Près de cent journalistes turcs emprisonnés!


Les autorités judiciaires turques ont à nouveau ciblé la presse, le 20 décembre: quarante-neuf  journalistes et travailleurs des médias turcs supplémentaires ont été arrêtés au cours d’une vase opération policière, et conduits derrière les barreaux sous l’accusation fausse et classique d’adhésion à une organisation terroriste, ou encore de propagande pour des organisations terroristes. Sept d’entre eux, dont un photographe travaillant pour l’AFP, ont été libérés le 23, après avoir été interrogés par le procureur, et six autres ont retrouvé la liberté le 24 décembre, après avoir fait une déclaration devant un tribunal. Au total, ils sont  donc trente-six, dont vingt-neuf journalistes à être restés sous les barreaux: la Justice (mais ce terme est-t-il encore correct?) turque les accuse d’avoir soutenu les activités du KCK, l’Union Civique du Kurdistan.

Avec les soixante-six journalistes déjà emprisonnés, pour lesquels une mission internationale s’était rendue dans le pays, il y a moins d’un mois, c’est donc au total nonante cinq  journalistes qui sont détenus en Turquie. De en quoi faire, selon les mots du président de la Fédération Européenne des Journalistes, Arne König, «un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes»!

Ce lundi, lendemain de Noël, à Istanbul, le procès de dix journalistes du site Web Odatv a d’ailleurs repris. La première audience de ce procès, le 22 novembre, avait vu les avocats de la défense réclamer le dessaisissement du président du tribunal, au motif qu’il avait précédemment assigné l’un des prévenus, Bariş Terkoǧlu (celui-là même que l’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique a décidé d’«adopter») au motif qu’il avait diffusé sur le site des photos le montrant attablé, dans un lieu public, avec des membres du parquet et des policiers. Le procès avait donc été reporté, et finalement, contrairement à ce que l’on avait redouté, ce président a été remplacé. Avec pour conséquence que les débats ont dû reprendre de zéro. Mais au moins le principe d’une Justice (en principe) impartiale aura-t-il finalement été sauvé in extremis. Toute la journée d’hier, en tout cas, n’a pas suffi pour épuiser les débats: l’audience reprendra ce mardi 27 décembre…

Tout cela se passe dans une indifférence quasi générale: depuis la fin de la dictature militaire, beaucoup d’observateurs étrangers ont l’impression que la démocratie a retrouvé ses droits en Turquie. Les réactions qu’y provoque, dans les milieux officiels, le vote par le Parlement français d’une loi réprimant la négociation du génocide arménien montre pourtant bien que tout n’y est pas comme ailleurs. Les emprisonnements de journalistes jettent une lumière crue sur le pays. Comment les expliquer? Sans aucun doute par la volonté de l’AKP au pouvoir, qui dispose d’une très large majorité, mais à qui il manque quelques sièges au Parlement pour disposer de l’indispensable majorité de deux-tiers, de modifier la constitution. Faire taire les journalistes est donc impératif, car un journalisme critique peut faire obstacle à cette volonté…

Sans un statut social fort des journalistes, c’est la qualité de l’info qui est en danger!


Nous l’avons déjà signalé, mais de manière incise, dans un billet précédent, très lu, sur l’éthique journalistique. Mais il n’est pas inutile de revenir sur le sujet, car il est grave: le statut social des journalistes est à nouveau menacé en Belgique, et, on ne le dira jamais assez, sans des conditions de travail décentes des journalistes, il ne peut être question ni de qualité de l’information, ni de prise en compte sérieuse de la déontologie journalistique.

Ce n’est rien moins qu’un bain de sang social qui s’annonce dans la presse en Belgique. Jugez plutôt: à l’agence Belgale licenciement brutal de 9 membres du personnel (dont 5 journalistes) a été annoncé cette semaine. Les motifs invoqués sont classiques: ils évoquent « la mutation« , « irréversible » et « résolument moderne » (sic) à laquelle l’Agence doit faire face. Le discours n’abusera personnne: il s’agit, une nouvelle fois, de compression des coûts, au détriment du personnel. Et on peut déjà en prévoir la conséquence: une défaillance encore plus grande de l’Agence dans sa couverture de l’actualité, spécialement dans le sud du pays. Étant donné le rôle central de l’agence Belga dans la diffusion de l’information, c’est toute la presse belge, en fait, qui va en être affectée. Et ce dans un contexte où les grands agences de presse nationales ou internationales, comme l’AFP par exemple, confrontées à l’explosion du Web, se préoccupent de plus en plus d’immédiateté et de moins en moins de qualité de l’information. Le personnel de Belga a réagi avec le vote, à l’unanimité, d’une motion de défiance vis-à-vis de la direction de l’information de l’Agence ainsi que le dépôt d’un préavis de grève à titre conservatoire. Le personnel exige en tout cas le respect des droits des collègues licenciés ainsi qu’une concertation sur le fonctionnement de la rédaction.
Chez Sudpresse, 35 personnes devraient quitter le groupe, sans qu’on sache à l’heure présente combien de journalistes sont concerné(e)s. Mais il y en aura nécessairement: l’évolution des métiers, dans la presse écrite, fait que la rédaction est devenue le service numériquement principal. Il sera donc nécessairement amputé. Là, les motifs invoqués sont économiques : augmentation des coûts, baisse des recettes, détérioration de la rentabilité alors que l’entreprise doit investir dans de « nouveaux outils« : entendez sans doute, le multimédia, la nouvelle vache sacrée des patrons de presse. Par parenthèses, Sudpresse fait partie du groupe Rossel, qui, soucieux d’économies chez nous, a trouvé les fonds nécessaires pour racheter des quotidiens français du groupe Hersant, de l’autre côté du Quiévrain. Où donc est l’erreur???

