La question du port du voile islamique a refait surface dans le débat public avec les remous suscités devant l’athénée d’Anvers par l’interdiction qui y entrait en vigueur; avec la décision du Conseil flamand de l’Éducation d’étendre cette interdiction à l’ensemble des établissements d’enseignement public de Flandre; et, cette semaine, avec l’exclusion de trois jeunes élèves des écoles communales de Dison, décrétée à huis clos par le conseil communal, en vertu de l’interdiction du voile, désormais en vigueur dans le réseau municipal d’enseignement.
Le conseil communal disonais a motivé cette interdiction par l’obligation usuelle de se découvrir devant un(e) supérieur hiérarchique, les enseignants en l’occurrence. La justification évite ainsi l’accusation de discrimination, au même titre que celle, plus fréquemment invoquée, d’interdiction de tout signe religieux «ostentatoire». La démarche est parallèle à l’interdiction (théorique, parce que rarement appliquée) du port de la burqa ou du «voile intégral» en rue par le biais de l’interdiction de circuler masqué, en-dehors des périodes carnavalesques. Elle n’en suscite pas moins une réflexion, naturelle, sur la défense des libertés, et notamment la liberté religieuse.
La remise en cause des signes religieux témoigne à la fois d’une montée des divers intégrismes religieux (marqués notamment par l’offensive du «créationnisme») et par la généralisation par une certaine laïcité des attaques contre les religions en général, contre la religion dominante dans notre pays en particulier. Une certaine forme d’intolérance remonte insidieusement là à la surface, ignorant par exemple le dialogue instauré depuis de nombreuses années par un Gabriel Ringlet avec le monde de la libre pensée, et ou le fait que de nombreux croyants sont tout à fait anticléricaux, c’est-à-dire opposés à la domination du politique par le religieux. L’interdiction semble aussi aller à l’encontre des principes de tolérance et de l’objectif de mixité sociale, que l’enseignement veut servir.
Le problème des écolières disonaises ne relève pas de ce débat. Car ce n’est pas la religion musulmane que leurs pères – on n’a jusqu’ici pas entendu leurs mères, et ce silence médiatique est assez significatif – défendent, mais une vision obscurantiste de la société et de la science, dont leurs enfants sont désormais les otages. Un signe? L’une au moins des gosses refuse d’utiliser le signe «+» dans ses cours et devoirs d’arithmétique, sous prétexte qu’elle(s) ne veu(len)t pas représenter la croix du Christ ! En bonne logique, cela devrait lui (leur) valoir un échec d’office dans ses (leurs) épreuves de mathématique tout au long de son (leur) parcours scolaire: comment juger si une opération est régulière, si on ne peut savoir en quoi elle constitue?
Surtout, ces malheureuses enfants renient ainsi le formidable apport arabe, et musulman, à l’évolution de la science mathématique. En les obligeant à ce geste absurde, c’est tout l’héritage d’Al Kharizmi, d’Al Birouni, d’Omar Khayyam, ou d’Al Idrisi que leurs pères leur font ainsi jeter aux orties. Le voile qu’elles arborent se révèle ainsi un vecteur d’obscurantisme, plutôt qu’un symbole religieux. Il est aussi témoignage de rejet: les pères, toujours eux, refusent classiquement que leur(s) fille(s) participe(nt) à certain(s) cours. Et demandent, entre autres, que les gamines ne soi(en)t pas assise(s) à côté d’un garçon dans la salle de classe. Perdant complètement de vue que leur autorité parentale s’arrête à la grille de l’école.
C’est contre l’obscurantisme et contre l’ignorance débilitante qu’a été menée, jadis, la lutte pour l’enseignement gratuit et généralisé. C’est pour les mêmes raisons que les élus disonais ont eu raison, ici de prendre attitude ferme. Car, au risque de me répéter, ce n’est pas une conviction religieuse que les pères de ces enfants défendent: c’est une vision du monde, dont elles sont otages, et qui, sous le régime des talibans, en Afghanistan, interdisait naguère toute forme d’enseignement aux filles et aux adolescentes! L’immense majorité des parents d’enfants musulmans qui fréquentent l’enseignement communal disonais l’a bien compris: le règlement sur l’interdiction du port du voile dans les écoles a été parfaitement accepté. Il est vrai que nombre de ces gamines ne portent pas le voile. Ce qui n’en fait pas de mauvaises musulmanes….