Anna Politkovskaya


Le hasard de mes différentes activités m’a amené à traduire quelques-uns des papiers écrits par Anna Politkovskaya en Tchétchénie. À les lire, on comprend mieux les intérêts que cette héroïne du journalisme a bousculés dans un pays, où la démocratie a essentiellement des allures de façade. Qui l’a assassinée? On ne le saura sans doute jamais. Mais elle survivra grâce à toutes celles et à tous ceux qui, chacun à leur niveau, prolongeront son travail d’investigation, sans nécessairement avoir son talent, ni son courage. En Europe Occidentale, nous ne vivons heureusement pas les mêmes conditions de travail dramatiques que celles qu’elle a connues en Asie Centrale. Mais le journalisme d’investigation se meurt, lui aussi. Frappé à mort par les mercantis qui dirigent dorénavant notre presse, et qui déciment les rédactions, parce que des journalistes de valeur, au rang desquels je ne me classerai pas, doivent être rémunérés à hauteur de leur talent. Ces vendeurs de papier n’en ont plus rien à faire. Et au-delà du public, c’est notre démocratie qui paie la note!

Bon vent aux nouveaux défenseurs des droits des journalistes


Un nouveau comité directeur de l’AJP-AGJPB, l’association des journalistes professionnels, a été élu aujourd’hui par l’assemblée générale représentative des professionnels de l’information. Une belle équipe a été formée sous la présidence de Marc Chamut, qui pourra ainsi poursuivre les dossiers qu’il a ouverts en tant que vice-président d’abord, puis comme président ff ensuite. Routiniers de l’association à divers niveaux (Gabrielle Lefevre, Daniel Conraads, Éric Van Duyse) et conseillers entrés dans le mouvement au cours de la précédente mandature (Christine Scharff, Arnaud Grégoire, Albert Jallet, Jean Blavier, Dominique Nahoé, Pierre-Yves Millet) sont rejoints par des « néophytes » dont la plupart s’étaient engagés au niveau de leur entreprise ou groupe de presse (Pierre Havaux, Christophe Cordier, Eric Lekane), ou dans leur section (Marc Simon). De plus, le plurilinguisme sera de mise dans ce conseil avec Maroun Labaki à la vice-présidence, Roger Pint, qui représentera les journalistes germanophones, Ricardo Guttierrez, ou le remuant Mehmet Koksal, dont l’élection marque la reconnaissance de ses pairs pour le courage avec lequel il assume son devoir d’informer dans un contexte bien difficile. Chez les photographes, c’est Bruno Fahy qui a été élu, mais Yves Boucau, qui ne l’a pas été, est lui aussi un militant de longue date des droits des journalistes. Les débats au comité directeur promettent d’être animés, mais surtout, on a senti à travers les diverses interventions que l’opposition aux dérives du journalisme, notamment vers le journalisme « multimédia » – une notion qui semble s’être imposée de manière quasi obsesionnelle chez certains éditeurs de quotidiens – sera musclée et décidée, autour de l’indomptable Martine Simonis.
L’élection de ce conseil de direction marque aussi un rajeunissement des cadres et c’est réconfortant: malmenée, la profession réussit toujours à susciter des vocations chez ses défenseurs. La tâche est immense, mais à cœurs bien nés…

