Ni le sport en général, le football en particulier, ne sont apolitiques


Est-il cohérent d’exclure la Russie de la prochaine coupe du Monde, et les clubs russes des compétitions européennes, en raison de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes? La décision conjointe de la FIFA et de l’UEFA, confrontées au refus de la Suède, de la Pologne et de la République tchèque de rencontrer l’équipe russe pour tenter de décrocher les derniers tickets pour le Qatar, leur a sans doute forcé la main. Mais un large consensus existe à ce sujet.

Certains pourtant, à l’image d’un des chroniqueurs de l’émission télévisée de la RTBF «La Tribune», continuent à penser que pareille exclusion est inique à l’égard de sportifs qui se sont préparés ou qui se préparent pour de grandes épreuves. Sous-entendant, sans doute, par là, que le sport en général, et le football en particulier, sont complètement apolitiques. Vague réminiscence, peut-être, des Jeux Olympiques de l’Antiquité, où les cités qui y participaient mettaient leurs conflits entre parenthèses pour la durée des compétitions, et satisfaire les dieux qui les protégeaient.

L’époque moderne a pourtant balayé cette théorie: plus personnes aujourd’hui ne mettrait en doute le fait que, pour l’Allemagne nazie, les Jeux Olympiques de 1936 constituaient une occasion rêvée de mettre le régime en lumière. Il était pourtant déjà question de boycott à l’époque: afin de les prévenir, les pontes du régime avaient notamment donné pour instruction de faire disparaître, le temps d’un été, toutes les inscriptions antisémites qu’ils avaient largement contribué à faire proliférer.

Il y a un demi-siècle, les performances gymniques exceptionnelles de la toute jeune Nadia Comaneci, aux Jeux Olympiques de Montréal, en 1976, lui ont valu la lourde protection du couple présidentiel roumain, Nicolae et Elena Ceaucescu. Un joug qui, à mesure que la jeune prodige prendra de l’âge, et ne pourra plus reproduire ses performances uniques, lui pèsera tellement qu’elle finira par prendre le chemin de l’exil.

Quatre ans plus tard, de nombreux pays occidentaux et musulmans, les États-Unis en tête, boycottent les Jeux Olympiques de Moscou, pour dénoncer l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques. En retour, les pays communistes refuseront, en 1984, de participer aux Jeux de Los Angeles.

La coupe du Monde de football, en Argentine, en 1978, avait provoqué les mêmes débats, chez les Neerlandais notamment, dont le chef de file, Johan Cruyff, avait snobé la compétition. En raison d’une blessure, ou, avait-on dit à l’époque, parce qu’il refusait de cautionner la dictature argentine, qui a au bout du compte bénéficié du regain de popularité que lui a valu la victoire finale des Argentins…

Kamila Valieva n’a pas servi la gloire de la Russie poutinienne

Cette instrumentalisation du sport se poursuit de nos jours, parfois de manière éhontée: la jeune patineuse russe Kamila Valieva, 15 ans, a été convaincue de dopage, quelques jours avant les récents Jeux Olympiques de Beijing. Personne ne se fait d’illusion à ce sujet: l’adolescente n’a pas trouvé seule des produits dopants, destinés à l’amener à des niveaux de performance supérieures; et son explication qu’elle les avait ingurgités en buvant une boisson destinée à son grand-père n’a abusé que les crédules.

En compétition, la pression sur elle était tellement grande, que Kamila Valieva a chuté deux fois. La manière dont son entraîneuse l’a apostrophée à sa sortie de patinoire a choqué le monde du patinage et les responsables du comité olympique lui-même. La gamine avait fauté, car elle n’avait pas servi la plus grande gloire de la Russie poutinienne!

D’autres sportives et sportives avant elles ont subi une pression similaire. Et certains l’ont payé de leur vie, tel le magnifique footballeur autrichien Mathias Sindelaar, dans les années 30.

Le meneur de jeu de la Wunderteam («L’équipe magique») autrichienne, qui n’a subi que trois défaites entre 1930 et 1934, restait une vedette au moment de l’Anschluss entre son pays et l’Allemagne hitlérienne.

Mathias Sindelaar n’a pas voulu servir l’Allemagne nazie

Un match entre les deux équipes nationales, organisé pour célébrer l’événement, devait se clôturer, sur ordre des nazis, par un match nul fraternel. Mais Mathias Sindelaar ne l’entendait pas de cette oreille: sous son impulsion, l’équipe autrichienne, qui allait disparaître, battit l’équipe allemande (2-0).

Quelques semaines plus tard, l’Allemagne prenait part au championnat du Monde de football qui se jouait en France, et comptait bien aligner Sindelaar dans ses rangs. Mais le chef d’orchestre autrichien fera défaut à la Mannschaft, invoquant une blessure.

Le 23 janvier 1939, on le retrouvait asphyxié, avec sa maîtresse, dans son appartement de Vienne. Suicide dira-t-on à l’époque: l’hypothèse de l’assassinat a pris consistance de nos jours.

Quinze mille personnes assisteront à ses obsèques. Pour rendre hommage à l’artiste et manifester leur attachement à l’Autriche disparue.

Sur de nombreux terrains de football d’Europe, ce dernier week-end, le drapeau ukrainien a été exhibé. Et les joueurs ukrainiens (Sobol au Club Brugeois, Yaremchuk à Benfica) ont été ovationnés. Le public, lui, l’a bien compris: le football ne vit pas sous cloche dans le monde qui nous entoure.

L’exclusion de la Russie du Mondial au Qatar, et des clubs russes des compétitions européennes de football sanctionnent justement l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et répondent à l’attente du public.