Pour certains criminels, la perpétuité est la seule réponse


C’est une nouvelle fois avec beaucoup de dignité que Gino Russo a réagi, ces jours-ci, à la récente publication par Bruno Dayez, d’un essai au titre provocateur « Pouquoi libérer Dutroux? » à peine modéré par son sous-titre « Pour un humanisme pénal ». Le papa de Mélissa, une des victimes avec sa copine Julie Lejeune, du tueur en série a mis en ligne des images vidéo de la courte vie de sa fille, dont les dernières ont été tournées quelques jours à peine avant qu’elle ne tombe dans les griffes de celui dont l’avocat bruxellois est le dernier défenseur en date – feu Julien Pierre s’etait consacré à cette tâche ô combien ingrate avec un acharnement doublé d’une grande dignité, Xavier Magnée s’est attelé ensuite devant la cour d’assises d’Arlon à une défense sans espoir…- mais qui, surtout, après avoir assassiné dans des conditions atroces son complice Bernard Weinstein, allait récidiver avec les malheureuses An Marchal et Eefje Lambrecks, puis enlever Sabine Dardenne et Laetitia Delhez.

Rappeler ces faits insupportables, c’était le but de Gino Russo, en rendant publiques ces images relevant de la sphère intime d’une famille toujours marquée par le drame qui lui a été infligé. Toujours avec la dignité qui, depuis 1995, a caractérisé les parents des deux fillettes. Faut-il rappeler que, pas plus que les parents de Marc Kisteman et Corinne Malmédier, dont le second assassin, Thierry Bourgard, vient à son tour de mourir en prison, n’ont jamais tenu ds discours de haine qui, à l’époque, auraient provoqué en Wallonie une déferlante d’extrême-droite dont nous n’aurions pas fini de nous relever?

Celles et ceux qui ont lancé ces dernières semaines une véritable chasse à l’homme contre Michel Lelièvre, le complice de Dutroux, font honte à cette dignité. Même si on ne peut oublier les faits dont cet individu s’est rendu coupable, il a purgé sa peine et à ce titre a droit à se reconstruire. Ce qui est loin d’être gagné, si ses années de détention l’ont aidé à prendre la mesure des crimes dont il s’est rendu complice.

N’en déplaise à Bruno Dayez, Marc Dutroux appartient à une autre sorte de criminels, dont on ne peut attendre le moindre amendement, et dont la dangerosité ne s’eteint pas au fil du temps.

L’horreur répétée de ses crimes en témoigne, de même que sa totale absence de repentir, fût-elle plus ou moins feinte. Le raisonnement vaut aussi pour un Michel Fournier, le ravisseur et l’assassin d’Elisabeth Brichet et de plusieurs autres jeunes filles, dont la liste n’est sans doute pas complète. Il vaut pour un Francis Heaulme, le vagabond assassin. Il valait également pour Thierry Muselle et Thierry Bourgard, les deux petites frappes muées en sauvages assassins de Marc et Corinne, en 1992, et que l’odeur du sang avait pervertis à jamais.

Tout cela, Bruno Dayez le sait très bien. Ou il devrait le savoir, et s’il ne le sait pas, c’est assez inquiétant. Et voici pourquoi le titre racoleur qu’il a donné à son essai nous paraît manquer d’une élémentaire dignité. Il est des dossiers qui ne peuvent être invoqués pour défendre une juste cause: personne ne pourrait plaider les cas d’Adolf Hitler ou de Joseph Staline au bénéfice d’un plaidoyer en faveur de l’amendement possible.

« En parfaite connaissance de cause et après mûre réflexion, je maintiens que la peine capitale était une barbarie heureusement révolue. Que la perpétuité réelle est une ignominie et son abolition une urgence. Que l’emprisonnement effectif ne devrait jamais compromettre toute perspective d’avenir. Que, partant, il ne devrait jamais excéder une durée raisonnable (que j’évalue subjectivement à vingt-cinq ans, mais que l’on pourrait aisément ramener à moins). Que le seul but final de toute peine d’emprisonnement doit être la réintégration du détenu dans la société libre » a expliqué Bruno Dayez en marge de la publication de son essai.

Personne ne trouve évidemment à redire à ce principe général. Mais toute règle générale connaît ses exceptions, et le cas de Marc Dutroux échappe précisément à ce principe généreux et général.

C’est… Bruno Dayez lui-même qui l’a d’ailleurs exprimé dans une carte blanche publiée en 2016, par laquelle il se donnait une visibilité douteuse en invoquant déjà le dossier Dutroux.

