, un vice-Premier francophone assiste d’office aux assemblées de l’OIF, on l’aurait bien volontiers suivi. Comme on suppose que les Québécois en ont assez de voir un Stephen Harper, qui, lui, baragouine plutôt qu’il ne parle le français, y représente le Canada, il m’est arrivé, sur ce blog, de fustiger la présence à un sommet de la Francophonie d’un Premier ministre flamand s’exprimant en français sans maîtriser les subtilités de la langue.

Mais sur un plan plus général, la sortie de son ministre-président donne une nouvelle fois l’image d’une Flandre racrapotée sur elle-même, hostile à toute ouverture sur le monde. Pareille attitude, bien plus qu’une prétendue influence francophone sur les instances internationales et européennes ont fait à la Flandre une réputation extrêmement négative en Europe. Elle a conduit le Conseil de l’Europe à condamner plusieurs fois sont attitude à l’égard des Francophones de Flandre. Dans tout le monde francophone, cette perception négative, désormais, est encore plus ancrée.

Le sursaut européen est venu


La semaine dernière s’est bien achevée pour l’Union Européenne: les partenaires de l’Eurogroupe ont trouvé, vendredi,  un accord avec le gouvernement grec.

Sommet Eurogroupe-Grèce (2)Le compromis, en apparence, est bon, puisque les deux parties ont pu en tirer une conclusion positive. Côté grec, le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a pu annoncer un «tournant dans la politique européenne». Tandis que le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, soulignait, lui, que les règles communautaires ont été préservées, «puisque un membre ne peut venir solliciter une aide financière en imposant ses vues à l’ensemble des partenaires qui ont la même légitimité démocratique que lui».

Quelle que soit la lecture qu’on puisse donner de l’accord, aux opinions publiques intéressées, l’essentiel est dans la conclusion de cet accord. Car il prouve que l’Union Européenne peut gérer les situations les plus délicates, au bénéfice de ses citoyens autant que de ses institutions: bien des Grecs, qui se réjouissaient d’avoir enfin un gouvernement qui ose négocier avec l’Europe, n’en redoutaient pas moins un échec, qui aurait eu des conséquences catastrophiques pour un grand nombre d’entre eux. Une crainte d’autant plus grande que ce gouvernement abordait l’Europe sans laisser entrevoir la moindre possibilité de concession.

rtr4oc3eL’essentiel est connu: l’aide financière à la Grèce est maintenue, et la Grèce obtient un délai de quatre mois pour peaufiner le programme de réformes qu’elle poursuivra en contrepartie. Dès ce lundi, le gouvernement grec, et son bouillant ministre des Finances, apporteront déjà des précisions sur la manière dont ces réformes vont s’amorcer dans le pays.

Les choses ne se poursuivront pourtant pas comme avant en Grèce. Car l’objectif budgétaire fixé au gouvernement d’Alexis Tsipras a été «raboté» de moitié: l’excédent qui est attendu de lui n’est plus que de 1,5 et non 3% du Produit Intérieur Brut. Cela lui dégage 1,5 milliard d’euros pour entamer les réformes qu’il a promises aux Grecs durant la campagne électorale. Tout en faisant face aux conditions qui encadrent l’indispensable aide européenne.

Tout n’est pas réglé avec l’accord de vendredi. Et quand Yannis Varoufakis explique qu’il s’agit d’un «premier pas», tout le monde en convient sans doute, mais n’a pas forcément la même conception que le ministre grec des Finances de la poursuite du cheminement. Il reste quatre mois aux uns et aux autres pour se mettre d’accord. Et quand on s’est fait confiance une fois….

Un acte criminel qui en dit long


Étrange sentiment qui a été le mien, hier, en découvrant dans les dépêches d’agences la nouvelle de l’attentat dont a été victime Emmanuel de Mérode: il y a à peine plus d’un mois, j’avais pu, avec d’autres journalistes belges, rencontrer le conservateur du Parc naturel de Virunga, au Nord-Kivu, lors de la visite sur place du ministre belge de la Coopération, Jean-Pascal Labille, et du commissaire européen au Développement, Anders Piebalgs.

