Le président russe, Vladimir Poutine, a donc choisi la fuite en avant. D’abord en piégeant les pays occidentaux, qui en condamnant sa reconnaissance des districts sécessionnistes d’Ukraine, comme il l’avait fait de ceux de Géorgie, a placé les pays occidentaux devant leurs contradictions, eux qui avaient reconnu, à l’époque, l’indépendance autoproclamée du Kosovo. Même si l’hôte du Kremlin oubliait de son côté que, à l’époque, la Russie s’était opposée à l’indépendance du Kosovo, preuve qu’en politique, la constance n’est pas toujours de mise.
Mais sa décision, aujourd’hui, de mener des opérations militaires en Ukraine (pour s’adjuger tout le Donbass?), et les frappes aériennes menées prétendument exclusivement contre des objectifs militaires est nettement plus aléatoire.
Vladimir Poutine «tord» l’Histoire pour les besoins de sa propagande en évoquant un «génocide» des russophones d’Ukraine par le pouvoir de Kiyv, en déniant la qualité d’État à ce pays reconnu au plan international qui fait partie de l’Organisation des Nations-Unies, et en le qualifiant de «nazi». Une référence aux troupes ukrainiennes qui ont combattu aux côtés des nazis durant la Seconde guerre mondiale, au même titre que d’autres, dont la Légion Wallonie, les combattants flamands du front de l’est: cela ne suffit évidemment pas pour faire des dirigeants actuels de ces différents pays ou régions des adhérents au racisme nazi.
Le président russe et les «faucons» qui l’entourent ont surtout une mémoire fort sélective. Ils devraient se souvenir que, quand on déclenche un conflit armé, on ignore par nature la manière dont il se terminera. Et que l’Union Soviétique, dont Vladimir Poutine a affirmé plus d’une fois sa nostalgie, avait signé avec l’Allemagne hitlérienne, en août 1939, un pacte de non-agression auquel Staline a cru jusqu’au jour du déclenchement de l’opération Barbarossa, le 22 juin 1941. Donnant ainsi à Adolf Hitler les mains libres pour envahir la Pologne, et concourir à cette conquête. Et laisser se déclencher le second conflit mondial, dont sa population aura tellement à souffrir.
Après la fin du conflit, la Russie n’a jamais restitué à la Pologne les territoires qu’elle lui avait pris. Le territoire polonais s’est déplacé vers l’ouest, et sa frontière occidentale a été fixée sur une ligne Oder-Neisse que l’Allemagne n’a reconnue qu’à la faveur de l’Ostpolitik du chancelier Willy Brandt, au début des années 1970.
Hasard ou non, c’est dans ces anciens territoires polonais incorporés à l’Ukraine que le mouvement démocratique s’est le plus fort développé, et que le désir d’adhésion à l’Union européenne, voire à l’Otan, s’est le plus fortement exprimé. Alors que dans le Donbass, majoritairement peuplé de russophones, qui s’étaient pourtant eux aussi prononcés pour l’indépendance de l’Ukraine, après la fin de l’Union Soviétique, les yeux sont toujours restés tournés vers la Russie.
L’affrontement entre ces deux parties de l’Ukraine s’est concrétisé, plus tard, dans la lutte entre Viktor Iouchtchenko, le président pro-occidental, et Viktor Ianoukovytch, le président pro-russe chassé en 2014 après son refus de ratifier l’accord d’association passé par son prédécesseur avec l’Union européenne.
C’est cet épisode que Vladimir Poutine qualifie de coup d’État… comme l’était la révolution d’Octobre, en 1917, qui a installé Lénine au pouvoir. Le locataire (permanent) du Kremlin oublie qu’ensuite des élections libres ont eu lieu en Ukraine. Et si le pouvoir de Kyiv n’a pas nécessairement fait preuve de la plus grande habileté en retirant au russe, du moins de manière temporaire, son caractère de langue officielle, aux côtés de l’ukrainien, tout cela ne justifie en rien les opérations guerrières déclenchées aujourd’hui. Dont on ne connaît pas encore toutes les conséquences pour le monde, y compris pour la population russe. Et dont on ignore nécessairement la manière dont elles se clôtureront. Et l’ampleur du bain de sang qu’elles déclencheront.