La réclusion à perpétuité, posait-il n’est pas « une décision de justice (au sens fort de ce mot), mais un acte de barbarie » qui devrait être effacée à tout jamais de notre Code pénal », car « il n’y a pas foncièrement de différence de nature entre une condamnation à mort et une condamnation à vie ». Argument spécieux car une erreur judiciaire avérée permet de revenir sur une condamnation à perpétuité, alors qu’une condamnation à mort est par définition irrévocable.

« Aucun individu n’est réductible à l’un ou plusieurs de ses actes » ajoutait-il. Raisonnement à nouveau correct mais qui ne s’applique pas aux tueurs en série incapables d’échapper à leurs actes. On approuvera par contre son affirmation de l’absence « d’équivalence réelle entre un crime et la peine qui le sanctionne»: aucune peine effective ne peut égaler l’horreur des crimes de Marc Dutroux, la peine extrême est le minimum qui puisse les sanctionner.

«Si l’on peut dire d’un acte qu’il est inexcusable, il est interdit de dire de son auteur qu’il est définitivement inamendable » plaidait encore Bruno Dayez. Des Dutroux, Fourniret, Heaulme sont effectivement définis inamendables. Comme l’étaient feu Muselle et Bourgard. De tels criminels doivent définitivement être empêchés de récidiver.

« La vocation d’une peine n’est plus exclusivement de punir » poursuivait Bruno Dayez. Sa vocation… première est de punir les auteurs de crimes à l’aune des faits dont ils se sont rendus coupables.

« La perpétuité équivaut à nier l’humanité du condamné puiqu’elle lui dénie sa liberté » concluait Bruno Dayez. La manière dont Dutroux a traité Weinstein, Julie et Mélissa, An et Eefje, Sabine et Laetitia, n’avait rien d’humain…

La démocratie n’est pas impuissante face au fascisme


L’installation des députés élus le 26 mai dernier s’annonçait comme une grande journée pour Dries Van Langenhove, la dernière recrue du Vlaams Belang. La tradition imposant au doyen de l’assemblée de présider la séance, avec l’apport de deux plus jeunes devait installer le fondateur de la tristement célèbre association Schild&Vrienden, inculpé pour racisme, xénophobie, et port d’arme à la tribune, avec la jeune députée socialiste Mélissa Hanus – qui avait déjà annoncé son refus d’y côtoyer un authentique fasciste – et celui-ci espérait bien profiter des incidents provoqués par divers parlementaires, essentiellement francophones, pour s’assurer une publicité politique douteuse.

Patrick Dewael, le député-bourgmestre Open vld de Tongres, en a décidé autrement. Ancien président de la Chambre, il en connaissait déjà le règlement par coeur. Et pour être bien sûr de lui, il l’a repotassé. Et a découvert que si la tradition prévoyait que la séance inaugurale, en début de chaque législature, attribue au plus ancien élu la tâche de présider les débats et de se faire assister des deux plus jeunes, aucune disposition du règlement n’impose une manière de sacrifier à cette décision.

Il a donc annoncé en début de séance qu’il présiderait les débats depuis son siège «le seul que les électeurs m’ont attribué». Et il a donc privé Dries Van Langenhove, incapable de lui opposer le moindre argument, de l’exposition espérée.

Que Patrick Dewael se montre intransigeant face à l’extrême-droite n’a rien d’étonnant: comme sa cousine Marleen Vanderpoorten, ancienne présidente du Vlaams Parlement, il a été imprégné dès son enfance du souvenir de son grand-père, Arthur Vanderpoorten, ministre de l’Intérieur en mai 1940, arrêté dans la France de Vichy en janvier 1943 sous l’accusation d’avoir organisé des filières d’évasion vers le Royaume-Uni, déporté en Allemagne et décédé au camp de concentration de Bergen-Belgsen. Sous l’impulsion de feu Herman Vandepoorten, ancien ministre et bourgmestre de Lierre, fils d’Arthur, père de Marleen, et oncle de Patrick Dewael, la famille en a gardé une aversion naturelle pour le fascisme, représenté aujourd’hui en Flandre par le Vlaams Belang.

Mais, fidèle à ses principes, Patrick Dewael a surtout montré que la démocratie peut résister efficacement à l’extrême-droite en utilisant les armes qui sont les siennes. À commencer par le respect des règles qu’elle se donne. Et en affirmant sa détermination à débattre avec les élus du Vlaams Belang dès que l’occasion s’en présentera. Pour défendre les valeurs qui sont les siennes.