Emmanuel de MérodeL’essentiel, bien sûr, est qu’Emmanuel de Mérode a pu être secouru à temps, et que les balles qui l’ont frappé à l’abdomen et au thorax ont pu être extraites. Et que les nouvelles diffusées par l’hôpital Heal Africa, de Goma, soient rassurantes: on parle d’espoir de guérison. Et le transfert en Belgique du conservateur du Parc naturel est déjà envisagé, pour lui permettre de poursuivre sa convalescence.

Cet attentat n’en est pas moins hautement significatif, et particulièrement inquiétant. Le Parc naturel de Virunga, le plus grand du monde, classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979, est en effet particulièrement convoité: les groupes armés y braconnent et s’y approvisionnent en bois, mais surtout, les gisements pétroliers qui y ont été découverts attisent la convoitise.

Lors de notre visite sur place, au début mars, les défenseurs de l’environnement avaient longuement décrit les manœuvres de la société britannique Soco, détentrice d’un mystérieux permis gouvernemental, qui a décidé, manifestement de se lancer dans l’exploitation du pétrole dans le périmètre du Parc, au risque (vraisemblable) d’entraîner sa déclassification. Ils nous avaient expliqué les menaces de mort dont certains d’entre eux avaient été victimes, qui les avaient contraint à un exil temporaire. Ils avaient fait part de l’attitude ambiguë des autorités congolaises: des soldats en armes «encadraient» des «séances d’information» à la population sur l’intérêt de l’exploitation pétrolière. Ils avaient rappelé que la pêche dans le lac Édouard rapporte quelque 38 millions de dollars par an à l’économie et à la population congolaises.

Après les avoir entendus, Anders Piebalgs avait dénoncé le «double langage» des autorités à ce propos, et postulé un «pacte environnemental et un pacte avec la population locale» si on voulait aller de l’avant.

Entre-temps, en Ouganda, les plans sont prêts pour la construction d’une raffinerie de pétrole, et personne, sans doute, n’est enclin à écouter les paroles équilibrées du commissaire européen. Soit dit au passage, le Royaume-Uni fait (toujours) partie de l’Union Européenne, et la Commission serait fondée à lui demander des comptes sur le comportement de la société britannique Soco, même s’il s’agit d’un opérateur privé. Et la Belgique pourrait, elle aussi, l’interpeller, en réclamant une enquête sur l’attentat dont a été victime le conservateur, qui, selon le député MR François-Xavier de Donnéa, venait de déposer un dossier «compromettant» pour la compagnie pétrolière auprès du procureur de la République à Goma. Rien n’a décidément bien changé depuis l’époque où des milieux britanniques dénonçaient à juste titre les exactions prêtées aux colons de Léopold II, dans le but inavoué de tenter de faire passer sous bannière britannique une colonie dont la richesse ne leur avait pas échappé…

En visant Emmanuel de Mérode, les commanditaires de cet attentat, quels qu’ils soient, ont voulu manifester à la société civile du Nord-Kivu qu’ils ne reculeraient devant rien pour satisfaire leur appât du gain. Raison de plus pour l’Union Européenne de s’impliquer à ce niveau. On peut comprendre qu’un pays comme la République Démocratique du Congo ait besoin d’exploiter ses ressources naturelles, même si on a déjà eu plus d’une fois l’occasion de vérifier, spécialement au Nord et au Sud-Kivu, qu’elle ne bénéficie en rien du pillage de ses ressources, par des compagnies et pays étrangers. Faut-il donc que cette exploitation des gisements pétroliers potentiels (pas nécessairement dans le périmètre du Parc) s’exerce sous stricte surveillance. La population de la RDC, et spécialement celle des Nord et Sud-Kivu, a le droit de l’exiger. Et nous, le devoir de la soutenir.