En Flandre, ce n’est pas plus rose: plus d’une centaine d’emplois sont menacés.  2 à TV Limburg, 8 à TV Oost, 12 à Rob-tv, 4 à Focus-WTV, 20 (dont 15 journalistes) à VT4, 28 à VTM, 3 ou 4 chez Think Media (éditeur e.a. de P-magazine), et 25 chez Concentra (Gazet van AntwerpenHet Belang van Limburg). Sanoma a annoncé la suppression des magazines Goedele et Glam*It,  » l’optimalisation » (et quand il s’agit d’annoncer des mesures socialement ravageuses, le langage patronal se fait toujours très imagé!!!!) de Vitaya et le regroupement en une seule rédaction nationale de Feeling et de Gael. 17 collaborateurs sont ici concernés, francophones et néerlandophones.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, voici maintenant que c’est la pension complémentaire des journalistes qui est menacée par le projet de réforme à la hussarde, introduit par le très libéral ministre responsable, Vincent Van Quickenborne (Open VLD) qui, dans sa frénésie réformatrice, n’a peut-être pas pris le temps de bien étudier le dossier.

Pour les journalistes salarié(e)s, cela représente une perte de quelque 33% en fin de carrière. Mais le plus incroyable est que la suppression de la pension complémentaire, voulue par Vincent Van Quickenborne, ne fera réaliser… aucune économie à notre système de pensions.

Les pensions des journalistes professionnel(le)s, en effet:

• ne sont en aucun cas concernées par un « allongement des carrières » : les carrières des journalistes professionnels ont toujours été calculées sur 45 ans. Elles sont donc déjà alignées sur le régime général.

• sont financées par le secteur même et par les intéressés : des cotisations sociales supplémentaires et obligatoires (à l’Office des pensions) financent un complément de pension, équivalent en cas de carrière complète à un supplément de 33 %. Ces cotisations s’élèvent à 2 % du salaire brut du journaliste à charge de l’employeur, et à 1 % à charge du journaliste professionnel, tout au long de sa carrière.

L’Etat fédéral ne finance donc pas ce complément de pension. Il n’y aura pas d’économie budgétaire découlant de cette mesure !

La seule subvention est historique et provient actuellement des Communautés (depuis 1989, lorsque les aides à la presse ont été communautarisées). La Communauté flamande verse chaque année 54.000 €, la Communauté française 44.000 €. Ces montants ont été prévus depuis l’origine du système pour financer les premières pensions (parties de carrières avant l’obligation de cotiser en 1971) et font partie de l’aide à la presse.

Par surcroît, il y a actuellement bien plus de cotisants dans le système que de bénéficiaires : le nombre de journalistes professionnels admis au titre a doublé ces 20 dernières années, et les journalistes cotisent dès leur premier contrat de travail.

Supprimer la pension des journalistes professionnels dès 2012, même en garantissant les droits constitués à cette date, aura pour seul effet de permettre aux entreprises de presse d’économiser des cotisations sociales. Mais les grands perdants seront les journalistes eux-mêmes, alors que toutes les autres mesures tendent à renforcer le premier pilier, et qu’un très grand nombre d’entre eux ne bénéficie pas d’assurance groupe.

Il n’y a ici aucun privilège en jeu. Au contraire, si tous les secteurs cotisaient davantage à l’Office National des Pensions, il y aurait sans doute là une voie de sauvegarde des pensions légales.

Toutes ces informations sont disponibles en ligne sur le site de l’AJP-AGJPB  (www.ajp.be) qui ferraille pour faire rapporter cette mesure. Les journalistes ont intérêt à s’associer à ce combat, par exemple en alertant les députés et sénateurs qu’ils/elles connaissent. Se battre pour ses droits, c’est aussi se battre pour la qualité de l’information!