Un attentat qui fait froid dans le dos… mais en dit (très) long


C’est à peine avoir achevé un petit livre sur Anna Politkovskaïa que j’ai appris, par la radio, la tentative d’assassinat dont a été victime le Dr Denis Mukwege. Faut-il le dire, la nouvelle l’a profondément choqué. Car la visite de l’hôpital de Panzi, à Bukavu, fondé par le Dr Mukwege pour venir en aide aux femmes violées par les soudards des milices qui ravagent le Sud- et le Nord-Kivu a été un des moments les plus forts de la visite que j’avais rendue sur place, il y a maintenant deux ans, dans les pas de la vice-Première ministre et ministre de la Santé, Laurette Onkelinx. Denis Mukwege a gagné une notoriété mondiale en remettant sur pied ces femmes détruites physiquement et socialement, et en leur rendant par là-même une dignité sociale. C’est bien à ce titre qu’il gêne toutes les forces qui s’efforcent de déstabiliser l’est de la République Démocratique du Congo, et qu’il les gêne d’autant plus qu’il n’hésite pas, comme il vient encore de le faire aux Nations-Unies, à dénoncer tous les auteurs de ces viols utilisés comme armes de guerre et leurs commanditaires. Que sa notoriété mondiale n’aie pas empêché les tueurs de tenter de l’assassiner démontre à quel point le Dr Mukwege, par son action et par ses paroles, constitue un obstacle puissant à leurs entreprises scélérates. Il est par ailleurs d’autant plus incompréhensible qu’il ne bénéficie pas d’une protection «officielle». Que l’attentat ait raté me réjouit, mais ne me rassure pas: comme l’avaient dit les activistes de l’IRA, à l’intention de Margareth Thatcher, après un attentat manqué contre la Première ministre britannique lors d’un congrès du parti conservateur à Brighton, «il vous faudra de la chance à chaque fois; il nous suffira d’en avoir une fois». Les optimistes rappelleront dans la foulée qu’elle n’est pas morte sous les bombes des indépendantistes irlandais…

La liberté de tout dire n’est pas le droit de raconter n’importe quoi


Tout le battage médiatique organisé ce week-end autour du livre de Frédéric Deborsu aura été efficace: «Questions royales» se vend comme des petits pains; et on imagine que «La Renaissance du Livre» ne poussera pas trop loin sa plainte contre X pour «violation de l’embargo», à la fois parce qu’elle n’a que peu de chances d’aboutir, parce que pousser l’enquête lui réserverait peut-être des surprises, et surtout parce que, in fine, même si le groupe Sud Presse a critiqué l’ouvrage à la «une» (beaucoup moins dans l’article de Pierre Nizet, que Frédéric Deborsu continue manifestement à considérer comme un excellent confrère et un grand ami, au même tire que certains des journalistes invités à la conférence de présentation de son livre, et à d’autres qui avaient dû se faire remplacer, à son vif étonnement apparemment…), la polémique qu’il a lancée a constitué une excellente propagande pour le livre.

Maintenant que la présentation du livre a eu lieu, et tout en n’ayant pas encore eu l’occasion de le lire moi-même, je ne peux m’empêcher de procéder à certaines observations, de poser certaines questions, et de faire part d’un réel malaise.

Les observations tout d’abord, et cette curieuse différence entre les couvertures des versions française et flamande de l’ouvrage: simple détail de mise en page, ou divergence plus fondamentale? Il serait intéressant de comparer les deux versions du texte, pour voir si elles sont rigoureusement identiques.

Un constat dans la foulée: lors de la conférence de presse, Frédéric Deborsu a essentiellement parlé de lui-même et de sa grande expérience. Faut-il rappeler cet aphorisme selon lequel l’expérience n’est que le nom qu’on donne à la somme de ses erreurs?

À l’analyse, le livre n’apporte pas grand chose de neuf sur toute une série de faits déjà connus de la vie de la famille royale: Frédéric Deborsu s’est transformé en compilateur d’informations publiées, quitte à le faire de manière incovenante, si on doit en croire – c’est amusant!- Mario Danneels, qui se considère peut-être comme le seul biographe autorisé de la famille régnante.

