Les jurés populaires ont à nouveau fait la preuve de leur maturité


Il est des hasards curieux: hier, c’est sur la route qui me ramenait de Strasbourg, et plus précisément du Conseil de l’Europe, dont dépend la Cour européenne des droits de l’Homme, que j’ai appris la nouvelle de l’acquittement de Bernard Wesphael au bénéfice du doute. L’impression qui prévalait parmi les chroniqueurs judiciaires éprouvés, au terme de la première semaine de ce procès hyper-médiatisé qui en a duré trois, était donc la bonne.

Mon propos ne va pas être de commenter ici les raisons qui ont conduit les jurés montois à se prononcer de la sorte: ils ont mentionné le doute raisonnable, qui doit toujours bénéficier à l’accusé, et qui est né sans doute des approximations de l’enquête, relevées par l’avocat général lui-même au cours des débats.

Ce dramatique dossier a ainsi connu son épilogue judiciaire. La vérité qui est en sortie correspond-elle à la vérité tout court? Les proches de feu Véronique Pirotton ne l’accepteront sans doute pas. Peut-être se pourvoiront-ils en cassation, dans l’espoir de dénicher une faute de procédure qui annulerait le procès. Leurs avocats leur rappelleront le sage principe qui veut qu’un coupable éventuel  (et c’est ainsi qu’ils voyaient ou voient toujours Bernard Wesphael) en liberté est préférable à un innocent emprisonné.

cour-dassisesCe que la plupart des observateurs ont souligné, en tout cas, à l’instar de l’avocat de Bernard Wesphael, Me Jean-Philippe Mayence, c’est l’importance du procès d’assises, et de l’oralité de ses débats pour trancher une affaire aussi délicate.

Nous l’avions déjà souligné à l’époque, la volonté du ministre CD&V de la Justice, Koen Geens, de correctionnaliser la plupart des crimes de sang, ne procédait pas d’une volonté de promouvoir une justice de qualité, mais tout simplement d’assurer une justice à bon marché, dont on doute qu’elle soit une bonne justice.

Les arguments des adversaires de la cour d’assises tombent en tout cas particulièrement à plat après pareil procès. Car les jurés populaires ont, une nouvelle fois, fait preuve de leur grande maturité et ils n’ont manifestement pas été influencés par la médiatisation de cette affaire. Ce ne sera peut-être pas la conviction des parties civiles, à nouveau, mais quand elles ont, en marge du procès, dénoncé une prétendue instrumentalisation des médias par les proches et les avocats de Bernard Wesphael, ils oubliaient, sans doute involontairement, les nombreuses «fuites», toutes à charge, du dossier, pendant toute une phase de l’enquête.

Ce procès, il faut le noter, n’avait d’ailleurs pas été plus médiatisé que d’autres grands procès, type Dutroux, Pandy, Aït Oud, Van Themsche, ou Clottemans: à chaque fois la cour de Cassation, puis, au bout du compte, la cour de Cassation, ont conclu que l’évocation abondante des dossiers dans les médias n’avaient pas empêché les jurés de se prononcer dans la sérénité. Le rappel est destiné à tous ceux qui, dans les milieux judiciaires et même au sein du Barreau osent toujours prôner l’interdiction pour les journalistes d’évoquer une affaire à l’instruction (comme si les journalistes étaient tenus par le secret de l’instruction!) voire même l’interdiction d’évoquer une affaire avant qu’elle n’ait connu son épisode judiciaire. Soit, en clair, de rendre à nouveau la justice à huis clos.

Quand les journalistes se prennent pour des justicier(e)s, ils (elles) se trompent de rôle


Au terme du procès de Bernard Wesphael, devant la cour d’assises du Hainaut, bien malin de dire si l’ancien chef de groupe écolo au Parlement wallon sera finalement reconnu coupable du meurtre de son épouse, notre ancienne consoeur Véronique Pirotton, ou s’il sera acquitté des faits mis à sa charge.

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Rien d’étonnant à cela: ce qui est vrai d’un procès d’assises normal l’est encore plus d’un procès d’assises de longue durée: le moindre détail, la moindre attitude, peuvent orienter les débats dans un sens plutôt que dans l’autre. Et, spécialement dans un dossier aussi sensible et aussi délicat que celui qui nous occupe, le rôle des journalistes est crucial: rendre compte de ce qui se passe à l’intérieur de la salle d’audience, et expliquer aux lecteurs, auditeurs, ou téléspectateurs, le déroulement et le sens des événements qui s’y déroulent.

