Comment donc peut-on être germanophone?


L’agitation qui a parcouru la Communauté germanophone, en fin de semaine dernière, est passée largement inaperçue des médias wallons, francophones ou néerlandophones. C’est pourtant un remarque du (pour combien de temps encore?) ministre cdH wallon des Autoroutes, Maxime Prévot, qui avait mis le petit monde politique germanophone en ébullition. Confronté à une demande de l’élue germanophone libérale Jenny Baltus-Möres, qui aurait souhaité voir installé un panneau «Willkommen in Ostbelgien», à l’intention des automobilistes et autres usagers venant d’Allemagne, à la sortie du parking d’Eynatten, sur l’autoroute Aix-la-Chapelle-Liège-Bruxelles, le bourgmestre en titre de Namur y a opposé un véto catégorique. En s’en prenant «au petit groupuscule de germanophones qui ne voient pas d’un bon œil qu’il soit rappelé qu’ils sont aussi Wallons, Wallons de langue allemande, certes, mais Wallons quand même». Et d’insister, à l’intention de Jenny Baltus-Möres que «le Corse est toujours un citoyen de la République française, le flamingant est toujours un Belge, et un germanophone est institutionnellement un Wallon».

Qu’en termes… mal choisis ces choses-là ont été dites! On imagine, d’abord, qu’en digne premier citoyen de Namur, Maxime Prévot ne pratique pas la langue de Goethe. Il n’est pourtant pas difficile de comprendre que le panneau suggéré par l’élue libérale voulait souligner… une évidence géographique: quand on vient d’Allemagne, c’est bien dans l’est de la Belgique qu’on entre, une fois la frontière franchie. Jenny Baltus-Möres n’avait pas suggéré un «Willkommen in die Deutschprachigen Gemeinshaft», qui n’aurait sans doute rien signifié pour la plupart des usagers qui viennent de franchir le Rhin; la réponse inutilement blessante du ministre, qui n’aurait pas eu de raison d’être si la demande avait été formulée telle quelle, était à la fois inopportune et déplacée.

RDGInopportune, car elle a rappelé aux élus de la Communauté germanophone le peu amène  «cantons rédimés», que leur avait asséné François de Brigode, récemment, en lançant un sujet du Journal Télévisé de la RTBF en direct des cantons de l’Est. Et plus loin, l’expression «Wallons germanophones» de Maxime Prévot, outre qu’elle ne correspond pas à la réalité, renvoyait à une expression quasi similaire jadis utilisée à leur propos par Robert Collignon, alors ministre-président de la Région wallonne.

Déplacée parce que le fait que le territoire de la Communauté germanophone soit incontestablement situé sur celui de la Région wallonne n’en fait pas de ses habitants des Wallons pour la cause. Maxime Prévot dirait-il des Bruxellois qu’ils sont forcément flamands, puisque le territoire de la Région bruxelloise est enclavé dans celui de la Flandre? Voilà qui agréerait sans doute les flamingants les plus pointus, mais… quod non, comme disent les juristes.

S’il fallait une preuve que la Communauté germanophone est si peu wallonne, il suffirait pour le ministre cdH namurois de mesurer l’absence d’impact dans les médias francophones et wallons qu’a eu cette polémique qui a agité le landerneau germanophone en fin de semaine, et qui a même rebondi jusqu’au Parlement européen, dont le seul élu germanophone… membre du même parti que M. Prévot, a déploré l’expression du ministre namurois.

M. Prévot ne connaît sans doute pas l’histoire de la région. Et il ignore donc probablement que des trois cantons de l’est de l’actuel Belgique, ceux d’Eupen, de Saint-Vith, et de Malmedy, incorporés dans la Prusse après l’empire napoléonien, puis par voie de conséquence intégrés dans l’empire d’Allemagne, seul le troisième se revendiquait ouvertement wallon.  Le vocable «Wallonie malmédienne» désigne toujours les communes francophones et wallonnes affiliées à l’Office du Tourisme des Cantons de l’Est, dont font partie également les cantons purement germanophones, même si le bilinguisme voire le trilinguisme sont largement répandus d’Eupen Saint-Vith. Qualifier leurs habitants de Wallons est donc une hérésie. Et la comparaison avec la nationalité française des Corses (rejetée par les plus pointus des nationalistes corses, soit-il rappelé au passage) ou belge des flamingants n’est pas pertinente: il n’existe pas de nationalité wallonne, encore moins de nationalisme wallon…

Il est d’ailleurs assez étonnant de voir comment les militants wallingants, tenants d’une autonomie de la Wallonie, dont Robert Collignon a été une des figures de proue, avec José Happart ou Jean-Claude Van Cauwenberghe, ont toujours été peu cohérents, en refusant pour les Germanophones ce qu’ils réclamaient pour eux-mêmes. Et en brandissant pour ce faire des arguments aussi fallacieux que… les Germanophones sont bien trop peu nombreux pour former une entité politique à part entière. La petite taille de la Communauté germanophone peut poser problème dans certaines matières, comme l’administration de la Justice, par exemple, où les magistrats germanophones sont à la fois peu nombreux et parfois trop proches pour assurer à un degré d’appel la nécessaire distance avec le degré d’instance. Mais dès lors qu’on milite pour ses propres droits, il est assez inconséquent de les refuser à d’autres,  au motif qu’ils ne pourraient pas les assumer. Comme le dit souvent un de mes (presque) anciens confrères, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est aussi celui de… s’indisposer eux-mêmes.

Maxime Prévot a, en l’espèce, raté une belle occasion de se taire. Au moment où des négociations particulièrement délicates vont s’engager, pour former une nouvelle majorité wallonne… où il côtoierait Mme Baltus-Möres,  c’est le genre de bêtise à ne pas renouveler…