Le temps de l’ignorance obligatoire


Le temps des réformes est à nouveau venu pour l’enseignement. Les jeunes qui auront loupé leur première année du secondaire ne pourront plus être « déviés » d’office vers le professionnel, mais devront passer par une année de transition. De même, pour les élèves qui éprouvent des difficultés à la sortie de la sixième primaire, on veillera, a annoncé la sémillante Marie Arena, coiffée de son chapeau de ministre de l’Enseignement obligatoire, à les orienter vers des filières « où ils pourront développer leurs potentialités, sportives ou artistiques, mais attention: il y aura toujours du français et des mathématiques » (citation pas tout à fait conforme, mais pas très éloignée non plus).
Soyons positifs: toute initiative visant à faire sortir l’enseignement professionnel de son statut de « poubelle » de l’enseignement général mérite d’être saluée. Il y a suffisamment longtemps qu’on plaide pour la revalorisation du professionnel, pour qu’on ne salue pas toute initiative en ce sens.
Globalement, le bilan de l’enseignement n’en reste pas moins navrant: le taux d’échec dans l’enseignement supérieur, universitaire ou non universitaires, reste effrayant, et rien n’indique que la barre pourra, à terme, être relevée. En cause, à la base, une formation déficiente, notamment en langue maternelle: combien de profs’ d’univ’ ne relèvent-ils pas, même dans les sciences exactes, que nombre de leurs étudiants ne comprennent tout simplement pas les énoncés qui leur sont présentés!
Guère étonnant, quand on voit la baisse constante du niveau d’exigence attendu des élèves du primaire! Naguère, le ministre en charge, Jean-Marc Nollet, lançait une charge contre les devoirs à domicile: il ne fallait surtout pas traumatiser nos jeunes enfants! À l’examen, pourtant, les matières qui leur sont enseignées sont vachement plus légères que celles « infligées » à leurs lointains prédécesseurs, jusqu’aux années 70. C’est à cette époque que mon paternel a quitté sa profession d’instituteur primaire, qu’il avait pratiquée pendant près de quatre décennies, à part une interruption de cinq ans, entre 1940 et 1945, pour de « grandes vacances » en Bavière, puis dans le Schleswig-Holstein. Une des ses phrases favorites, à l’époque, mainte fois rappelée par ses anciens élèves, était qu' »après s’être battus pour l’enseignement obligatoire, nous allions tout droit à l’ignorance obligatoire ». « Radotage », se disait-on alors, mettant la réflexion sur le compte d’une nostalgie bien compréhensible au moment du départ à la retraite. Trente-cinq ans plus tard, paraphrasant Sacha Guitry, je pourrais écrire « Mon père avait raison« . Bien sûr, les temps ont changé, et les méthodes d’enseignement anciennes ne pouvaient indéfiniment subsister. Mais l’exigence de qualité, elle, devait rester intacte. Après tout, tous ces instituteurs et institutrices, en charge à l’époque de six classes primaires, au sein desquelles les normes de fréquentation étaient une vue de l’esprit, ont, depuis la fin du XIXe siècle, assuré une tâche énorme: former des enfants dont la plupart arrivaient dans leur salle de classe en ne connaissant qu’à peine le français, puisque leur langue maternelle était le wallon. Le critère de réussite, alors, était de savoir calculer, et d’écrire sans fautes d’orthographe, au sortir des primaires, et nombreux étaient celles et ceux qui y arrivaient. Il suffit, aujourd’hui, dans les médias écrits, de voir comment rédigent nombre de jeunes journalistes pour mesurer l’ampleur du pas en arrière qui a été effectué! Seuls, désormais des enfants plus favorisés pourront surmonter le handicap. Ah oui, on l’oubliait, l' »instruction obligatoire » était aussi une conquête de la démocratie…

Inégalable Charles de Gaulle!


La campagne électorale française donne l’occasion à la chaîne « Histoire » de revenir sur les diverses campagnes électorales présidentielles qui se sont déroulées en France, depuis la ratification de l’élection du président de la République au suffrage universel.
La toute première de ces campagnes électorales mettait aux prises, les 5 et 19 décembre 1965, le général de Gaulle et François Mitterrand. C’est l’occasion de revoir les fameuses interviewes du « grand Charles » réalisées par Michel Droit, avec toute la déférence qui était de mise à l’époque, et qui s’imposait sans doute devant un personnage de cette stature, au propre comme au figuré. Une passage célèbre de ces interviewes montre de Gaulle se balancer sur son fauteuil en pariodant ceux « qui sautent comme des cabris, en criant: «Europe, Europe, Europe!»« . Or cette scène a été… reconstituée. Car le général de Gaulle avait bien évoqué « ceux qui crient «Europe, Europe, Europe!»« , mais en les comparant aux… « enfants de chœur qui ont vidé la bouteille de vin de messe« . On lui représenta, dit-on, que l’image allait choquer l’électorat catholique, dont le vote était crucial, et de Gaulle modifia sa phrase. Dommage, car elle témoignait sans aucun doute d’un sens assez aigu de l’observation. Mais au-delà de la patine du temps, quel rayonnement!