Malheureusement, il faut bien constater qu’à Mons, tou(te)s les journalistes présent(e)s ne sont pas forcément habité(e)s de cette préoccupation. Comme cela a été le cas, dans le passé, et de la façon la plus spectaculaire, dans le procès Dutroux, certain(e)s d’entre eux (elles) s’inscrivent dans deux camps opposés: celui des croyants (à la thèse de la culpabilité de Bernard Wesphael) et celui des incroyants.

Dérapages journalistiques et médiatiques

Ce faisant, les journalistes sortent de leur rôle. Car qu’ils (elles) soient adeptes d’une des deux thèses ou de l’autre, ils (elles) présentent les débats sous l’angle qu’ils (elles) ont choisi(e). Ils (elles) n’aident donc pas leur public à bien comprendre les enjeux des débats comme ils (elles) devraient le faire. Et, à l’arrivée, quel que soit le verdict des jurés montois, ils (elles) ancreront dans une partie de l’opinion la conviction que la Justice n’a pas été bien rendue. Conviction renforcée par les interventions de la partie qui sortira «perdante» des trois prochaines semaines.

Ajoutez à cela des comportements, m’a-t-on rapporté, fort peu confraternels entre eux (elles), et, malheureusement, une partie de la presse donne de la profession de journaliste judiciaire une image assez déplorable.

Ceci n’est, soit dit au passage, pas le fait des seul(e)s journalistes: quand une émission radio de la chaîne privée qui déforme plus qu’elle ne refait le monde entreprend de dresser le portrait de la victime, par des pseudo-polémistes qui n’assistent pas forcément au procès, elle dérape en plein virage. Et le moindre paradoxe, en l’espèce, n’a pas été d’entendre une chroniqueuse s’émouvoir que, dans un procès d’assises, on donne un tas de détails sur la vie tant de l’accusé que de la victime. Au nom, on le suppose, d’un prétendu respect de la vie privée dont elle n’a guère fait preuve dans son passé professionnel, et comme si pour permettre aux jurés de se forger une intime conviction (le seul critère décisif aux assises, rappelons-le) dans une affaire aussi complexe ne postulait pas qu’on aborde les personnalités de ses principaux protagonistes!

Publicité, sauvegarde du peuple!

Tout cela ne serait qu’anecdotique si on ne se situait pas dans un contexte judiciaire, où, faute d’avoir obtenu la suppression de la cour d’assises, les adversaires du jury populaire, au premier rang desquels le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V) , n’avaient déjà pas entrepris de la contourner en renvoyant toute une série de dossiers criminels devant des tribunaux correctionnels, en vertu de nébuleux critères. Et si le même n’évoquait pas la création de «cours criminelles» en invoquant le prétendu avantage que constituerait la possibilité de se pourvoir en appel des jugements de ces cours, au contraire des verdicts d’assises. En oubliant sûrement involontairement que nos voisins français ont, depuis longtemps, introduit le mécanisme d’appel des procès d’assises.

Ce n’aurait qu’une importance minime, aussi, si certains, dans les milieux judiciaires, y compris au sein des barreaux, ne ressuscitaient pas l’idée de bannir les journalistes des enceintes des cours et tribunaux, comme on a pu s’en rendre compte, encore, dimanche dernier, au débat hebdomadaire de La Une. On peut s’en gausser, quand on pense à la disponibilité extrême de certains «chers Maîtres» pour les micros et caméras. On doit s’en inquiéter, en se souvenant des dérives d’une justice à huis clos. Les révolutionnaires issus du siècle des Lumières l’avaient bien compris, eux qui ont fait graver «Publicité, sauvegarde du peuple» au fronton de l’Hôtel de ville de Verviers. La maxime n’a rien perdu de sa pertinence!

 

La cour d’assises mise au placard: gare au gouvernement des juges!


Le ministre CD&V de la Justice, Koen Geens, doit avoir fait ses études chez les jésuites. Car la manière dont il veut supprimer la cour d’assises tout en la maintenant est une manœuvre politique en deux temps de premier choix, en même temps qu’un chef-d’œuvre d’hypocrisie.

koen-geensHypocrisie, d’abord, parce que le projet de Koen Geens qui a été examiné au Conseil d’État et qui va revenir au conseil n’a évidemment pas pour but d’assurer une meilleure justice aux justiciables. Le fondement de la manœuvre est économique: une cour d’assises a un coût particulièrement élevé, et la multiplication des procès d’assises a un impact budgétaire sévère pour la Justice. Supprimons la cour d’assises, et voilà des économies réalisées sans coup férir. Et tant pis pour les justiciables!