L’Union Européenne doit-elle prendre parti dans la querelle ukrainienne?


Il ne se passe pas un jour sans que nos journaux télévisés nous repassent des images des manifestations «pro-européennes» qui se déroulent à Kiev pour l’instant, et qu’on diffuse de temps à autre une interview de manifestants réclamant le soutien de l’Union Européenne à l’opposition. La question mérite donc d’être posée: l’Union Européenne doit-elle prendre parti dans la querelle ukrainienne?

Ukraine-Kiev-manifestations-2013Cette première question en appelle naturellement une autre: quelle est l’ampleur du mouvement pro-européen en Ukraine? Les manifestations de Kiev sont sans aucun doute impressionnantes… mais elles se déroulent toutes à Kiev. Normal, direz-vous, c’est la capitale du pays. Argument partiellement recevable seulement: on sait que l’Ukraine est coupée en deux, et que dans une partie du pays, c’est un rapprochement avec la Russie qu’on souhaite plutôt qu’avec l’UE. Un peu compréhensible: après tout, l’Ukraine a fait partie pendant plusieurs siècles de la Russie; et ces liens «naturels» entre les deux pays se sont doublés de nombreux liens personnels et familiaux. L’opinion des pro-russes doit donc être tout autant prise en considération que celle des pro-européens.

Autre élément à prendre en considération: l’opposition actuellement dans la rue, et qui vient de refuser les postes de Premier ministre et de vice-Premier ministre proposés par le président Viktor Ianoukovitch… a occupé le pouvoir avant l’élection de ce dernier au fauteuil présidentiel. Et on ne peut pas dire que la présidence de Viktor Iouchtchenko a laissé un souvenir indélébile à la population ukrainienne. Sauf erreur de ma part, le scrutin qui a amené Ianoukovitch au pouvoir a été reconnu comme légitime. Alors, pourquoi devrait-il faire place nette? Si l’opposition veut le remplacer, elle n’a qu’à bien préparer les prochaines élections présidentielles et législatives: cela s’appelle l’alternance démocratique.

On a noté, par ailleurs, ces derniers temps, parmi les manifestants, la résurgence d’une extrême-droite aussi puante en Ukraine que partout ailleurs dans le monde. J’ai déjà évoqué dans ce blog le remarquable documentaire sur les «Einsatzgruppen» récemment diffusé par France 2, au risque de donner la nausée à toutes celles et tous ceux qui l’ont regardé. En Ukraine, les nazis n’ont pas eu besoin de chercher longtemps pour recruter des tueurs réjouis de casser du Juif et du Bolchevik. Manifestement, ils ont laissé des héritiers, aussi répugnants qu’eux.

Qu’on le veuille ou non, la géographie place l’Ukraine dans la sphère d’influence russe, et l’Union Européenne, qui doit d’abord réapprendre à se gérer elle-même, serait bien imprudente d’aller s’y pousser de manière trop ostentatoire. En cette année où on va commémorer le début de la Première guerre mondiale, il y a cent ans, il n’est pas inutile de dire que c’est la confrontation entre les influences russe et austro-hongroise dans les Balkans qui a provoqué la première grande boucherie du XXeme siècle, et par là-mêle l’horreur de la Seconde guerre mondiale. Bien sûr, on n’est plus en 1914, mais il est des réalités dont il est toujours prudent de tenir compte.

Où l’Union Européenne, par contre, doit se profiler de manière très ferme, c’est dans la défense de la liberté d’expression et des libertés démocratiques en Ukraine. C’est là qu’elle peut exercer une influence positive. Encore que, en Hongrie comme en Turquie, on a vu et on continue à voir les limites de l’exercice….

