La preuve par Ahmet Şik: la répression de la liberté de la presse en Turquie cible toute voix critique


La libération, ce vendredi, de sept collaborateurs du quotidien turc Cumhuriyet est une bonne nouvelle pour les intéressés: après des mois de détention, la liberté recouvrée a un goût particulièrement savoureux. Mais cette bonne nouvelle n’est pas complète. D’abord parce que ces journalistes ne sont remis en liberté que sous condition, et ils devront à nouveau comparaître devant le tribunal où, avec d’autres, ils sont accusés de soutien au mouvement Fethullah Gülen, accusé par le président turc – sans preuves jusqu’à présent- d’avoir planifié la tentative de coup d’État avortée du 15 juillet 2016, et aussi d’appui au PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, toujours considéré comme un mouvement terroriste par Ankara, mais aussi, de manière un peu plus interpellante, par l’Union Européenne.

Mais surtout, les principales figures du journal restent emprisonnées: le patron de Cumhuriyet, Akin Alatay; son rédacteur en chef, Murat Sabuncu; le chronique francophone Kadri Gürsel; et le journaliste d’investigation Ahmet Şik. Et ce dernier a même été menacé de poursuites additionnelles par le procureur, parce qu’il s’était montré trop critique du gouvernement en présentant sa défense devant le tribunal, ce mercredi! On ne pouvait mieux dire que ce qui est visé, par ces procès de journalistes (comme par ceux de magistrats, d’avocats, d’universitaires, de syndicalistes, etc.) ce n’est aucunement une participation de près ou de loin à la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, mais ce sont toutes les voix critiques du pouvoir AKP!

AhmetLe cas d’Ahmet Şik est significatif à cet égard. Il y a plusieurs années déjà, ce journaliste particulièrement dérangeant avait goûté aux délices des geôles turques, parce qu’il avait développé une thèse sur l’infiltration des rouages de l’État turc par le mouvement Fethullah Gülen! Il faut dire qu’alors, l’AKP de Recep Tayyip Erdogan et le mouvement Gülen étaient les meilleurs alliés du monde! En visite à Istanbul, à l’époque, pour apporter mon soutien aux journalistes détenus, j’avais rencontré Ahmet Şik, tout juste sorti de prison, et une sénatrice française, membre du Conseil de l’Europe, venue assister aux procès de journalistes alors, hélas, déjà monnaie courante: j’avais expliqué à notre interlocutrice politique qu’il m’était impossible de certifier que la théorie d’Ahmet Şik était vraie, mais que ce qui était en jeu, c’était la possibilité pour les journalistes de défendre des points de vue, à tort ou à raison.

Le piquant, c’est qu’aujourd’hui, par ses attaques contre le mouvement Fethullah Gülen, le pouvoir turc donne entièrement raison à Ahmet Şik: de retour à Istanbul, en août 2016, pour une manifestation en faveur de la liberté de la presse, j’avais souligné que le journaliste aurait dû recevoir non seulement des excuses pour sa détention abusive, mais un prix pour la qualité de son investigation journalistique!

Quelques semaines plus tard, je répétais le propos devant le ministre turc des Affaires européennes, M. Omer Celik, et devant l’ambassadeur de Turquie à Bruxelles, M. Mehmet Hakan Olcay: il m’était alors répondu que si Ahmet Şik avait été précédemment détenu, c’était précisément à cause de l’influence du mouvement Fethullah Gülen en coulisses; d’autres avaient évoqué l’affaire Ergenekon, ce complot présumé au sein de l’armée qui avait permis une purge du corps des officiers généraux. Purge insuffisante, apparemment, à en juger par ce qui s’est passé le 15 juillet 2016…

Aujourd’hui, les masques sont tombés: la nouvelle arrestation d’Ahmet Şik , celles de ses collègues de Cumhuriyet et celles de multiples journalistes turcs procèdent toujours du même mauvais procédé: la criminalisation du métier de journaliste. Elles ont toujours le même but: faire taire toute voix critique au pays de M. Recep Tayyip Erdogan. Le problème pour ce dernier, c’est que, comme Ahmet Şik l’a jeté au tribunal au moment de repartir pour sa prison, ce vendredi, les journalistes turcs critiques resteront toujours debout. Ils sont l’honneur de notre profession!

Comment donc peut-on être germanophone?


L’agitation qui a parcouru la Communauté germanophone, en fin de semaine dernière, est passée largement inaperçue des médias wallons, francophones ou néerlandophones. C’est pourtant un remarque du (pour combien de temps encore?) ministre cdH wallon des Autoroutes, Maxime Prévot, qui avait mis le petit monde politique germanophone en ébullition. Confronté à une demande de l’élue germanophone libérale Jenny Baltus-Möres, qui aurait souhaité voir installé un panneau «Willkommen in Ostbelgien», à l’intention des automobilistes et autres usagers venant d’Allemagne, à la sortie du parking d’Eynatten, sur l’autoroute Aix-la-Chapelle-Liège-Bruxelles, le bourgmestre en titre de Namur y a opposé un véto catégorique. En s’en prenant «au petit groupuscule de germanophones qui ne voient pas d’un bon œil qu’il soit rappelé qu’ils sont aussi Wallons, Wallons de langue allemande, certes, mais Wallons quand même». Et d’insister, à l’intention de Jenny Baltus-Möres que «le Corse est toujours un citoyen de la République française, le flamingant est toujours un Belge, et un germanophone est institutionnellement un Wallon».