Son attitude est aussi celle de son parti. Le vétéran Herman De Croo a retardé sa démission du Parlement flamand pour en occuper le perchoir, lors de l’installation de ses nouveaux députés, et en priver ainsi la figure de proue anversoise du Vlaams Belang, Filip De Winter, de s’y installer. C’est aussi la présidente de l’Open VLD, Gwendolyn Rutten, qui a appelé Bart De Wever, le «formateur» flamand, à clarifier son attitude à l’égard du parti d’extrême-droite.

L’attitude du président de la N-VA tranche en effet singulièrement avec celle de Patrick Dewael sur le sujet. Ses rendez-vous répétés avec le président du Vlaams Belang semblent indiquer sa volonté de rompre le cordon sanitaire – à laquelle son parti n’a d’ailleurs pas souscrit, a-t-il insisté – voire de conclure avec l’extrême-droite flamande un accord de gouvernement, pourvu qu’elle lisse son discours. Quitte à présider un gouvernement minoritaire? Les autres partis flamands, unanimes jusqu’ici, ont répété leur refus de s’associer au Vlaams Belang.

Peut-être Bart De Wever espère-t-il mouiller l’extrême-droite au pouvoir, et lui faire subir ainsi la sanction de l’électeur au scrutin suivant. L’exemple autrichien devrait pourtant démontrer à cet amoureux du monde germanophone que le calcul est vicié à la base. Les succès actuels de Matteo Salvini et de la Ligue, en Italie, en fournissent une autre preuve.

Quel que soit le soutien électoral dont bénéficie l’extrême-droite, la seule attitude démocratique cohérente qui s’impose, c’est de la laisser dans son coin nauséabond.

Les pratiques nauséabondes persistantes de l’extrême-droite française


Une vague d’indignation soulève (enfin) la France, en réaction aux attaques racistes répétées qui ciblent, depuis des semaines, la ministre de la Justice, Christiane Taubira.

minute2641C’est la «une» puante de l’hebdomadaire d’extrême-droite «Minute» qui provoque cette réaction de salut public. Ses «journalistes» ont tenté de se défendre en argumentant que des expressions comme «maligne comme un singe» ou «retrouver la banane» font partie du langage courant. Ils n’ont évidemment abusé personne. Ils n’ont heureusement pas osé plaider la liberté d’expression, ou le droit à l’insolence dont se prévalent les journalistes satiriques. C’est que la presse satirique se réclame de valeurs aux antipodes de celles de l’extrême-droite. Et que ses journalistes souscrivent à la «Déclaration des devoirs et des droits des journalistes» (je souligne à chaque fois l’ordre des termes) par laquelle ils s’obligent au respect de la vie privée des personnes, et s’interdisent toute forme de calomnie ou de diffamation. Dans le cas de «Minute», on est loin du compte!

Christiane Taubira a fait preuve d’une très grande sagesse, en refusant de porter plainte contre ce torchon, soulignant que cela lui ferait une publicité malvenue. Et cela aurait sans doute donné l’occasion à ses rédacteurs de jouer aux martyrs, victimes d’une forme d’intolérance.

L’opprobre professionnelle dont ils font l’objet constitue la meilleure des réponses.

Affaire SalengroOn évaluera leur attitude à l’aune de celle de leurs prédécesseurs, qui, dans l’Entre-deux-Guerres, se sont rendus coupables d’une campagne de diffamation semblable à l’égard de Roger Salengro. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement populaire de Léon Blum a fait, en 1936, l’objet d’attaques continuelles menées par l’«Action française» et par l’hebdomadaire «Gringoire» qui l’accusaient d’avoir déserté pendant la Première guerre mondiale. Faisant mine de donner dans le calembour, «Gringoire» réclamait à sa place un ministre… «Propre en gros». Jeu de mots très commun, aurait sans doute dit son auteur, si on l’avait fustigé comme on fustige aujourd’hui «Minute».

Même le jugement d’une commission militaire, spécialement constituée à cet effet, qui le lavera de cette accusation infamante à l’époque, ni le soutien massif de la Chambre des députés, ne parviendront à mettre fin à cette campagne de calomnie. Et Roger Salengro se suicidera dans la nuit du 17 au 18 novembre 1936, jetant dans une lettre d’adieu, adressée à Léon Blum, «S’ils n’ont pu réussir à me déshonorer, du moins porteront-ils la responsabilité de ma mort».

À près de quatre-vingts ans de distance, l’extrême-droite française, et pas seulement française d’ailleurs, n’a pas changé dans ses pratiques. Elles restent toujours aussi nauséabondes!