La liberté de la presse attendra en Turquie…


2013-06-20 12.23.29La chose qu’on concèdera à Kenan Özdemir, c’est que son ministre titulaire, Sadullah Ergin, l’avait envoyé au casse-pipe, en lui confiant la mission de venir s’exprimer, au nom du gouvernement turc, à la conférence «SpeakUp2», organisée par le commissaire européen à l’Élargissement, Štefan Füle, sur le thème de «La Liberté d’expression dans les Balkans Occidentaux et en Turquie»

BNNeLrACYAAw47fLe sous-secrétaire d’État à la Justice a donc, à la place du titulaire, dû subir la manifestation d’une série de participants à la conférence, parmi lesquels votre serviteur, qui se sont levés durant son exposé. Manière de rappeler le soulèvement citoyen pacifique brutalement réprimé, il y a quelques jours, sur la place Taksim à Istanbul.

Il faut dire par ailleurs que Kenan Özdemir n’avait pas grand chose à annoncer: il s’est cantonné dans la langue de bois, affirmant sans sourciller que, dans la foulée du «troisième paquet» de la législation, et dans l’attente du «quatrième» – dans le plus strict respect, a-t-il insisté, des critères du Conseil de l’Europe en la matière – de «nombreuses poursuites ont été abandonnées contre des journalistes» (sic). On suppose qu’il ne visait pas, là, les journalistes du site Odatv, dont le procès a repris discrètement cette semaine, et a vu la réincarcération de Yalcin Küçük, 76 ans. Ni du procès KCK, dont une nouvelle audience, le lendemain, s’est conclue par la remise en liberté provisoire de Selahattin Aslan et d’Ömer Çelik, mais où 22 journalistes restent néanmoins détenus. Si bien qu’à ce jour, 61 journalistes sont emprisonnés en Turquie, ce qui lui vaut un triste record européen et classe cette démocratie qui se veut exemplaire parmi les plus grands prédateurs de la liberté de la presse au monde…

2013-06-20 17.24.43Kenan Özdemir faisait peut-être allusion au  récent «toilettage» de la loi anti-terroriste qui ne vise plus désormais que «l’incitation directe à la violence» et plus simplement «l’incitation à la violence».

Il y a là une nuance, mais le sous-secrétaire d’État à la Justice turc s’est empressé de préciser que la législation continuerait à faire la distinction entre «la liberté d’expression et le crime de terrorisme». Un crime contre lequel la Turquie lutte sans discontinuer depuis 30 ans, a-t-il plaidé.

L’affaire est donc cousue de câble blanc: la criminalisation du travail des journalistes turcs continuera à passer par des inculpations pour «appartenance à» ou pour «propagande en faveur d’» une organisation terroriste: interrogé par mes soins, pour savoir si l’abrogation des articles 6 et 7 de la législation anti-terroriste, et des articles 220 et 314 du Code pénal était envisagée, Kenan Özdemir a très nettement répondu par la négative. Or la suppression de ces articles est réclamée par la Plate-forme turque pour la liberté d’expression. Et dans son rapport intermédiaire sur les progrès de la Turquie sur la route de l’adhésion à l’Union Européenne, la Commission Européenne soulignait en octobre dernier que la combinaison de ces articles «conduit à des abus: écrire un article ou prononcer un discours peuvent donner lieu à un procès et déboucher sur une longue peine de prison pour appartenance ou pour direction d’une organisation terroriste».

2013-06-20 18.11.37Les journalistes turcs n’en ont donc pas fini avec la répression. La manifestation silencieuse qui a accompagné la prise de parole du sous-secrétaire d’État à la Justice, était opportune. Štefan Füle n’en a que plus de mérite de continuer à se battre pour la liberté de la presse dans les Balkans Occidentaux et en Turquie. Il a publié le tableau de bord de la mise en œuvre des conclusions de la première conférence «SpeakUp» et a déjà balisé la réalisation des conclusions de la deuxième. Les journalistes européens, et leur Fédération, apprécient.