Qu’en termes… mal choisis ces choses-là ont été dites! On imagine, d’abord, qu’en digne premier citoyen de Namur, Maxime Prévot ne pratique pas la langue de Goethe. Il n’est pourtant pas difficile de comprendre que le panneau suggéré par l’élue libérale voulait souligner… une évidence géographique: quand on vient d’Allemagne, c’est bien dans l’est de la Belgique qu’on entre, une fois la frontière franchie. Jenny Baltus-Möres n’avait pas suggéré un «Willkommen in die Deutschprachigen Gemeinshaft», qui n’aurait sans doute rien signifié pour la plupart des usagers qui viennent de franchir le Rhin; la réponse inutilement blessante du ministre, qui n’aurait pas eu de raison d’être si la demande avait été formulée telle quelle, était à la fois inopportune et déplacée.

RDGInopportune, car elle a rappelé aux élus de la Communauté germanophone le peu amène  «cantons rédimés», que leur avait asséné François de Brigode, récemment, en lançant un sujet du Journal Télévisé de la RTBF en direct des cantons de l’Est. Et plus loin, l’expression «Wallons germanophones» de Maxime Prévot, outre qu’elle ne correspond pas à la réalité, renvoyait à une expression quasi similaire jadis utilisée à leur propos par Robert Collignon, alors ministre-président de la Région wallonne.

Déplacée parce que le fait que le territoire de la Communauté germanophone soit incontestablement situé sur celui de la Région wallonne n’en fait pas de ses habitants des Wallons pour la cause. Maxime Prévot dirait-il des Bruxellois qu’ils sont forcément flamands, puisque le territoire de la Région bruxelloise est enclavé dans celui de la Flandre? Voilà qui agréerait sans doute les flamingants les plus pointus, mais… quod non, comme disent les juristes.

S’il fallait une preuve que la Communauté germanophone est si peu wallonne, il suffirait pour le ministre cdH namurois de mesurer l’absence d’impact dans les médias francophones et wallons qu’a eu cette polémique qui a agité le landerneau germanophone en fin de semaine, et qui a même rebondi jusqu’au Parlement européen, dont le seul élu germanophone… membre du même parti que M. Prévot, a déploré l’expression du ministre namurois.

M. Prévot ne connaît sans doute pas l’histoire de la région. Et il ignore donc probablement que des trois cantons de l’est de l’actuel Belgique, ceux d’Eupen, de Saint-Vith, et de Malmedy, incorporés dans la Prusse après l’empire napoléonien, puis par voie de conséquence intégrés dans l’empire d’Allemagne, seul le troisième se revendiquait ouvertement wallon.  Le vocable «Wallonie malmédienne» désigne toujours les communes francophones et wallonnes affiliées à l’Office du Tourisme des Cantons de l’Est, dont font partie également les cantons purement germanophones, même si le bilinguisme voire le trilinguisme sont largement répandus d’Eupen Saint-Vith. Qualifier leurs habitants de Wallons est donc une hérésie. Et la comparaison avec la nationalité française des Corses (rejetée par les plus pointus des nationalistes corses, soit-il rappelé au passage) ou belge des flamingants n’est pas pertinente: il n’existe pas de nationalité wallonne, encore moins de nationalisme wallon…

Il est d’ailleurs assez étonnant de voir comment les militants wallingants, tenants d’une autonomie de la Wallonie, dont Robert Collignon a été une des figures de proue, avec José Happart ou Jean-Claude Van Cauwenberghe, ont toujours été peu cohérents, en refusant pour les Germanophones ce qu’ils réclamaient pour eux-mêmes. Et en brandissant pour ce faire des arguments aussi fallacieux que… les Germanophones sont bien trop peu nombreux pour former une entité politique à part entière. La petite taille de la Communauté germanophone peut poser problème dans certaines matières, comme l’administration de la Justice, par exemple, où les magistrats germanophones sont à la fois peu nombreux et parfois trop proches pour assurer à un degré d’appel la nécessaire distance avec le degré d’instance. Mais dès lors qu’on milite pour ses propres droits, il est assez inconséquent de les refuser à d’autres,  au motif qu’ils ne pourraient pas les assumer. Comme le dit souvent un de mes (presque) anciens confrères, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est aussi celui de… s’indisposer eux-mêmes.

Maxime Prévot a, en l’espèce, raté une belle occasion de se taire. Au moment où des négociations particulièrement délicates vont s’engager, pour former une nouvelle majorité wallonne… où il côtoierait Mme Baltus-Möres,  c’est le genre de bêtise à ne pas renouveler…