Interview en direct sur la Première, ce lundi matin; double page dans un grand quotidien bruxellois; conférence de presse l’après-midi; longue interview en direct dans le journal télévisé d’hier: la dame qui faisait ainsi l’objet de toutes les attentions méritait-elle tant d’honneur, après avoir subi tant d’indignité? Nombre de téléspectateurs ont eu l’impression qu’on les distrayait de problèmes bien plus importants: la pandémie de coronavirus qui reprend, notamment. Ou les remous à la tête du MR où la gestion «despotique», favorisant «le népotisme», et aux pratiques digne d’un «clan mafieux» du président, pour reprendre les mots d’une de ses principales opposantes, jetait déjà une ombre sur le tout nouveau gouvernement fédéral.
On ignore par ailleurs si, au fond de son tombeau, Ernst Ier a apprécié de voir ainsi la justice belge ajouter une descendante de plus à un arbre généalogique fort fourni, dont les branches s’étendent, outre la Belgique et le Royaume-Uni, jusqu’au Portugal, en Bulgarie, en Roumanie et ailleurs. Mais son surnom, «le Pieux», laisse entendre qu’il n’en aurait pas forcément été heureux. Évidemment, depuis 1675, année de son décès à l’âge d’un peu plus de 73 ans, le monde a bien changé…
Pour en revenir à la «pauvre petite fille riche» qui faisait ainsi l’objet de toutes les attentions, on est partagé entre deux sentiments: la satisfaction de voir une femme obtenir de la justice sa filiation exacte; et l’agacement devant certaines de ses affirmations. Celle, par exemple, de n’avoir jamais voulu se voir consacrer princesse de Belgique: tout qui a eu un dossier à plaider en justice sait qu’il suffit de détailler à son avocat ce qu’on souhaite et ce dont on ne veut pas, et que son mandat lui impose de suivre les desiderata de son client. Et l'(onéreux) avocat de cette personne connaît suffisamment son métier pour s’y conformer. Il n’aura d’ailleurs pas manqué d’informer sa cliente des tenants et aboutissants de pareille démarche.
Autre attitude désagréable de la plaignante: le mépris qu’elle témoigne à présent à l’égard d’une famille qui lui a offert son nom, et au sein de laquelle elle a vécu quand même pendant de longues années. Faut-il y voir le signe qu’elle n’y a jamais été acceptée, voire simplement tolérée? Si tel est le cas, il faut bien en conclure qu’être «bien plus riche que la famille royale belge», comme elle l’a dit, ne suffit pas à avoir une richesse de cœur.
Pour la première fois, au cours de cette conférence de presse, elle a parlé de sa mère. Pour dire que, maintenant que l’affaire est close, elle a renoué avec elle, après une fâcherie qui, manifestement, a duré des années. Ce silence prolongé était tout de même assez étrange, car entre les deux hommes dont elle voulait, l’un renier sa paternité, l’autre imposer sa reconnaissance, il y avait tout de même une femme, dont on ne m’empêchera pas de penser qu’à travers toute cette procédure, elle a cherché vengeance. Vengeance de quoi? De ne pas être devenue princesse elle-même, après un divorce qu’i n’est jamais venu? Ou de femme flouée qui avait nourri les plus grands espoirs après avoir donné naissance à la fille d’un authentique prince de sang?
De l’autre côté du prétoire, l’attitude n’a pas été plus brillante. Bien sûr, on peut comprendre que le caractère public donné à l’affaire, avec l’emballement médiatique que cela a provoqué, a suscité de l’amertume. Car il doit avoir été d’autant plus humiliant, pour un ancien chef de l’État, de se soumettre à un test ADN, comme un vulgaire quidam, qu’il en connaissait d’avance le résultat.
Son attitude s’explique peut-être, mais ne s’excuse pas pour autant, par le fait qu’il a pu croire que cette «affaire privée» se résoudrait d’elle-même, comme l’ont été les incartades de son père, Léopold III, dont certain arbre généalogique familial d’une vieille famille noble de Belgique porte une trace dont les historiens n’ont jamais parlé voire n’ont jamais eu connaissance; ou de son arrière-grand-oncle Léopold II, que la presse de l’époque a largement brocardé lorsqu’il a anobli sa dernière maîtresse et les deux enfants qu’elle lui avait donnés.
Manifestement, une démarche personnelle, il y a bien des années, aurait pu, aurait dû, régler la question de manière élégante. On ne peut s’empêcher, en l’espèce, de penser à la manière dont feu François Mitterrand, souverain non couronné de la Ve République, a reconnu la fille qu’il avait eue hors mariage, pouvant compter alors, évidemment, sur le silence complice d’une presse qui savait faire la distinction entre vie privée et vie publique, même d’un personnage aussi public. L’image de sa double vie s’est révélée au monde lors de ses funérailles, mais dans un climat qui n’avait rien à voir avec la rancœur et l’hostilité qui ont entouré toute cette affaire chez nous.
Ernst le Pieux peut bien se retourner dans son tombeau, la morale de cette histoire est claire: la noblesse ne peut se décréter en justice; elle ne se transmet pas non plus par l’hérédité, quand bien même cette transmission est la règle et donne accès à un almanach suranné.
La vraie noblesse, j’ai déjà eu l’occasion de le signaler sur ce blog, on la trouve à d’autres endroits, bien plus inattendus, et largement ignorés du monde. Chez ce couple, où le père des deux derniers enfants de son épouse adopte ses trois premiers, afin que tous soient sur pied d’égalité. Chez ces bénévoles qui apprennent à lire et à écrire à des adultes illettrés et honteux de l’être. Chez ces volontaires qui se mobilisent pour donner un avenir à une petit gamine handicapée physique depuis sa naissance. Tous ces gens à qui la radio, la télévision, ou un grand quotidien bruxellois ne donneront jamais la parole. Parce qu’ils ne les connaissent pas.