Le malaise vient des insinuations du type « Mathilde a accouché de ses enfants à la clinique Erasme, spécialisée dans la procréation assistée. Philippe n’est pas le premier mari qui ne touche pas sa femme »: l’amalgame rapidement établi, l’auteur ne se pose ni la question de la pertinence de l’information par rapport à la question essentielle (Philippe est-il ou non à même d’exercer la fonction de chef de l’État?) ni celle de sa vraisemblance: un grand nombre de couples qui ne peuvent avoir d’enfants ont recours à la procréation assistée, et ils ont ainsi la joie d’être parents une fois, deux à la rigueur… quatre, jamais! Ce «détail» n’a manifestement pas intrigué Frédéric Deborsu qui est sans doute allé un peu trop loin en qualifiant de «hors normes» l’amitié entre le prince Philippe et un homme qui annonce aujourd’hui le dépôt d’une plainte.

À l’arrivée, et pensant notamment aux journalistes turcs emprisonnés pour défendre la liberté de la presse et la liberté d’expression, un rappel s’impose à moi: la liberté de tout dire n’est pas le droit de raconter n’importe quoi!

Le journalisme critique menacé à Anvers


Les médias de l’Europe entière convergent vers Anvers, depuis dimanche: le succès électoral de Bart De Wever (qui n’est pas encore bourgmestre de la cité portuaire, il faut le noter…) leur paraît annoncer la fin de la Belgique, et les uns et les autres tentent, parfois avec succès, d’obtenir une interview de la figure de proue de la N-VA.

Les médias francophones de Belgique, ont en général moins de chance, à l’une ou l’autre exception près, RTL ou Sud Presse récemment par exemple. Mais on sait que le parti nationaliste flamand, et son président, n’aiment pas les médias francophones critiques, qu’ils soient belges ou étrangers: on se souvient de l’explication donnée naguère à Jean Quatremer, correspondant de «Libération» en Belgique, à qui Bart De Wever ne pardonnait pas un article critique et qui se refusait donc désormais à tout contact avec lui.

Les médias flamands sont aujourd’hui à leur tour victimes de cette politique d’intimidation. Il y a une dizaine de jours, c’est l’hebdomadaire «Knack» qui le révélait, en publiant une interview… en blanc du président de la N-VA, qui avait refusé de répondre aux questions de notre confrère Stijn Tormans. Bart De Wever, en pleine campagne électorale, a tenté de rattraper la sauce ensuite, et tout semblait rentré dans l’ordre.

Et puis dimanche soir, alors qu’il fête son triomphe, le nouvel homme fort d’Anvers refuse une interview à… la télé régionale anversoise, ATV. À la grande surprise des journalistes francophones, mais pas de la presse flamande. La veille, en effet, Bart De Wever avait annoncé que, même élu, il continuerait à boycotter ATV, et le présentateur de son journal télévisé Karl Apers. «Il peut bien souhaiter que je ne l’emporte pas, car je n’ai plus l’intention de me rendre à son studio», a-t-il lancé notamment à nos confrères du «Nieuwsblad».

Que reproche Bart De Wever à Karl Apers? Des tweets injurieux, selon lui. Et à ATV, la N-VA fait grief de ne pas avoir été invitée aussi souvent que le sp.a du bourgmestre sortant, Patrick Janssens, durant la campagne électorale. «Nous avons invité la N-VA à sept reprises ces dernières semaines, et à chaque fois, nous avons dû dire à nos téléspectateurs que le parti avait refusé notre invitation», a riposté le rédacteur en chef d’ATV, Hans Hellemans, qui a tenté de discuter du problème avec Bart De Wever, mais ce dernier «n’avait pas le temps» de le rencontrer. «Quand il accuse notre télé de partialité, je suppose qu’il ne vise pas notre collègue qui s’est présenté sur une liste N-VA à Brasschaat», a conclu finement le rédacteur en chef d’ATV.

Il y a un parallèle frappant à relever entre le comportement médiatique et politique de Bart De Wever: hier, la N-VA a mis en cause les coalitions qui l’écartaient du pouvoir en Flandre, sans mentionner, par exemple, l’accord qu’elle a conclu à Courtrai avec l’Open VLD et le sp.a pour éjecter Stefaan De Clerck du pouvoir. En 2010, déjà, le parti nationaliste s’était retiré de la négociation communautaire en accusant tous les autres partis de la boycotter et en pointant le dédain dont avait fait preuve, selon elle, le Palais royal à l’égard de Bart De Wever.

De la même manière, le président de la N-VA met en cause les médias qui osent l’attaquer. En boycottant la télé anversoise, il franchit un palier supplémentaire: son but est bien d’intimider le journalisme anversois critique, après son accession au mayorat dans la ville portuaire. Il y a là un péril insidieux pour la liberté de la presse. Faudra-t-il, demain, manifester un soutien aux journalistes anversois, et à leur liberté de blâmer, sans laquelle il n’est d’éloge flatteur?