Hypocrisie, ensuite, parce que sachant bien que la suppression pure et simple de la cour d’assises, réclamée depuis longtemps par une partie de la magistrature, et par un certain nombre d’avocats, rencontrerait une opposition forte des tenants du jury populaire, le ministre a choisi de la mettre au placard: en donnant aux tribunaux correctionnels la faculté de prononcer des peines jusqu’à 40 années de détention, et en réservant les «crimes exceptionnels» (mais qui décidera de leur caractère exceptionnel? Sur quelle base? La voie est déjà ouverte à des recours devant la Cour européenne des Droits de l’homme) à la cour d’assises, Koen Geens espère bien qu’à terme, plus aucun procès d’assises ne se déroulera dans le pays. Ce qui, par voie de conséquence, entraînera, soit dit au passage, la correctionnalisation des délits de presse, réclamée depuis longtemps dans certains milieux.

Hypocrisie, enfin, quand les tenants de la réforme glissent benoîtement qu’ainsi, des justiciables accusés des faits les plus graves bénéficieront enfin d’une possibilité d’appel: depuis longtemps, la France a introduit la possibilité d’une cour d’assises d’appel, et la procédure y est devenue monnaie courante. «C’est donc qu’on se méfie du jury populaire!», ironisent certains beaux esprits. C’est tout le contraire: on lui fait confiance deux fois. Et il arrive, effectivement, que des affaires rejugées en un autre lieu, dans un autre état de l’opinion, livrent un verdict différent. Et alors? Suppose-t-on que les magistrats, eux, sont des êtres désincarnés, insensibles à l’opinion publique? Ils ont certes leur jurisprudence, qui leur permet de se prémunir contre leur subjectivité. Mais cette jurisprudence elle-même est une arme à double tranchant pour les justiciables: en correctionnalisant les crimes, le ministre de la Justice prend le risque de voir instaurer un «tarif» pour ces affaires les plus graves, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils ont été commis.

Procédant de la sorte, c’est au caractère public de la Justice que Koen Geens s’attaque. Bien sûr, les procès correctionnels, hors exceptions légales, ne se déroulent pas à huis clos. Mais ils se déroulent souvent des salles bien plus exiguës que celles qui accueillent les cours d’assises. On pourrait néanmoins s’y faire dérouler les procès criminels? Quelle dérision: les débats se dérouleraient devant des places vides, habituellement réservées aux jurés.

15.-LE-FRONTON-DE-L’HÔTEL-DE-VILLELe renvoi au rôle correctionnels des affaires criminelles risque aussi de les noyer dans le flot des affaires judiciaires, et d’en détourner l’attention de la presse. Cela réjouira sans doute ceux, on s’en souvient, qui voulaient interdire aux journalistes de couvrir des procès d’assises, invoquant les dérives, réelles ou prétendues, déontologiques de la presse, et qui voulaient leur imposer de ne parler que des affaires jugées.

La publicité des débats, assurée par la présence du public, et élargie par leur couverture médiatique, est pourtant une garantie de justice équitable pour les justiciables: c’est ce que proclame le fronton de l’Hôtel de ville de Verviers, pour rappeler, à l’époque, le droit encore tout frais à une Justice équitable. Je ne dirai pas, loin de là, que les jugements des magistrats professionnels ne sont pas équitables. Mais, dans un système où les pouvoirs se contrôlent mutuellement, ce «gouvernement des juges» ne m’apparaît pas opportun, sur le plan médiatique.

Le jury populaire n’est pourtant pas parfait: il peut arriver qu’il se laisse égarer par l’opinion ambiante. «Confier une affaire à un jury, c’est comme la confier à la loterie» me glissait, il y a des années déjà, un défunt collègue, qui avait suivi nombre de procès d’assises. Mais des magistrats professionnels peuvent eux aussi se rendre coupables d’erreurs judiciaires. Mais, dans de grandes affaires, de Pandy à Marc Dutroux notamment, les jurés populaires ont fait la preuve de leur grand sérieux et d’un sens aigu de leurs responsabilités. Mais, enfin, si le législateur, dès l’origine, a confié aux jurés populaires le soin de juger les crimes, c’est parce qu’il avait le sentiment que des faits aussi graves ne pouvaient être banalisés. Aujourd’hui, Koen Geens veut les confier à des tribunaux en charge, aussi, des accidents de la circulation sans blessés, ou des faits de grivèlerie. Et ne garder que les plus extrêmes de ces faits graves pour d’hypothétiques cours d’assises. Pauvre Justice…